13/12/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

La Fayette, la voilà !

01/09/1997
A l’issue d’un voyage de 38 jours au cours duquel elle a dû affronter un typhon, la frégate Tihua a rallié la base navale de Tsoying, dans le sud de Taïwan, au départ de Lorient, en France.

Baptisée Tihua, la quatrième des six frégates La Fayette, de fabrication française, a été officiellement remise aux forces navales de la République de Chine le 14 août 1997, au cours d’une cérémonie officielle. La mise en service, présidée par le commandant en chef de la Marine nationale, l’amiral Wu Shih-wen, a eu lieu sur la base navale de Tsoying, près de Kaohsiung, dans le sud de Taïwan. Sous un soleil ardant, les quelque 300 invités — personnalités françaises, officiers militaires, instructeurs et élèves des écoles de la Marine, représentants des familles et membres de la presse — ont écouté des discours en chinois et en français avant de monter sur l’imposant vaisseau amarré le long du quai numéro trois. Là, l’atmosphère solennelle a vite cédé la place à des chants et des danses énergiquement interprétés par de jeunes recrues agitant des pompons multicolores, suivis d’un air de cornemuse, le tout arrosé de champagne. Le moment tant attendu est enfin arrivé où les invités ont été autorisés à pénétrer dans la frégate. Au milieu d’un joyeux désordre, les visiteurs, guidés par des officiers ou des ingénieurs, ou se fiant à leur propre sens de l’orientation, ont pu se rendre dans les différents étages, se croisant au hasard des coursives. Profitant de cette occasion unique offerte au public de parcourir à sa guise un vaisseau militaire, chacun a pu monter et descendre des passerelles fort raides, inspecter les toilettes et les douches, se glisser dans les cabines et les cuisines et assouvir ainsi pleinement sa curiosité.

C’est en 1991 que Taïwan a signé un contrat avec la France pour l’achat de six frégates La Fayette d’un coût de 2,8 milliards d’USD. Kangting, le premier de ces bâtiments construits par la direction des Constructions navales du ministère français de la Défense, a été livrée en mai 1996, suivie, quelques mois plus tard, par Hsining et Kunming. Les deux derniers vaisseaux doivent être remis à la Marine de la République de Chine avant la fin de 1998.

Après 38 jours de voyage et un périple de 11 000 milles marins, la frégate La Fayette est arrivée le 4 août sur la base de Tsoying. A son bord se trouvait un équipage franco-chinois (Taïwan), avec, pour le côté français, une trentaine d’instructeurs militaires et une dizaine d’ingénieurs. Le futur équipage de la Tihua, des cadres de la Marine de la République de Chine, revenait à Taïwan après avoir participé à une formation d’un an et trois mois dans la ville de Lorient.

Durant cette période, officiers et cadres ont suivi un double enseignement baptisé OJT (On Job Training), formation technique, et GK (General Know-ledge), formation générale. La durée du séjour en France étant limitée, les familles n’ont pas été autorisées à faire partie du voyage. Pour le lieutenant de vaisseau Liu Kuo-lun, la formation a été enrichissante. «Nos instructeurs étaient à la fois cordiaux et stricts, explique-t-il. Lors des contacts courants, ils se montraient très ouverts. Mais dans leur travail, ils étaient très rigoureux. Les officiers français sont animés d’un grand sens de l’autodiscipline et ils font preuve de beaucoup d’initiative».

La formation a été agréable, l’équipage taïwanais ayant particulièrement apprécié le climat français, beaucoup moins chaud que celui de Taïwan. En revanche, la vie chère et... le régime alimentaire ont mis à l’épreuve les facultés d’adaptation des militaires de la République de Chine. «Le plus difficile, c’était le petit déjeuner parce qu’il n’y avait pas beaucoup de choix, se souvient Liu Tai-jui, enseigne de vaisseau première classe. Mais il a bien fallu s’adapter. Heureusement, il y avait le vin ! Les Français en boivent toujours à table. Il y en avait sur le bateau quand nous avons effectué le voyage retour et les Français nous ont laissé ce qui n’a pas été consommé. En principe, on ne boit pas d’alcool à bord, sauf dans des circonstances particulières telles que le passage de l’Equateur — qui est très important pour les marins — ou une fête nationale, comme le 14 Juillet français, que nous avons célébré à bord». Selon Fang Chun-kai, matelot, qui n’a passé que quatre mois et demi en formation en France, le voyage s’est déroulé dans de bonnes conditions, les deux équipages, qui se servaient de l’anglais pour communiquer, s’étant parfaitement entendus. Au cours de ses trente-huit jours de navigation, la frégate a accosté dans plusieurs endroits, avant de rallier Tsoying à la date prévue.

Dès son arrivée, la Tihua a été armée par l’institut de la Science et de la Technologie Chung-shan qui a procédé à l’installation des systèmes de combat électroniques. Parmi ses armements sophistiqués figurent le système de défense aérienne Phalanx, des missiles sol-air Chaparral, de fabrication américaine, des missiles anti-navire Hsiung-feng II de fabrication chinoise (Taïwan) et un hélicoptère de lutte contre les sous-marins. Des essais ont été effectués en mer immédiatement après.

Avec un déplacement de 3 500 tonneaux et une vitesse maximale de 25 nœuds, cette frégate de surveillance absorbe les ondes radar grâce à un revêtement qui réduit sa visibilité. C’est cette caractéristique qui lui a valu le surnom de «bateau furtif». Silencieuse, elle est donc particulièrement difficile à détecter. A ce propos, une anecdote est révélatrice. Un responsable de la Marine a révélé qu’en mars dernier, la frégate Kangting a effectué une patrouille dans la zone maritime qui s’étend à l’est de Taïwan. Bien qu’elle soit restée longtemps en mer, le radar de la région militaire navale de Keelung n’a rien détecté. Ce n’est que lorsque le bâtiment est parvenu au nord-est de l’île qu’il a été trahi par les décollages et atterrissages répétés de son hélicoptère de lutte anti-sous-marine. Il a finalement été identifié par un navire envoyé en reconnaissance par le commandement de la région militaire. Les radars de la Marine ayant fonctionné normalement ce jour-là, cette anecdote montre le degré de difficulté qu’implique la détection de ces bâtiments. Ce même officier a expliqué que le détroit de Taïwan est très fréquenté et donc, particulièrement complexe. Les sonars sont souvent victimes d’interférences qui les mettent dans l’incapacité totale de détecter les sous-marins. Il ne s’agit cependant pas là d’un obstacle pour les frégates La Fayette dont les sonars parviennent non seulement à repérer les sous-marins mais aussi à décrypter les différents signaux qui proviennent des profondeurs marines sur quelque 200 mètres. En outre, elles sont très mobiles et disposent d’une grande autonomie, étant capables de parcourir une distance de 7 000 milles marins.

Le principal rôle des frégates, tel qu’il leur a été assigné par la Marine de la République de Chine lorsqu’elle a conclu le contrat pour leur acquisition, est la lutte anti-sous-marine et la détection anti-aérienne, tâches pour lesquelles elles disposent d’une supériorité certaine. Elles se distinguent en cela des frégates de classe Cheng-gung dont la spécialité est la défense aérienne. Après un certain temps de mise en service et d’évaluation de leur force de frappe, la Marine a cependant estimé qu’il était nécessaire de remédier aux faiblesses que ces bâtiments présentent en termes de lutte anti-aérienne. Le système de défense des La Fayette étant de conception «modulaire», c’est-à-dire divisé en unités capables de fonctionner de façon indépendante, il est très aisé de modifier ou de renforcer les équipements et les armements en fonction des besoins des missions de combat ou de considérations tactiques. Pour pallier aux insuffisances des frégates, l’état-major de la Marine prévoit donc d’améliorer leurs capacités de défense aérienne, malgré le coût élevé qu’un tel projet sous-entend. Outre les limites budgétaires, la principale raison pour laquelle les achats de tels armements n’ont pas été compris dans le contrat signé pour l’acquisition des frégates est le refus par la France de vendre ces équipements à Taïwan.

Le commandant en chef de la Marine, l’amiral Wu Shih-wen, a déclaré que les frégates La Fayette sont des bâtiments de guerre modernes destinés à répondre aux besoins de la défense au XXIe siècle. Il a estimé que leur acquisition constitue un apport très précieux pour la construction navale de la République de Chine et, indirectement, pour l’industrie de la défense nationale. Ce secteur est essentiel pour le gouvernement de Taïpei, lequel est confronté à une Chine continentale qui ne cesse de renforcer son armement et dont le budget de la défense a augmenté de 11% l’an dernier. Pékin a ainsi acquis récemment auprès de la Russie des destroyers, des sous-marins de classe Kilo et des avions de combat SU-27. De ce côté-ci du Détroit, des craintes sont nées de voir l’équilibre des forces remis en cause.

Les menaces du continent chinois se sont également faites plus précises au cours des deux dernières années, après la visite du président de la République de Chine, M. Lee Teng-hui, aux Etats-Unis en juin 1995 et l’organisation d’élections présidentielles au suffrage universel direct à Taïwan en mars 1996. A chaque fois, le continent chinois a réagi en organisant des ma-nœuvres militaires au large de l’île. Ces tirs de missiles ont fait naître dans toute la région de l’Asie orientale la crainte de voir Pékin recourir à la force pour satisfaire ses revendications territoriales, non seulement sur Taïwan mais également sur les îles Spratly, en mer de Chine méridionale. Cet archipel est revendiqué par de nombreux pays de la région, dont le continent chinois et Taïwan qui maintient des troupes sur l’îlot de Tungsha. Le détroit de Taïwan, de même que la mer de Chine méridionale, sont ainsi devenus des points chauds qui menacent la paix et la stabilité en Asie aujourd’hui. Les inconnues qui persistent quant aux orientations que suivront les futures instances dirigeantes de Pékin après la disparition de Deng Xiaoping ajoutent encore aux incertitudes. Il n’est pas exclu que l’attitude pragmatique du continent vis-à-vis de Taïwan fasse place à un comportement beaucoup plus conservateur et nationaliste. C’est la raison pour laquelle l’état-major de la Marine a considé-rablement accéléré sa constitution d’une force moderne, dite de la «deuxième génération» au cours des dernières années. Outre l’achat des frégates La Fayette à la France, il a passé contrat auprès de la Société des chantiers navals de Chine (Taïwan) pour la construction des frégates Cheng-kung, développé des croiseurs de classe Chin-chiang et loué à bail auprès des Etats-Unis des frégates de classe Chi-yang et des barges de débarquement de chars de classe Chung-ho. L’examen des conditions qui prévalent actuellement dans la région suffit à démontrer la complexité de la situation et l’urgente nécessité pour la République de Chine de se doter d’une flotte moderne.

Texte : V. Etrillard et Wu Hsiao-ling


NDLR - Du fait de l’attitude extrêmement prudente — pour ne pas dire timorée — dont ont fait preuve tant la Marine de la République de Chine que les compagnies françaises engagées dans le projet de construction des frégates La Fayette, il n’a pas été possible à La Chine libre d’obtenir les documents escomptés de la part de la première, ni d’effectuer des interviews des ingénieurs travaillant pour les secondes. La rédaction déplore le manque de coopération constaté d’un côté comme de l’autre, et présente ses excuses aux lecteurs pour ne pas avoir été en mesure de leur offrir l’article original qu’elle se proposait de rédiger dans un premier temps.

Les plus lus

Les plus récents