23/06/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Une franche victoire pour Lee Teng-hui

01/03/1996
Photo d’archives Lien Chan (à g.) et Lee Teng-hui (à d.) brandissent deux énormes navets, symboles de bonne fortune, au cours de la campagne électorale. La victoire s'est avérée confortable pour les deux candidats du Kuomintang, qui ont recueilli 54% des suffrages exprimés.

Au lendemain d'élections présidentielles caractérisées par l'un des plus forts taux de participation de l'histoire de de Chine, la population de Taiwan regarde vers l'avenir avec l'espoir de voir un con­sensus en politique intérieure apparaître et les relations avec continentale s'améliorer.

Le président sortant, M. Lee Teng­-hui, a obtenu une victoire éclatante le 23 mars dernier, l'emportant sur ses quatre adversaires dans chacune des 25 circonscriptions électorales, à une excep­tion près, et obtenant 54% des suffrages exprimés. Il se prépare donc à remplir un second mandat, de quatre ans celui­-ci, à la tête de l'Etat.

Ces élections ont eu l'effet d'une retentissante rebuffade pour Pékin, qui s'était livrée à des intimidations militaires durant la campagne. Le décor est désormais planté pour la poursuite des réformes démocratiques par un gouvernement dont le chef suprême a été choisi au moyen d'un vote populaire universel ─ une première dans l'histoire du monde chinois ─.

« Les portes de la démocratie sont maintenant grandes ouvertes », a déclaré Lee Teng-hui après sa victoire, le soir du samedi 23 mars. « Les 21 millions d'habitants de notre pays sont les meilleurs témoins de la démocratie. » Lee Teng-hui, 73 ans, a appelé la population à garder l'esprit ouvert, à défendre avec cœur « l'harmonie sociale et l'amour de son prochain » et à garder « un courage sans faille et un optimisme inébranlable ».

Lors d'une conférence de presse le jour suivant, le vice-président nouvellement élu, M. Lien Chan, a déclaré que la signature d'un accord de paix avec continentale devait être considérée avec attention, que tous les secteurs de la société taiwanaise devaient avoir leur mot à dire dans cette affaire et qu'il faudrait parvenir à un consensus interne avant d'entreprendre toute action gouvernementale.

Malgré les tensions entraînées par le déploiement des forces armées de continentale à proximité de Taiwan, les élections se sont déroulées sans incident. Sur les 14,3 millions d'électeurs que compte de Chine, plus de 10,8 millions se sont rendus aux urnes. Le taux de participa­tion, qui a atteint 76,04%, était légèrement inférieur à celui enregistré lors des élections du gouverneur de la province de Taiwan et des maires des deux grandes municipalités en 1994, mais bien supérieur au taux de 70% habituellement observé lors des échéances électorales majeures.

Lee Teng-hui, le candidat du Kuomintang (KMT), et son co-équipier Lien Chan, ont obtenu ensemble 54% des suffrages, soit 5,8 millions de voix. Peng Ming-min et Frank Hsieh, du Parti démocrate-progressiste (DPP), ont pris la deuxième place avec 21,1 % des votes exprimés, soit moins de 2,3 millions de suffrages; les candidats indépendants Lin Yang-kang et Hau Pei-tsun suivaient avec 14,9% et 1,6 millions de votes; les 10% restants ont échu à Chen Li-an et Wang Chin-feng.

Les observateurs expliquent que cette victoire en raz-de-marée signifie soit que les électeurs sanctionnent positivement les huit années que Lee Teng-hui a passées à la présidence de , soit que ceux-ci veulent faire comprendre à Pékin qu'ils ne plieront pas devant les intimida­tions, voire les deux.

Rappelons que le pouvoir communiste de Pékin n'a jamais exercé aucun contrôle admi­nistratif sur Taiwan, bien qu'il la considère comme une province rebelle. Pendant la campagne, les opinions politiques étaient, à Taiwan, en général divisées : certains désiraient éviter tout débat à propos de la réunification avec le continent, d'autres voulaient s'engager activement sur la voie de l'indépendance, et d'autres encore, plus nombreux, favorisaient le statu quo, c'est-à-dire une politique prônant l'unification à une date indéterminée.

Lee Teng-hui a déclaré que la réunification n'aurait lieu que dans un contexte de liberté et de démocratie sur le continent. Il a par ailleurs rehaussé le profil de Taiwan dans le monde, grâce à des initiatives telles que sa visite aux Etats-Unis, en juin dernier, à l'université Cornell dans laquelle il étudia autrefois ─ une visite qui a provoqué la colère de Pékin ─.

Au cours de la campagne présidentielle, Pékin a accusé Lee Teng­-hui d'être un « comploteur » cherchant à promouvoir l'indépendance de Taiwan sans l'admettre ouvertement. Tandis qu'elle procédait à des manœuvres militaires à 35 kilomètres à peine des côtes taiwanaises, continentale est allée jusqu'à décrire Lee Teng-hui comme une marionnette des Etats-Unis poussant la population de Taiwan dans un « abîme de douleur ».

Dans ce contexte de vives critiques à l'encontre de Lee Teng-hui, le mandat qui lui a été confié le jour des élections ne pouvait manquer d'être considéré comme un revers pour Pékin. A un cer­tain point de la campagne, Pékin a par exemple qualifié Lee et Peng de « jumeaux séparatistes ». Si l'on suit la logique de Pékin, et que l'on combine les votes obtenus par Lee et Peng, on s'aperçoit que le régime communiste considère près des trois quarts des électeurs de Taiwan comme des avocats de l'indépendance.

Le DPP a attribué son revers aux élections présidentielles à des erreurs internes à l'appareil du parti et aux démonstrations de force de Pékin. Il a ajouté qu'une grande partie de ses électeurs traditionnels avaient partagé leurs suffrages, votant pour Lee Teng­-hui aux élections présidentielles et pour les candidats du DPP aux élections de l'Assemblée nationale, qui avaient lieu le même jour, et pour lesquelles le DPP a recueilli près de 30% des voix.

Shih Ming-teh, le président du DPP ─ le plus grand parti d'opposition ─ a endossé la responsabilité de cet échec électoral en quittant la direction du parti. Shih dirigeait le DPP depuis la démission de son prédécesseur, Hsu Hsin-liang, en 1993, à la suite des piètres résultats obtenus cette année-là par le DPP lors des élections des chefs de hsien et des maires des petites municipalités.

Peng Ming-min a pour sa part déclaré après les élections qu'il continuerait de faire des conférences à l'étranger pour promouvoir le statut in­ternational de Taiwan.

Les deux candidats indépendants, Lin Yang-kang et Chen Li-an, considérés comme une « troisième force » mettant le KMT et le DPP au défi, ont obtenu à eux deux près du quart des votes, soit plus que les 21% du DPP. Néanmoins, les responsables du DPP refusent de voir dans cette « troisième force », qui englobe le Nouveau parti, le plus grand parti d'opposition dans l'arène politique taiwanaise.

Les commentateurs politiques ont attribué les échecs de Lin et de Chen à leur incapacité à concentrer leurs forces dans un seul ticket présidentiel. Par ailleurs, remarquent-ils, les tensions dues aux provoca­tions de Pékin ont amené le DPP et le KMT à user de tactiques de campagne négatives : ils ont par exemple tous deux qualifié Lin et Hau, qui prônent sans cesse la réunification avec continentale, de « compagnons de route » des communistes chinois.

Pour l'avenir, Lin Yang-kang a annoncé qu'il reprendrait ses fonctions au sein de la fondation culturelle et scientifique qu'il a créée, mais n'a pas exclu la possibilité de se représenter dans quatre ans. Hau Pei-tsun, de son côté, a déclaré qu'il se retirerait du devant de la scène politique mais continuerait à promouvoir la démocratie pour tous les Chinois.

Chen Li-an, qui est un fervent adepte du bouddhisme, a fréquemment rappelé qu'il livrait une bataille politique d'un autre genre. Le côté résolument religieux de sa campagne, associé à des stratégies électorales ambiguës, n'a séduit qu'un votant sur 10. Après les élections, Chen Li-an a déclaré que l'an 2000 était une échéance trop lointaine pour qu'il puisse dire dès aujourd'hui si oui ou non il se représenterait. Il a ajouté que Wang Ching-feng et lui­-même continueraient d'essayer de changer les mentalités matérialistes et de venir en aide aux défavorisés.

Adressant leurs félicitations à Lee Teng-hui et à Lien Chan, les perdants ont appelé les vainqueurs à prendre en compte les résultats de ces élections historiques et à répondre aux attentes grandissantes du public.

L'investiture solennelle de Lee Teng-hui et de Lien Chan aura lieu le 20 mai prochain. Lien Chan, qui est actuellement premier ministre, deviendra alors vice-président de de de Chine, le gouver­nement dirigé par Lien Chan devra remettre sa démission après l'inves­titure; puis le président nommera un nouveau premier ministre, nomination qui sera soumise à l'approbation du Yuan législatif.

Comme les forces politiques en présence dans les différentes branches du pouvoir se sont considérablement rééquilibrées à la suite des élections des 164 membres du Yuan législatif en décembre dernier, et des 334 membres de l'Assemblée nationale le 23 mars, l'on s'attend à un remaniement ministériel de grande envergure. Ces élections ont en effet réduit à une majorité instable la domination autrefois sans faille dont jouissait le KMT dans chacune des assemblées parlementaires.

Le président Lee a déclaré au lendemain des élections qu'il entreprendrait comme promis une série de réformes de l'appareil judiciaire, de , de l'administration, de l'enseignement et du secteur financier.

Le président Clinton et d'autres leaders étrangers ont adressé leurs félicitations à la population de Taiwan à l'occasion de ces élections présidentielles historiques, tout en exprimant l'espoir que Lee Teng-hui parvienne à ramener la détente entre Taiwan et continentale.

En Asie, les divers gouvernements et la presse dans son ensemble laissaient néanmoins percer leur inquiétude à propos de la sécurité et de la stabilité dans la région Asie-Pacifique. « La confrontation demande du courage, et le compromis requiert de la sagesse », remarquait Jiang An dans un éditorial du Straits Times de Singapour, avant de conclure : « Espérons que les leaders des deux rives ne sont pas des conspirateurs mais des politiciens sages et courageux. »

(v.f. Laurence Marcout)

 

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