08/05/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Dans l’univers merveilleux des champignons

01/03/2003

>> Si Taiwan n’est plus le premier producteur au monde de champignons de Paris, elle a conservé une place importante sur le marché des champignons de culture en diversifiant sa production. Ce qui explique peut-être pourquoi elle abrite l’un des deux seuls musées du Champignon existant aujourd’hui

Dans le monde chinois comme ailleurs, les champignons tiennent depuis toujours une place éminente dans la gastronomie et, à ce titre, sont chantés par les poètes depuis des temps reculés. Ainsi de Yang Wanli [楊萬里] (1127-1206), qui s’extasia sur leur parfum « sucré comme le miel qui persiste entre les dents, meilleur que le musc ... »

Les Chinois ont depuis toujours la passion des champignons. Encore aujourd’hui, on trouvera dans chaque foyer un sac de shiitake (Lentinus edodes) , ces champignons parfumés qui sont un ingrédient essentiel de la cuisine chinoise. Jetés dans la poêle avec les légumes ou ajoutés aux soupes, leur arôme pénétrant aiguise l’appétit.

Avant que les hommes n’apprennent à les reconnaître et à en cultiver certains, les champi gnons étaient une nourriture dangereuse. Encore aujourd’hui, il arrive que des imprudents s’empoisonnent en mangeant des champignons vénéneux cueillis au hasard de leurs prom enades. Aussi les tentatives de recensement des variétés comestibles ou vénéneuses ont-elles été nombreuses.

La première classification connue des champignons qui poussent en Chine est donnée par le Taishang Lingbaozhi Caopin, rédigé vers la fin de la dynastie Jin (317-420), et ensuite repris dans le Dao Cang, un classique du taoïsme, qui peut être décrit comme le premier guide illustré des champignons. Le Jun Pu (Guide des champignons) achevé en 1245 par Chen Renyu [陳仁玉], sous la dynastie Song, peut être considéré comme la première monographie consacrée à ces végétaux. Par la suite vinrent d’autres ouvrages, comme le Guang Jun Pu (Guide général des champignons) , réalisé en 1500 par Pan Zhiheng [潘之恆] sous la dynastie Ming, et le Wu Xun Pu (Guide Wu des champignons), publié en 1703 par Wu Lin [吳林], sous la dynastie Qing.

Un centre de production mondial

Les champignons sont des végétaux thallophytes dépourvus de chlorophylle et poussant rapidement, surtout dans les lieux humides. Leur utilisation par l’homme remonte au moins à 5 000 ans avant notre ère, mais les recherches scientifiques sur les propriétés de ces végétaux n’ont en Occident démarré que vers la deuxième moitié du XVIIIes. Les principales régions de culture se trouvent en Asie qui concentre 70% des variétés connues dans le monde.

A Taiwan, la recherche et les efforts de développement ont démarré en 1953. La région de Wufeng, dans le hsien de Taichung, est progressivement devenue la capitale de la mycoculture insulaire grâce à un climat particulièrement favorable. C’est aussi à Wufeng qu’a démarré la production à grande échelle des champignons de couche (ou champignons de Paris), dont Taiwan était dans les années 70 le premier exportateur mondial. Cultivés dans l’obscurité moite de serres en paille de riz, les petits champignons blancs rapportaient alors près de 100 millions d’USD par an en devises étrangères. Si Taiwan a perdu sa première place pour cette variété, les champignonnières de Wufeng se sont diversifiées. Taiwan est par exemple aujourd’hui le plus grand producteur mondial d’enoki ( Flammulina velutipes ou petite flamme), qui s’exporte partout autour du globe.

Souhaitant capitaliser sur cette activité florissante, Wufeng s’est récemment dotée d’un musée du Champignon, le seul au monde avec celui de Saumur, en France. Depuis son ouverture en 1998, le musée reçoit en moyenne 200 à 300 visiteurs par jour, remplissant admirablement son rôle pédagogique. Sur ses 1 300 m2 d’espace d’exposition sont présentés l’histoire de la mycoculture ainsi que ses aspects techniques et scientifiques. Les champi gnons sont également resitués dans le contexte de la culture chinoise classique, et présentés avec leurs caractéristiques - comestibles, vénéneux, microscopiques ...- dans toute leur diversité.

La nature magicienne

Les champignons peuvent être divisés en trois catégoriesselon leur mode de croissance : parasites, saprophytes et symbiotes. Les hyphes (les filaments microscopiques qui constitu ent le mycélium, la partie végétative du champignon) des champignons parasites s’implantent directement dans un hôte vivant dont ils se nourrissent ; ceux des champignons saprophytes envahissent un hôte mort pour en extraire les nutriments ; quant aux hyphes des champignons symbiotiques, ou mycorhizes, ils pénètrent les racines des plantes et les aident à extraire des nutriments du sol, tandis que celles-ci leur fournissent l’alimentation dont ils ont besoin. Le matsutake (Tricholoma matsutake Singer) , qui vit en symbiose avec le pin sur lequel il croît, est un excellent exemple de cette relation mutuellement bénéfique.

Avec de la chance, on peut trouver des matsutake dans les sous-bois des forêts de pins qui recouvrent les montagnes du centre de l’île, par exemple à Patungkuan ou au mont Ali (Alishan). Pour l’heure, la culture artificielle du matsutake est impossible, et ces champi gnons extrêmement rares se vendent autour de 10 000 TWD le kilo sur les marchés de gros - un prix qui peut être multiplié par quatre pour le consommateur final au Japon où, comme les truffes en Europe, il est très recherché.

L’un des champignons sauvages les plus remarquables de la flore taiwanaise est Dictyophora indusiata qui se rencontre maintenant plus fréquemment sur les marchés de l’île - mais les consommateurs prennent encore parfois ce champignon étrange, avec son voile blanc translucide ajouré, pour un sous-produit du bambou. Dictyophora indusiata est un champignon éphémère qui atteint sa maturité en moins de huit heures et perd son voile après une quarantaine de minutes seulement.

Du fait de la diversité de ses sols et de ses climats, Taiwan abrite une diversité extraordinaire de champignons. Jusqu’ici, plus de 5 300 variétés ont été répertoriées, certaines par exemple typiques de l’hémisphère nord, des régions tropicales ou encore des zones alpines. A ces espèces connues ailleurs dans le monde s’en ajoutent d’autres, endémiques ou hybrides. Le matsutake de Taiwan est par exemple assez différent de ceux qu’on trouve dans le reste de l’Asie.

Dix espèces font ici l’objet d’une production commerciale à grande échelle : le shiitake, l’enoki, le pholiote du peuplier (Agrocybe aegerita) , l’oreille de Judas (Auricularia auricula judae) , plus connue sous le nom de champignon noir, le pleurote du Panicaut (Pleurotus eryngii), le pleurote gris ou en huître (Pleurotus ostreatus), le champignon ormeau (Pleurotus cystidiosus), le champignon de couche (Agaricus bisporus), la volvaire (Volvariella volvacea) et la trémelle blanche (Tremella fuciformis) .

Poussant naguère à l’état sauvage uniquement, ces espèces sont aujourd’hui mises en culture dans des champignonnières dont on peut contrôler les paramètres de chaleur, d’hygrométrie, d’éclairage et de qualité du terreau. L’un des progrès les plus remarquables accomplis à Taiwan dans le secteur de la mycoculture est l’invention, en 1974 dans un laboratoire agronomique du secteur public, de la culture des shiitake sur copeaux de bois plutôt que sur des bûches. La méthode a depuis été adoptée dans les autres pays producteurs. Les producteurs taiwanais sont aussi parvenus à démultiplier les rendements dans la production de ces champignons parfumés.

Petits chapeaux, grands pouvoirs

On estime que les champignons produisent naturellement une centaine d’antibiotiques. Nombre d’entre eux ont un effet modérateur sur la tension artérielle. D’autres aident le corps à construire ses défenses immunitaires, à inhiber la croissance des tumeurs ou à lutter contre les excès de cholestérol.

Au musée de Wufeng, les visiteurs peuvent découvrir de vrais spécimens d’espèces utilisées de longue date dans la médecine chinoise, comme l’amadouvier ou lingzhi (Ganoderma lucidum), jadis consommé pour tenter d’atteindre l’immortalité, le cordyceps (Cordyceps sinensis), utilisé dans le traitement de l’hépatite, ou encore le pachyme ou fuling (Poria cocos).

Très coloré, le lingzhi pousse en éventail à même le tronc de son hôte. Trop dur, il est rarement consommé comme aliment, mais certaines variétés ont des vertus médicinales bien connues. Le Shennong Bencaojing, le premier traité de pharmacopée chinoise à le recenser, qui daterait du Ier s. avant notre ère, en distingue six variétés : rouge, orange, bleu, pourpre, blanc et noir. Aujourd’hui, on en connaît plus d’une centaine qui sont soumises à des recherches pharmaceutiques poussées de par le monde.

Le remarquable cordyceps - appelé « ver d’hiver, herbe d’été » en chinois - est un autre ingrédient bien connu de la pharmacopée chinoise. Il ressemble à une larve d’insecte desséchée et aplatie, et rien dans son aspect ne fait soupçonner qu’il s’agit en réalité d’un champignon parasite de la chenille de l’hépiale, un papillon de nuit. Ses spores germent en automne et infestent le corps de la chenille qu’il parasite, entraînant sa mort. L’hyphe du cordyceps crée à l’intérieur de la chenille une masse de tissu fongique appelée sclérote, dans lequel le parasite reste en sommeil tout l’hiver. Au retour des beaux jours, de fines pousses - l’« herbe d’été » - surgissent de la larve desséchée.

Au détour des vitrines du musée de Wufeng, on apprend encore que certains champignons moins spectaculaires ont eux aussi des vertus particulières. L’incontournable champignon de Paris, par exemple, contient une enzyme appelée tyrosinase qui a des effets modérateurs sur la pression artérielle. Les polysaccharides présents dans ce champignon ont en outre un effet inhibiteur sur les tumeurs. La trémelle est quant à elle utilisée dans la médecine chinoise traditionnelle pour restaurer le yin, renforcer l’énergie vitale, tonifier les reins, « humidifier » les poumons et atténuer la « chaleur ».

Le lingzhi, qui en médecine chinoise traditionnelle est prescrit pour réduire l’« humidité » comme expectorant et pour traiter le cancer des poumons, est depuis quelques années exploité par certains laboratoires pharmaceutiques pour ses propriétés anticancéreuses. Le polypore poule des bois, ou maitake (Grifola frondosa), fait aussi actuellement l’objet de recherches approfondies pour ses vertus antitumorales. Quant à Antrodia cinnamomea, connu à Taiwan comme « la porte entre la vie et la mort », et aussi appelé « lingzhi sanguin » ou « fleur de cercueil » en Chine continentale, il s’agit d’un champignon trouvé surtout dans les anfractuosités des vieux camphriers. Il est parfois utilisé comme antidote à certains poisons et pour traiter le cancer. Sa rareté en fait l’un des champignons les plus chers du monde.

A table !

Les vertus médicinales des champignons ne doivent pas faire oublier que ce sont avant tout des aliments sains, légers et délicieux. L’Association des producteurs de Wufeng se fait un plaisir de le rappeler aux visiteurs du musée en leur proposant des banquets de champignons. Soupe aux enoki et aux palourdes, pleurotes sautés aux petits légumes, omelette aux champignons à la sauce d’huître De quoi donner l’envie de se mettre derrière les fourneaux en rentrant chez soi, histoire de vérifier que ces petits chapeaux veloutés ont bien un parfum « sucré comme le miel qui persiste entre les dents, meilleur que le musc ». ■

Chang Chiung-fang


Le musée du Champignon se trouve dans la petite ville de Wufeng [霧峰] (à ne pas confondre avec celle de Wufeng [吳鳳], dans le hsien de Chiayi). Les visites sont libres samedi et dimanche, mais sur rendez-vous du lundi au vendredi.

Adr. : 10, Si Te Road, Wufeng 413, Taichung County.
Tél. : (04) 2330-3171 ext. 215 Fax : (04) 2339-024
E-mail : wuf460@ms43.hinet.net

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