04/05/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Carrefour : c'est le prix qui parle

01/03/1995

FCR : Pourquoi avoir choisi Taiwan comme première implantation en Asie?

Jean-Luc Chéreau : Le groupe Carrefour voulait s'implanter en Asie, et nous avons fait des enquêtes poussées sur les marchés de Taiwan, Hongkong, la Thaïlande et la Malaisie, d'où il ressortait que Taiwan offrait les meilleures conditions. C'était en 1986. Trois ans après, nous avons ouvert le premier magasin.

Quels étaient les meilleurs atouts de Taiwan?

Luke Lu : Les réserves en devises, le produit intérieur brut, la prospérité économique et la rentabilité des investissements.

En quoi les consommateurs taiwanais diffèrent-ils des con­sommateurs européens?

Chéreau : Les différences sont nombreuses! La politique de Carrefour est d'adapter sa gamme de produits aux consommateurs. Par exemple, au Brésil, où nous avons quarante magasins, 89% des articles sont issus de la production locale. Ici à Taiwan, 80% des produits que nous vendons proviennent de Taiwan, très peu sont importés.

Quels sont les services qui attirent les consommateurs dans les hypermarchés?

Chéreau : Le premier service est d'offrir le meilleur prix. Le second est de concentrer tous les achats en un seul endroit. C'est une approche nouvelle à Taiwan, que les autres commerces n'offrent pas. Le troisième service est l'accès à un parking gratuit. Ce sont les trois éléments les plus importants. Puis viennent la fraîcheur, la qualité et le choix.

Lu : La variété et le prix des produits sont les deux premières incitations pour 50 à 60% de nos clients.

Qui sont vos principaux clients?

Lu : Ce sont en majorité des hommes. C'est un phénomène très intéressant. A Taiwan, les gens viennent souvent jusqu'à Carrefour en voiture, et il y a plus d'hommes qui conduisent que de femmes, même s'ils viennent également en couple.

Chéreau : Il y a aussi une petite différence entre le Nord et le Sud. Dans le Sud, les gens se déplacent en scooter, donc nous avons un pourcentage de clientes plus élevé.

Comment les hypermarchés ont-ils changé les comportements d'achat à Taiwan? Les gens d'ici achètent-ils en grandes quantités comme aux Etats­-Unis?

Lu : Par le passé, les gens se rendaient au marché en plein air tous les jours. Maintenant, comme il y a plus d'hommes qui font les courses, ils viennent après le travail ou le samedi et le dimanche. C'est pendant le week-end que nous avons le plus de clients.

Notre politique ici est à peu près semblable à celle que nous avons adoptée aux Etats-Unis. C'est pourquoi nous offrons des places de parking gratuites. Nous encourageons les gens à acheter plus et à mettre tous leurs achats dans leur voiture. Cette pratique devient courante, en particulier dans le Nord de l'île.

Comment faites-vous participer les clients au processus de sélection des marchandises vendues dans vos magasins?

Chéreau : Carrefour est une société très décentralisée. Cela veut dire que la responsabilité incombe au directeur du magasin. Chaque magasin est, avec son équipe, responsable de l'assortiment et du choix des produits en accord avec les préférences des consommateurs. Ainsi, parfois nous n'avons pas les mêmes marques ou les mêmes produits à Kaohsiung qu'à Taipei ou à Tainan.

Lu : Les directeurs de magasin contrôlent chaque jour les stocks en rayon. Nous avons pour politique de faire en sorte que les rayons restent fournis à tout moment. Si nous manquons d'un produit, nous reformons notre stock immédiatement. Pour l'instant, nous n'utilisons pas de système informatique de gestion des stocks — c'est trop coûteux et nous n'en avons pas besoin. Il est très facile de voir ce qui se vend le mieux. Les gens d'ici préfèrent les produits locaux. Mais à certaines périodes de l'année, à Noël par exemple, ils demandent des produits importés bien particuliers.

Quelle est la proportion d'em­ployés français dans votre personnel?

Chéreau : Ils sont très très peu nombreux. Nous avons 97% de Chinois sur nos quatre mille employés. Nous n'avons que quatorze ou quinze cadres français. Ils sont ici seulement pour les premiers temps, pour former le person­nel d'encadrement chinois. Nous avons déjà quatre directeurs de magasin chinois. C'est quelque chose de très positif.

Quelle sorte de programme de for­mation proposez-vous à votre personnel?

Chéreau : Au début, chacun consacre environ un cinquième de son temps à la formation, mais pas seulement dans une salle de classe : la formation est en partie théorique, en partie pratique.

Pour les postes à responsabilités, nous avons des manuels de formation spécifiques pour expliquer les caractéristiques de chaque poste, niveau par niveau.

Lorsque vous formez vos employés, quels sont les concepts mis en avant par Carrefour qui peuvent apparaître nouveaux dans le contexte taiwanais?

Lu : Par exemple, prenez les aliments frais. De la même façon que chez McDonald's on limite le temps pen­dant lequel un hamburger peut rester en vente, chez Carrefour on insiste beaucoup sur l'hygiène. C'est l'une de nos politiques d'entreprise.

Décririez-vous la législation de Taiwan sur les hypermarchés internationaux comme vous étant plutôt favorable ou défavorable? Si vous en aviez la possibilité, quels sont les changements que vous souhaiteriez apporter à cette législation?

Lu : La politique économique de Taiwan est axée sur l'internationalisation et la libéralisation. En règle générale, je pense que le gouvernement est très favorable aux hypermarchés. Toutefois, certaines lois pourraient être réactualisées.

Chéreau : En général, Carrefour a pour habitude de s'installer dans les banlieues, à l'extérieur de la ville. Ici c'est très difficile, nous sommes obligés de nous implanter dans des quartiers résidentiels et commerciaux. Nous devons nous adapter. C'est notre problème majeur. Nous pensons qu'il vaut mieux pour le client prendre sa voiture ou son scooter pour se rendre à l'extérieur de la ville et éviter les embouteillages.

Aux abords de certains de vos magasins, des résidents se sont plaints de l'augmentation de la circulation, du bruit et des détritus engendrés par la présence de Carrefour. Que répondez­-vous à ces critiques?

Chéreau : C'est normal. Je comprends très bien les résidents. Cela pose un gros problème d'avoir un supermarché en sous-sol [d'une résidence], mais nous n'avons pas d'autre solution. Le jour où nous aurons la possibilité de nous excentrer, nous le ferons.

Lu : Il est parfois très difficile de satisfaire les exigences des résidents en ce qui concerne les nuisances. Nous ne sommes pas les seuls responsables de ces inconvénients. Il y a beaucoup d'autres magasins dans le quartier. Cela fait partie du développement économi­que et social. Les embouteillages sont le résultat d'une urbanisation médiocre. Nous sommes toujours en pourparlers avec les résidents, et nous continuons de travailler à la résolution des problèmes.

Les communications devraient être établies dans le respect et la considération mutuelle. Les gens viennent à Carrefour parce que nos prix sont plus intéressants. C'est l'avantage que nous offrons aux résidents du voisinage. Ils doivent comprendre que nous ne pouvons pas éliminer certains bruits ni revenir à la qualité de l'environnement d'il y a vingt ans.

Carrefour a beaucoup contribué au développement de la société et au contrôle des prix. A Taiwan, les prix sont très élevés. Par exemple, les prix de l'immobilier sont parmi les plus élevés en Asie. Les hypermarchés Carrefour offrent des prix très bas et tentent d'inciter les autres commerces à réagir.

Chéreau : Je vais vous donner un exemple parlant. En juillet dernier, pen­dant la saison des typhons, les prix des fruits et des légumes ont fait des bonds [jusqu'à 400% d'augmentation]. Carrefour a donc décidé d'offrir une promotion spéciale, en maintenant les prix des primeurs au même niveau qu'avant les typhons. Cela a eu beaucoup de succès. Ce genre d'opérations promotionnelles est une bonne chose pour les clients, et c'est également une bonne chose pour le gouvernement que nous soyons en mesure de proposer des prix réduits aux clients.

En opérant à une aussi grande échelle, Carrefour peut vendre à perte au cours d'opérations telles que celle que vous venez de décrire. Quelles autres stratégies de communication ou de promotion utilisez-vous?

Chéreau : Nous insérons parfois de la publicité dans la presse locale. Ou bien nous distribuons des prospectus annonçant les promotions spéciales pour les périodes telles que le Nouvel An chinois, ou le Festival des bateaux­-dragons. Chaque magasin a son propre budget, et prend ses propres décisions. La plus grande attraction est évidemment que nos prix baissent de jour en jour.

Lu : Nous ne faisons pas de la publicité régulièrement. Nous n'avons pas besoin de publicité. Les magasins traditionnels ne sont pas bien dirigés. Nous offrons une gamme de produits plus large et des prix plus bas, donc nous n'avons pas besoin de faire de publicité. Faire ses courses dans les hypermarchés est déjà passé dans les mœurs.

Propos recueillis par Laurie Underwood

(v.f. Laurence Marcout)

Les plus lus

Les plus récents