Le volcan éteint de Taiwan.La vapeur est celle des sources chaudes.
>>Peitou, niché dans les collines de la périphérie nord de la capitale, est un site pittoresque où l’air est fortement imprégné de soufre. Après avoir connu un certain déclin pendant des années, Peitou retrouve un peu de son ancienne gloire grâce à ses sources chaudes
Entouré de collines baignées de brume, Peitou est un endroit plein de mystères. Des bouffées de vapeur s’échappent constamment du sol tandis qu’en certains points, l’eau chaude, que l’on croyait autrefois empoisonnée, jaillit de la terre. Il y a des siècles, les aborigènes Ketagalan avaient appelé l’endroit Patou, la « demeure de la sorcière », transcrit en chinois (mandarin) par Peitou. Le quartier a reçu aujourd’hui un autre surnom, la « demeure des sources chaudes », puisque presque tout à Peitou - sa culture, son histoire, ses hôtels de tourisme et ses parcs - est étroitement lié au phénomène géothermique.
A travers l’île, on peut trouver plus d’une centaine de sources chaudes ayant des vertus thérapeutiques variées. L’île est située dans une région volcanique le long d’une faille entre la plaque tectonique du continent euro-asiatique et celle des Philippines. Cette situation géosismique crée un environnement unique qui produit des sources dont l’eau claire ou laiteuse sourd à une très haute température.
Les sources thermales ont commencé à être exploitées en 1893, quand R.N. Ohly, un homme d’affaires allemand venu dans l’île faire le commerce du camphre, a créé le premier établissement thermal de Peitou. A l’époque japonaise (1895-1945), les autorités locales ont construit des bains publics, des hôtels, des sanatoriums à l’emplacement des sources chaudes. Le premier hôtel thermal, appelé Tienkuan, fut fondé en 1896. Les années suivantes, un grand nombre d’hôtels s’est édifié dans Peitou, distante alors de treize kilomètres de l’ancienne Taipei, faisant de la petite ville un véritable site touristique.
Tout au long de son histoire, Peitou a connu des hauts et des bas. Hsi Chien-tsang [許健藏], la soixantaine, qui dirige l’hôtel fondé en 1945 par son père, fut le témoin de nombreux changements. « Il y a trente ans, à Peitou, il y avait toujours une intense circulation après cinq heures de l’après-midi. Les gens venaient là en masse pour prendre un verre, se restaurer, chanter et prendre les eaux, se souvient-il. Souvent, mes parents venaient me tirer du lit vers minuit afin de donner ma chambre à des clients arrivés sur le tard. C’était les beaux jours. »
En ce temps-là, Peitou était peut-être encore plus fameux pour ses prostituées. Elégamment vêtues et bien maquillées, elles arrivaient, assises en amazone à l’arrière d’une motocyclette.
Vers la fin des années 70, la municipalité de Taipei, de laquelle dépend aujourd’hui Peitou, a interdit la prostitution. Et la popularité de Peitou s’est mise à décliner. « Dans les années qui ont suivi cet édit, Peitou a perdu de son éclat, dit Hsu Chien-tsang. Les quelques visiteurs qui venaient encore étaient d’un certain âge et cherchaient à profiter des vertus thérapeutiques de l’eau de source. Avec la diminution rapide des clients, les installations et les thermes se sont dégradés, tandis que le nombre d’hôtels, qui avait dépassé la soixantaine, est tombé à seize. »
Le musée des Sources chaudes de Peitou a été créé dans les thermes construits par les Japonais en 1913, aujourd’hui classés monument historique.
Depuis quelques années, Peitou connaît un regain de popularité grâce aux efforts conjugués des pouvoirs publics, des industriels et des responsables de centres culturels locaux. Une campagne promotionnelle s’est axée sur l’histoire colorée de la région, le site pittoresque et les vertus des bains d’eau sulfureuse - la société insulaire étant aujourd’hui plus sensible aux questions de santé. Depuis 2001, le secteur des loisirs a profité de la réduction de la durée hebdomadaire du travail, la fin de semaine passant à deux jours : les affaires ont repris.
Les touristes s’arrêtent en général sur les bords du bassin voisin du Parc des sources chaudes, situé au-dessus d’une zone d’activité volcanique. C’est la source de la Peitou dont les eaux, sous terre, sont soumises à une haute pression et naturellement chauffées sous l’action géothermique du mont Tatun, un ancien volcan. De grandes volutes de vapeur s’élèvent du sol durant toute l’année. Aux petites heures du jour, le soleil levant offre un spectacle étonnant tandis que les premiers rayons se réfractent dans la brume. Les Taipéiens viennent souvent le week-end pique-niquer alentour, prenant un grand plaisir à faire cuire des œufs dans les eaux fumantes.
Peitou possède une histoire originale. Dix-sept sites historiques y sont classés : ce sont des temples, des sculptures de pierre, des grottes et des vieux bâtiments, comme celui qui abrite aujourd’hui le musée des Arts folkloriques de Taiwan. Le plus remarquable de ces endroits est peut-être le musée des Sources chaudes de Peitou. Depuis son ouverture, il a apporté un nouveau dynamisme au quartier. Chiao Yun-chien [焦允儉], chargé des relations publiques du musée, explique que les structures étaient à l’origine celle des Thermes publics de Peitou, bâtis en 1913 lorsque Taiwan était japonaise.
Le bâtiment comporte deux niveaux. Le rez-de-chaussée comprenait des bassins, dont le plus grand est entouré, à l’imitation des anciens thermes grecs, d’une arcade. A cette époque, le grand bassin, avec une superficie de 58,8 m2, était supposé être le plus grand de tout l’empire nippon. A l’étage, se trouvait la salle traditionnelle japonaise qui servait au repos des curistes.
Les anciens thermes japonais,dont le bassin principal est entouré d’arcades, ont été en leur temps les plus grands de tout l’empire nippon.
Après le départ des Japonais, le bâtiment a été diversement utilisé, tour à tour comme une agence du Kuomintang, une bibliothèque, un jardin d’enfants, le siège de l’assemblée du hsien de Taipei et un commissariat de police. Au début des années 80, le dernier occupant, une société de distribution cinématographique, s’en est servi comme entrepôt puis l’a laissé à l’abandon. L’endroit a ensuite été envahi par la végétation et a pratiquement été oublié jusqu’à sa redécouverte en 1994, quand quatre instituteurs de Peitou ont exploré les lieux à la recherche de données historiques sur l’arrondissement. A la requête des riverains et d’organismes culturels, la municipalité de Taipei a décidé en 1997 de restaurer le bâtiment et de le rouvrir au public en y installant le musée des Sources chaudes de Peitou.
Outre la présentation des thermes eux-mêmes, l’exposition retrace l’histoire de Peitou et des bains d’eau sulfureuse dans l’île.
Chiao Yun-chien fait remarquer qu’en général, les touristes en savent peu sur le patrimoine culturel de l’île et l’histoire des sites qu’ils visitent, et qu’il appartient aux professionnels du tourisme de faire davantage pour rendre ces endroits pittoresques plus agréables et plus intéressants. Morgan Huang [黃清源], directeur de l’Association pour le développement des sources chaudes de Peitou, admet que l’attraction touristique de l’endroit dépend essentiellement de l’intégration réussie des sources chaudes avec leur histoire et le paysage environnant. « Il faut offrir aux touristes un éventail complet de loisirs pour qu’ils soient tentés de revenir souvent », précise-t-il.
Puisque les bains chauds offrent une multitude de bienfaits pour la santé, le quartier attire régulièrement non seulement les promeneurs mais aussi les curistes. Lin Yi-sung [林逸松], propriétaire d’une blanchisserie et habitant le quartier voisin de Tienmu, atteste de l’efficacité des bains d’eau sulfureuse. « Maintenant que je me baigne deux ou trois fois par semaine dans les sources chaudes, dit-il, les maux de tête qui m’ont fait souffrir pendant des années se sont estompés. Ma vie a repris toutes ses couleurs. J’ai essayé presque toutes les stations thermales de Taiwan, je préfère encore Peitou parce que les eaux sont ici plus chaudes et plus denses en minéraux. »
« Les sources thermales de Peitou sont connues depuis longtemps pour leurs propriétés fortifiantes et apaisantes, insiste Morgan Huang. Les visiteurs s’y rendent volontiers pour leurs effets thérapeutiques mais aussi pour les joies de la promenade en montagne et la beauté du paysage. »
A Peitou, les eaux thermales, toutes sulfureuses, sont classées en trois catégories, chacune ayant ses propriétés spécifiques. Les eaux vertes, qui contiennent des minéraux et des éléments ionisants (absolument inoffensifs pour l’homme), guérissent les maladies de peau, les rhumatismes et apaisent les maux de tête. Les eaux blanches, à la forte odeur de soufre, sont utilisées pour le traitement des maladies de foie, du diabète, de la gastro-entérite et des affections cutanées. Les eaux ferrugineuses sont un remède contre les maladies nerveuses et l’inflammation des muqueuses. Ce dernier type d’eau est potable, même si elle a un goût bizarre.
Les piscines du Parc des sources chaudes de Peitou sont ouvertes au public tous les jours sauf le lundi.
Quant aux établissements thermaux, ils se rangent en trois classes. Ceux ayant des bains traditionnels où sont recréés le décor et l’ambiance des thermes opulents du début du XXe siècle ; les thermes grand public, d’aspect sobre, où l’on accède pour un prix raisonnable ; et les bains dits de la classe de luxe qui fournissent toute une gamme de services et d’installations de grand confort.
Pour balayer l’image négative due à la prostitution, ainsi qu’à la vétusté des installations, Hsieh Cheng-tsun [謝正村], un industriel qui s’est reconverti dans l’hôtellerie, a ouvert en 1998 le Spring City Resort, un établissement moderne de grande classe, comprenant 90 chambres, que l’on pourrait classer parmi les hôtels à cinq étoiles. « Notre intention était de créer un concept tout nouveau du bain thermal à Peitou grâce à des équipements ultramodernes et à un service client de haute qualité, explique-t-il en substance. Nous espérions provoquer dans le quartier une élévation générale des installations récréatives. »
Les clients peuvent prendre les eaux soit dans l’intimité d’un espace privé, soit dans les bassins communs, tandis qu’un sauna conventionnel et un jacuzzi sont également à leur disposition. Dans le même temps, ils profitent du paysage magnifique de montagne, tout en dégustant leur café au son d’une musique d’ambiance.
Hsieh Cheng-tsun indique que son établissement a particulièrement mis l’accent sur la propreté de l’eau, la protection de l’environnement et la sécurité des baigneurs. Un personnel hautement qualifié donne ses conseils pour profiter pleinement du bain thermal. Grâce à ces améliorations des services et des installations, le propriétaire de ces thermes espère que Peitou remplacera le Japon comme destination préférée des touristes insulaires ou étrangers désirant faire une cure ou tout simplement prendre des vacances.
Inspiré par l’environnement magnifique de Peitou et ses ressources naturelles, Bill Wu [吳弘裕], un homme d’affaires qui a investi dans les salons de beauté et les cosmétiques, a jeté son dévolu sur ce site pour y construire l’Ismeney Hallyard Resort, un centre de loisirs et de vacances. Un des facteurs qui a lourdement pesé dans sa décision est certainement la facilité avec laquelle on peut rejoindre Peitou grâce au métro de Taipei qui dessert le quartier depuis 1997, le mettant à vingt minutes du centre-ville.
Bill Wu a vu son établissement prospérer, en raison notamment du succès de la mode japonaise auprès des jeunes, depuis la musique populaire jusqu’aux émissions télévisées et aux sources thermales. Les articles dans la presse et la campagne promotionnelle du gouvernement ont sensibilisé le public aux avantages des eaux thermales pour réduire le stress et revigorer le corps, souligne-t-il.
Si les installations hôtelières de Peitou affichent souvent complet tout l’hiver, elles subissent un manque à gagner l’été, ces amples variations saisonnières étant difficiles à gérer. « Nous espérons changer les habitudes des consommateurs en leur offrant des installations climatisées en été à des prix plus raisonnables, dit Bill Wu. Ici, les baigneurs n’ont pas à se soucier de la propreté de l’eau ni de leur sécurité, comme ils le feraient en allant dans une piscine publique ou en bord de mer. »
Certains établissements proposent des bassins parfumés aux pétales de roses.
Les professionnels du tourisme estiment que le vide juridique et l’absence de tout règlement concernant l’exploitation des sources thermales sont une entrave à l’épanouissement de ce secteur. Hsieh Cheng-tsun fait remarquer que Peitou, placé sous la juridiction de l’office municipal des Eaux et de celui de la Santé, est cependant le seul site thermal de l’île à être doté d’une réglementation. Ailleurs, les établissements utilisent gratuitement et sans contrôle les eaux de source qu’ils amènent en posant simplement des canalisations pour leur alimentation en eau thermale. Dans maints endroits, la pose sauvage de tuyaux de captage a défiguré le paysage, et la pureté des eaux canalisées peut être remise en question.
« Une législation régissant l’exploitation des sources chaudes doit être élaborée le plus vite possible afin de permettre un réaménagement des sites thermaux », suggère Hsu Chien-tsang, qui considère difficile de promouvoir le tourisme dans les conditions actuelles. Il est donc urgent d’établir un contrôle de la qualité des eaux, de définir le type de canalisation à utiliser, de normaliser les installations sanitaires et les équipements de ventilation, ainsi que d’assurer la protection de l’environnement et des utilisateurs.
Il reste aux pouvoirs publics à faciliter l’accès du public au site thermal de Peitou, avec la construction de nouveaux parcs de stationnement et d’un téléphérique reliant la ville au Parc national de Yangmingshan, plus haut dans la montagne - ce qui ajoutera une attraction touristique supplémentaire, insiste Hsu Chien-tsang, qui suggère de préserver le cadre écologique et culturel de la région en allouant par exemple des crédits à la formation de guides touristiques et à des programmes de recherche.
L’an dernier, Hsu Chien-tsang a rassemblé des hôteliers et des propriétaires de thermes au sein de l’Association pour le développement des sources chaudes de Peitou, laquelle cherche à faire de l’endroit un site de classe internationale. « La meilleure façon de convaincre le public de se rendre fréquemment aux sources de Peitou est de lui proposer des installations agréables et des services de premier ordre. Voilà l’objectif que nous nous sommes fixé, assure Hsu Chien-tsang. Grâce à nos efforts, je suis confiant que Peitou redeviendra une destination touristique privilégiée. » ■