13/12/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

En espèces ou à crédit?

01/07/1989
Taiwan est une « société à numéraire », mais elle s'oriente déjà vers d'autres horizons. Les groupes de cartes de crédit se lancent à l'assaut du marché local.

On parle toujours argent à Taiwan, mais généralement en espèces et non en cartes plastifiées. Si les cartes de crédit internationales, telles celles d'American Express ou de Visa, sont tout récemment acceptées dans les principaux magasins de grande surface et les hôtels, elles ne sont utilisées que par seulement 2% de la population de Taiwan, ce qui contraste fortement avec les 10% au Japon et les 25% aux Etats-Unis.

Que dire des expressions « Passez-le sur ma carte » ou « Mettez-le à mon compte » qui n'ont pas encore trouvé leur traduction en chinois! D'après de nombreux banquiers et hommes d'affaires, ce secteur du marché financier local est en pleine gestation, de même que beaucoup d'autres en économie. Taiwan a néanmoins fait le premier pas pour engager la société dans le crédit. C'est un symptôme de l'élévation de son statut et de la prise de ses responsabilités en tant que partie intégrante de la communauté internationale.

En fait, Taiwan possède un système interne de carte de crédit depuis plusieurs années. En 1982, alors que les cartes de crédit internationales étaient encore placées sous restriction du fait de la politique stricte des échanges avec l'étranger, le ministère des Finances a créé le Centre national de cartes de crédit (NCCC) de la République de Chine. Cet organisme voulait d'abord étendre un réseau qui exploitât localement un système de cartes de crédit. Cependant, dans le même temps, les autorités centrales craignant l'inflation et le gonflement de la masse monétaire dans un marché libre et irrégulier, ce ne fut en fait qu'un système de « cartes de débit ». La clientèle des banques locales était autorisée à demander l'ouverture d'un compte carte de débit qui leur permettait d'y imputer une somme jusqu'à concurrence de l'avoir disponible sur ce compte.

Pour prévenir un trop grand flottement de la monnaie, la clientèle était tenue d'apurer entièrement son compte à la fin de chaque mois, sinon elle faisait face à des frais de retard de paiement au taux annuel de 19%. La population, peu familiarisée avec ce système, vit d'un œil particulièrement maussade l'utilité pratique de ce système puisque les frais éventuels étaient jugés beaucoup trop excessifs. Le système de carte de débit n'a donc pas eu prise sur le public.

Selon M. Chu Chan-shaun, directeur général adjoint de ce centre, la plupart des clients se détachèrent de ces cartes à cause de l'inflexibilité du calendrier mensuel de paiement et des sanctions sur les retards d'apurement. Les frais annuels de tenue du compte était de 300 yuans taiwanais (env. 10 dollars américains) et son obtention soumise à la conjonction de plusieurs conditions concernant les revenus, les titres de propriété et autres références. Bref, le public les jugeait bien compliquées et surtout trop rigoureuses pour un usage qui était quelquefois assez frustrant. Les négociants voyaient dans ces cartes de débit une tendance à ralentir les affaires puisqu'ils devaient toujours vérifier leur solde par téléphone avant de conclure une affaire.

L'explication plus simple de l'impopularité de ces cartes est peut-être le manque d'habitude. L'usage de telles cartes était une conception toute nouvelle à Taiwan, aussi faut-il quelque temps pour connaître les avantages et les inconvénients de la « carte magique en plastique ». Il est évident que beaucoup ont l'idée que le crédit est un moyen peu commode et parfois peu sûr de réaliser des affaires.

Selon M. Jacob Chao, vice-président et directeur général des Services de voyage d'American Express à Taiwan, ce n'est pas un manque de confiance, mais tout simplement l'inaccoutumance à une situation nouvelle, car Taiwan a toujours été une société réglant ses comptes avec des espèces sonnantes. Il y a certes bien d'autres raisons. Ainsi, celle d'un client qui refusa cette carte explique ne pas aimer devoir de l'argent. Si l'on achète quelque chose, on veut la payer sur le champ, sinon cela semble une action incomplète.

Ce système n'a malheureusement pas offert beaucoup d'avantages particuliers aux hommes d'affaires. La plupart d'entre eux préfèrent évidemment de l'argent liquide aux cartes plastifiées suspectes. Cela explique certainement l'accueil glacial du public envers les cartes de débit. Il convient de signaler enfin que très peu de magasins à Taiwan les acceptaient, conformément à une logique clairvoyante qui semble dire : « Puisque personne n'utilise ces cartes, pourquoi les honorerai-je? » Personne ne fut assez enthousiaste pour jongler avec les nouvelles formules du monde financier.

Pour embrouiller les affaires, les règlements par carte de débit qui régissaient le commerce exigeaient le paiement des frais de commerce dans les cinq jours qui suivaient toute transaction par l'entreprise (mesure jugée trop stricte), et il fallait attendre trois semaines pour être réglé. Les commerçants furent très mécontents de ces normes. Enfin, selon des banquiers qui refusent d'être identifiés, les chefs d'entreprise sont assez circonspects quant à ces cartes de débit qui peuvent servir de pièces justificatives au fisc. Avec autant de contingences et de restrictions, il n'est donc pas surprenant, comme s'exclament quelques usagers, que les cartes de débit soient devenues si peu populaires.

Mais déjà un autre vent souffle dans le monde financier local. Beaucoup d'industriels ont insisté sur la recomposition structurelle du système pour relancer l'affaire. Comme l'économie de l'île est plus forte et plus stable, on est davantage préoccupé par une inflation galopante. Et tandis que la société de Taiwan a pratiquement rejeté la carte de débit, beaucoup de gens, intrigués, sont devenus plus favorables à un système de cartes de crédit à l'occidentale. La prospérité économique de Taiwan aidant, on en est venu à mieux disposer de ses revenus avec plus de possibilités pour l'achat ou le voyage. Il s'est ensuivi que la population devant le spectre de l'économie croissante est devenue plus intéressée dans l'exploration, sinon la maîtrise, de la carte de crédit et de ses possibilités d'usage.

Une attitude similaire s'en est vite fait l'écho dans l'antichambre des décideurs politiques. Et en juillet 1987, le gouvernement lança les grands points d'une réforme économique, non seulement en tenant compte de la demande du public, mais également en complétant les mesures de libéralisation politique prises plus tôt. La principale d'entre elles fut le relâchement du contrôle des changes et l'extension des limites de la monnaie qu'on peut entrer ou sortir du pays. Significatif pour les touristes et les hommes d'affaires, ces mesures ont immédiatement été un encouragement pour l'usage de la carte de crédit internationale.

M. Chao, d'American Express, précise qu'avant le relâchement du contrôle des changes, Taiwan était un marché de destination, c'est-à-dire que la carte American Express était principalement utilisée par l'adhésion de membres. Mais maintenant que le contrôle des changes a été relâché, il est possible de promouvoir cette carte auprès de tous les habitants de Taiwan et de les encourager à s'en servir localement et internationalement.

La politique gouvernementale a engendré une formidable spéculation et une effervescence à propos des futurs changements économiques de l'île. Que Taiwan devienne même un centre universel de commerce (selon des prévisions qui veulent que le XXIe siècle soit le « siècle de l'Asie ») semble assurer plus de transactions d'argent grâce justement aux cartes de crédit. Mais dans la majorité, notamment ceux qui ne peuvent s'offrir l'hôtel, le restaurant ou le grand magasin, Taiwan reste encore une société usant essentiellement de liquidité. Ainsi, se plaignait un étudiant américain d'être obligé d'avoir toujours de l'argent sur lui au lieu d'une simple carte de crédit.

Les détenteurs d'une « carte magique plastifiée » sont devenus de plus en plus nombreux dan les grands magasins de Taiwan.

La restructuration du crédit fait ses tout premiers pas. Les décisions politiques de juillet 1987 ne sont que l'étape initiale et toute cruciale de la transformation. M. Chen See-ming, directeur des affaires monétaires au ministère des Finances, souligne qu'un changement progressif est nécessaire pour assurer un marché viable et stable. De même, M. Chu Chan-shaun a demandé à tous d'être patients et de « profiter justement de ce temps pour familiariser tout le monde. » Le Centre national de cartes de crédit de la République de Chine se prépare à jouer un rôle intermédiaire plus important, une tâche aussi passionnante que spontanée.

Pour l'appuyer, ces responsables ont sollicité l'aide de géants financiers indépendants. M. Chao mentionne qu'American Express a toujours été le leader sur le marché de Taiwan comme opérateur de cartes de crédit internationales et comme assistant au développement du marché local de ces cartes. Ainsi, la firme a longtemps aidé la Commission d'Etat de la planification et du développement par des études de faisabilité sur les cartes de crédit.

Le groupe Visa, tout autant actif dans cette conversion du marché taiwanais, a convoqué un colloque international à Taipei en octobre 1988 pour débattre la promotion des cartes de crédit et de leur usage. Les responsables de Visa ont déjà accordé leur aide aux douze banques membres du Centre national de cartes de crédit dans les projets à venir et la solution des problèmes.

L'étape transitoire accélérera son rythme sous l'impulsion de diverses réformes souhaitées dès cette année. Le mois de janvier a déjà vu le terme de la carte de débit. Et ceux qui détiennent une carte de débit devront la retourner à leur banque et il leur sera délivré une nouvelle carte de crédit. La procédure sera également facilitée pour les premiers nouveaux détenteurs d'une carte de crédit. Comme autre stimulant, le centre s'engage à couvrir le détenteur en cas de perte ou de vol.

Le succès d'un tel système moderne dépend entièrement de la réceptivité positive du public. Il faut donc l'encourager, reconnaît M. Sam Chen, du Centre national de cartes de crédit. Comme la plupart des gens ignorent l'usage d'une carte de crédit, une campagne de promotion et d'éducation est nécessaire pour assurer la transition. Tandis que le Centre national de cartes de crédit entreprend une approche auprès des négociants désireux d'honorer la carte, des sociétés de cartes de crédit et des organismes financiers s'engagent par la publicité et les brochures d'information à se faire connaître auprès du grand public.

Mais la mise en application exige des changements concomitants dans tous les aspects de la chaîne de crédit, depuis le client au marchand jusqu'à la banque. M. Chao signale que si l'infrastructure du Centre national de cartes de crédit ne s'améliore pas, le nouveau système risque de connaître beaucoup de difficultés.

La carte de crédit a vite remplacée l'impopulaire carte de débit

 

L'acceptation populaire des cartes de crédit en lieu et place de l'argent liquide est quelque peu entravée par la rareté du règlement par chèque à Taiwan. Les clients et les négociants sont en effet grandement handicapés par l'absence d'un système de paiement par chèque. Certes, les règlements concernant l'usage de chèques sont stricts. Aucun intérêt n'est porté sur le compte courants et les rumeurs d'escroqueries à tous les niveaux sont fréquentes. Des améliorations pour l'usage du chèque, comme la meilleure tenue des comptes courants, les règlements plus rationnels et, finalement, l'informatisation, apporteraient vraisemblablement une acceptation plus concertée du système de cartes de crédit.

Malgré la nécessité de réformes importantes dans le système financier intérieur, le public particulièrement préoccupé par la situation du crédit dans l'île reste assez optimiste quant à l'avenir. M. Chu Chan-shaun dit que, plus de monde achètera au moyen d'une carte de crédit, plus les négoces se mettront à les honorer.

Et bientôt, l'exclamation « Portez-le sur ma carte! » deviendra si courante qu'il sera difficile de s'y opposer. L'usage croissant de cartes de retrait d'argent ou de cartes de crédit pour le téléphone dans les zones urbaines est une bonne indication qu'au moins quelques habitants ne suspectent plus la « carte magique en plastique ». Et pourquoi pas, soulève M. Chen, ne pourrait-il pas y avoir ultérieurement qu'une seule carte de débit, crédit et retrait divers. Ce sera alors un point d'avance sur les autres pays, y compris les Etats-Unis et le Japon. En effet, la possibilité est grande, même si beaucoup de banquiers et d'hommes d'affaires considèrent encore Taiwan comme un marché financier primitif, ayant encore besoin d'être modernisé. Et au rythme des réformes qui se poursuivent, un nouvel idéogramme chinois pour définir l'« imputation sur un compte » sera sans nul doute ajouté au lexique, avec la « clé » de l'argent, bien sûr.

 

Photographies de Chen Min-jeng.

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