21/07/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Des applis comme s’il en pleuvait

01/12/2013
Mike Chen (au dernier plan, en noir) donne des cours de développement d’applications à la NTU. (HUANG CHUNG-HSIN / TAIWAN REVIEW)
Peggy Wu [吳佩雯], 33 ans, est une mordue de high-tech. A Taipei, où elle gère un commerce en ligne, elle vient d’acheter son troisième téléphone intelligent en deux ans. « Pour que les applications fonctionnent parfaitement, j’avais besoin d’un modèle doté d’un processeur plus puissant et de davantage de mémoire, explique-t-elle. Les applis me servent pour mon travail autant que pour ma vie personnelle, et j’en ai installé beaucoup. Par exemple, mon application de banque en ligne me permet de vérifier à tout moment les paiements de mes clients quand je prépare les livraisons. »

A Taiwan, constate Thomas Fan [范明軒], chef de projet à l’Institut pour l’industrie de l’information (III), la popularité des smartphones et autres tablettes numériques, renforcée par la qualité relativement bonne des réseaux de connexion sans fil, a encouragé l’adoption rapide des applications mobiles, lesquelles sont désignées dans l’île par l’abréviation APP, prononcée en épelant chaque lettre en anglais.

L’emballement des Taiwanais pour les applications est toutefois un phénomène récent, nuance Mike Chen [陳彥仰], maître de conférences au département de Science informatique et d’Ingénierie de l’information de l’Université nationale de Taiwan (NTU), à Taipei. Après l’obtention de son doctorat en 2004 à l’Université de Californie, à Berkeley, ce dernier a travaillé pour Intel Research Seattle, un centre de recherche du fabricant américain de microprocesseurs. Il a ensuite rejoint Ludic Labs, une start-up spécialisée dans les médias sociaux en ligne et installée dans la Silicon Valley, en Californie, avant de retourner à la NTU en 2009 pour y enseigner. « Dans la Silicon Valley, tout le monde parlait des applis, et mes parents installés au Canada en utilisaient déjà plusieurs sur leur mobile, dit-il. A mon retour à Taiwan, j’ai été surpris de voir que rien ou presque ne se passait dans ce domaine. »

Mike Chen a été l’un des artisans de la percée des applications mobiles à Taiwan. Il y a créé le Laboratoire de recherche sur la mobilité et les interactions entre l’homme et l’ordinateur, et a mis en place à la NTU le premier cours de développement d’applications à Taiwan. Son but était d’aider les étudiants en technologies de l’information à se préparer aux exigences de leur futur métier. « Les appareils mobiles, en particulier les smartphones, ont connu un développement rapide au cours des cinq dernières années et ont grandement changé la vie des gens, dit-il. Dans le même temps, la communication et l’information en temps réel permises par les applis ont connu un succès fulgurant. Taiwan ne pouvait rester en retrait de ces tendances mondiales. »

Au fil des ans, les entreprises taiwanaises ont acquis une réputation mondiale comme fabricants de téléphones et autres appareils mobiles, rappelle Mike Chen, mais elles ont souvent eu du mal à trouver les réseaux de distribution adéquats pour leurs produits. Pour les applications mobiles, ce problème ne se pose pour ainsi dire pas, puisqu’il suffit de soumettre ces dernières aux plateformes les plus populaires comme Google Play, pour les téléphones et tablettes fonctionnant avec le système d’exploitation Android, ou l’App Store pour les iPhone et iPad, équipés du système iOS. Grâce à ces plateformes, les applications peuvent être téléchargées par les utilisateurs du monde entier, un avantage dont les entreprises taiwanaises doivent profiter, estime l’universitaire.

Pour promouvoir la recherche et développement sur les applis, Mike Chen applique une méthode de formation employée à Berkeley ou dans l’université voisine de Stanford, et qui combine la programmation et le design. A cette fin, il collabore avec des professeurs de design de l’Université nationale des sciences et technologies de Taiwan (NTUST) dans le cadre de cours accessibles aux étudiants des deux établissements. « La tendance du secteur des logiciels est de faire travailler ensemble les programmeurs et les designers de manière à créer des produits adaptés aux attentes de l’utilisateur et attractifs visuellement », dit l’universitaire.

Taiwan a pris le train des applications en route mais a déjà comblé une partie de son retard, assure Mike Chen. Il ajoute que de nombreux jeunes sont intéressés par ce domaine, comme en témoigne la hausse, d’année en année, des inscriptions au programme qu’il a mis en place à la NTU. Récemment, seul un tiers des demandes a pu être satisfait, faute de places suffisantes. Les étudiants sont donc sélectionnés sur dossier et sur la qualité et la portée pratique des projets d’applications qu’ils présentent.

Trouver son chemin

L’Etat joue aussi un rôle dans la promotion de ce secteur. Au ministère de l’Economie, le Bureau du développement industriel a confié à l’III la création, en janvier 2012, du Centre des applications de Taipei, dont la fonction est d’aider les développeurs à rechercher des opportunités d’affaires et à créer leur propre entreprise. Pendant six mois, le Centre des applications fournit à ces derniers un espace de travail, des formations, des conseils, des informations sur le marché et un soutien marketing.

Le centre a déjà apporté son aide à une soixantaine d’équipes. « Nous offrons gratuitement à ces jeunes le soutien dont ils ont besoin pour lancer leur activité, de manière à ce qu’ils puissent se concentrer sur leurs projets, dit-il. Nous invitons en outre régulièrement des experts à donner des conférences et demandons à des créateurs d’entreprises de venir partager leur expérience. Nous convions aussi des investisseurs potentiels à la présentation des projets de nos développeurs. »

« La créativité des développeurs taiwanais est un atout sur le marché des applications, dit Thomas Fan. Reste que la concurrence est mondiale et qu’elle devient particulièrement intense. » La multiplication des applis fait que leur découverte par les utilisateurs devient un véritable défi pour les développeurs. Pour tirer leur épingle du jeu, note-t-il, les développeurs doivent parvenir à distinguer leurs applis de celles de leurs concurrents en prenant mieux en compte les préférences des utilisateurs, en offrant un service sur mesure et à un prix compétitif.

Dans le monde, au deuxième trimestre 2013, les jeux ont représenté 75% du chiffre d’affaires de l’App Store et 80% de celui de Google Play, selon un rapport publié par App Annie, une société spécialisée dans l’étude du marché des applications et basée à Pékin, en Chine. Rien d’étonnant donc, dit Thomas Fan, à ce que nombre des équipes accueillies par le Centre des applications de Taipei aient rencontré le succès en développant des jeux pour appareils mobiles.

L’interface de Fun Travel in Taipei qui rassemble toutes les informations sur les transports publics dans la capitale. (AIMABLE CRÉDIT DE LA MUNICIPALITÉ DE TAIPEI)

Jeu de l’année

Rayark Inc. a été fondée à Taipei en septembre 2011 et a bénéficié des conseils du Centre des applications, ainsi que du prêt de mobiles pour le test de ses applications. L’entreprise, qui a publié au premier trimestre 2012 les versions Android et iOS d’un jeu musical baptisé Cytus, puis d’un jeu d’aventure gratuit, Mandora, sorti à la fin 2012, est l’un des succès mis en avant par le centre.

Cytus a été téléchargé à 300 000 reprises au cours des 30 jours ayant suivi sa sortie et s’est classé en tête des ventes de jeux musicaux dans 36 pays, indique Rayark. A l’heure actuelle, il compte environ trois millions d’utilisateurs. Cytus a également remporté plusieurs prix, dont le prix d’or Bahamut 2012 du jeu pour mobile et tablette (Bahamut est le plus important site de jeux en ligne à Taiwan), ainsi qu’un prix du contenu numérique décerné la même année par le ministère de l’Economie.

Les jeux conçus par Rayark, explique son producteur exécutif Yu Ming-yang [游名楊], se distinguent par la sophistication du design et des musiques. Ainsi, les interfaces permettent de cliquer, glisser ou maintenir appuyé, ce qui rend les jeux plus palpitants. Cytus, par exemple, exige des joueurs qu’ils utilisent ces trois techniques pour suivre le rythme des chansons. Les musiques originales et les effets sonores sont également planifiés avec minutie. Rayark collabore avec une vingtaine de compositeurs japonais, chinois, russes, coréens et taiwanais et, au fil des semaines, un même jeu voit ses musiques évoluer, de manière à constamment renouveler l’attention des utilisateurs (grâce aux commentaires des utilisateurs, Rayark apporte aussi des améliorations au design et aux fonctions des jeux). A sa sortie, Cytus n’était accompagné que de 15 titres mais il en compte désormais plus de 90.

Rayark sait aussi l’importance d’une campagne promotionnelle adaptée pour faciliter la découverte d’une application par les consommateurs. L’entreprise a par exemple organisé, en août 2012 à Legacy Taipei, un concert reprenant les musiques et chansons de ses jeux, une première à Taiwan. Elle s’est également tournée vers le financement participatif pour lancer des produits dérivés de ses jeux Cytus et Mandora.

Dans les cartons de la start-up, on trouve deux nouveaux jeux musicaux et un jeu d’action en trois dimensions, dont la commercialisation devrait intervenir avant la fin de l’année. Rayark coopère aussi avec des fournisseurs de contenus web – Chunghwa Telecom à Taiwan, China Mobile en Chine et SK Telecom en Corée du Sud – pour accroître ses parts de marché.

Autre poulain du Centre des applications de Taipei, Soohoobook Inc. a déjà livré une trentaine d’applications, la plupart sur le thème de la gastronomie et du voyage, et qui ont déjà été téléchargées près de 600 000 fois. En octobre 2012, ses créations ont occupé les quatre premières places du classement des applications payantes les plus achetées à Taiwan dans la catégorie « aliments et boissons ». Qui plus est, l’une d’entre elles, baptisée Big Fan Food, a été nominée l’an dernier par le ministère de la Culture pour un prix aux Tripodes d’or des publications numériques.

Enzo Tseng [曾逸峰], consultant chez Soohoobook, assure que le plus difficile n’est pas l’aspect technique, mais bien plutôt la création de contenus de qualité. La jeune pousse collabore avec des artistes connus, des blogueurs et des guides pour touristes. Cinquante blogueurs ont par exemple signé avec Soohoobook un contrat de publication de leurs contributions via des applications.

« Notre objectif est de représenter pour le marché des contenus numériques ce que KKBOX [une plateforme de téléchargement musical populaire à Taiwan] et iTunes sont pour le marché de la musique, ou l’App Store d’iOS et Google Play pour le marché des applis, dit Enzo Tseng. Nous voulons offrir aux fournisseurs de contenus un canal de diffusion compétitif. »

En 2013, Soohoobook a dévoilé Hearhere, une application fournissant aux touristes des informations détaillées sur les monuments historiques et les sites culturels à Taiwan.

L’une des niches ciblées par Soohoobook est celle des applications combinant des contenus informatifs et un guidage vocal, explique Enzo Tseng qui compte sur une croissance de ce marché. Ces applications multifonction, estime-t-il, offrent des avantages pratiques permettant leur adoption par un grand nombre de secteurs, depuis l’éducation jusqu’aux loisirs, en passant par les services publics.

La municipalité de Taipei a été la première collectivité locale à Taiwan, en juillet 2010, à utiliser une application, baptisée iTaipei, pour diffuser des informations au public. Depuis, bien d’autres lui ont emboîté le pas, en s’appuyant sur leurs services informatiques ou en ayant recours à des prestataires privés.

Eric Chen [陳志明], l’un des responsables de la direction des Technologies de l’information de la municipalité de Taipei, souligne que le recours aux applications mobiles fait partie d’une stratégie plus large de création d’une « ville intelligente » utilisant les technologies numériques pour fournir des services de manière plus efficace, économe en énergie et peu coûteuse. Depuis octobre 2011, la ville de Taipei dispose ainsi d’un portail (apps.taipei.gov.tw) où toutes les applications publiées par les différents services municipaux sont recensées et disponibles au téléchargement. A la fin août 2013, on en comptait 33, dans des domaines allant de la culture à l’environnement en passant par la préparation aux catastrophes naturelles, la santé et les transports. A la même date, le site avait enregistré plus de 1,4 million de téléchargements.

Sur cette plateforme, la prépondérance des téléchargements de produits consacrés aux transports publics montre qu’il existe une forte demande d’information dans ce domaine, dit Eric Chen. Avec quelque 490 000 téléchargements, l’appli Fun Travel in Taipei, qui offre des informations en temps réel sur les horaires de bus et de trains, les locations de vélos et l’état du trafic sur le réseau du métro ou sur les routes, est la championne toutes catégories. Elle est suivie, sur la deuxième marche du podium, par l’appli Map of Taipei Amusement, laquelle recense en anglais et en chinois les bons restaurants, l’offre de loisirs et les meilleures boutiques, et fournit en outre un service de navigation. A la troisième place, on trouve iTaipei Parking, une application permettant aux conducteurs de trouver facilement les parcs de stationnement gérés par la ville dans lesquels il reste des places.

Bientôt, ajoute Eric Chen, il sera possible de réserver sa place pour un circuit touristique tout en accédant aux informations sur les modes de transport disponibles sur place. On pourra aussi obtenir la liste de tous les bâtiments publics de Taipei et facilement réserver une salle pour un événement.

La municipalité ne promeut pas uniquement ses propres applications. En janvier 2012, elle a créé la plateforme data.taipei.gov.tw où les développeurs indépendants peuvent accéder, sous une forme numérique, à l’ensemble des données publiques et les incorporer à leurs contenus.

« Développer des applications et promouvoir leur usage est pour nous une manière de rendre plus efficaces les services publics », conclut Eric Chen.

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