Dans la société actuelle, il n’est plus dans les normes que les hommes soient l’unique support financier du ménage, alors que leurs épouses restent à la maison pour s’occuper de la famille. De plus en plus de femmes se joignent à la vie active professionnelle, alors que des hommes choisissent d’être les acteurs principaux dans la vie familiale de la maisonnée. Un tel changement se reflète à la fois dans les mentalités et dans les faits. Bien que ceux qui ont choisi d’êtres différents doivent toujours se battre contre certains préjugés traditionnels, les mentalités ont évolué. Les notions conventionnelles définissant ce que doivent être respectivement le comportement et les attributions des hommes et des femmes ont progressivement perdu de leur rigueur.
L’égalité repose sur le principe que chaque individu a le droit de choisir librement ce qui lui semble le mieux adapté à son propre épanouissement ; malgré tout, certaines considérations sociales pèsent sur de tels choix personnels. Alors que des femmes se démènent durement pour concilier vie professionnelle et familiale, d’autres se demandent pourquoi les hommes ne sont pas confrontés à ce dilemme, et ne travaillent pas plus afin d’arriver à un meilleur équilibre du couple.
Selon un livre blanc rendu publique récemment par la Commission d’Etat du Travail, seulement 45 % des femmes occupent un emploi à Taïwan, contre 59 % aux Etats-Unis, 50 % au Japon et à Singapour, et 48 % en Corée du Sud. D’autre part, 1/3 des femmes actives de Taïwan quittent leur travail suite à leur mariage. Parmi elles, 44 % le réintègrent dans un délai moyen de six ans et trois mois.
Le salaire des femmes à Taïwan est bien inférieur à celui des hommes. En 1993, il ne représentait que 66 % de celui des hommes, bien qu’il ait atteint à peu près 72 % en 1997. Ce phénomène illustre bien l’idéologie selon laquelle les ressources humaines féminines et l’argent qu’elles gagnent ne sont qu’un « supplément ». En d’autres termes, elles représentent un coût moins élevé et peuvent être licenciées à tout moment.
Cependant, le gouvernement a commencé à promouvoir l’égalité des sexes dans le domaine du travail. Le 4 mars dernier, il a fait passer un projet de loi sur l’égalité des droits au travail, afin de montrer sa détermination à vaincre la discrimination envers les femmes dans la vie professionnelle. Selon le projet, aucun critère de sexe n’entrera en ligne de compte pour l’embauche, le salaire, l’affectation, la promotion, la formation au sein de l’entreprise, les avantages, la retraite ou les licenciements. Alors que le projet doit être examiné et voté par les législateurs, des femmes actives expriment leur propre point de vue sur la question, et leurs sentiments par rapport à leur vie professionnelle.
Yin Su-hui
Pilote dans l’armée de l’air
Yin Su-hui, 29 ans, est l’un de ces pilotes qui a fait tomber les barrières entre les sexes dans l’armée lorsque la première promotion de femmes pilotes qualifiées a pris son envol après avoir été diplômée de l’Académie de l’Armée de l’Air chinoise (CAFA), en 1993. Après environ six années passées à la base aérienne de Sungshan à Taïpei, Yin est désormais capitaine. Elle assure en quelque sorte la continuité d’une tradition familiale, trois membres de sa famille ayant servi ou servant dans la même arme, dont son mari qui l’a précédée à la CAFA et qui est actuellement pilote de chasse.

« Aujourd'hui les gens sont habitués à voir des femmes officiers ou sous-sfficiers dans l'armée, et n'y font même plus cas. »
J’ai passé les tests de recrutement pour devenir pilote dans l’armée de l’air de la République de Chine peu de temps après l’obtention d’un diplôme en pharmacie, en 1991. C’est mon père qui m’y a poussée, étant lui-même un ancien pilote de chasse. Mon grand-père a également servi dans l’armée de l’air, en tant que mécanicien. Ma mère n’était cependant pas d’accord avec mon père. Elle ne voulait pas m’encourager à suivre ses conseils, par crainte de me voir ensuite mener la vie dure qu’avait été la sienne. Quant à moi je ne me posais pas trop de questions, à partir du moment où je pensais échouer à l’examen. Finalement comme vous le savez, je l’ai passé avec succès.
Avant les tests écrits, il m’a fallu subir un examen médical. Un pilote doit avoir une excellente vue et, pour les femmes, mesurer plus de 1,58 mètres (cette condition a par la suite été modifiée). 17 femmes au total faisaient partie des nouvelles recrues de la CAFA de Kangshan dans le hsien de Kaohsiung, pour y suivre une formation d’un an et neuf mois. Au départ, je me demandais un peu ce que je faisais là. Lorsque l’on nous a coupé les cheveux aussi courts que ceux d’un garçon, j’ai pleuré. J’ai même failli me disputer avec le coiffeur, et l’officier qui se trouvait à côté de moi.
La course à pieds, l’haltérophilie et la natation faisaient partie du programme de formation. A l’Académie, hommes et femmes devaient quotidiennement courir ensemble sur 3 kilomètres. Mais à mi-parcours, les gars se demandaient souvent où étaient passées les filles. Vous savez, physiquement nous étions plus faibles que les hommes, et nous étions bien à la traîne derrière le groupe. Il était donc fréquent que deux ou trois étudiants plus anciens viennent courir derrière nous pour nous faire accélérer.
Au début j’étais vraiment épuisée et me sentais incapable de m’adapter à ce nouvel environnement. J’étais un peu une enfant gâtée dans ma famille. Des camarades et moi-même avons à plusieurs reprises pleuré tard le soir dans les toilettes du dortoir. Je téléphonais à ma mère et je pleurais. Cela la mettait en colère après mon père, qui lui disait cependant que c’était à moi de me prendre en mains. Je pensais au début que nous étions un peu à part à l’Académie en tant que femmes, une infime minorité par rapport aux trois à quatre cents étudiants. C’est vrai que des officiers de haut rang prenaient particulièrement soin de nous, mais peut-être parce que nous étions la première promotion féminine à la CAFA. Cependant nous n’étions pas du tout traitées comme des filles par les autres étudiants, et nous devions exécuter les mêmes ordres que tout le monde.
Comment me suis-je sentie la première fois que j’ai appris à voler? Beaucoup de gens m’ont posé cette question. Au cours du premier vol, un instructeur vous montre habituellement ses propres qualités de pilote, afin de vous faire savoir vraiment ce qu’est le pilotage. Mais certaines recrues n’étaient jamais montées dans un avion avant d’entrer à l’Académie, et étaient prises de vomissements après le vol. De mon côté ça s’est bien passé, j’avais déjà eu l’occasion de prendre des avions militaires avec mon père. J’ai vomi une seule fois après un vol, mais c’était parce que j’étais enrhumée.
Toutes les femmes n’ont pu passer avec succès le cap des trois cycles du programme de formation, ainsi que beaucoup d’hommes. Je me souviens que nous n’étions plus que sept filles seulement en second cycle, à l’issue duquel deux autres ont échoué. Celles qui n’ont pu aller au terme de la formation ont soit opté pour une autre école militaire, ou carrément abandonné leur projet de carrière dans l’armée.
Je pense que la première fois où j’ai vraiment eu peur, ce fut lors d’un test en fin de première période de formation. Beaucoup de journalistes étaient présents pour couvrir l’événement, l’envol des premières femmes pilotes de Taïwan. Je savais qu’il allait me falloir voler en solo pour la première fois, face à eux et de nombreux supérieurs, dont le doyen de la CAFA. Je me sentais nerveuse car j’avais peur de faire un vol catastrophique et de perdre la face devant un public si important. Et quand vous passez un tel test, il y a un autre avion derrière vous avec un instructeur et un étudiant à bord. Donc, lorsque j’étais en vol, j’entendais la voix de l’instructeur à la radio qui n’arrêtait pas de me réprimander et de m’invectiver. Je me sentais vraiment perdue à ce moment-là.
Et finalement, j’ai échoué à ce test. Ce fut le cas d’une autre fille. A peine descendue de l’avion, nous nous sommes jetées dans les bras l’une de l’autre et avons pleuré amèrement. A la vue de deux filles en pleurs, mon instructeur a essayé de nous réconforter. Mais je pense qu’en fait il nous aurait bien filé une correction .
Heureusement, au second test ça a marché. Après l’obtention de mon diplôme en 1993, j’ai été affectée à la base aérienne de Sungshan. Aujourd’hui, les quatre autres femmes de la promotion sont là également. Nous pilotons toutes des avions VIP, pour transporter des officiels du gouvernement et des militaires de haut rang à travers l’île. On nous a donné la chance de voler sur différents types d’appareils lors de notre formation à la CAFA. C’était aussi une façon pour les militaires de voir comment des filles s’en sortiraient, et nous avons été choisies tout simplement puisque nous étions les pionnières.
Des femmes de promotions ultérieures ont été formées sur d’autres appareils tels qu’hélicoptères, avions de chasse, et C-130, un appareil de transport de troupes ou de parachutistes. Il y a actuellement deux femmes pilotes de chasse. Je les ai vues une fois. Elles sont plus grandes que moi, elles mesurent 1,67 mètre. Je ne pense pas être faite pour ce travail. Il demande une excellente condition physique et un esprit vif. Vous pouvez très bien perdre conscience en plein milieu d’une mission de combat, si vous n’êtes pas en bonne santé. Pour cette raison, je pense que d’une manière générale les hommes sont mieux préparés que les femmes pour devenir pilotes de chasse. Aujourd’hui les gens sont habitués à voir des femmes officiers ou sous-officiers dans l’armée, et n’y font même plus cas. Mais ma promotion n’a pas été particulièrement bien accueillie dans l’armée au début, car c’était alors un monde exclusivement masculin. Ces hommes pensaient que nous aurions mieux fait de rester à la maison à nous occuper de notre mari et des enfants, plutôt que de venir rivaliser avec eux professionnellement.
Aujourd’hui je sens qu’il y a des gens qui hésitent toujours à monter dans un avion piloté par une femme. D’une manière générale les passagers de l’armée de l’air se comportent bien avec moi, car je suis l’une des leurs. Quant à ceux des autres armes et du gouvernement, ils ont tendance à manifester une certaine inquiétude lorsqu’ils me voient aux commandes. J’en ai entendu discuter entre eux avant le décollage et dire des choses telles que : « Le pilote est une femme. Vous êtes assuré ? » ou encore, « Et si on changeait d’avion ? » Mais maintenant, je suis habituée à ce genre de commentaires.
Et bien des examens m’attendent encore. Je dois les passer progressivement pour pouvoir franchir les échelons de ma carrière militaire. Il y a tant de livres sur l’aviation et tant de choses à apprendre et à assimiler. Actuellement je suis copilote, mais j’ai passé un examen avec succès récemment qui va me permettre de passer à l’échelon supérieur de pilote. Mais je pense qu’il me faudra plus de dix ans pour devenir un véritable pilote chevronné.
Propos recueillis par Oscar Chung
(v.f. : B. Pronost)
Photo de Chang Su-ching
Christina Sung
Conseiller en investissement
Christina Sung, 45 ans, est présidente de Jardine Fleming Taïwan Limited, société qu’elle a intégrée il y a treize ans. Elle y a débuté sa carrière en tant que directrice administrative, et ensuite a gravi les échelons pour devenir directrice générale adjointe, directrice générale, et enfin présidente depuis septembre dernier. Diplômée d’anglais de l’université Soochow, elle ne connaissait rien aux services financiers avant de se lancer dans le conseil en investissement. Mme Sung attribue sa réussite professionnelle dans ce domaine à ses efforts, sa soif d’apprendre, et un réel désir d’épanouissement personnel.

« Les gens disent souvent que derrière la réussite de tout homme, il y a une grande femme. Je dirais qu'une femme qui consacre beaucoup de temps et d'énergie à son travail doit avoir le soutien total des membres de sa famille. »
Il y a l’histoire d’un poisson qui se sent à l’aise dans un étang, parce qu’il est plutôt familier avec l’environnement. Cependant, il trouve qu’il lui manque encore quelque chose, et aspire à nager jusqu’à la rivière ou même la mer pour voir ce qui s’y passe. Il y a treize ans, je ressentais la même chose que ce poisson. A cette époque je m’occupais d’une société d’importation avec quelques amis, et nous réalisions des profits satisfaisants. J’étais aussi mariée et mère de deux enfants. Je menais une vie stable et sans problèmes, mais au fonds de moi-même je la trouvais trop routinière. J’avais envie de faire autre chose, et je n’arrêtais pas de me demander si je voulais vraiment passer le reste de ma vie ainsi. La réponse devenait de plus en plus claire, c’était non! Ce que je voulais faire était continuer à apprendre et à me mettre face à de nouveaux défis. Professionnellement, je me trouvais à ce moment-là dans une impasse. Il y avait simplement peu d’espoirs d’évolution.
J’ai envisagé un moment de partir à l’étranger pour des études avancées, mais mon mari m’a fait remarquer que pour apprendre, je n’avais pas besoin d’aller voir ailleurs, ni même d’aller à l’université. A Taïwan et sur mon lieu de travail, les opportunités ne manqueraient pas pour apprendre de nouvelles choses. Son point de vue m’a paru plein de bon sens et m’a décidée à me lancer à la recherche d’un nouvel emploi, un retour à la case départ en quelque sorte.
Mon idéal était d’intégrer une société internationale pour découvrir des horizons totalement nouveaux, et par là même tester mes propres capacités. Lorsque je travaillais pour la société commerciale, je ne me situais pas par rapport à la scène mondiale. Mais si j’arrivais à me montrer performante dans une compagnie internationale, alors je savais que je pourrais y trouver ma place. Je voulais aussi un travail stimulant et en rapport avec les services financiers, quelque chose qui soit très proche de notre vie quotidienne. Il s’est trouvé que Jardine Fleming, dont le siège est en Angleterre, envisageait d’ouvrir une agence à Taïwan. La société et son secteur d’activités semblaient correspondre à mes aspirations.
Je suis donc entrée chez Jardine Fleming à l’âge de 32 ans. Ses activités étaient centrées sur la gestion des investissements, un domaine totalement nouveau pour moi. J’ai passé autant de temps qu’il m’était possible, pendant et après mes heures de travail, à étudier des informations utiles et les techniques du système financier, en espérant les assimiler rapidement. A cette époque, le marché des sociétés d’investissement de Taïwan était peu développé du fait de strictes réglementations de la part du gouvernement. Les affaires de notre compagnie ne marchaient pas très fort. Ca n’est qu’à partir de 1987 et 1988 que nous avons commencé à prospérer, le gouvernement ayant pris des mesures pour assouplir le contrôle des changes. Les taïwanais purent dès lors importer ou exporter des fonds à concurrence d’un million de dollars américains.
Parallèlement à l’expansion des services proposés par la société, mes responsabilités se sont également accrues pour inclure l’administration, les ventes et le service clientèle, ainsi que le développement, la recherche et la promotion de nouveaux produits financiers. Je suis toujours en train de travailler et d’apprendre en même temps. Travailler dans le secteur des services financiers est plutôt astreignant, mais aussi passionnant. Etre toujours prêt au bon moment est extrêmement important pour pouvoir saisir les bonnes opportunités d’investissement. Nous devons tous les jours nous tenir au courant de ce qui se passe tant à Taïwan qu’à l’étranger, et pas seulement dans le domaine financier, mais aussi politique, social et militaire. Nous sommes quotidiennement confrontés à des défis, et le stress est donc inévitable. Cependant comme j’aime beaucoup ce que je fais, je suis toujours d’humeur égale et pleine d’énergie, et vois les choses positivement. De plus, les retombées d’un tel travail en termes de rémunération et d’épanouissement personnel sont plutôt rapides et intéressantes.
Je rencontre cependant des difficultés de temps en temps dans mon travail. Le système légal ici, provoque un sentiment de frustration. Bien qu’il parle souvent de libéralisation et d’internationalisation, le gouvernement impose toujours aux sociétés financières de nombreuses règles, écrites ou non, en considération de facteurs politiques ou des conditions du marché local du moment. Lorsque nous cherchons à offrir des outils d’investissement plus diversifiés pour une meilleure prestation aux investisseurs locaux, le gouvernement fait parfois obstruction. Je suis inquiète et gravement préoccupée par ce genre de situation, car le développement du secteur des services financiers a connu un départ relativement tardif, comparé à de nombreux pays occidentaux. Je comprends que le gouvernement puisse avoir ses propres préoccupations. Mais il ne semble pas opportun de fixer des contraintes supplémentaires à l’investissement sur les marchés boursiers étrangers, en prenant en compte le ralentissement temporaire du marché local. Ces mesures affecteront le développement à long terme de ce secteur, et les intérêts des investisseurs ici.
En ce qui concerne ma vie personnelle, je suis mariée depuis 22 ans. Les gens disent souvent que derrière la réussite de tout homme, il y a une grande femme. Je dirais qu’une femme qui consacre beaucoup de temps et d’énergie à son travail doit avoir le soutien total des membres de sa famille. Je suis reconnaissante envers ma mère et mon mari qui se sont montrés compréhensifs vis-à-vis des exigences de mon travail. A chaque fois que je dois m’absenter de Taïpei pour un déplacement professionnel, ma mère vient à la maison pour me remplacer et prendre soin des enfants. Cependant, lorsque je suis chez moi je m’efforce de jouer mon rôle de mère et d’épouse. Je peux dire que je suis à même de mener de front vie professionnelle et familiale. Un foyer stable et heureux est un facteur stimulant qui me permet d’être performante dans mon travail.
Bien que Taïwan soit à la traîne derrière quelques pays occidentaux dans le développement du secteur des services financiers au niveau des logiciels, des matériels et du personnel, je suis très optimiste quant à son avenir. Par exemple, aux Etats-Unis et en Europe une personne sur trois achète des fonds communs de placement. Mais à Taïwan, cela ne concerne que 5 % de la population. Il y a donc encore un gros potentiel de développement et d’affaires en vue. J’espère donc me préparer pour faire face aux défis du siècle prochain.
Propos recueillis par Kelly Her
(v.f. : B. Pronost)
Photo de Huang Chung-hsin
Kuo Chia-chen
Scientifique
Comme la plupart des domaines scientifiques dans l’île sont dominés par les hommes, en particulier celui de l’ingénierie, Kuo Chia-chen, 32 ans, fait partie d’une minorité dans sa profession. Elle a travaillé en tant que chercheur scientifique au Centre national d’Informatique de haute performance, un institut de recherche installé dans le Parc industriel et scientifique de Hsinchu, rattaché à la Commission d’Etat des Sciences. Pleine de détermination et d’enthousiasme dans son travail, elle est actuellement à la tête d’une équipe de douze personnes responsables du projet de création du premier centre d’information de Taiwan sur les ressources hydrauliques. Mme Kuo est l’une des trois femmes de l’équipe, avec une comptable et une assistante de projet. Femme mariée, elle n’est pas déçue par l’évolution actuelle du statut social des femmes taïwanaises, bien qu’elle y voie toujours une certaine discrimination sexuelle.

« Je pense que les supérieurs hiérarchiques ici jugent le personnel en fonction de ses résultats, et non pas de son appartenance à un sexe ou à un autre. » (Chang Su-ching)
Je suis entrée dans la vie professionnelle il y a à peu près sept ans, après avoir obtenu une maîtrise à l’Institut d’ingénierie de l’Université nationale Cheng Kung. J’ai occupé mon premier emploi à l’Institut de Recherche sur la Technologie industrielle à Chutung, et j’ai commencé ici il y a trois ans. En juillet 1998, le Bureau des ressources hydrauliques du ministère de l’Economie (MOEA), a confié à la Commission d’Etat des Sciences l’étude du projet de création du premier centre d’information de Taïwan sur les ressources hydrauliques. Une équipe incluant quelques professeurs titulaires de doctorats a été constituée. J’estime avoir eu de la chance d’avoir été choisie comme chef de projet, car je suis plutôt jeune pour une telle responsabilité.
Je suis mariée depuis plus de quatre ans, et j’ai une petite fille de deux ans. Dans la journée, lorsque mon mari et moi-même sommes au travail, une baby-sitter s’occupe d’elle. En règle générale nous faisons des heures supplémentaires et dînons donc à l’extérieur. Je ne cuisine avec mon mari que les samedis et dimanches, et nous préparons alors des repas bien nourrissants pour notre fille. Les soirs de semaine mon mari reste travailler à son bureau parce qu’il en a toujours eu l’habitude, et moi je continue à travailler à la maison tout en m’occupant de notre enfant.
Cependant, je pense que je devrais passer plus de temps avec ma fille. D’un autre côté, j’ai lu des articles qui disent que les enfants de femmes actives peuvent apprendre à être indépendants plus tôt dans la vie. Il n’y a rien de négatif dans une telle indépendance précoce, et nous devrions peut-être réfléchir à la question d’élever les enfants de la sorte.
Je comprends la nécessité pour les gens qui travaillent de se reposer. N’avez-vous jamais entendu parler de décès consécutifs à une charge de travail trop lourde ? En fait je suis quelqu’un qui aime assez s’amuser, mais ne suis pas une mordue de lecture. J’aime voyager à l’étranger. J’en ai eu l’occasion à plusieurs reprises pour mon travail ces derniers mois, et ça m’enchante. J’aime aussi danser et écouter de la musique, particulièrement du rock, influencée par mon mari.
Dans le même temps, je suis très intéressée par mon travail. Il y a vingt ans, certains revendiquaient déjà la création d’un centre d’information sur les ressources hydrauliques. Aujourd’hui, nous aurons enfin un directeur du Bureau des ressources hydrauliques pour réaliser ce projet. Cette mission est une rare opportunité, mais je n’en attends pas de bénéfices personnels. Je suis tout simplement contente d’y participer. Des astronautes partent explorer l’espace. Ils considèrent cette mission honorable, bien qu’elle soit en fait plutôt dangereuse. Je pense que je serai à même de comprendre, progressivement, la noblesse des sentiments de telles personnes.
Je ne veux pas laisser entendre que je suis toujours si idéaliste. Il m’arrive aussi d’être matérialiste. Mais je pense que les mentalités devraient évoluer différemment. Souvent j’ai l’impression que les Taïwanais d’aujourd’hui ont peu de préoccupations en dehors des bénéfices qu’ils peuvent retirer de leurs actions. C’est vraiment regrettable.
L’an dernier, j’ai beaucoup appris sur la manière de monter le projet qui m’a été confié. C’est un projet scientifique certes, mais qui de par mes responsabilités implique aussi un travail de relations humaines. J’ai lu quelques articles concernant ce que doivent être les qualités d’un bon gestionnaire, et un livre sur la politique de gestion des ressources hydrauliques.
En temps que responsable du projet, j’ai tendance à faire accélérer le rythme de l’équipe sous la pression des délais imposés, et pour satisfaire aux attentes du MOEA. Nous devons faire un rapport mensuel de l’avancement de nos travaux à un comité de suivi. J’ai été vraiment désolée lorsque récemment quelques membres de l’équipe, sous la pression, ont estimé que ce projet n’était pas fait pour eux et ont démissionné. Je n’ai pas essayé de les retenir, bien que certaines personnes aient estimé que j’aurais dû le faire pour maintenir de bonnes relations avec le personnel. Mais ma première priorité est notre mission. Quant aux autres problèmes, ils peuvent être examinés plus tard.
Est-ce que je ressens une certaine discrimination au travail du fait que je sois une femme ? Je n’en ai pas particulièrement le sentiment. Je pense que les supérieurs hiérarchiques ici jugent le personnel en fonction de ses résultats, et non pas de son appartenance à un sexe ou à un autre. Peut-être que les différences se manifestent de façon plus évidente chez des gens de statuts égaux. Par exemple, il arrive que lorsque nous sortons dîner nous nous séparions naturellement en deux groupes, les hommes à une table, et les femmes à une autre. Je trouve aussi que parfois les hommes préfèrent les filles «obéissantes» et «stupides». Les femmes de caractère ne sont pas très bien vues. Enfin, c’est ce que je ressens. Je suis peut-être trop sensible.
La conception erronée qui veut que les garçons valent mieux que les filles prévaut toujours dans la société taïwanaise. Même des parents de ma génération préfèrent les garçons aux filles. Mon mari et moi, non, mais lorsque j’ai donné naissance à une fille beaucoup de mes collègues ont demandé :«Pourquoi n’avez-vous pas eu un garçon?» Comme si j’étais condamnable de ne pas en avoir eu un. Les filles ne sont-elles pas également vos enfants ? De plus, je pense que les filles ont une relation plus proche avec leurs parents. Mon mari le pense également. Mais vous savez, la plupart des femmes mariées trouvent sécurisant d’avoir un garçon, même celles ayant reçu un niveau supérieur d’éducation. Elles pensent que cette idée selon laquelle les garçons valent mieux que les filles est fausse, mais finalement elles en subissent l’influence. Je trouve cela regrettable.
D’un autre côté, je pense que l’amélioration du statut des femmes taïwanaises est dû en partie à Sisy Chen, l’ancienne directrice du Département de la Culture et de l’Information du Parti démocratique-progressiste (PDP, le plus important parti d’opposition à Taïwan). Elle est vive et intelligente, et ses résultats prouvent combien une femme peut être capable.
Aujourd’hui, les hommes taïwanais savent qu’ils devraient apprendre à respecter les femmes. Mais je ne suis pas sûre que ce soit le cas à tous les niveaux de la société. De toutes façons, Taïwan a parcouru bien du chemin dans ce domaine, si l’on considère la longue période au cours de laquelle a prévalu le système patriarcal dans la société chinoise. En tous les cas, ça n’est pas pire que dans les pays occidentaux.
Propos recueillis par Oscar Chung
(v.f. : B. Pronost)
Charmy Huang
Architecte
Devant achever un important projet dans de stricts délais, Charmy Huang et son mari se sont rarement couchés avant une heure ou deux heures du matin ces derniers mois. La surface de leurs bureaux est envahie par des livres, des dossiers, des crayons et des plans. Tous deux semblent d’une humeur optimiste, et au-delà du couple mari et femme, nous sommes aussi en présence de deux associés.

Ce qui me fascine dans l'architecture c'est que, bien que profession technique, elle me permet aussi d'être en contact avec les arts, la culture et les sciences humaines pour tout ce qui touche à l'environnement de l'homme dans sa vie de tous les jours. » (Huang Chung-hsin)
L’architecture est un mélange de technique et d’art. Elle est de plus étroitement liée à la vie de l’homme et peut apporter une grande contribution à notre qualité de vie. Alors que je suivais le cours élémentaire, j’ai lu dans un manuel l’histoire d’une femme architecte. Ça m’avait paru incroyable qu’une femme puisse être engagée dans un travail aussi technique, au-delà des domaines traditionnels de la littérature, du juridique et des affaires. Auparavant, lorsque l’on faisait référence aux femmes, c’était surtout pour parler de leur vie à la maison à s’atteler aux tâches ménagères, sans s’attarder sur leur vie professionnelle.
Ce qui me fascine dans l’architecture c’est que, bien que profession technique, elle me permet aussi d’être en contact avec les arts, la culture et les sciences humaines pour ce qui touche à l’environnement de l’homme dans sa vie de tous les jours. Pour être architecte, il faut avoir des capacités techniques ainsi que du talent artistique et un sens humain.
Ma fascination pour l’architecture et ma passion pour la peinture m’ont poussée à orienter mes projets de carrière professionnelle très tôt. A l’issue de mes études secondaires j’ai passé avec succès l’Examen d’Entrée en Université, et mon premier choix fut d’intégrer le Département d’architecture de l’Université nationale Cheng Kung. Je suis ensuite passée en troisième cycle. A l’âge de 25 ans j’ai obtenu le diplôme supérieur de l’Examen de la Fonction publique, et ainsi ma licence pour exercer le métier d’architecte. Tout s’était passé selon mes souhaits, bien que j’estime avoir plutôt eu de la chance dans cette première tranche de ma vie.
C’est également cette année là que je me suis mariée. Mon mari est l’un de mes anciens camarades d’université. Il est facile pour des étudiants en architecture de tomber amoureux entre eux, ils passent tant de temps ensemble dans les salles de dessin. J’ai donné naissance à mon premier enfant à l’âge de 27 ans. Mais cette joie a été rapidement ternie par une cruelle réalité, ma fille était née avec une paralysie cérébrale. Ce fut le moment le plus déprimant de ma vie. Mais finalement, il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour accepter ce fait du destin. On dit que des parents comme nous sont spécialement « choisis » par Dieu pour prendre soin de ces enfants handicapés. Et ils méritent d’être aimés, tout autant que les autres. Il y a des hauts et des bas, c’est la vie. Des années plus tard, à l’âge de 34 ans, j’ai eu un deuxième enfant, né sans handicap.
Je n’ai pas vraiment élaboré de plan de carrière concret. Mon vœux est d’exécuter au mieux chacune des phases du travail et des tâches qui me sont confiées. M’efforcer de faire au mieux est effectivement ma devise. Je m’attache à faire de solides progrès étape par étape, plutôt que d’avoir des rêves de grande envergure. Après mon diplôme, j’ai travaillé dans un cabinet d’architecture pendant environ cinq ans. J’ai aussi pris le temps d’enseigner à l’Université chrétienne Chung Yuan, à l’Université Tunghai et à l’Université de la Culture chinoise; ceci dans différentes disciplines dont l’architecture et le paysagisme. En enseignant, j’ai trouvé de nouvelles inspirations et acquis des connaissances supplémentaires au contact de mes collègues de faculté, et aussi de mes étudiants. Je n’ai donc pas fait que donner, j’ai aussi beaucoup reçu.
Plus tard j’ai quitté le cabinet d’architecture et suis devenue, de 1987 à 1994, directrice de la rédaction du magazine Chinese Architect, et directrice adjointe du magazine Space. A présent je suis l’éditrice en chef des magazines Landscape Architecture et Taïwan Architecture. En outre, j’enseigne à l’Université catholique Fu Jen et publie de temps en temps des livres et essais.
On peut dire que le souhait de tout architecte est de créer son propre cabinet, et je ne fais pas exception. Je l’ai entrepris en 1990 avec mon mari. J’étais très confiante quant à mes plans d’architecture, et avais de nombreuses idées en tête. J’espérais que les chances de les concrétiser ne manqueraient pas, mais au cours des six premières années nous n’avons pas réalisé beaucoup d’affaires. Ce fut vraiment une période frustrante. Lors de mes études, je m’étais fait de grandes idées et attendais beaucoup de l’architecture, considérant que c’était un métier formidable. Mais après avoir monté mon propre cabinet, j’ai découvert que ce n’était pas tout à fait ça. De nombreuses choses ne nous ont pas été enseignées à l’université, et nous avons dû les apprendre petit à petit à « l’école de la vie ».
Par exemple, la croissance d’une affaire passe souvent par l’envoi d’enveloppes rouges (donc la corruption) ou l’intervention de relations influentes, au lieu de se réaliser dans le cadre d’une concurrence loyale et grâce à l’appréciation de la qualité du travail proposé. Pour moi, les rapports sociaux ne sont pas mon fort ni ce que j’aime. Cela m’a empêchée de me faire les bonnes relations qui m’auraient permis de saisir d’intéressantes opportunités d’affaires, à une période de concurrence accrue. Mon cabinet était alors principalement engagé dans des projets de recherche pour des institutions universitaires. Il n’y a que deux ou trois ans que ma société a commencé à faire surface, en décrochant des projets de construction à Kinmen et Matsu. La concurrence dans ces deux îles isolées est de loin moins acharnée qu’à Taïpei et autres zones citadines, peu d’architectes étant disposés à faire le long déplacement.
Mon sentiment d’accomplissement vient de ma profonde implication dans des domaines qui vont de l’enseignement à la publication, et de mon expérience sur le terrain. Au niveau de mon cabinet lui-même, je travaille à la fois dans l’architecture et le paysagisme. Cela contribue à étendre les opérations de ma société et à compenser le peu de dynamisme de l’industrie du bâtiment, dû à un ralentissement général de l’économie.
Mon plus grand intérêt dans ce type de travail est de pouvoir être témoin de l’évolution des projets dans leur totalité, de la naissance d’une idée au dessin des plans, de la confection de la maquette à, finalement, la construction du bâtiment. C’est exactement comme observer la croissance d’un enfant. Mon plus grand espoir est de pouvoir créer quelques travaux représentatifs qui, personnellement, m’apporteraient satisfaction. Mais étant donné l’environnement à Taïwan, une telle tâche n’est jamais aisée. Réaliser un bon travail suppose la coopération des parties concernées, dont celle des entreprises du bâtiment et des propriétaires vis-à-vis du budget et de leurs exigences respectives. Que les entreprises puissent lancer un projet basé entièrement sur nos plans et les propriétaires faire confiance à notre professionnalisme est primordial.
La différence des sexes joue incontestablement un rôle dans ce domaine professionnel. Nombreux sont les cabinets d’architecture qui rechignent à employer des femmes. Etant une profession à caractère technique, les tâches de l’architecte impliquent souvent des visites de chantiers, de dialoguer avec les entrepreneurs et les commanditaires, et de faire des heures supplémentaires tardives. Pour ces diverses raisons, les femmes dans la profession sont souvent victimes de discrimination en termes de promotion. Mais finalement, grâce au nombre croissant de femmes architectes remarquables et âpres au travail, je pense que la situation est en voie d’amélioration. Et les différences de traitement entre hommes et femmes sur leur lieu de travail vont progressivement s’estomper.
Propos recueillis par Kelly Her
(v.f. : B. Pronost)