03/06/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Une longueur d'avance

01/01/1997
Quelles que soient les motivations des parents — éviter à leurs enfants de rester enfermés à la maison toute la journée, les socialiser ou leur donner plus de chances pour l'avenir — du succès des jardins d'enfants résulte la dure compétition à l'entrée dans les meilleurs établissements.

A Taipei, l'école privée Wego bé­néficie d'une excellente réputation. Tous les parents en ont entendu parler. Le jardin d'enfants qui lui est affilié est d'ailleurs tout aussi prestigieux « Nous avons une ferme de quinze hectares à Yangmingshan », dit le directeur de l'école Wego, M. Chen Ching-kuei.« Nous l'utilisons comme classe verte pour nos élè­ves, depuis le jardin d'enfants jusqu'au ly­cée. Elle comprend un jardin potager, un jardin fleuri et des animaux. Comme cela, les enfants ont la possibilité de partir en classe verte tous les mois. Ils peuvent plan­ter des légumes, élever des poissons, mon­ter à dos de poney et apprendre à connaître la nature. » Une fois revenus dans les salles de classe climatisées, qui sont équipées de matériel vidéo, de télévisions et de magnéto-cassettes, les en­fants peuvent étudier le mandarin, l'an­glais, la cuisine et l'informatique, ou en­core se livrer à des jeux de rôles (du style « Je fais mes courses chez l'épicier ») spécialement conçus pour améliorer leurs capacités de socialisation.

Rien d'étonnant, dans ces condi­tions, que la concurrence fasse rage pour l'entrée dans ce jardin d'enfants. Cette année, pas moins de 638 enfants étaient inscrits à la loterie annuelle qui permet à l'établissement de décider à qui reviendront les 293 places des dix petites classes du jardin d'enfants. « Le taux d'ad­mission est de 46% », note M. Chen avec satisfaction, « Et ceci, en dépit du prix exorbitant de ce jardin d'enfants de luxe : 1 090 dollars US à l'inscription, plus 365 dollars par semestre pour les extras.

Il faut noter ici que les parents n'ont pas tous les mêmes attentes du rôle que doit jouer un jardin d'enfants. Ying Shu-yu par exemple, qui est mère de trois enfants, espère que ses enfants y apprendront à vivre avec leurs camarades de classe, avant l'entrée à l'école primaire. Pour d'autres, il s'agit d'évi­ter que les enfants restent enfermés de­vant la télévision toute la journée. Cela dit, la majorité des parents ne pensent qu'aux futures performances scolaires de leurs rejetons et cherchent à leur don­ner une longueur d'avance. Ils savent que, dès l'école primaire, leurs enfants devront entrer en compétition avec les autres, dans un pays où 30% seule­ment des candidats réussissent le concours d'entrée aux trois dernières an­nées de lycée, et ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour assurer la réus­site de leurs enfants. Conséquence directe de cette attitude : la compétition féroce qui règne pour les places limitées à l'école Wego et dans d'autres établissements du même genre.

Jardin d'enfants ou garderie?

Tina Liaw est professeur à l'Institut d'Economie domestique de l'Univer­sité normale nationale de Taiwan (NTNU), et depuis 1993, elle est égale­ment directrice d'un jardin d'enfants ex­périmental affilié à cette université. Mme Liaw explique qu'à Taiwan, l'enseigne­ment préscolaire suit le modèle japo­nais, qui distingue jardins d'enfants et garderies.

Les garderies accueillent les enfants qui ont entre un mois et six ans. Défi­nies comme des centres d'accueil, elles sont placées sous les juridictions croi­sées du ministère de l'Intérieur et, au niveau local, du département des Af­faires sociales. Leur fonction essentielle est de prendre soin des enfants pen­dant que leurs parents travaillent, et seules un petit nombre d'entre elles pro­posent des classes structurées.

Les jardins d'enfants proposent une éducation préscolaire pour les enfants âgés de quatre à six ans. Ce sont le ministère de l'Education (MOE) et le département de l'Education, au niveau local, qui se partagent la responsabilité de ces établissements.

Le nombre d'enfants confiés à ces institutions est relativement limité : ils ne sont que 24% de l'ensemble des moins de six ans à les fréquenter. Se­lon les statistiques rassemblées par le MOE, Taiwan compte environ 3 250 garderies publiques et privées, répon­dant aux besoins de quelque 220 000 enfants, et 2 580 jardins d'enfants, fréquentés par 240 370 petits élèves. Moins de 35% des jardins d'enfants sont clas­sés comme appartenant au secteur pu­blic. Ils donnent une première forma­tion à un quart de la population totale des jardins d'enfants.

Les jardins d'enfants proposent de plus en plus d'activités annexes, sensées développer les talents des enfants. L'initiation à l'informatique est très populaire chez les enfants comme chez les parents.

Public versus privé

Les parents semblent avoir une nette préférence pour les jardins d'enfants du secteur public. Subventionnés par les autorités locales et le gouverne­ment central, ceux-ci sont en effet sup­posés bénéficier d'un encadrement plus qualifié et d'installations de meilleure qualité. Ils ont également pour politi­que de ne pas donner de devoirs aux enfants. Mais surtout, élément décisif, les frais d'inscription y sont inférieurs de moitié à ceux du privé.

D'où vient alors le succès des jar­dins d'enfants privés? Du fait, sans doute, qu'un grand nombre d'entre eux offrent un encadrement bilingue (chi­nois-anglais). Plus important encore, ils sont fréquemment affiliés à de prestigieuses écoles privées et sont donc en mesure de garantir à l'enfant une place dans une école primaire, un collège puis un lycée de qualité, sans qu'il soit obligé de passer de difficiles concours d'en­trée. L'école Wego est une bonne illustration : dans l'esprit des parents, la formation reçue entre l'âge de quatre et six ans par leurs enfants est le premier pas vers une université renommée.

Exemple : Lin Su-chen, mère de trois enfants. Pour elle, peu importe le prix, pourvu que la qualité y soit. Sur les recommandations d'un membre de sa famille, Mme Lin a mis sa fille dans un jardin d'enfants bilingue qui emploie un personnel dont la langue maternelle est l'anglais. Un semestre lui coûte 2 500 dollars US, soit le double des frais d'ins­cription généralement demandés dans le privé et jusqu'à quatre fois les tarifs du secteur public.

Mme Lin écarte d'un haussement d'épaule les considérations financières, bien déterminée à faire en sorte que ses enfants décrochent un diplôme plus intéressant que son propre petit BTS de commerce. Elle voit les langues étrangères comme un capital pour l'avenir, un atout majeur sur le marché de l'em­ploi. Or, elle n'a que peu de foi en l'enseignement des langues étrangères tel qu'il est dispensé dans les lycées de Taiwan. « A la sortie du lycée, il y a très peu de jeunes qui savent parler l'anglais, même après avoir étudié la langue pendant six ans », dit-elle. « Cela ne me satisfait pas. Je veux que mes enfants soient immer­gés dans un environnement anglophone dès leur plus jeune âge, afin qu'ils apprennent l'anglais sans que cela soit une source de pression pour eux. »

Ying Shu-yu voit les choses différemment. Seul l'aîné de ses enfants a fréquenté un jardin d'enfants privé. Le plus jeune sort à peine du jardin d'enfants affilié à l'école primaire mu­nicipale Chungshan, à Taipei. Elle pré­fère de beaucoup le système public. En effet, explique-t-elle, « dans les jardins d'en­fants privés, on apprend aux enfants à écrire, et on leur donne beaucoup de devoirs. Ce n'est pas bon pour eux. Ces endroits sont de véritables usines. Lorsque vous visitez, les responsables ont l'air très chaleureux et enthousiastes, mais la seule chose qui les intéresse, c'est de vous persuader d'inscrire vos enfants chez eux. » Ying Shu-yu sou­ligne également le problème du man­que d'éducateurs qualifiés, qui touche plus sévèrement le privé que le public.

Recherche éducateurs désespérément

Attirer et conserver des éducateurs de qualité, voilà sans doute l'une des plus grandes difficultés du secteur privé. Stress et bas salaires n'encouragent guère les enseignants à rester. Le manque de prestige social non plus : s'il faut main­tenant un diplôme d'université dans une matière en rapport avec l'éducation pré­scolaire pour enseigner dans un jardin d'enfants, en revanche, dans les crèches et garderies, le personnel d'encadrement n'est en général pas aussi qualifié.

Kao Hsiu-wen, 25 ans, est em­ployée dans un jardin d'enfants dans le district de Taipei. Elle travaille dans le même établissement depuis qu'elle a obtenu son diplôme dans un lycée pro­fessionnel, il y a sept ans. Elle a dé­buté à 655 dollars américains par mois, soit un peu plus que le salaire mensuel minimum. Elle gagne aujourd'hui 1 020 dollars par mois. Ses journées de tra­vail font en général dix heures, entre­coupées par une pause-déjeuner de deux heures, alors que la journée de travail n'est généralement que de huit heures dans les maternelles publiques. « J'ai en­visagé plusieurs fois de démissionner à cause de la lourdeur des horaires, de la tension et de la faiblesse des salaires », dit-elle, « mais le directeur de l'école est très compréhensif. Mon salaire est assez bas, mais je gagne tout de même un tout petit peu plus que les autres maîtresses. Donc je reste ».

Mme Kao est plutôt l'exception qui confirme la règle. L'exemple de Chan Mei-ying est plus proche de la réalité. Comme elle voulait travailler dans le jardin d'enfants où elle avait mis sa fille, elle a suivi une formation spéciali­sée dans la pédagogie enfantine à l'uni­versité de chinoise. « J'espérais que cela me permettrait de mieux m'occu­per de ma fille : c'était une démarche totalement égoïste », admet-elle. Après avoir obtenu les 20 unités de valeur nécessai­res, Mme Chan a trouvé du travail dans une école maternelle privée. Elle a dé­missionné au bout d'une semaine.

« J'ai découvert que pour être maîtresse d'école, il fallait avoir de grandes connaissances et savoir faire des tas de choses », raconte-t-elle. « C'est un travail difficile. La plupart des jardins d'enfants exigent que les maîtresses fassent des heures supplémen­taires, parfois jusqu'à sept ou huit heures, en attendant que les parents viennent cher­cher leurs enfants après le travail. Pour moi, c'est trop. Dans un jardin d'enfants du secteur public, les maîtresses sont libres vers quatre heures de l'après-midi ».

Le manque de personnel d'enca­drement n'est pas la seule préoccupa­tion des jardins d'enfants privés qui, déjà en difficulté, ont pâti des politi­ques de l'éducation destinées à guérir Taiwan de sa carence en jardins d'en­fants. Ces politiques ont toujours été largement favorables aux établissements publics. Les raisons de cette déficience sont donc ancrées loin dans le passé.

En 1962, notant que l'éducation préscolaire n'était pas obligatoire, le gouvernement a annulé le budget des jar­dins d'enfants affiliés aux écoles primaires publiques. Cette année-là, le nom­bre des jardins d'enfants du secteur pu­blic a enregistré une chute sensible, pas­sant de 338 à 277 établissements, une stagnation qui s'est confirmée par la suite. En 1993 cependant, le MOE a lancé le Projet à moyen terme pour le Développement et l'Amélioration de l'éducation préscolaire, un programme qui prévoit d'augmenter la proportion des enfants placés en jardin d'enfants — afin que cette proportion passe de 66% actuellement à plus de 80% d'ici l'an 2000 — et d'ouvrir des structures supplémentaires pour la formation du personnel éducatif au niveau préscolaire. Le programme appelle à la création de davantage de jardins d'enfants au sein des écoles primaires et à la construction de nouveaux établissements, indé­pendants et publics ceux-là, dans les régions les moins bien équipées.

Le programme prévoit une subven­tion de 11 000 dollars américains envi­ron pour toute nouvelle classe et d'en­viron 54 500 dollars pour chaque nou­velle maternelle, quoique le montant de la subvention varie selon qu'elle émane du gouvernement central ou de la col­lectivité locale (certaines collectivités lo­cales se montrent plutôt réticentes, dans la mesure où elles doivent supporter elles-mêmes les charges salariales, puis­que les subventions du gouvernement central ne concernent que les équipe­ments et les bâtiments.) Le programme se poursuit néanmoins et l'accent est mis presque entièrement sur le secteur public.

Les décisions du MOE constituent certainement une menace pour la sur­vie de certains jardins d'enfants privés, en particulier les plus petits d'entre eux, gérés par les familles des enfants, et qui souffrent déjà de l'actuel ralentissement de la croissance écono­mique. Tsai Ah-min, propriétaire et di­rectrice du Jardin d'enfants Sungchiang, est inquiète pour l'avenir. « Aux alen­tours de 1986, lorsque était au plus haut, nous avions plus de deux cents élèves. Aujourd'hui, nous n'en avons plus que quatre-vingts ». Pour tenter de conserver les avantages compétitifs de son établissement, elle a embauché un pro­fesseur spécialisé dans l'éducation préscolaire, et s'est inscrite à un stage de formation Montessori ; elle a même embauché un tuteur de langue anglaise à temps partiel.

Tina Liaw, de NTNU, estime que le programme du MOE se trompe d'ob­jectif. « Je pense que le vrai défi consiste à utiliser de façon judicieuse les ressources existantes pour améliorer la qualité des pres­tations des jardins d'enfants privés », expli­que-t-elle, « car privilégier le secteur public est tout simplement plus coûteux. Les jardinières d'enfants d'un établissement public peuvent espérer un salaire d'embauche de 1 270 dollars américains par mois (plus les points retraite), alors que dans le privé, el­les commenceront à 727 dollars environ, et dans les petites villes, cette somme peut même tomber à 655 dollars par mois. Du point de vue de la qualité de l'encadrement, il n'y a guère de différence, mais pour les frais de scolarité, on ne peut pas en dire autant ! »

Recruter — et retenir — des éducateurs de qualité reste le grand problème du secteur privé. Les heures supplémentaires et le stress sont monnaie courante, et ne sont contrebalancés ni par des salaires élevés, ni par un statut social intéressant.

Une réforme nécessaire

Au début de cette année, un groupe d'universitaires, de directeurs de maternelles et de maîtresses, dont fait partie Mme Liaw, a fondé l'Association de Réforme et de Recherche en Educa­tion préscolaire, qui s'est donné de nombreuses missions. Elle appelle par exem­ple à la création d'une agence gouver­nementale spécialisée, présente à tous les niveaux de gouvernement, et qui serait responsable de l'éducation préscolaire. Autre proposition, l'application de sur les Enseignants, vo­tée en 1995, au personnel des jardins d'enfants, afin de leur assurer une cer­taine sécurité de l'emploi. L'association demande également que, dans le sec­teur privé, les salaires représentent au moins 80% de ceux en vigueur dans le secteur public, et que tant le gouverne­ment central que les collectivités locales allouent un budget supérieur à l'éduca­tion préscolaire. Enfin, elle a proposé une réforme de sur l'Education préscolaire.

Quant au long terme, l'association envisage de diriger ses efforts vers la recherche. « Jusqu'à maintenant, à Taiwan, il n'y a pas véritablement eu d'études sur les conséquences de l'apprentissage de l'an­glais et de l'utilisation de l'ordinateur sur les enfants placés en maternelle », explique Mme Liaw. « Nous avons l'intention de réaliser ce genre d'études, mais pour l'instant, nous sommes à court de financement ». (L'as­sociation tire ses ressources des sous­criptions et des donations de ses mem­bres.) Elle est consciente du fait que le ministère de l'Education hésite à s'asso­cier avec une organisation non gouver­nementale dont l'appellation comporte le mot de « réforme ». « Et pourtant, l'édu­cation préscolaire est d'une importance vitale », continue-t-elle. « Entre le moment de leur naissance et celui où ils atteignent six ans, les enfants se forgent des habitudes qui détermineront leur méthode d'apprentis­sage par la suite ».

Etant donné l'importance capitale de cette période d'éveil, il est surpre­nant que les jardins d'enfants soient li­bres de concevoir leurs programmes d'activités comme bon leur semble et de choisir parmi la grande variété de méthodes d'enseignement disponibles : Montessori, Froebel, Piaget, « coins d'ac­tivités », enseignement par équipe et bien d'autres encore. Le MOE a effective­ment préparé, en 1987, des directives générales fixant les objectifs de l'éducation préscolaire — hygiène et santé, jeux, musique, travail, apprentissage du lan­gage et des nombres, et éveil aux ques­tions d'environnement et de société — mais il ne s'agit là que de l'ossature, et les établissements prennent parfois la liberté d'adopter des méthodes pédagogiques « expérimentales ».

C'est par exemple le cas du jardin d'enfants dont Tina Liaw est directrice. On y met le moins possible l'accent sur l'éducation dans son acception tra­ditionnelle. « La chose la plus importante, ce n'est pas la somme des connaissances acquises au jardin d'enfants, mais la maî­trise, par les enfants, de la confiance en soi, de l'établissement de rapports de confiance avec les autres et de l'acquisition des com­pétences nécessaires dans la vie quotidienne », affirme Mme Liaw. « Il y a trois ans envi­ron, lorsque je suis arrivée ici, nous avons commencé à introduire le concept de « péda­gogie libre », qui s'intéresse à l'enfant pour lui-même, d'un point de vue plus humaniste. Les éducateurs sont des observateurs, ils assistent les enfants plutôt que d'enseigner. Ils incitent les enfants à penser par eux­-mêmes et à résoudre des problèmes ».

L'ascension des sommets est difficile, dans une société qui met les examens au-dessus de tout. Inscrire ses enfants dans un jardin d'enfants affilié à une des meilleures écoles primaires permet de contourner certains obstacles.

Vous avez dit pédagogie?

Il est peut-être inévitable, dans ces conditions, que les programmes éduca­tifs soient soumis aux lois du marché, et que les parents soient parfois les véritables décideurs dans ce domaine. Cela est particulièrement vrai dans le cas de l'apprentissage du langage. Dès les an­nées 20, le gouvernement introduisait un système de symboles phonétiques, connu sous l'appellation bo po mo fo, afin d'aider les enfants à prononcer le chinois. Les symboles fonctionnent éga­lement comme système d'écriture alter­natif avant que les enfants n'appren­nent à écrire les caractères. Les parents souhaitent en général que leurs enfants apprennent le bo po mo fo dès leur plus jeune âge. Les écoliers lui consacrent les dix premières semaines de classe à leur entrée à l'école primaire, et la pra­tique de l'écriture n'arrive qu'ensuite. Pourtant, les parents exigent souvent que leurs enfants apprennent les symboles phonétiques et l'écriture dès le jardin d'enfants ou la maternelle.

Le directeur de l'école Wego, Chen Ching-kuei, ne cache pas son opposi­tion à cette tendance. « Il n'existe pas de tronc commun pour l'éducation préscolaire », note-t-il. « Sinon, nous ne serions pas obli­gés d'apprendre à écrire aux enfants avant qu'ils soient prêts pour cela ».

Tina Liaw s'insurge également con­tre les parents qui veulent s'immiscer dans l'élaboration des programmes. « Cela prouve qu'ils ne respectent pas vraiment cette profession », dit-elle. « Vous ne diriez pas à un docteur quels médicaments il doit prescrire, parce que vous avez un certain respect pour la profession qu'il re­présente. Les maîtresses devraient bénéfi­cier de ce respect professionnel en ce qui concerne le programme pédagogique. »

L'influence des parents se fait par­ticulièrement sentir dans les activité annexes, auxquelles les enfants partici­pent en général soit pendant la pause de midi, soit le soir après la classe. Les activités proposées par les jardins d'en­fants et maternelles sont souvent va­riées, et vont du piano à l'initiation à l'informatique, en passant par le dessin, le calcul mental, l'utilisation du boulier, la poterie et, bien sûr, l'anglais. Dans le secteur privé, le choix est encore plus vaste : il faut bien se distinguer des autres. Chaque activité supplémentaire coûte environ 35 dollars américains par mois.

D'aucuns dénoncent ces activités comme une pression supplémentaire pour les enfants. Pourtant, les partisans du système sont nombreux. Exemple, Tsai Ah-min, du Jardin d'enfants de Sungchiang, qui a plus de quarante ans d'expérience derrière elle : « J'essaie d'ex­poser mes élèves à toutes sortes d'expérien­ces », dit-elle. « C'est un peu comme de don­ner des graines aux enfants. Si l'environne­ment s'y prête, ces graines finiront par ger­mer ».

Les réforma­teurs veulent voir la création d'un département de l'éducation préscolaire au sein du ministère de l'Education, ainsi que l'augmenta­tion des salaires de base et l'amélioration du statut des éducateurs.

Vu la diversité des opinions expri­mées de toutes parts, l'on comprend les difficultés du MOE. Le point de vue du ministère ne coïncide pas nécessairement avec celui des parents d'élèves ou des directeurs d'établissements. Lan Shun-teh, le directeur du département de l'Education élémentaire au ministère de l'Education, identifie ainsi le plus grand problème des an­nées préscolaires : « Un abîme sépare les conceptions de la société de celles des pédagogues pour l'identification d'un bon jardin d'enfants », dit-il. « Les parents attendent de celui-ci qu'il enseigne à leurs enfants la pratique du chinois, à l'écrit comme à l'oral. Ils s'imaginent que si leurs enfants n'apprennent pas à écrire, ils ne seront pas capables de suivre le rythme à l'école pri­maire. Les théoriciens en éducation préscolaire s'accordent pour dire qu'entre trois et cinq ans, les muscles ne sont pas complètement développés, et que donc les enfants ne de­vraient pas encore apprendre à écrire. Pour­tant, 80% des jardins d'enfants enseignent l'écriture ».

Comment expliquer cette contradic­tion? M. Lan donne une analyse succincte mais d'une grande clarté de ce qui est perçu comme la faiblesse fondamentale, non seulement du système préscolaire, mais de l'appareil éducatif taiwanais dans son entier : le rôle central joué par des examens qui ne sont guère plus que des tests de mémorisation. « Notre société place trop l'accent sur l'acquisition des connaissances », déplore-t-il. « A partir de l'école primaire, les gens pensent que de passer à l'échelon supérieur est le plus im­portant. Dans cette optique, le candidat doit réussir des examens portant sur ses connaissances. Mais ces connaissances ne sont rien de plus que de la mémoire fragmentée ».

(v.f. Laurence Marcout)

Photos de Chang Su-ching

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