Chen Min-jeng
Les musulmans de Taipei dans les gestes rituels de la prière quotidienne.
L'histoire de l'islam à Taiwan peut se diviser en deux périodes. La première remonte au XVIe siècle, vers la fin de la dynastie Ming (1368-1644) et le début de la dynastie Tsing (1644-1911). A cette époque, un des combattants fidèles de la dynastie nationale Ming, Tcheng Tcheng-kong (ou Koxinga), leva l'étendard de la révolte contre la domination mandchoue et le recouvrement du continent.
En vue d'organiser ce recouvrement sur une plus ample échelle et à plus long terme, Koxinga choisit l'île de Taiwan comme base militaire et navigua vers l'île avec ses troupes en 1661. Après cette périlleuse expédition et plusieurs batailles pour reprendre Taiwan occupée par les Hollandais, Koxinga remporta finalement une éclatante victoire en s'emparant de toute l'île où il put entretenir vivant le rêve de reconquérir le continent et de restaurer la dynastie nationale.
Sous les Ming, l'islam chinois fut probablement à son apogée. De nombreux soldats qui avaient suivi Koxinga à Taiwan et continuaient la lutte contre la domination mandchoue étaient musulmans. Et après avoir emmené avec eux leur famille, ces derniers s'établirent à Loukang, Tamsouï et ailleurs. Et avant longtemps, ils bâtirent leurs mosquées à Taiwan sur le style de la grande mosquée de Tsiuantcheou [Chinchew], dans la province du Foukien. Il existe toujours des vestiges de ces premiers édifices.
Le nombre de musulmans à Taiwan grandit rapidement avec les générations comme les fidèles se répandaient un peu partout le long de la côte ouest de l'île. La famille Kouo, de Loukang (dans le hsien de Tchang-houa [Changhua]) est probablement le plus grand clan musulman qui, selon son arbre généalogique, descendrait de Kouo Tsou-yi, un grand homme de guerre de la dynastie de Tang (618-907). L'Association des musulmans de Chine (CMA) a dernièrement envoyé une délégation auprès d'elle dont quelques membres sont toujours de confession musulmane et d'autres expriment un intérêt croissant pour l'islam.
Mais pendant les cinquante années d'occupation japonaise, les contacts des musulmans de Taiwan avec leurs confrères du continent ont été complètement coupés. Les imams disparurent, et par voie de conséquence, les rites, l'enseignement et la foi islamiques se sont quelque peu dilués. Toutefois, les grands traits de la vie sociale mahométane se sont maintenus, comme la réunion de la prière hebdomadaire du vendredi (djoumaa), le jeûne pendant le ramadhan (saoum), la prière quotidienne (salat), l'interdiction d'élever des porcs et d'en consommer la viande, ainsi que tous les aliments qui sont dédiés ou offerts à une divinité, l'absence du culte des ancêtres et de l'iconographie, et le refus d'incinérer les morts.
La deuxième période de l'histoire musulmane de Taiwan commence en 1949 avec le transfert du gouvernement de de Chine à Taipei. Environ 20 000 musulmans, fonctionnaires, soldats et travailleurs, ont suivi le gouvernement à Taiwan. Malgré leurs occupations diverses, leur faible nombre et leur éparpillement dans l'île, ils conservèrent scrupuleusement leur foi solide et leur mode de vie en l'islam et maintinrent leurs traditions coraniques.
Selon de récentes estimations, la population mahométane de l'île regroupe un peu plus de 50 000 fidèles, étant donnée la croissante naturelle de la région au cours de ces trente dernières années. Les mariages interreligieux ont certainement contribué à cette croissance.
Les organisations
A présent, il existe quatre grande organisations musulmanes à Taiwan.
— L'Association des musulmans de Chine (CMA). Avec 50 ans d'histoire et en tant que représentant de tous les musulmans de Chine, elle est assurément la plus importante institution musulmane de l'île. Elle fut fondée à Hankeou en 1938 par le général Omar Pei, une personnalité musulmane proéminente de l'époque. Pendant de résistance contre le Japon, c'est le généralissime Tchang Kaï-chek lui-même qui autorisa l'établissement de cette association.
Le dessein essentiel de cette association fut de réunifier tous les musulmans chinois, notamment ceux des régions du nord-ouest et du sud-ouest de , et de soutenir le gouvernement central dans la lutte contre le Japon. Elle servit aussi d'intermédiaire entre et les autres pays musulmans et obtint le ferme soutien et une meilleure compréhension du monde islamique à l'égard de de Chine.
Pour sa première tâche, elle s'est efforcée d'améliorer la coordination et l'unification de tous les musulmans de Chine. Puis, elle entreprit d'envoyer des missions de bonne volonté des musulmans chinois dans le Moyen-Orient, lesquelles visitèrent l'Egypte, l'Arabie saoudite, , l'Iran et d'autres pays. Ces pays ont non seulement encouragé les musulmans de Chine dans la lutte totale contre le Japon, mais ils ont aussi établi des relations étroites, amicales entre l'islam chinois et le monde islamique.
Après le transfert du gouvernement de de Chine à Taiwan, les activités religieuses de l'Association des musulmans de Chine se sont quelque peu ralenties du fait d'une certaine pénurie de personnel et de la situation économique difficile. A cette époque, le soutien du gouvernement fut cependant nécessaire à la reprise d'une nouvelle vie à la religion. Et en 1958, les activités religieuses de l'islam chinois ont vraiment redémarré à plus vive allure.
Le hadji Dawood F.S. Hsu qui est député à l'Assemblée nationale de de Chine devint le quatrième président de l'Association en 1977.
— de la jeunesse musulmane de Chine (CMYL). La seconde organisation musulmane de l'île a été créée à Canton en 1949. Son principal objectif est d'unifier les jeunes musulmans enthousiastes en développant les activités religieuses et culturelles islamiques, en enseignant les valeurs de l'islam et en maintenant les contacts avec les organisations similaires dans le monde musulman.
Son président est actuellement le hadji Ishaq Shiao, aussi député à l'Assemblée nationale.
— pour la culture et l'éducation islamiques de de Chine (IECF). Elle fut fondée en 1976 par deux grands notables, les hadjis Abdur Rahman et Yusuf Chang. Les deux frères fondateurs ont alors fait un don de 3 millions de yuans taiwanais (environ 100 000 dollars américains) à l'institution qui en a aussi reçu de nombreux autres donateurs. Son but essentiel est de fournir des bourses d'études aux jeunes universitaires musulmans pour les aider à poursuivre des études et les encourager à servir l'islam après leurs diplômes.
Comme le président actuel, le hadji Yusuf Chang, a plus de 90 ans, c'est le hadji Omar Shih, une autre personnalité proéminente du monde musulman chinois et président de (Taiwan Television Enterprise), une des trois chaînes de télévision de Taiwan, vient d'être élu président exécutif ad interim de la fondation.
— L'Institut culturel islamique. Il fut officiellement inauguré en janvier 1987 par M. Mahmud Faltal Marwan, un homme d'affaires syrien naturalisé chinois, qui en est le directeur. Cet établissement se veut principalement prêcher l'islam hors des mosquées. Il enseigne l'arabe et la religion et organise régulièrement des conférences de personnalités étrangères sur divers sujets intéressant l'islam. Parmi ces activités, musulmans et non-musulmans participent en commun à l'effort de faire connaître l'essence de l'islam pour en éliminer la méconnaissance et les préjugés à son égard. Par ailleurs, l'institut organise diverses activités pour les jeunes.
Les deux dernières organisations ci-dessus mentionnées sont sous la tutelle de l'Association des musulmans de Chine qui en est l'organe directeur.
Les mosquées
Il y a dans l'île de Taiwan cinq mosquées, deux à Taipei, une Taïtchong [Taichung], une à Kaochiong [Kaohsiung] et une à Loukang. La grande mosquée (djamia) de Taipei est en outre le siège de l'Association des musulmans de Chine et de pour la culture et l'éducation islamiques de de Chine; l'autre mosquée est le siège de de musulmane de Chine.
Les mosquées de Taiwan sont le centre des activités spirituelles et sociales musulmanes en même temps que lieux de culte, de prière et de réunion. La grande mosquée de Taipei, assez imposante, est le premier édifice religieux musulman jamais construit en Chine dans le style arabo-persan. Les travaux ont commencé en 1958 et se sont achevés deux ans plus tard. Le jour de sa dédicace, le 11 avril 1960 (14 chaoual 1379), le vice-président de Cheng y prononça un discours important devant un parterre de hautes personnalités musulmanes invitées à cet événement. Parmi celles-ci, on notera la présence de chefs d'Etat et de gouvernement, Fayçal ibn Abdul Aziz, roi d'Arabie saoudite, Mohammed Réza Pahlavi, chah d'Iran, Hussein Ier, roi de Jordanie, Hamani Diori, président de du Niger, Adnan Menderes, premier ministre de Turquie, et le prince Abdullah, ancien régent d'Irak. Ces visites furent non seulement bénéfiques pour les musulmans chinois, mais elles ont aussi renforcé l'amitié traditionnelle entre les Chinois et les pays islamiques.
Dernièrement, un plan en trois points a été adopté par les musulmans de Taiwan et comprend la construction d'un centre culturel islamique de Taipei, la bibliothèque du Roi-Fayçal et les mosquées des villes de Taïtchong et Kaochiong. Les travaux de la mosquée de Taïtchong ont anticipé la mise en route de ce plan.
Les tendances
Dans le monde musulman, on distingue deux grands groupements historiques, les sunnites (ou orthodoxes) qui observent la tradition (sunna) et les chiites qui se fondent sur une interprétation historique différente. 80% de la population mahométane du monde est sunnite, 10% sont chiites, et le reste se répartit en plusieurs petites sectes aux origines plus politiques que religieuses. Il n'existe cependant pas de différence fondamentale métaphysique dans la foi islamique.
Parmi les quatre écoles juridico-théologiques des sunnites, c'est l'école hanéfite qui domine continentale, Taiwan, l'Asie centrale, l'Afghanistan, et l'Irak. L'école chaféite regroupe le Sud-Est asiatique, notamment et l'Indonésie; l'école malékite comprend l'Afrique du Nord-Est et l'école hanbalite le Maroc, l'Algérie et l'Arabie saoudite.
Les chiites se répartissent en Iran, en Irak (Kurdes), dans les Etats du golfe Persique, au Nord-Yémen, en Afrique centrale et australe sous leur propre école djafarite. On compte pourtant deux sectes dissidentes qui sont les duodécimains (ou imamites) qui reconnaissent douze (Ithna'achariya) imams et les septimaniens (ou ismaélites) qui n'en reconnaissent que sept. Ces derniers se retrouvent principalement en Inde, au Pakistan et en Afrique du Sud.
Il existe par ailleurs la secte ascétique des soufites dont les communautés se trouvent notamment en Egypte, Turquie, Syrie et en Asie centrale soviétique et chinoise. Dans le nord-ouest de , il y a la secte des djehrites ou « trembleurs de la tête ».
Les musulmans de Taiwan sont tous sunnites de l'école hanéfite.
Avec l’autorisation du hadji Dawood C.M. Ting
Le roi d'Arabie saoudite, S.M. Fahd ibn Abdul Aziz, recevant la délégation du hadj (pèlerinage à la Mecque) en 1985.
Les activités culturelles
Il y a deux grandes publications éditées par les musulmans chinois. L'islam en Chine est un périodique trimestriel, financé par les musulmans chinois et étrangers. L'autre, Culture islamique, est publiée par de musulmane de Chine. En plus, de ces efforts, il y a un Comité de recherche sur la religion sous la tutelle de l'Association des musulmans de Chine qui est responsable de la bibliographie d'ouvrages religieux et de la compilation d'opinions doctrinales à fin de référence. Ces matériaux comprennent principalement des traductions en chinois d'ouvrages arabes. Tous sont imprimés et distribués gratis en vue de promouvoir la connaissance chez les musulmans. Le comité publie aussi d'autres revues et articles de valeur qui sont le fruit d'une étroite collaboration d'érudits musulmans.
La vie religieuse traditionnelle
La religion islamique traite aussi de la vie personnelle des fidèles d'une manière très différente afin d'assurer une pureté spirituelle et une propreté de la personne. Des pratiques particulières se sont développées pour entretenir ce mode de vie, comme les commandements sur la consommation des aliments et des breuvages, le mariage et les funérailles, qui tous sont strictement réglés dans la vie religieuse islamique.
En plus des grands principes généraux, il y a certains aliments et breuvages interdits par la volonté d'Allah, comme le sang et la chair de la truie, du serpent, de la volaille et de tout autre animal abattu en offrande à tout autre qu'Allah. Les raisons qui sont derrière ces édits sont nombreuses, notamment d'ordre intellectuel, moral, physique et spirituel, ainsi qu'hygiénique.
Pour maintenir des habitudes saines et bonnes, les musulmans ne peuvent consommer que des choses qui sont pures en elles-mêmes ou tuées selon les prescriptions islamiques. Tout ce qui est impur, mauvais ou nuisible est illégal et ne peut être consommé sous aucun prétexte. En conséquence, les musulmans de Chine sont très exigeants dans leurs habitudes de se nourrir ou de boire tant à la maison qu'à l'extérieur. Ils auront leurs bouchers et leurs restaurants préparant tous les aliments qu'ils peuvent consommer. C'est un phénomène que l'on peut constater aussi bien sur le continent chinois qu'à Taiwan.
Selon les lois de l'Islam, les futurs époux doivent être de même confession avant la cérémonie nuptiale. Sans être nullement une forme de discrimination, mais plutôt un engagement à la pureté, la netteté et la foi, cela permet de maintenir l'harmonie familiale. Dans le passé, comme les musulmans chinois étaient nombreux, le mariage entre coreligionnaires ne posait pas de problème, il était relativement aisé de trouver un partenaire de même foi. Mais depuis 1949 à Taiwan, les musulmans font face à une situation quelque peu différente où il est plus difficile de réaliser une bonne union dans la même foi. Aussi, lorsqu'une partie n'est pas de foi islamique, les ahong* (ou mollahs) admettent la conversion du conjoint dans la foi musulmane un ou deux jours avant les noces de sorte que les deux puissent se marier dans la même foi. Heureusement, la plupart des musulmans de Taiwan ont pu respecter leurs engagements et garder pures leurs croyances et pratiques religieuses.
Les Chinois font des funérailles un événement d'une grande importance puisqu'ils les lient au bonheur éternel du défunt. Pour les non-musulmans, les rites funèbres exigent beaucoup d'attentions, mais depuis que l'islam a été introduit en Chine, beaucoup de rites superstitieux ou sans fondement ont été abandonnés ou simplifiés afin de satisfaire aux principes de frugalité et de netteté.
Aux funérailles mahométanes, les soins sont donnés au corps du défunt avant la mise en bière qui, une fois fermée, est recouverte d'un linceul. Le cercueil est alors disposé dans une salle, puis transporté au cimetière. Là, selon la loi coranique, le corps est retiré du cercueil et placé dans un tombeau et enterré. Pendant toutes les funérailles, il n'y a ni orchestre ni musique ni décorations funéraires. L'Islam ne recommande pas l'incinération, mais autorise la submersion en mer. Aujourd'hui, il existe plusieurs cimetières musulmans à Taiwan.
Les relations avec le monde islamique
Les échanges des musulmans de Taiwan avec toutes les parties du monde islamique ne sont certes pas fréquentes, mais ils ont d'étroites et cordiales relations avec mondiale des musulmans (Rabita ul-'Alam ul-Islamiya) dont le siège se trouve en Arabie saoudite et avec l'Association islamique de la région du Sud-Est asiatique et du Pacifique (RISEAP) dont le siège est en Malaisie.
Cette dernière institution fut fondée en 1980 par le hadji tungu Abdur Rahman Putra, alors Premier ministre de Malaysia et père de la patrie malaysienne. Les relations continues entre les deux institutions chinoise et malaysienne ont davantage rapproché les musulmans des deux régions asiatiques du nord-est et du sud-est.
En dépit de leur petit nombre au sein de la population totale, les musulmans de Taiwan sont une force spirituelle et sociale vivante dans l'île et une minorité religieuse importante dans une société qui se veut pluraliste dans le domaine de la religion.
D'après le hadji Dawood C.M. Ting,
Imam de de Taipei et directeur du Département de langue arabe à l'Université nationale Chengchi (Taipei).
* Ahong, mot chinois tiré du persan âkhûnd (enseignant) qui traduit l'arabe mollah, enseignant, théologien. C’est l'autorité religieuse en la matière.