Pour avoir une compréhension complète des fondements de la souveraineté de la République de Chine sur Taiwan, il est nécessaire de remonter au mois de novembre 1943, date à laquelle le président du gouvernement national de la République de Chine, Chiang Kai-shek [蔣介石] (1887-1975), le Premier ministre britannique Winston Churchill (1874-1965) et le président américain Franklin Roosevelt (1882-1945) se rencontrèrent au Caire, en Egypte, pour discuter des progrès militaires des forces alliées contre le Japon et de l’ordre régional dans l’Asie de l’après-guerre. Le 1er décembre de cette même année, les trois alliés publièrent la Déclaration du Caire qui précisait notamment que Taiwan et l’archipel de Penghu faisaient partie des territoires sous occupation japonaise à restituer à la République de Chine. Cette année 2013 sera fêté le 70e anniversaire de cette déclaration, un document extrêmement important qui établit le fait de la souveraineté de la République de Chine sur Taiwan.
L’historien Chang Li [張力] est chercheur à l’Institut d’histoire moderne de l’Academia Sinica, le prestigieux institut de recherche de l’île. Il a contribué à l’écriture d’une Histoire de la République de Chine en douze volumes, publiée en 2011 par l’Université nationale Chengchi, à Taipei. Chang Li souligne que la rencontre du Caire a eu lieu à un moment où les alliés commençaient à engranger un certain nombre de succès sur les théâtres d’opération face à l’Allemagne et au Japon, ce qui leur permettait d’envisager de discuter de l’ordre mondial d’après-guerre. Les Etats-Unis, dit Chang Li, qui ont aidé la République de Chine sur le plan militaire durant toute la durée du conflit, avaient dans cette démarche l’objectif de « renforcer le moral des soldats et des citoyens chinois ».
« La rencontre des trois chefs d’Etat et de gouvernement a représenté un évènement sans précédent dans l’histoire de notre République », souligne l’historien qui cite parmi les principaux sujets abordés par Chiang Kai-shek celui des questions de souveraineté en Asie de l’Est.
Après la rencontre au Caire, la déclaration a été publiée pour articuler les objectifs des Alliés dans la conduite de la guerre, l’exigence que le Japon rende les territoires occupés, ou encore la nécessité d’une Corée libre. « Dans cette perspective, les alliés ont pris l’engagement de continuer le combat jusqu’à l’obtention d’une reddition sans condition du Japon », explique Chang Li.
Une copie de la Déclaration du Caire photographiée lors de l’exposition à la Résidence des hôtes étrangers, à Taipei. (HUANG CHUNG-HSIN / TAIWAN REVIEW)
La rencontre et les termes de la Déclaration du Caire ont représenté une victoire diplomatique d’importance pour la République de Chine, insiste l’historien qui se réfère à la liste, incluse dans le document, des territoires dont la souveraineté serait rendue à la République de Chine. Au lieu d’utiliser la terminologie vague que certains avaient appelée de leurs vœux à l’époque, la déclaration spécifie sans équivoque que « Formose et les Pescadores [Penghu] seront rendues à la République de Chine ».
La Déclaration du Caire a ensuite été reconfirmée dans la Proclamation définissant les termes de la capitulation japonaise, plus connue sous le nom de Déclaration de Potsdam, et qui fut conjointement publiée par les puissances alliées le 26 juillet 1945. Le 2 septembre de cette année, le Japon a accepté les termes la Déclaration de Potsdam en signant les actes de la capitulation à bord du cuirassé de la marine américaine, l’USS Missouri, qui mouillait dans la baie de Tokyo au Japon. « Le contrôle exercé par la République de Chine sur l’île de Taiwan après la capitulation du Japon n’a pas seulement été le résultat d’un accord entre les alliés victorieux, mais surtout un acte de souveraineté visant à recouvrer son territoire », dit Chang Li. Il souligne que l’idée de récupération du territoire réside dans une déclaration antérieure de souveraineté formulée le 9 décembre 1941, lorsque la République de Chine a déclaré la guerre au Japon et abrogé le Traité de Shimonoseki par lequel la dynastie des Qing (1644-1911) cédait au Japon Taiwan, Penghu et les îles adjacentes en 1895, au terme de la première guerre sino-japonaise. En conséquence, les îles Diaoyutai ont également été rendues à la République de Chine.
Le 25 octobre 1945, le commandement japonais à Taiwan a présenté les actes de capitulation au gouvernement de la République de Chine, qui a par conséquent vu sa souveraineté restaurée sur ces territoires.
Malgré cela, certains estiment que la Déclaration du Caire n’était rien d’autre qu’un vague communiqué de presse sans signature et qu’il n’y a donc pas eu de transfert de souveraineté. Lors d’un évènement qui a eu lieu à la Résidence des hôtes étrangers à Taipei, au mois d’août 2012, pour commémorer le 60e anniversaire du Traité de paix entre la République de Chine et le Japon de 1952, le chef de l’Etat, Ma Ying-jeou [馬英九], a toutefois souligné que la reconnaissance de la Déclaration du Caire était l’une des conditions de la Déclaration de Potsdam qui fonde les bases légales de l’acte de capitulation du Japon. La valeur officielle de la Déclaration du Caire et de celle de Potsdam peut se lire dans l’inclusion des deux documents dans Treaties and Other International Agreements of the United States of America 1776-1949 publié par le Département d’Etat américain, souligne Ma Ying-jeou.
Chang Li souligne par ailleurs que la Déclaration du Caire offre également une base pour régler la question de la souveraineté sur la péninsule coréenne puisque le document insiste sur la nécessité d’une « Corée libre et indépendante ». « La Corée du Sud attache une très grande importance à la formulation de ce document, et lorsqu’on évoque la question de la souveraineté coréenne, sa validité n’est jamais remise en cause », note l’historien.
Le ministre des Affaires étrangères de la République de Chine, George Yeh [葉公超], assis à gauche, et l’ambassadeur plénipotentiaire du Japon, Isao Kawada, à droite, lors de la signature du Traité de Paix avec le Japon, à la Résidence des hôtes étrangers, le 28 avril 1952. (AIMABLEMENT FOURNIE PAR L’ACADEMIA SINICA)
Les débats autour de la question de la souveraineté de la République de Chine sur l’île de Taiwan portent aussi sur les termes du traité de paix signé en septembre 1951 par le Japon avec les puissances alliées, qui est plus connu sous le terme de Traité de San Francisco (il entra formellement en application le 28 avril 1952). Ceux qui affirment que le statut de Taiwan n’est pas clair soulignent aussi que si le Japon a renoncé à la souveraineté sur Taiwan, le traité ne précise pas au profit de quel Etat il renonçait à cette souveraineté.
Dans le discours qu’il a prononcé à la Résidence des hôtes étrangers pour l’anniversaire de la Déclaration du Caire, le chef de l’Etat a réfuté cet argument en expliquant qu’aucun représentant chinois, ni nationaliste, ni communiste, ne fut invité à la signature du Traité de San Francisco, ce qui donna aux pays alliés, dont la République de Chine, la capacité légale de signer avec le Japon des traités séparés à propos des dispositions relatives aux territoires occupés. En d’autres mots, la situation au sein de la communauté internationale à la fin de la Seconde Guerre mondiale était suffisamment complexe pour nécessiter l’établissement d’un consensus multilatéral (le Traité de San Francisco) avant que ne puissent être signés d’autres accords bilatéraux. De ce point de vue, le Traité de paix entre la République de Chine et le Japon doit être compris comme une « extension du Traité de paix de San Francisco », a dit Ma Ying-jeou.
Une date importante
Lorsque le Japon a rétrocédé Taiwan au gouvernement de la République de Chine en 1945, la nationalité chinoise a été rendue aux habitants de Taiwan, a poursuivi le président de la République. La signature en 1952 du Traité de paix entre la République de Chine et le Japon a représenté une étape particulièrement importante dans le retour de Taiwan à la souveraineté de la République de Chine parce qu’elle a effectivement reconfirmé ce transfert de souveraineté, a encore insisté le président de la République.
Chang Li estime que les controverses qui entourent la question du statut de Taiwan n’avaient pas été imaginées au moment de la Déclaration du Caire et qu’elles sont le fruit d’un changement ultérieur de l’environnement politique, sur l’île comme à l’étranger. Par exemple, à la faveur de la démocratisation de l’île, certains chercheurs ont estimé que le peuple taiwanais jouissait d’un droit naturel à la souveraineté, en tant qu’Etat autogouverné.
Finalement, le fait que les Taiwanais célèbrent la Déclaration du Caire leur donne l’opportunité d’en apprendre un peu plus sur leur histoire. Et comme l’a noté le président de la République lors du 60e anniversaire du Traité de paix entre la République de Chine et le Japon, développer une compréhension de ces évènements historiques permet de mieux comprendre la force du lien qui unit Taiwan à la République de Chine, ce qui renforce la conscience et le sentiment d’appartenance des Taiwanais à leur terre.