>> Taiwan hollandaise ? Une exposition au Musée national du Palais fait revivre quelques pages oubliées de l’histoire de l’île, lorsque colons et soldats hollandais débarquèrent ici
En 1544, passant au nord de Taiwan, des marins portugais en route pour le Japon aperçoivent une île qu’ils nomment « Ilha Formosa » (île de beauté). Ceux qui lui donnent ce premier nom n’y mettront pourtant jamais les pieds.
C’est en 1624, avec l’assentiment de la dynastie Ming, alors la plus grande puissance de l’Asie orientale, que les Hollandais - qui ont déjà fait de l’Indonésie un protectorat - quittent les Pescadores, des îles situées au milieu du détroit de Taiwan, et débarquent ici. Peuplée de tribus aborigènes, l’île ne fait encore partie d’aucun empire.
Ce mouvement trahit les préoccupations néerlandaises du moment. La Compagnie hollandaise des Indes orientales, établie en 1602, est en plein essor à partir de son centre colonial de Batavia, à Java. Ce dynamisme exige l’installation de nouveaux comptoirs pour les besoins du commerce avec la Chine et le Japon. En outre, les Hollandais ressentent comme une menace pour leurs propres visées commerciales la présence de plus en plus marquée des Espagnols et des Portugais qui ont déjà pris possession des Philippines et de Macao respectivement, à tel point qu’ils s’allient avec les pirates des mers de la région pour attaquer les gallions espagnols.
A ses débuts, la colonie hollandaise de Taiwan, dirigée par Martinus Sonck, compte environ 400 hommes - soldats, fonctionnaires, missionnaires, médecins, enseignants, experts en techniques d’irrigation, agriculteurs, arpenteurs-, ainsi que quelques femmes. Ceux-ci prennent pied prudemment au sud de l’île, le nord étant très fréquenté par les Japonais et les Espagnols.
Très vite, le gouverneur achète à la population indigène les terres environnantes pour 15 rouleaux de cotonnade et fonde un comptoir, Provintia - aujourd’hui Tainan -, protégé par des fortifications (le fort Zeelandia). Pour asseoir leur pouvoir et revendiquer leur souveraineté, les Hollandais établissent un poste de douane près de Provintia, tandis qu’une flottille patrouille le long des côtes pour traquer les « contrebandiers » et percevoir des taxes sur les marchandises découvertes. « Les mesures ainsi imposées étaient respectées en général, dit Chen Chi-nan [陳其南], l’un des commissaires de l’exposition, et le fruit des contrôles douaniers est devenu l’une des principales sources de revenus de l’administration coloniale. » Cette douane étant reconnue par les pays voisins, Taiwan se voit donc attribuer sa première étiquette de souveraineté.
« Taiwan, à l’époque hollandaise, est déjà un centre commercial très animé de l’Asie-Pacifique », constate Chen Chi-nan. Le Japon, qui est en guerre féodale, vient y chercher des peaux de daim qui entrent dans la confection des armures de samouraïs. Quant aux héritiers de la vacillante dynastie Ming, confinés à la province du Fujian sous la pression des Mandchous qui ont conquis Pékin, ils importent de Taiwan du soufre avec lequel ils fabriquent des explosifs pour repousser les armées Qing.
Le commerce avec les étrangers ayant été interdit sur le continent, les contrebandiers apportent à Taiwan leurs marchandises, notamment la soie, pour les vendre aux commerçants espagnols et hollandais sur place. Ces derniers achètent ou obtiennent par le troc des lingots d’argent qui viennent du Japon.
« A cette époque, Taiwan était déjà une zone franche », dit Chen Chi-nan. La sapèque chinoise, le yen japonais, le florin néerlandais, le real espagnol et l’escudo portugais passaient de mains en mains sur les marchés formosans.
L’organisation politique de la colonie hollandaise prend en compte la présence aborigène. En dehors de la ville de Provintia, les Hollandais ont divisé le territoire qu’ils contrôlent dans le sud de l’île en trois landdagh, chacun disposant de sa propre administration dirigée par un Hollandais.
Sous l’égide des missionnaires qui se sentent investis d’une mission de propagation de la foi et de la civilisation dans l’esprit de la Renaissance, un mouvement d’alphabétisation est lancé. Les prédicateurs hollandais élaborent un système d’écriture , en alphabet latin, pour retranscrire la langue des Siraiya habitant la région.
Vingt ans après la mise en place de cette initiative, « les cent dix écoliers du landdagh de Sinkang peuvent lire la Bible en siraiya ». C’est donc un dixième de la population de la circonscription qui a appris à lire. Fait extraordinaire, l’écriture siraiya a longtemps survécu à l’occupation hollandaise - qui s’est achevée en 1661. Parmi les objets exposés au Musée national du Palais, on remarque un contrat concernant la vente d’un lopin de terre rédigé en siraiya datant de 1818, soit cent cinquante ans après le départ des Hollandais !
Conforté par le succès de cette première campagne d’alphabétisation, en 1648, l’administration coloniale met en place un système scolaire, les écoliers aborigènes aux pieds nus ayant les mêmes horaires et suivant, en néerlandais, les mêmes cours que leurs petits camarades d’Amsterdam.
Le succès commercial de la colonie n’assure cependant pas la paix sociale, et le pouvoir colonial doit faire face à des soulèvements populaires. En 1652 par exemple, devant le poids abusif des impôts qui pèsent sur eux, 5 000 immigrants chinois démunis se rebellent. La répression est terrible : plus de 3 000 d’entre eux tombent sous les coups de mousquets hollandais ou les lames des aborigènes. Le pouvoir colonial est provisoirement épargné, mais l’animosité de la population chinoise envers l’occupant hollandais subsistera.
En 1661, Zheng Chenggong [鄭成功] - Koxinga -, général resté fidèle à la dynastie Ming, est chassé par les Mandchous, nouveaux maîtres de la Chine. Cherchant une base militaire d’où lancer la reconquête de l’empire, il attaque Taiwan à la tête d’une flotte de 400 vaisseaux de guerre, afin de la « reprendre » aux étrangers.
Durant 9 mois, le général chinois fait le blocus de l’île. Les Hollandais, dont les effectifs sont inférieurs à un millier, attendent en vain des secours en provenance de Batavia, le siège de leur pouvoir colonial dans la région, avant de capituler.
Après la signature avec Koxinga d’un traité par lequel ils lui cèdent Taiwan, les Hollandais réembarquent sur leurs juncks en direction de Batavia, mettant fin ainsi à quarante années de présence dans l’icirc;le qui devient alors chinoise. ■
« Taiwan, la Hollande et l’Asie orientale à la fin du XVIIes. », exposition au Musée national du Palais, à Taipei, jusqu’au 30 avril.