15/12/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

De taille et d'estoc

01/05/1994

Les épées chinoises souvent négligées par les xiphologues1 et les antiquaires sont parfois de très belle qualité et de grande valeur historique. Dernièrement, plusieurs collectionneurs taipéiens ont tenu ensemble une expo­sition de leurs armes tant chéries et si difficiles à trouver.

De nombreux jeunes garçons partagent l'expérience de se cacher sous leur couverture pour lire tard dans la nuit un roman de cape et d'épée chinois. Ces histoires d'aventures fantastiques sont le tissu même du merveilleux de l'adolescence : des hommes d'épée aux pouvoirs presque surnaturels, sautant du haut des murailles, volant de toit en toit, surgissent partout où la justice a besoin d'être rendue. Et aucune fantaisie de combats de taille et d'estoc n'est complète sans au moins une épée extraordinaire pourvue d'un pouvoir magique. Cela peut être une arme travaillée et ornée de bijoux ou une pièce d'un métal d'apparence sans valeur, mais possédant toujours une caractéristique, une lame si tranchante qu'elle peut, selon le langage ordinaire de ces romans, fendre le fer comme si c'était de la boue ou couper un cheveu en deux, dans le sens de la longueur. Presque tous les garçons se défont bien sûr de leurs rêves d'épée. Ils apprennent vite qu'ils ne pourront jamais voler au­-dessus des toits ou sauver le monde d'une injustice. Mais il y a une partie de ce monde merveilleux qui demeure dans la vie : le véritable arme!

Malgré la technique de pointe moderne, il demeure assez difficile de fabriquer des aciers d'une si grande dureté comme ceux des armuriers chinois. Cette paire d'épées yin-yang a servi aux prêtres taoïstes il y a trois cents ou quatre cents ans sous la dynastie de Ming (1368-1644).

Les épées chinoises ont une longue histoire, remontant à la dynastie occidentale de Tcheou [Zhou] (XIe siècle – 770 av. J.-C.)2 et continuant de conserver une place importante dans la culture chinoise d'aujourd'hui. Les épées se retrouvent toujours dans les romans et les feuilletons télévisés de taille et d'estoc ou dans l'opéra chinois, les anciennes peintures, dans les temples où ces nobles armes sont soigneusement alignées pour le meilleur usage des dieux et parfois aussi dans les parcs où quelques-uns pratiquent une sorte d'exercice à l'épée. Malgré leur présence dans la vie de tous les jours, on sait peu de choses sur l'histoire de l'épée chinoise. Et de rares efforts sont faits pour conserver ou présenter l'épée chinoise qui n'est guère non plus bien représentée dans les collections privées.

M. Richard Shen, copropriétaire de Silport Antique Company, de Taipeh, estime que de nombreux collectionneurs sont plus familiers du cimeterre japonais, principalement parce que les Japonais ont donné à cette arme et à l'art de la fabriquer une large place dans leur patrimoine culturel. Le musée national de Tokyo, par exemple, alloue un espace gigantesque aux épées et autres armes blanches anciennes. Souvent, la majorité des collectionneurs ne savent pas que les [anciennes] épées chinoises sont de meilleure qualité que leurs homologues japonaises, explique fièrement M. Shen. Mais pourquoi cette ignorance? C'est surtout par manque d'information et aussi par rareté des modèles encore existants.

Malgré une étude xiphologique peu profonde des armes chinoises, elles sont intégralement mêlées à l'histoire. Cette arme de la dynastie de Ming à la lame gravée de serpents entrelacés et aux crânes décorant la garde a probablement servi à des rites religieux.

MM. Shen et Li Ching, directeur chez Silport, ont donc pris des mesures pour modifier cet état de chose. En novembre 1993, ils ont rassemblé plusieurs collections de Taipeh, y compris la leur, pour les présenter dans une exposition des épées rares chinoises des Song aux Ts'ing [Qing] (du Xe au XXe siècles). Bien que cette manifesta­tion parût relativement petite, avec environ une vingtaine d'épées, elle a été significative par rapport aux normes d'une collection. On n'aura probable­ment jamais d'autre chance de voir une telle collection dans une seule salle, dit M. Li Ching, même au musée national du Palais à Taipeh,

M. Shen pense que cet événement a été un premier pas. Il permet aux divers xiphophiles3 de faire connaissance les uns avec les autres. La plupart d'entre eux, on s'en doute un peu, sont d'un métier quelque peu en relation avec la coutellerie ou l'armurerie. Ils sont chirurgiens ou officiers militaires. Mais tous éprouvent des difficultés de rassembler des renseignements sur les objets de leur passion. Par échange de ces connaissances, il sera possible de retrouver les épées les plus belles, les plus rares, dit M. Shen.

La taille de l'exposition reflète le petit nombre d'épées anciennes chinoises qui peuvent encore exister aujourd'hui. La raison en est historique. Presque tous les empereurs de Chine, afin de réduire le risque de rébellion, n'ont jamais autorisé les civils à fabriquer ou à posséder de telles armes, ce qui a fortement restreint leur produc­tion. Mais ainsi produites, la plupart de ces armes ont été emmenées comme souvenirs par les soldats européens, japonais et américains en quittant le sol chinois au début du XXe siècle. Celles qui ont été laissées ont été fondues vers la fin des années 50, lors du Grand Bond en avant, une campagne que Mao Tse­-tong [Mao Zedong] a lancée afin de produire de l'acier dans les « petits fours de la cour arrière » des maisons. La plupart des armes aujourd'hui conservées proviennent soit d'achat lors d'enchères, soit d'excavation de tombeaux anciens en Chine continentale.





M. Shen pense que les épées chinoises ont non seulement souffert des assauts de l'histoire, mais ont aussi été ignorées des spécialistes. Des études xiphologiques effectuées sur les plus anciens spécimens d'épées chinoises, fabriquées en bronze sous la dynastie occidentale de Tcheou, car il y en a très peu en fer ou en acier n'étant répandues que pendant la période des Printemps et Automnes (722-481 av. J.-C.). Quant aux épées en acier, les xiphophiles, chercheurs et collectionneurs, se tournent plus volontiers souvent vers le Japon. Mais M. Shen insiste que les épées chinoises en acier sont d'excellente qualité et possède une valeur historique toute aussi grande.

Quelques modèles de la collection de Silport des dynasties de Song (960­-1279) et de Ming (1368-1644), dit M. Shen, ont leur lame en acier d'une dureté aussi résistante que celui de la technologie moderne. Notamment, l'acier des armes blanches de Ming est d'une dureté supérieure à 58/mm2 en charge de rupture par étirage (plus haut est ce nombre, plus dur est l'acier). Les épées anciennes japonaises, explique M. Shen, n'ont que de 30 à /mm2. Par comparaison, les couperets de cuisine et les couteaux suisses n'ont des aciers que de 30 à /mm2. Et les couteaux modernes de combat ou de chasse ayant du meilleur acier sont généralement d'une dureté supérieure à /mm2.

L'arme blanche d'apparat, portée lors de cérémonies et rites variés, s'ornait de divers motifs selon l'usage et la notoriété de celui qui la porte. Ici, l'ornement de la scène des Cent enfants jouant au printemps en argent sur bronze.

Les épées chinoises ont autant de valeur à cause des modèles de courbure naturelle qu'on ne trouve qu'en acier de très haute qualité. Ce type d'acier, appelé acier de Damas, semble être recouvert d'une fine pellicule d'huile. Comme beaucoup de vieilles épées chinoises étaient fabriquées d'un acier de si grande qualité, elles ont conservé leur lustre et leur tranchant originaux pendant plusieurs siècles. Elles ne sont pas rouillées, dit M. Li Ching. Quelques­-unes sont si acérées qu'elles peuvent vraiment raboter le bord d'une pièce de monnaie.

La technique de production d'un tel acier, pour la plupart de ces meilleures épées, s'est perdue depuis longtemps. On sait que les couteliers et armuriers de l'ancienne Chine ont passé presque toute leur vie auprès de leur four. Commençant très tôt le matin, ils répétaient sans cesse les mêmes gestes les uns après les autres, d'abord en chauffant au rouge le morceau de fer, en le martelant jusqu'à la longueur désirée, en le courbant, et ainsi de suite. De la sorte, ils débarrassaient petit à petit les impuretés du métal. Pour atteindre une qualité idoine, la technique de chauffage et de courbement se répétait des centaines de fois. L'acier d'une paire d'épées de la collection de Silport qui a été retrouvée dans un tombeau de la dynastie de Ming a été étiré et courbé neuf cents fois.

En outre, la température élevée du four, la compétence du forgeron et d'autres facteurs ont été déterminants à la qualité du produit fini. Alors que les équipements et outils modernes contrôlent avec précision presque tous ces facteurs, il demeure néanmoins difficile de fabriquer de l'acier aussi bon que celui de ces premiers armuriers. C'est une constatation qui n'apporte aucune explication, dit M. Richard Shen.

Epée en acier de Damas et son fourreau. Sept étoiles en bronze sont incrustées dans la lame d'acier. Le tigre et le dragon qui ornent l'arme sont des symboles de prouesse et bravoure. (Dynastie mandchoue de Ts'ing.)

Pendant que les collectionneurs apprécient la qualité du métal, les ama­teurs sont peut-être plus intéressés par l'ornementation de ces armes plurisé­-culaires. Les détails du fourreau, de la poignée, de la garde et parfois de l'ensemble de l'arme sont généralement travaillés sur du bronze, de l'argent, de l'or ou du jade. Un modèle particulièrement raffiné, présenté à l'exposition de Silport, était la scène fameuse des Cent enfants jouant au printemps. L'acier de la lame a été fabriqué au XVIIe siècle, sous la dynastie de Ming, mais les autres parties sous celle de Ts'ing. Comme le nom de la scène l'indique, la décoration se com­pose de cent figurines d'enfants gravées sur le bronze du fourreau et de la poignée, chacune d'elle dans une posi­tion différente et une expression faciale distincte, et la tête de chaque enfant est travaillée dans de l'argent incrusté dans le bronze. Cette incrustation impressionnante a aussi été utilisée sur le plat de la lame. Plusieurs modèles existants de nos jours ont un motif de sept étoiles de bronze qui, selon M. Shen, soutiennent la mort. Elles sont si finement incrustées qu'elles semblent forgées dans la lame.

Les épées d'apparat sont rarement utilisées au combat. Elles sont plutôt portées par des officiers de la cour de haut rang comme symbole protocolaire ou de richesse. Les ornements ostentatoires ou en pierres précieuses ne sont d'aucun secours sur un champ de bataille où la seule destination de l'arme est de tuer l'ennemi. Les épées utilisées à la guerre ont en fait un ornement beaucoup moins impressionnant, mais elles possèdent généralement plus de valeur historique. Deux épées de la dynastie de Ming ont un motif simple sur la poignée en bronze, mais elles sont significatives pour être gravées de deux idéogrammes, tong tchang [東廠], une référence à une force d'élite des services secrets des eunuques du palais impérial. M. Shen estime que ces armes ont bel et bien servi, car elles portent de petites brèches sur le fil de la lame.

Un autre modèle est une épée de la même dynastie qui ajoute à la valeur artistique de son parement un élément historique pour avoir appartenu à Tcheng He, envoyé spécial officiel dans une mission auprès des cours du Sud­-Est asiatique. Tcheng He, qui a reçu le titre de Grand Eunuque fut un des plus grands diplomates de nombreux voyages l'emmenèrent dans des contrées aussi éloignées que l'Arabie et l'Afrique. Cette arme particulière comprend dans la poignée un pommeau amovible servant de sceau, une preuve du haut rang de son propriétaire4.

Cette épée est décorée d'amazones chinoises de l'opéra de Pékin. (Dynastie mandchoue de Ts'ing.)

La forme de l'arme peut dépendre de l'histoire. Ainsi, les soldats de différents corps d'une même dynastie portaient des types distincts d'épées ou de dagues. Sous les Ming, les armes portées par les officiers d'élite de Tong Tchang étaient courtes et légères, car mieux adaptées au combat de rue. L'épée des soldats du général Ts'i Ki­-kouang [戚繼光] (1528-1588), célèbre pour avoir repoussé des côtes les pirates japonais, ou wo-k'eou [倭寇], était plus longue et plus lourde avec une poignée allongée qui permettait de la tenir à deux mains, plus conforme au maniement des épées japonaises.

Les xiphophiles, peu familiers de l'histoire de Chine, méconnaissent souvent ces armes pour leur valeur historique. C'est pourquoi, M. Shen a réussi à se procurer deux épées de Tong Tchang en les marchandant à un collectionneur étranger. Ce dernier les lui a vendu à vil prix parce qu'il croyait à de vulgaires dagues chinoises fabriquées il y a plusieurs siècles. S'il en avait connu la valeur historique, il ne les aurait probablement jamais vendues!

Quelles que soient les armes blanches forgées pour les soldats ou les gardes, elles ont été produites en quantité alors que les autres ne le furent que sur commande pour un propriétaire unique. Ainsi, on peut souvent se faire une idée de l'allure du personnage portant son épée, car son arme conforme à ses mensurations permet d'imaginer sa taille, sa force, sa dextralité ou sénestralité et même sa personnalité. Cependant, il existe toujours un principe de base pour décider de la longueur d'une arme. Il doit répondre à une norme considérée de bon augure pour le monarque chinois.

Ces épées faites sur commande ne furent pas seulement portées par des officiers militaire de haut rang, mais aussi par des lettrés comme signe de bon aloi. Même Confucius a porté une épée. Cette arme noble des lettrés était généralement plus mince et plus courte que celle des combats tandis que son ornementation demeure simple mais toujours élégante.

L'épée se retrouve aussi hors des vitrines de collection. Elle s'emploie dans les exercices d'arts martiaux à l'épée pratiqués dans les jardins publics de Taiwan.

Les épées sont éva­luées par les xiphologues à cause de leur fonction et de leur symbole. La forme, par exemple, est pour les lettrés celle de l'idéogramme tchong [中] qui se réfère à ligne droite de l'épée, la lame et sa poignée, ainsi que son usage linéaire dans les mouvements directs, sont symbole de la droiture et de la justice. Pour ces raisons, les épées chinoises sont généralement rangées verticalement ou debout alors que d'autres armes sont posées horizon­talement ou couchées. « Comme la justice doit se rendre, dit M. Li Ching, les épées, symboles de la justice, ne peuvent pas être couchées. »

Beaucoup de xiphophiles recon­naissent à cette arme un pouvoir magique, dit M. Shen. Ils la conservent donc non seulement pour sa valeur esthétique et historique, mais aussi parce qu'ils la croient gardienne contre le mal et protectrice de la famille. C'est peut­-être une des raisons pour laquelle il est si difficile de trouver quelqu'un qui accepte de vendre une épée chinoise.

Cela dépend le plus souvent du sort, dit M. Shen. Il se peut qu'on n'en trouve pas une seule après des années de recherches. Un collectionneur de Taiwan rappelle qu'il lui a fallu un an de persuasion pour acquérir d'un confrère xiphophile une série complète d'armes blanches chinoises. Ce n'est pas une question d'argent, car les collectionneurs ne vendent pas s'ils ne ressentent pas la même passion et le respect chez l'acheteur.

 

Hwang Chih-yin

(V.F., Jean de Sandt)

Photographies de Chung Yung-ho.

 

(1) Xiphologue, n.m. ou f., néologisme pour désigner le spécialiste de xiphologie, l'étude ou la science de l'épée et des armes similaires. [Du grec xiphos, épée, + -logie, élément d'origine grecque signifiant étude.] Par dérivation, l'adjectif de relation, xiphologique. (NDLR)

(2) Le royaume (empire) de Tcheou a pris possession des terres du royaume (empire) de Chang [Shang] après l'avoir écrasé vers la fin du XIe siècle av. J.-C. en le féodalisant à souhait. Une date est cependant retenue, 1027 avant J.-C., d'après les recoupages du comput chinois et des pièces archéologiques, mais elle bouscule assez les traditions jusque là enseignées. La dynastie (de Tcheou) ainsi installée a sombré au VIIIe siècle av. J.-C. dans un schisme à la suite d'un soulèvement des feudataires et d'une invasion étrangère. De cette confusion sont issus deux monarques, le roi légitime, Hi wang, dans la capitale de l'ouest (originelle), qui est assassiné par un feudataire en 760 av. J.-C. et le roi schismatique, Ping wang, qui a fuit dans sa capitale de l'est. Il recueille la succession, désormais plus pontificale que souveraine, à la mort de son frère, Hi wang. C'est pourtant ce schisme de onze ans qui a jeté le trouble et le plus grand discrédit sur le royaume de Tcheou. Pour des raisons diverses, les historiens chinois ont généralement ignoré le fait. Et, à partir de 770 av. J.-C., c'est le règne de la dynastie « orientale » (en fait, du royaume oriental) de Tcheou pourtant en filiation directe avec la « précédente » dynastie occidentale. C'est par commodité que le terme dynastie (et non empire) correspond à une époque historique de s'inspire de l'histoire des peuples de l'Antiquité (Egypte, Assyrie, Perse, etc.). (NDLR)

(3) Xiphophile, n.m. ou f., néologisme pour désigner le collectionneur d'épées et d'armes blanches similaires. Par dérivation, xiphophilie, la science ou la collection et l'adjectif de rela­tion xiphophile. [Du grec xiphos, épée, + -phile, élément d'origine grecque signifiant « ami; épris de ». D'après les nombreux autres composés, créés pour la circonstance, comme sémiophile, bibliophile, érinnophile, etc.] (NDLR)

(4) Tcheng He (1371-1433), Grand Eunuque du Palais, fut commandant en chef des grandes expéditions maritimes chinoises du début du XVe siècle. Fils du hâdji Ma d'une famille chinoise musulmane, il est né au Yunnan. Lors de la conquête de cette région par les armées de Ming en 1382 (cf. infra), il est raflé et castré pour servir auprès du prince Tchou Ti de Yen (Pékin), fils de l'empereur Taï-tsou de Ming. Il gagne la confiance de son maître en se distinguant contre les Mon­gols de 1393 à 1397 et, surtout, à la prise de Nankin en 1402 qui assure le trône impérial au prince de Yen, devenu l'empereur Tcheng­-tsou. Auprès de ce monarque, il organise et commande en personne plusieurs expéditions maritimes de grande envergure qui l'ont conduit jusqu'aux côtes de l'Afrique orientale. Les deux premières expéditions ont rassemblé une flotte immense de plus de 200 gros navires. La première part à l'été 1405 et revient en octobre 1407. Elle aborde les côtes de l'Annam (Tchampa) et le sud de Sumatra (Palembang). La seconde repart presque aussitôt au début de l'hiver 1407 pour rentrer à Nankin en été 1409. Elle visite aussi le Siam et l'ouest de Java (Bantam), mais doit se défendre contre les intrigues de l'empire de Madjapahit (est de Java et de l'Insulinde). La troisième expédition plus modeste avec une cinquantaine de gros vaisseaux met les voiles en septembre 1409 et est de retour en juin 1411. Elle pénètre dans l'océan Indien et atteint la côte de Malabar en Inde, après avoir visité le Tchampa, le Siam, Palembang, Malacca et mouillé l'ancre à Ceylan. La quatrième, de 1413 à août 1415, porte beaucoup plus loin la destination du périple. Avec une flotte semblable, mais des effectifs plus nombreux, elle passe par les îles Maldives, le golfe d'Oman, longe les côtes d'Arabie du Sud jusqu'à Aden. Au retour à Sumatra, elle ose s'ingérer dans des luttes locales et en ramène des prisonniers à Nankin. Sur le parcours, 19 souverains lui ont remis un tribut pour l'empereur de Ming (Chine). En automne 1417, Tcheng He gouverne la cinquième expédition dans le but de s'assurer de la loyauté de ces souverains tributaires. Il est fort probable qu'au cours de ce voyage, l'île de Taiwan ait été une escale. Cette expédition a rapporté en tribut de nombreux animaux exotiques dont beaucoup sont alors inconnus des Chinois, notamment les girafes. La sixième expédition s'embarque au printemps 1421 et revient en septembre 1422. Elle s'engage vers le sud d'Aden pour atteindre Mogadiscio (Mogadishu) et Brava (Brawa) en Somalie, puis Tanga et Zanzibar en Tanzanie. Mais l'empereur Tcheng-tsou (règne Yong-le 1402-1424) meurt en 1424 et, si ses successeurs maintiennent Tcheng He au commandement de ces « expéditions de la richesse », aucune n'a appareillé, car sévèrement critiquées. Pourtant, elles sont remises à l'ordre du jour par l'empereur Siuan-tsong (règne Hiuan-te 1426-1435), et la septième, et dernière de Tcheng He, quitte à la fin de l'automne 1431 avec mission de renouveler les allégeances et les relations tributaires précédemment nouées. Presque tous les pays parcourus jusqu'à Zanzibar sont revisités. A Calicut (Inde), une mission annexe est dépêchée à Djeddah et (Arabie) sous la conduite de l'eunuque Hong Pao. Il semble que Tcheng He soit mort au retour de ce long périple à Calicut. L'expédition revient en juillet 1433 avec la dépouille de Tcheng He à bord. D'autres affirment sa mort en 1434 peu après son retour en Chine. Toutefois, on n'a retrouvé ni sa tombe ni une quelconque stèle confirmant une telle sépulture. Or, justement en 1434, c'est son bras droit, l'eunuque Wang King-hong, qui conduit une expédition similaire en mission à Sumatra et à Java. Au cours d'une tempête, il disparaît dans un naufrage au large de Java cette même année. On honore toujours sa mémoire dans un temple chinois près de Semarang (Java).

La carrière de Tcheng He est assez exceptionnelle, car il a exercé une grande in­fluence sur la politique impériale chinoise. Il a surtout ouvert l'empire de Ming (Chine) vers des horizons extérieurs tandis que d'autres expéditions moins célèbres étaient également lancées dans les « Mers du Sud ». On peut s'étonner que les historiens chinois aient tant minimisé son rôle et celui de ses contemporains de même trempe, en présentant toujours l'empire de Ming refermé sur lui-même. Aux prises avec les Mongols dans une lutte sans merci, il a cherché à asseoir son indépendance en établissant justement des liens et des alliances vers les mers. C'est pourquoi, Tcheng He mérite beaucoup plus que ce qu'en laisse l'histoire traditionnelle.

Par ailleurs, il convient de rappeler que la fondation de l'empire de Ming en janvier 1368 n'a pas mis fin au « grand khanat des Mongols », c'est-à-dire l'empire mongol, comme il est trop souvent rapporté. Plusieurs contrées chinoises (Kansou, Tsinghaï et le sud-ouest montagneux, comme le Yunnan et le Koueïtcheou du Sud) sont encore sous l'obédience mongole. Elles rentreront peu à peu dans le giron chinois jusqu'à la prise de Yunnanfou (Kounming) en 1382 qui marque réellement la fin de la domination mongole sur la terre chinoise. (Cf. supra, la capture de Tcheng He.) C'est une époque souvent méconnue, et volontairement ignorée des historiens apologétiques de la nouvelle dynastie chinoise. Le grand khan Tokhon­-témur, après sa fuite de Pékin en septembre 1368 devant les troupes victorieuses de Ming soulevées contre lui, rejoint ses campements d'été dans les steppes mongoles où il meurt en 1370. C'est son fils Ayour-Çridara, admiré pour ses humanités chinoises, mongoles et bouddhistes, qui est élu grand khan en 1370, mais à sa mort, regrettée aussi des Chinois, sujets et adversaires, en 1378, son frère Teugus-témur lui succède. Il est vaincu par les Ming et perd définitivement ses posses­sions chinoises en 1382. Plus tard, il est à nouveau écrasé en Mongolie par les Chinois et est assassiné en 1389 dans sa fuite. Tandis que les Mongols installe un nouveau monarque, Elbeg, plusieurs hordes et tribus aux marches de l'empire de Ming (Chine) font scission pendant que Tamerlan (Timour Lang), un conquérant turc (et non mongol), met à feu et à sang tout le grand Ouest (Asie centrale et Iran) de l'empire mongol. Le début du XVe siècle voit réellement la dislocation de l'empire mongol. Il connaîtra des sursauts de gloire, mais les Mongols feront acte d'allégeance à l'empereur mandchou Cheng­-tsou de Ts'ing (Chine), à la fin du XVIIe siècle. (NDLR)

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