Cet article a paru dans le numéro de janvier-février 1990 de l'édition allemande Freies China.
Traduction libre.
Le Lloyd d'Asie orientale de Changhaï écrivait le 24 décembre 1898 dans un article sur le fong-choueï:
« On demande souvent à l'étranger résidant en Chine, quel est le plus grand obstacle que la civiliation occidentale ait rencontré dans l'empire du Milieu. Et la réponse d'éclater sans aucune hésitation : c'est le fong-choueï! »
Accompagnant cette déclaration, le journal donnait l'opinion de nombreux étrangers qui, au XIXe siècle, s'arrêtaient ou revenaient en Chine. Tous s'accordaient que la croyance des Chinois au fong-choueï [風水] était une des plus grandes entraves au progrès de croyaient également que le progrès inévitable condamneraient ce qui, à leurs yeux, était une superstition abstruse en déclin. L'existence vivace du fong-choueï à Taïwan, Hongkong, Singapour et en Corée du Sud où aujourd'hui il fait toujours partie de la vie courante a démontré qu'il n'en est absolument rien. Même en Chine continentale où il est interdit en tant que superstition depuis 1949, il est partout bien vivace. Quelle expérience avec le fong-choueï les étrangers ont donc pu faire pour qu'ils en viennent à affirmer qu'il est un obstacle au progrès? Et cela s'accorde-t-il vraiment avec cette assertion? Quelle était l'importance du fong-choueï pour pouvoir se présenter comme une entrave? S'il faut en éclaircir le problème, il faut préalablement définir ce qu'est exactement le fong-choueï (littéralement, « vent-eau»).
Qu'est le fong-choueï ?
Le sens et le principe du fong-choueï se situe dans la découverte et la définition du k'i [ 氣 ] pour être utile aux hommes. Le k'i peut se traduire dans ce contexte par « énergie de la vie ». Toute présence vivante doit son existence à cette « énergie de la vie ». La dilatation du k'i engendre une croissance et, à l'inverse, sa contraction crée une décroissance. Ainsi, tout se développe et s'épanouit au printemps parce qu'au cours de cette période d'accroissement, le k'i est en train de croître.
Au solstice d'été, le processus de dilatation se renverse pour décroître. En effet, à partir de là, le k'i se met à se résorber. Puis le processus s'inversera à nouveau et le k'i recroîtra. Ce jour même, le k'i monte et descend conformément à la course du soleil sur l'écliptique. Ainsi, le cycle complet du k'i se décrit en une année complète, de sorte que la jeunesse et la vieillesse chez les hommes subissent cette montée et cette retombée du k'i.
Celui qui a étudié l'art gymnastique qu'est le taï-ki-k'iuan [ 太極拳 ] peut connaître la signification du k'i. En effet, les leçons apprises servent à activer et régler le flux k'i du corps afin de rester sain et sauf. Si le flux k'i du corps est irrégulier ou discontinu, l'indisposition ou la maladie en seront la conséquence.
De même que le k'i du corps humain coule dans une trajectoire invisible, il se meut de la même façon sur la terre. Les lieux qui se situent le long d'un tel parcours seront marqués par la fertilité, et ceux à qui le k'j manquerait sont par exemple les déserts. L'étude du fong-choueï; comme il est fixé dans d'innombrables ouvages, apporte une connaissance pour la découverte et le contrôle du parcours où le k'j circule. De ces lieux qui sont abondamment pourvus du k'j, on dit même qu'ils ont un excellent fong-choueï.
Il y a les sites qui ont un mauvais fong-choueï. Ce sont les lieux, soit qui ne disposent d'aucun k'i, soit où le k'i ne court pas, mais est immobilisé. Mais, le k'j immobile se change en cha [ 煞 ]. Le cha indique toute une sorte de flux pernicieux ou malsain. Les marais sont des lieux typiques du k'i immobile.
Il y a un signe particulier par lequel on peut savoir si un site dispose ou non d'un fong-choueï. Dans les ouvrages traitant du fong-choueï; ces marques énumérées par douzaines sont souvent pourvus d'un croquis. L'endroit idéal est décrit par un animal symbolique des quatre points cardinaux. Une montagne au nord du site considéré est appelée « tortue [noire] ». La montagne à l'est est le « dragon bleu-vert »; à l'ouest, c'est le « tigre blanc ». Enfin au sud, vers où le regard doit avoir une certaine perspective, la colline sera dénommée par le « phénix [rouge] ». Quand le courant du k'j passeront le long du « dragon », les meilleurs endroits se trouve ront de son côté. Le meilleur lieu est toutefois quand le dragon et le tigre se réunissent. Les deux formations montagneuses prennent la forme d'un fer à cheval qui s'ouvre vers le sud.
La Maison de la famille Lin à Pankiao (Taïpei) est orientée selon le fong-choueï de son premier propriétaire avec tous les arrangements des éléments propices.
On tiendra en particulier compte que, dans la disposition du paysage qui constitue le « dragon », aucune altération n'intervienne, car les variations de l'environnement peuvent entraîner une modification de l'itinéraire du k'i. Cela explique pourquoi un jour un lieu florissant pourra se désoler. Son k'i aura tari parce qu'il aura changer son parcours.
Le bon endroit à découvrir est la première tâche des spécialistes du fong-choueï. La seconde consiste à définir le type de demeure que son client souhaite construire en un lieu, conformément aux calculs de sa date de naissance pour que règne l'harmonie entre le site, la de meure et le propriétaire. Alors le client pourra être sûr de bénéficier d'un excellent fong-choueï du lieu.
La date de naissance en Chine est donnée au moyen de huit caractères, à savoir chacun deux caractères pour l'année, le mois, le jour et l'heure. Par ces huit caractères, dits pa-tseu [八字], se prédit également la destinée. Grâce à eux, toute personne reçoit aussitôt une affinité pour un point cardinal. Qu'un logis soit construit, il faut donc une entrée principale par où entrera principalement les bons et mauvais flux. En tout cas, c'est elle qui indiquera la direction qui s'harmonisera avec les pa-tseu du chef de famille. De plus, la chambre à coucher et le cabinet de travail du chef de famille, ainsi que les espaces où il s'arrête le plus souvent devront s'harmoniser dans leur orientation avec les mêmes pa-tseu. Et si une boutique est installée, il faut qu'elle soit également orientée selon les pa-tseu du tenancier.
Le jour propice du début des travaux ou de l'ouverture du commerce sera également déterminé par le géomancien, spécialiste du fong-choueï. Ainsi l'espace et le temps constituent un système de coordonnées selon lequel le meilleur site est choisi.
D'après le genre et l'usage de la demeure, des critères différents d'em placement et d'orientation attireront l'attention du géomancien. D'une manière générale, c'est la différence entre le yin tchaï [ 陰宅 ] (demeure sombre) et le yang-tchaï [ 陽宅 ] (demeure claire) où le dernier est tout bâtiment érigé au dessus du sol et le premier est celui creusé en sous-sol, c'est-à-dire les tombeaux. A Taïwan, cette distinction s'énonce de telle sorte qu'on parle de ti-li [ 地理 ] pour le yang-tchaï (une expression un peu vieillie du fong-choueï) par opposition au fong-choueï pour le yin tchaï. Ainsi la distinction entre ti-li et fong-choueï (au sens restreint) est une particularité locale de Taïwan. Normalement, on parle du yin-tchaï et du yin tchaï dans ce contexte.
Plusieurs miroirs décorés aux huit trigrammes.
Cette distinction du fong-choueï semble avoir une définition historique. On la retrouve uniquement dans le Tsang Chou [ 葬書 ] (le Livre de ture) de Kouo Pou [ 郭璞 ] (276-324). D'après cet ouvrage, on commence à choisir le site d'une tombe en suivant les règles du fong-choueï. Il dit expressément que le k'i est dispersé par le vent (fong-choueï) et retenu par l'eau (choueï), d'où l'appellation fong-choueï.
Selon cet énoncé, beaucoup de villages chinois s'adosse à une forêt qui sert de bouclier contre le « vent » du nord tandis que son agglomération s'ouvre sur les bords d'un étang ou d'une rivière, 1'« eau» du sud.
De tout temps, on mesure le bon fong-choueï d'une tombe ancestrale avec plus de soins que celui d'une maison. En effet, le bon fong-choueï d'un tombeau profitera aux descendants de l'inhumé. A travers les cendres des ancêtres, le k'i agit sur la descendance. Les ancêtres sont la racine et la progéniture les branches de l'arbre généalogique familial. Et de même que les branches d'un arbre sont nourries avec la sève venant des racines que l'on trouve sous terre, les descendants sont nourris avec le k'i depuis les cendres de leurs ancêtres. On estime que le k'i à travers les cendres an cestrales peut agir beaucoup plus fortement et plus directement sur un homme qu'il ne le ferait à travers une demeure. Par ailleurs, une génération est d'autant plus éloignée d'ancêtres que l'influx du k'i sera d'autant plus fort puisqu'il se partage entre des ancêtres de plus en plus nombreux.
Autour des tombeaux d'ancestres, se sont créées beaucoup de légendes et d'histoires. Et on rapporte que le fong choueï d'une telle tombe peut être quel quefois fort excellent tandis qu'il peut aider sa descendance à obtenir jusqu'aux honneurs impériaux. Lors de soulèvements populaires, l'empereur de Chine a toujours envoyé plus de troupes avec l'ordre de retrouver et de détruire les tombes ancestrales des chefs rebelles afin de leur ôter toute chance de succès.
En ce qui concerne le sens du fong choueï pour la vie, on dit que la vie d'un homme est définie par sa destinée à la première génération, par sa vertu à la se conde et par le fong-choueï à la troisième. Ensuite, elle est influencée par l'éducation et la formation à la quatrième.
Le fong-choueï d'un lieu se base sur un environnement complet et perceptible. Déjà, la moindre transformation du champ de visibilité de l'emplacement, l'abattage d'un arbre ou l'érection d'un réverbère peut porter préjudice au fong choueï du lieu. Toutes sortes de lignes droites qui, soit affluent vers l'emplacement, soit le croisent désavantageusement sont ici dépendantes de l'influx néfaste ou cha. Ce sont surtout les chemins, les canaux, les lignes de cou rant ou les courbes des toitures. Même les objets élevés, comme les tours ou les cheminées, qui dépassent les autres bâtiments peuvent produire le cha. La cause d'un influx néfaste ne se laisse point dissiper, cependant on peut s'en protéger en disposant un paravent. En effet, ce qui ne peut être aperçu de dehors ne peut recevoir d'influence malheureuse.
Une autre possibilité est de réfléchir l'influx néfaste au moyen d'un miroir qui normalement est entouré des huit trigrammes, ou pa-koua [八卦] du Yi-king [易經] (te Livre des Mutations). Il peut l'être de huit plaquettes octogonales en bois sur lesquelles sont peints les huit trigrammes. En particulier, avec la physionomie constamment en transformation des villes d'aujourd'hui où les lignes droites et les hauts édifices ne peuvent plus s'éviter, on trouve fréquemment dans les maisons des miroirs du fong choueï.
Non seulement les maisons d'habitation, de commerce et les tombeaux ont un fong choueï; mais des régions entières ont également leur propre fong choueï; déterminé par leurs chaînes de montagne, leurs fleuves et leurs lacs. L'emplacement des exploitations minières ou des barrages peut modifier le fong choueï de toute une région. C'est toujours celui du chef-lieu qui décide de la destinée de la région. Cette hiérarchie se prolonge toujours vers le bas. Ainsi, le fong choueï d'un chef-lieu de province définit celui de toute la province, celui d'un chef-lieu de district celui de tout le district. Enfin, le fong-choueï d'une ville détermine la destinée de tous ses habitants dont le sort personnel est influencé à son tour par le fong choueï sa propre maison.
Dans une conversation sur le fong choueï, quelqu'un m'a cité l'incident de la place Tienanmen à Pékin en 1989. Il donne l'explication suivante. Les grandes pertes d'effectifs de gardes forestiers lors des incendies dévastateurs de forêt deux ans plus tôt en Mandchourie avaient défavorablement affecté le fong-choueï de Pékin. Les collines et les montagnes ainsi mises à nu n'ont plus offert assez de protection contre l'influx néfaste du nord. Cela a accéléré la crise ministérielle pendant qu'une inquiétude planait sur tout le pays cette année. On peut le croire ou non, mais jusqu'à pré sent, on a toujours expliqué la chute d'une dynastie en Chine par le fong choueï .
Quelques formules et les huit trigrammes sont en bonne place sur la porte principale d'une maison.
Un obstacle au progrès?
Au XIXe siècle, comme les puissances occidentales ouvraient par la force l'empire du Milieu, était un pays empreint intérieurement des principes de Confucius et extérieurement des principes du fong choueï.
Jusqu'en 1949, on a tenu compte en Chine des règles du fong-choueï pour les emplacements des villes et des lieux-dits. Le soin apporté au fong-choueï urbain était la préoccupation de tous les habitants de la ville. Tous les bâtiments d'une ville jusqu'au temple, la pagode ou le centre administratif étaient d'une hauteur égale. Aucune maison ne devait par sa hauteur nuire au fong-choueï des édifices voisins. Mais si un habitant estimait son fong-choueï affecté par une modification de l'environ, il pouvait sans se laisser amadouer en demander la destruction ou réparation par devant la justice, c'est-à-dire le mandarin. Toutefois, après la proclamation de la république en 1911, les différends concernant le fong choueï ne furent plus portés devant la justice.
Si une inquiétude s'élevait au sujet d'un fong choueï particulier, cela aboutissait souvent à une querelle entre voisins, pourtant ils se rassemblaient à nouveau pour traiter le problème en commun dès qu'il s'agissait du fong-choueï collectif de la ville. En 1899, un missionnaire informait de son poste que les habitants, sur le conseil de géomanciens, avaient surélevé d'une quinzaine de mètres la crête d'une montagne voisine en y transportant de la terre après beaucoup de peines afin de rehausser le fong-choueï du village.
La mesure fréquente pour améliorer le fong choueï d’une ville ou d'un district était l'érection d'une pagode. La plupart des pagodes de Chine furent bâties à cause du fong choueï. Toutes avec les innombrables tombeaux sont devenues le trait principal du paysage chinois. Aucun récit de voyage du XIXe siècle ne les passe sous silence. Ainsi en 1821, la population tant chinoise que portugaise de Macao fut appelée à faire un don pour la construction d'une pagode qui devait contribuer à l'amélioration du fong choueï, car on attribuait à un fong-choueï très néfaste le déclin économique de la cité. Le juge de la ville avait lui-même fait un don en or pour cette construction.
De telles mesures pour améliorer le fong-choueï n'étaient parfois d'aucune aide, alors les lieux en entier étaient déplacés sur un nouvel emplacement. En 1936, un village entier des Nouveaux Territoires de Hongkong s'est dernièrement déplacé hors du terrain du « mauvais» fong choueï.
Les étrangers venus en Chine au XIXe siècle ne comprenaient guère tous ces efforts. Ils ne pouvaient que hocher la tête et noter une déraison des Chinois. Néanmoins, ils ont tout de même toujours admirer la beauté des paysages merveilleux aux multiples temples. A cet endroit, ils appréciaient également les réalisations du fong-choueï qui, en soi, s'étendaient dans le sens d'une harmonie entre l'architecture et le paysage.
Mais les étrangers ont méprisé cette harmonie. Se prenant pour des seigneurs coloniaux qu'ils étaient, ils se croyaient en possession d'une culture supérieure et se voyaient nettement au-dessus du fong choueï. Leur rencontre avec lui est donc dès le début marquée par un antagonisme.
A Ningpo (Tchekiang), le consul américain avait fait dresser devant sa demeure un haut mât pour hisser le pavillon des Etats-Unis, mais ce mât a très vite inquiété les voisins. Soutenu par la puissance de la canonnière, il a pu imposer sa volonté et maintenir le mât en place. Pour détourner l'influence néfaste du mât, les riverains édifièrent alors près de là un autre mât encore plus haut et pourvu d'un miroir du fong choueï.
Dans les habitations modernes, la place des amulettes protectrices ont également trouvé une place.
A Amoy, ou Hiamen (Foukien), il y avait une église qui avait irrité les esprits chinois. Elle fut sans hésitation complètement brûlée, mais dut être reconstruite sur la pression du consul britannique. Cette fois-ci les citadins bâtirent un mur en face de l'église pour se protéger contre le cha.
Plus l'objet qui occasionne le cha était important, plus il était difficile de prendre des mesures préventives appropriées. C'est pourquoi, beaucoup de mandarins ont refusé l'autorisation de construire de hauts bâtiments dans les villes parce qu'ils s'attendaient à juste droit à des excès des habitants embarrassés. Le fait qu'ils aient ainsi constitué une pression contre toute sorte d'édifice à cause du fong-choueï correspond bien à la vérité. Pourtant pour de nombreux étrangers, cela n'a pas seulement nourri le manque de compréhension, mais cela a été aussi regardé par eux comme une excuse.
Bientôt, ils acquiescèrent tous que les mandarins n'avaient allégué à bon escient que le fong-choueï pour refuser les constructions des étrangers puisque ceux-ci ne pouvaient rien répliquer. D'où, l'attribution aux mandarins d'intentions souvent xénophobes et hostiles au progrès. Il y avait certes une certaine xénophobie, mais aucun problème du fong-choueï ne repose dessus. Certains problèmes ont même surpris les étrangers alors qu'ils méprisaient les principes du fong-choueï.
Dans les ports ouverts par les traités, les lieux où s'arrêtaient la plupart des étrangers, le problème du fong-choueï a été désarmorcé avec l'établissement des concessions étrangères où les étrangers avaient justement la liberté de construire. On peut sans doute considérer comme un acte de xénophobie le fait que les terrains affectés aux concessions des étrangers avaient un mauvais fong-choueï.
Mais ce qui a reçu le reproche d'une hostilité au progrès, on en conviendra, ce sont surtout les mandarins qui n'étaient guère enclins aux inovations occidentales entre autres. C'étaient eux qui devaient décider en dernier lieu quelle serait priorité entre l'initiation aux nouveautés et la protection du fong-choueï. En effet, tout empiétement sur un site en affectait automatiquement le fong-choueï.
C'était pour les étrangers difficile à comprendre parce que la plupart avaient des connaissances très insuffisantes sur le fong-choueï. Beaucoup croyaient qu'il s'agissait de l'esprit du vent et de l'eau ou bien du dragon, lesquels ne pouvaient être dérangés. La scène qui se déroule devant le tribunal anglais de Weïhaïweï (Chantong) en témoigne. Un Chinois vint se plaindre de l'exploitation d'une carrière située de l'autre côté de la montagne où se trouvait précisément la tombe de ses ancêtres. Le fong-choueï de ce tombeau était en danger, car le dragon, donc la montagne, était blessé par cette carrière. Après avoir entendu les divers exposés de la partie chinoise, le juge rétorqua que le dragon devait se sentir plus à l'aise dès lors que les lourdes pierres ne pouvaient plus l'opprimer ni le charger. Mais les Chinois, fort stupéfaits de cette ignorance, osèrent s'exclamer que les pierres étaient le dragon lui-même.
La meilleure approche du fong-choueï était celle des missionaires, car ils avaient une explication toute théorique de la chose. Cependant, le fong-choueï restait toujours pour eux une superstition es sentiellement négative.
Que le dragon ne soit pas offensè explique également qu'il y eut en Chine assez peu de mines même si l'on en avait un excellent savoir-faire. A cet égard, pour la protection du fong-chouei; il y avait un décret impérial contre l'ou verture de mines. En 1900, l'administra tion provinciale du Sseutchouan avait ac cordé à un groupe d'ingénieurs étrangers sa protection et son assistance pour la re cherche de richesses naturelles, ainsi que pour l'ouverture de mines, à la seule condition que le fong-choueï n 'y soit pas détérioré.
Alors que les mines pouvaient blessé le dragon d'une ville ou d'une province, on établissait des lignes télégraphiques et des voies droites de chemin de fer qui ont sillonné tout le pays. Il ne faut point s'étonner que de tels projets de construction aient rencontré des objections à cause du fong-choueï Comme le télégraphe et le chemin de fer étaient tout simplement à cette époque le symbole du progrès, on ne put s'empêcher de considérer le fong-choueï comme un frein au progrès.
C'est ce que confirme la destinée de la premiére ligne télégraphique de Chine. En 1865, celle construite entre Changhaï et l'embouchure de la [rivière] Houangpou fut détruite dans la même année, justement à cause du fong-choueï. Malheureusement, peu après la construction de la ligne, un homme mourut dans un village voisin dans des circonstances mal éclaircies. Les habitants avaient retenu l'influx néfaste de la ligne comme cause de la mort. C'est pour cela qu'on l'avait démolie. Le juge chinois de Changhaï qui reconnaissait comme juste le motif des habitants interdisait expressément la reconstruction de ladite ligne télégraphique.
En 1881, on dut construire une ligne télégraphique à travers la campagne chinoise. Mais cette fois-ci, elle le fut sous la protection des autorités chinoises et contre la résitance des habitants. On alla jusqu'à promulguer des décrets officiels par lesquels la destruction des lignes était punissable de mort. Néanmoins, lors d'une famine dans le Chansi en 1892, les poteaux télégraphiques furent arrachés en beaucoup d'endroits, car on attribuait cette calamité à la détérioration du fong-choueï de la province par la ligne télégraphique. Mais ce ne furent pas les difficultés de construction du télégraphe qui en appelaient au fong choueï pour inciter l'hostilité au progrès. Au contraire, ce fut l'empêchement des constructions du chemin de fer dont le fong-choueï fut accusé. Mais c'est juste ment sur ce point que le fong-choueï ne se trouvait pas l'obstacle présumé. Aussi la première ligne de chemin de fer de Chine n'en a pas été victime, comme on le dit fréquemment jusqu'à présent.
En 1876, pendant que les étrangers trompaient les autorités chinoises sur leurs intentions, ils parvinrent à construire une ligne de chemin de fer entre Changhaï et Wousong, à de là. Deux mois après l'inauguration de la ligne, un Chinois fut écrasé par le train. Les autorités prirent aussitôt prétexte pour agir contre le chemin de fer. Celui-ci devait être vendu à l'administra tion provinciale qui s'engageait par là à en maintenir l'exploitation pendant une année révolue. Comme le chemin de fer avait marché avec beaucoup de rende ment, les étrangers en furent d'autant plus stupéfaits que, à l'échéance du terme, les rails furent démontés et les voitures et locomotives expédiées à Taïwan. On avait pourtant espéré que les Chinois, après avoir enfin compris que le chemin de fer était une entreprise très rentable, auraient eu un mouvement en faveur de la construction d'autres lignes.·
Les étrangers s'expliquèrent immé diatement cet acte en pointant du doigt le fong-choueï.Cependant, à aucun moment de la construction et de l'exploitation du chemin de fer, il n'y avait eu de problèmes avec le fong-choueï. Quand il y en a eu, c'était assurément pendant la construction des tracés rectilignes des voies puisqu'ils pouvaient passer au milieu de sépultures. Mais justement ces tracés rectilignes était parvenus à les éviter en suivant les chemins publics.
La longue durée de ce chemin de fer équivalait à un encouragement pour d'autres actions et, pour jeter de la poudre aux yeux des étrangers et manifester une indépendance politique, le démontage de la voie ferrée fut une mesure nécessaire. En 1863, Li Hong tchang, alors gouverneur de la province du Kiangsou, avait rejeté l'autorisation de construire une voie ferrée entre Changhaï et Soutcheou en invoquant que les chemins de fer n'étaient bons pour que s'ils étaient construits et exploités par les Chinois eux-mêmes. Il ne faisait nulle mention du fong-choueï dans son refus. Les principes politiques étaient tant bien que mal décisifs à la construction de chemin de fer. C'est fut exactement cela qui décida du démontage de la première voie ferrée de Chine.
La voie ferrée suivante, cette fois-ci sous la direction chinoise, fut mise en chantier en 1881. Aucun rapport ne signale de difficulté à cause du fong-choueï. Ainsi, les constructeurs de chemin de fer dans le Chantong n'ont rencontré aucune difficulté première due à des « préjugés religieux ». Par une sage pré-voyance en 1899, ils ont conclu avec l'administration chinoise et les chefs de village un contrat qui stipulait que les chefs de district et de village devaient arpenter ensemble avec un ingénieur allemand le terrain nécessaire à la voie ferrée et en calculer le coût moyen. Cela comprenait également les dommages causés aux cultures, le prix des travaux et les indemnisations pour les déplacements de sépulture. Mais le fong-choueï avait également des rétombées sur la construction du chemin de fer du Chantong. Ainsi, dans de nombreux cas, il servi de base. Les gares ne devaient pas être installées trop près des lieux desservis dans l'intérêt du trafic. Il a d'ailleurs fallu en changer pendant la deuxième moitié des travaux.
On peut conclure que le fong-choueï ne fut pas un obstacle général pour le progrès de considérations pour le fong-choueï doivent sans doute être prises ou, du moins, en tenir compte dans les prévisions. La plupart ont trouvé une mesure appropriée pour neutraliser une influence néfaste inévitable et conséquente. Sinon les conflits n'auraient pas manqué.
Avec la perte de la protection officielle, le fong-choueï a beaucoup perdu de sa signification d'autrefois. Aujour d'hui, on ne prend plus tant d'égards vis à-vis du fong-choueï du voisinage. Le fong-choueï qui fut un temps toute une préoccupation et qui a marqué le visage de toute une ville prend aujourd'hui de plus en plus l'allure d'une affaire privée de propriétaires d'une maison ou d'une entreprise.
Comme les étrangers se moquaient du fong-choueï avec arrogance ou ignorance, leur rencontre avec celui-ci fut marquée dès le départ par des antagonismes lesquels les poussaient à une plus forte opposition au fong-choueï. Si plusieurs églises n'ont pas été complètement brûlées, on a quand-même renoncé aux hauts clochers. Parfois, il n'y avait plus que la cheminée que l'étranger plaçait sur le toit en veillant soigneusement à ne pas déplaire. Ainsi les incidents s'accumulaient et tout étranger avait vite son histoire du fong-choueï à raconter. Quelle en est l'authenticité, cela n'intéresse déjà plus puisque tout peut s'expliquer par le fong-choueï.
L'espoir des étrangers, notamment des missionnaires, que la construction des chemins de fer et des lignes télégraphiques qui sillonnèrent en ligne droite le pays affecterait l'intégralité du fong choueï ne s'est nullement réalisée. En fait, c'est la diffusion de la pensée occidentale que l'intégralité du fong-choueï a accomplie. ■
[NDLR. Malgré l'opposition des autorités chinoises, une guilde de négociants britanniques et américains monta la ligne ferroviaire Changhaï-Wousong (Shanghai-Woosung) qui se faisait nécessaire du fait de l'envasement de la riviére Houangpou (Whangpu). Aprés à peine deux mois d'exploitation, un soldat chinois fut tué sur les lieux en août 1876. Cet acte souleva une telle opposition de la population que la ligne fut fermée. Les autorités locales rachetaient effectivement la ligne, mais ne l'ont jamais exploitée. Cet acte jugé défiant témoignait également de la volonté du gouvernement d'agir librement en la matière. Puis, la ligne fut démantelée et expédiée à Taïwan, comme l'auteur indique. Il faudra attendre quelque vingt ans avant l'octroi des premières concessions de chemin de fer aux puissances étrangères en Chine.]