En mars dernier, un million de Taiwanais sont descendus dans les rues de Taipei pour dénoncer l’hostilité et les manœuvres de la Chine. Celle-ci venait en effet de se doter d’une législation — la loi dite « antisécession » — jetant les bases juridiques d’un recours à des moyens non pacifiques envers Taiwan dans l’éventualité où l’île montrerait des velléités d’indépendance. Les manifestants ont alors protesté, moins contre la Chine que contre l’autoritarisme de ses dirigeants. En d’autres mots, ils ont opposé leur liberté d’expression à l’absence de démocratie sur l’autre rive du détroit.
Le mois d’octobre est ici celui des célébrations du Double-Dix, la fête nationale qui tombe le 10. Cette date commémore le soulèvement de Wuchang en 1911 qui a provoqué la chute de la dynastie manchoue et la fondation de la République de Chine trois mois plus tard. Le 10 octobre est donc une date à ne pas oublier, parce qu’elle marque le début d’un long et douloureux processus politique dans le monde chinois qui a abouti, 90 ans plus tard, à l’avènement de la démocratie à Taiwan, mais pas en Chine, malheureusement.
Cette démocratie, les Taiwanais la chérissent et sont prompts à la mettre en avant. Il leur a fallu attendre un certain temps, la levée de la loi martiale en 1987 notamment, pour en goûter les fruits jusqu’alors défendus. Aujourd’hui, de ce côté-ci du détroit, la liberté est inconditionnelle. Les droits de l’homme y sont garantis et respectés, les habitants s’impliquent avec enthousiasme dans la vie électorale et politique de la nation.
L’économie a beau actuellement rapprocher la Chine et Taiwan, le malentendu politique entre les deux parties n’en persiste pas moins. Les dirigeants chinois ont cette année augmenté la pression en votant la loi « antisécession », en demandant la levée de l’embargo européen sur les ventes d’armes — des armes que l’armée chinoise pourraient utiliser contre l’île — et en faisant obstacle une nouvelle fois, en septembre, à la candidature de Taiwan aux Nations unies.
Pourtant, il ne s’en faudrait pas de beaucoup pour assurer la paix et la stabilité dans le détroit. Il suffirait simplement que Pékin réponde aux offres de négociations de Taipei sur des sujets d’abord très pratiques tels que, par exemple, la coopération dans la lutte contre la criminalité sur l’une et l’autre rive, l’établissement d’un téléphone rouge entre Taipei et Pékin, afin de prévenir un conflit. A ce titre, les accords obtenus sur les liaisons aériennes directes ponctuelles ou le survol du territoire chinois par les appareils commerciaux taiwanais sont très encourageants mais largement insuffisants.
Pour donner un sens au soulèvement de Wuchang, un événement célébré de part et d’autre — il est inscrit sur le monument dédié aux héros du peuple chinois qui s’élève au milieu de la place Tiananmen, à Pékin —, ainsi qu’au sacrifice de ceux qui, en 1989, au même endroit, ont offert leur vie pour une autre révolution chinoise, il faut que les Taiwanais continuent de se battre pour la paix dans le détroit mais aussi pour la démocratie dans l’ensemble du monde chinois. ■