28/04/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

La recette du succès

01/02/2004
Dans une boulangerie Children Are Us, de jeunes handicapés mentaux emballent les viennoiseries qui seront vendus dans la journée.

>> Plutôt que d'en faire des assistés, l'association Children Are Us donne à de jeunes handicapés mentaux les clés de l'insertion professionnelle

Le jour de la fête de la Mi-Automne, Hsiao-jung, apprenti-boulanger, était heureux à plus d'un titre. D'abord, il a profité de cette journée fériée pour se reposer, car il travaille dur, comme la plupart des Taiwanais. Ensuite, cette célébration a eu pour lui une connotation particulière, puisqu'elle symbolise en quelque sorte un accomplissement, celui d'un travail acharné de plusieurs semaines durant lesquelles il a préparé des milliers de ces « gâteaux de lune » dont les Taiwanais aiment se régaler à cette époque de l'année.

Si son travail à la boulangerie n'a rien d'extraordinaire, Hsiao-jung, lui, est un peu spécial : à 35 ans, il a encore l'âge mental d'un enfant. Mais il est fier de travailler et de toucher un salaire, tout ça grâce à l'action de la fondation Children Are Us. Cette fondation reconnue d'utilité publique vient en aide aux personnes atteintes d'un handi cap mental.

Créée en 1995, l'association exploite à Kaohsiung, à Taipei et à Hsinchu, une chaîne de boulangeries et de restaurants qui emploient des handicapés mentaux en cuisine et en salle. En leur offrant des lieux de travail protégés, l'association leur donne la possibilité d'acquérir une formation professionnelle et leur insuffle la confiance en eux suffisante pour leur permettre d'affronter le monde.

Ne vous méprenez pas : Children Are Us n'emploie pas d'enfant dans ses boulangeries et ses restaurants, mais seulement de « jeunes » adultes. « Le nom de l'association a été choisi pour mieux faire comprendre aux gens que ces handicapés sont restés des enfants, précise Wu Ting-fang [武庭芳], vice-présidente de la fondation. Il existe beaucoup d'expressions pas toujours correctes pour parler des personnes souffrant d'un retard mental, et une des choses que nous voulons faire évoluer, à travers le choix du nom de notre fondation, c'est l'image qu'en ont les gens. »

Les progrès sur ce point sont indéniables. Children Are Us facilite maintenant aussi l'embauche des handicapés mentaux ailleurs, chez Pizza Hut ou 7-Eleven, par exemple.

« Il est toujours ponctuel et travaille dur pendant tout son service, dit Chen Chao-te [陳兆德] d'A-hsien, l'handicapé mental qu'il emploie dans le magasin 7-Eleven dont il a la gestion à Taipei. J'ai moins de problèmes avec lui qu'avec mes jeunes employés qui se plaignent sans cesse et veulent tout le temps prendre des congés. »

Chen Chao-te est satisfait, et A-hsien aussi : « J'aime bien travailler, j'aime être occupé, dit-il tout en garnissant les rayonnages Seulement, parfois, il m'arrive de rater le bus, et je suis en retard de 20 minutes. Ce n'est pas bien ! »

C'est l'assiduité des personnes employées par Children Are Us qui a fait le succès de ce programme d'insertion par le travail. Et puis, si beaucoup d'associations de ce type dépendent exclusivement des subventions de l'Etat, Children Are Us s'autofinance en grande partie. Ses boulangeries et ses restaurants, une fois déduits les salaires des personnes qui y travaillent, couvrent 55% du financement nécessaire, le reste provenant pour moitié de dons privés et pour moitié de l'aide publique.

Favoriser l'autonomie et le sens des responsabilités, voilà les principes à l'honneur qui figurent d'ailleurs dans les statuts fondateurs de l'association. « Nous préférons apprendre à ces personnes comment ramener un poisson en le pêchant elles-mêmes plutôt que simplement le leur donner, le plus important ensuite étant de les accompagner jusqu'au bout, c'est-à-dire de leur fournir l'opportunité d'une insertion professionnelle. »

La recette du succès

Une petite pause dans le travail.

La réussite de la démarche de Children Are Us se constate aisément dans le cas d'A-hsien, même si le regard que l'on continue de porter sur les handicapés, la modeste assistance que les pouvoirs publics leur fournissent ou, parfois, le rejet des familles qui ne savent pas comment agir avec ces personnes spéciales, continuent de poser problème.

L'été dernier, une femme originaire de Kaohsiung a fait la une des journaux parce qu'elle avait entretenu des relations incestueuses avec ses deux fils handicapés mentaux. Tout a commencé 4 ans plus tôt, quand le fils aîné, alors âgé de 16 ans, a manifesté les signes d'une activité sexuelle propre à son âge. Lorsque le fils cadet a appris qu'un arrangement sexuel avait été convenu entre sa mère et son frère, jaloux, il a exigé le droit au même traitement. La mère explique, pour sa part, qu'elle a voulu éviter un sentiment de frustration sexuelle chez ses fils qui aurait pu les conduire à commettre des actes violents.

Il est navrant, certes, que cette femme n'ait pas cherché une aide psychologique plus tôt, mais ce qui est encore plus choquant, c'est l'attitude du médecin à qui elle s'est finalement adressée pour résoudre son problème : au lieu de contacter les services sociaux, celui-ci a préféré avertir les médias.

Ce cas extrême montre que, dans leur désir de s'occuper seules des leurs quand ceux-ci souffrent d'un handicap mental, les familles finissent souvent par aggraver les problèmes. « C'est une attitude fréquente dans les foyers où l'on trouve un enfant handicapé, la plupart des familles étant réticentes à demander de l'aide », explique Wu Ting-fang.

Cependant, quand les parents ne sont plus là, la prise en charge devient un réel problème social. Et c'est aussi à ce moment qu'on mesure l'ampleur de l'insuffisance des services publics en la matière. « Il y a une grande différence entre les programmes sociaux en faveur des handicapés à Taiwan et ceux qui existent aux Etats-Unis, par exemple », souligne la responsable de Children Are Us.

Néanmoins, il y a ici des législations strictes destinées à les protéger. Ainsi, un décret de la commission d'Etat du Travail oblige les entreprises qui emploient de 50 à 100 salariés à embaucher au moins un handicapé, sans quoi elles encourent une amende mensuelle d'environ 16 000 dollars taiwanais. Hélas, s'indigne Wu Ting-fang, la plupart des entreprises préfèrent encore payer l'amende.

Une part des sommes collectées par le biais de ces amendes sert cependant à financer des programmes d'assistance aux handicapés, ainsi que l'action d'associations semblables à Children Are Us. Une autre part est reversée aux handicapés sous la forme d'allocations mensuelles d'un montant de 6 000 à 7 000 dollars taiwanais.

Wu Ting-fang pense que l'Etat devrait continuer de récompenser les entreprises et les individus qui travaillent avec des handicapés mais aussi pénaliser davantage ceux qui ne le font pas. Elle souhaite que davantage de handicapés mentaux puissent suivre des formations professionnelles adaptées qui leur permettent de montrer de quoi ils sont capables. Une fois l'indépendance acquise, ajoute-t-elle, une personne qui souffre de déficience mentale peut se révéler un élément précieux pour la société.

Ce n'est pas Hsiao-jung qui la contredira. « J'ai beaucoup appris grâce à Children Are Us. J'ai un travail, et je ne suis plus un enfant », déclare-t-il fièrement. ■

L'association Children Are Us dispose d'un site Internet accessible à l'adresse suivante : http://www.c-are-us.org.tw.

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