14/06/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Un fabricant de bicyclettes devenu un géant

01/10/2002
Les vélos de course de l’équipe espagnole « Once » au Tour de France de cette année ont été fabriqués par Giant.(Aimable crédit de Giant)

>>Taiwan est depuis de longues années un des premiers exportateurs de bicyclettes dans le monde. La fabrication de la petite reine a été développée dans l’île par des PME familiales, dont l’une d’entre elles, en choisissant la voie internationale, a lancé une marque prestigieuse

Giant Manufacturing Company est sans doute le premier fabricant asiatique à avoir vu ses bicyclettes disputer le Tour de France. Pendant des décennies, ce sont les marques européennes, telles que Colnago, Pinarrello et De Rosa, qui ont essentiellement dominé la grande épreuve cycliste. Cette année, parrainés par la firme taiwanaise, les Espagnols de « Once », avec le nouveau modèle TCR Gold, ont remporté le Tour au classement par équipe. Grâce à son cadre en fibre de carbone - un matériau utilisé dans la fabrication des avions et des missiles - , la bicyclette ne pèse plus que 6,5 kg.

Comme d’autres industriels de l’île, les fabricants de vélos sont aujourd’hui confrontés à la redoutable compétition de leurs homologues continentaux. Beaucoup ont délocalisé leur production. Giant est aussi allée sur le continent pour profiter d’une main-d’œuvre moins coûteuse mais a su également sortir des sentiers battus en plaçant l’innovation et la qualité au-dessus de tout.

Depuis qu’elle collabore avec le Centre de recherche et de développement sur la bicyclette - un organisme semi-officiel de Taiwan -, Giant a vu la qualité de ses produits s’améliorer considérablement et acquérir une renommée internationale.

La firme taiwanaise, fondée en 1972, a d’abord fabriqué sous licence, avant de lancer sa propre marque en 1981. Cinq ans après, ayant perdu Schwinn, un important partenaire, Giant, sous l’influence de son PDG, King Liu [劉金標], s’est lancée dans l’aventure de l’internationalisation.

« Les sous-traitants manquent toujours d’informations sur le marché, remarque-t-il. Sans la connaissance du marché, il est impossible de prévoir les tendances ou de bâtir des stratégies commerciales adéquates. »

De 1986 à 1991, Giant a fondé des filiales commerciales aux Etats-Unis, aux Pays-Bas, au Japon, en Australie et au Canada. Cela n’a pas été de tout repos. Aux Etats-Unis, par exemple, le fabricant taiwanais avait établi trois entrepôts et dix points de vente, qui, en quinze ans d’activités, avaient perdu 30 millions d’USD. « C’était une grave erreur d’avoir étendu si rapidement nos activités aux Etats-Unis. Notre équipe commerciale n’a pas pu maintenir l’allure », reconnaît King Liu.

Les actionnaires et le personnel préféraient abandonner ce marché saturé. Antony Lo [羅祥安], un dirigeant de l’entreprise, était, lui, persuadé que si la société échouait sur le marché américain, il lui faudrait alors renoncer à se développer à l’international.

Après plusieurs campagnes commerciales réussies et, surtout, en ayant amélioré les services fournis, Giant a réussi en 2000 à faire des profits aux Etats-Unis, se plaçant parmi les trois premières marques de vélos sur ce marché.

Se tournant vers l’Union européenne, la firme taiwanaise a cherché à en éviter les droits de douane et les taxes antidumping. Elle a donc décidé de produire des vélos haut de gamme à l’intérieur même de ce vaste marché, en établissant en 1996 une chaîne d’assemblage à Lelystad, aux Pays-Bas.

Elle a délégué à la direction locale la gestion de l’usine qui produisait les bicyclettes de A à Z. Cependant, pas plus de 200 vélos sortaient chaque jour des ateliers hollandais. Les ouvriers suivaient en effet tout au long de la chaîne l’article qu’ils fabriquaient, alors qu’à Taiwan, en raison de la division du travail, leurs homologues n’opéraient que sur un aspect particulier de la production et parvenaient à produire plus de mille unités quotidiennement.

Après avoir enregistré dans son usine de Lelystad des déficits pendant deux ans, Giant y a adopté une production de masse pour résoudre le problème. Le directeur de l’usine, Pieter Van Wijngaarden, était a priori opposé au changement et a chargé un cabinet de consultants néerlandais de comparer les deux processus de fabrication. Il s’est convaincu de la nécessité de le modifier après avoir visité le siège de Giant à Taichung et une usine de l’américain Trek, qui avait adopté lui aussi la méthode de travail de la firme taiwanaise.

Afin de former ses directeurs en Hollande, Giant les envoie en stage à Taiwan. Ces derniers changent fréquemment de responsabilités et, en outre, ont pour habitude d’informer leurs subalternes des résultats de l’usine, tout en écoutant leurs suggestions. « En Europe, les salaires ne sont pas la préoccupation principale. Ce qui importe surtout, c’est de connaître la réelle motivationdes employés », explique Pieter Van Wijngaarden.

Contrairement aux autres fabricants taiwanais de vélos qui, dans la précipitation, ont cherché à délocaliser massivement leur production en Chine continentale, King Liu et son équipe ont pris leur temps, étudiant la situation pendant quatre ans avant d’installer en 1992 une usine à Kunshan, dans le Jiangsu, près de Shanghai. L’année suivante, Giant faisait équipe avec la marque chinoise Phœnix pour monter une autre usine à Shanghai même.

La plupart des autres industriels insulaires, les uns après les autres, se sont implantés dans la province du Guangdong pour produire, toujours sous licence pour de grandes marques internationales, des articles destinés à l’exportation. Giant, pour sa part, a jeté son dévolu dès le départ sur le marché intérieur continental. Grâce à ce choix stratégique, elle est en fin de compte devenue la première marque en Chine avec une production de 3,02 millions de bicyclettes l’an dernier dont environ un tiers vendu sur place.

Aujourd’hui, Giant dispose de plus de mille points de vente en Chine continentale. Même si ses bicyclettes sont vendues deux fois plus cher que celles des marques continentales, King Liu estime que l’essor économique sur le continent se poursuivant, de plus en plus de Chinois préféreront acheter des vélos de meilleure qualité.

Dans le monde, Giant emploie actuellement environ 3 890 ouvriers, dont 21% à Taiwan et 72,5% en Chine. L’an dernier, le groupe a produit 3,91 millions de bicyclettes, dont 77% sont sorties des usines de Chine continentale. Bien que le chiffre d’affaires n’ait été que de 427,85 millions d’USD en 2001, Giant est l’une des trois premières marques de vélos tant aux Etats-Unis qu’en Europe, et le plus grand exportateur de bicyclettes vers le Japon, l’Australie et le Canada.

Au cours des six premiers mois de l’année, Giant a enregistré des ventes de 250,16 millions d’USD, en hausse de 19,7% par rapport à 2001, ce qui lui permet d’espérer pour l’année en cours une production totale de 4,5 millions de bicyclettes estimée à 445,56 millions d’USD.

Hormis ses trois sites de production à l’extérieur de l’île, Giant dispose aujourd’hui d’environ 10 000 points de vente répartis dans 50 pays.

« Tout au début, nous avions peur de dire que Giant était une marque taiwanaise, car beaucoup pensaient à cette époque que les produits de l’île étaient de qualité médiocre », se rappelle Anthony Lo. Au début des années 90, Giant a repris 1 600 vélos en fibre de carbone de la première génération, à la suite de plaintes de 5 clients dénonçant des défauts de fabrication. La direction de Giant a alors fait détruire toutes ces bicyclettes devant le personnel, se jurant de ne plus fabriquer que du matériel de qualité supérieure. Par la suite, se débarrassant de ses complexes, Giant a apposé le drapeau de la République de Chine sur chacun des articles qu’elle a produits, la marque ayant aujourd’hui un rang international.

King Liu estime cependant que la mondialisation n’est pas aussi simple et ne se résume pas à exporter ou à monter des usines en Chine continentale. Elle implique une extension des réseaux de vente et l’intégration des ressources dans les différents pays.

Ce n’est qu’après avoir conquis une grande réputation sur les marchés américain et européen que la firme s’est lancée en Chine continentale pour y réaliser des économies d’échelle. « Alors que le marché est saturé dans les pays plus avancés, la Chine est un marché immense où la production pour Giant n’a pas de limite, assure King Liu. Le marché chinois offre aussi la possibilité aux fabricants taiwanais de se libérer de l’emprise de la production sous licence pour lancer leur marque. »

Alors que les usines de Giant à Taiwan, aux Pays-Bas et en Chine produisent des modèles différents, le marketing à l’échelle mondiale, comme la recherche et le développement, sont fermement contrôlés par la direction centrale à Taiwan.

« L’approche de type américain pour le marketing est souvent imposée par la direction aux sphères inférieures et est parfois incontournable. L’avantage de fixer la politique marketing dans l’île est que nous sommes sur place plus réceptifs aux suggestions et que nous nous y adaptons mieux aux différents besoins des marchés », note Anthony Lo qui précise que Giant consacre 5% de son chiffre d’affaires annuel aux études de marketing international.

Les dirigeants de la firme taiwanaise savent que les entreprises fabriquant des produits finis, comme la bicyclette, sont facilement emportées dans le tourbillon de la compétitivité si elles n’innovent pas. Et puisque la production principale est délocalisée, la direction insulaire de Giant doit continuer de développer de nouveaux modèles tout en gardant ses fournisseurs. « Quoique petite, Taiwan est une pierre de touche pour éprouver les articles destinés aux marchés avancés et en voie de développement », insiste King Liu. ■

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