29/06/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Un nouvel objectif féminin : maigrir

01/01/1985

En apercevant la nourrice de Juliette, Roméo s’exclama sur un ton enjoué: « Une voile! Une voile! ». En effet, elle halète sous l’effort, déplace avec peine son corps massif et s’avance lentement vers le jeune homme et ses compagnons. Depuis Roméo et Juliette, la caricature de la femme au foyer, obèse et flasque, a amusé plusieurs générations.

Le théâtre est le miroir de notre monde. Nous pouvons reconnaître chez la « nourrice» de Shakespeare les traits caractéristiques de la ménagère tradition­nelle qui fait la cuisine, lave et repasse, élève les enfants et sert son mari. En re­vanche, elle ne dispose guère de temps pour s’adonner à une gymnastique amin­cissante qui la maintiendrait en forme. Les tâches ménagères n’aident point à nourrir l’esprit, ni à développer harmonieusement le corps. Les exercices physiques nécessaires à la bonne santé du corps et de l’esprit ne font pas partie des travaux domestiques. Et la pauvre femme au foyer devient de plus en plus difforme au fil des ans. Mais comment y remédier?

De nos jours, certaines femmes dési­reuses de vivre d’une manière plus enri­chissante et plus ouverte essaient de sur­monter les contraintes surannées du foyer sans toutefois les abandonner. En dehors de la routine quotidienne, la femme moderne meuble son temps libre en suivant toutes sortes de cours : décora­tion florale, art culinaire, broderie, mu­sique, peinture. Elle surveille aussi sa ligne pour garder une silhouette gracieuse et élégante.

Le matin, les femmes se retrouvent dans les espaces verts de Taïpei pour tonifier les muscles et activer la circulation sanguine. Là, dans une allée, une femme effectue son jogging. Ici, sur une pelouse, une groupe fait du yoga. Plus loin, d’autres tapent des mains, lancent des coups de pied et pivotent: elles pratiquent le taï-tchi-tchiuan [ 太極拳 ], la « boxe des ombres » issue des arts mar­tiaux chinois composée de mouvements lents, d’assauts d’entraînement contre un adversaire fictif et d’enchaînements gracieux et harmonieux. Dans un square, un groupe de femmes de tous âges s’adonne à des danses folkloriques, au disco ou à la callisthénie. Partout règne la bonne humeur, et un air de santé farde les joues.

Chez elles, elles dansent et s’astrei­gnent à une gymnastique rigoureuse au moyen d’appareils courants. La perspec­tive d’acquérir une allure racée, un bon tonus musculaire et une forme physique éclatante les incite à persévérer. Parmi les exercices qu’elles peuvent choisir, les danses rythmées, comme l’aérobic, sont les plus prisées de tous les genres de danse. On mélange des principaux gestes de yoga et de gymnastique rythmique avec l’aérobic, le rock et d’autres danses modernes. Cela permet aux caractères exubérants d’extérioriser leur énergie, d’affiner leur grâce et de se modeler un beau corps.

D’innombrables salles de danse et de gymnastique se sont ouvertes récem­ment à Taïwan, ref1étant l’évolution du mode de vie des femmes. Il y a à peine dix ans, seuls les danseurs profession­ nels, vêtus de costumes moulants, osaient danser au rythme d’une musique disco devant des miroirs muraux. Un jour, aux Etats-Unis, Jacki Sounsen a bouleversé cette conception en préconisant de danser pour soi-même et non pour le spectateur. Elle a ainsi encouragé les femmes à profiter des bienfaits de l’aérobic, et les médias se sont chargés de les faire connaître aux femmes du monde entier. L’engouement général a aussi conquis Taïwan.

Ici, les femmes au foyer assistent aux cours de danse deux à trois fois par semaine, et celles qui travaillent y vont soit avant ou après le travail, soit pendant les heures de repas. Certaines entreprises plus modernes d’esprit ont des cours sur place pour leur personnel féminin.

Nouvelles installations et nouveaux styles.


Il y a huit ans, l’Association chré­tienne des jeunes femmes (ACJF, ou en anglais YWCA) de Taïwan fut la première à ouvrir des cours de danse rythmique pour dames. Selon M. Liu Jui-o (pron. Liô Joueï-eu), direc­teur de l’ACJF de Taïpei, ces cours cor­ respondent parfaitement aux buts de l’association, tendant à améliorer le maintien, la forme, la résistance physique et les contacts humains de ses membres dans un cadre approprié. Cette activité rend les femmes plus vives et plus sûres d’elles-mêmes en famille et dans le milieu social.

La première année des cours de l’ACJF fut la plus difficile, car les femmes n’osaient pas porter de tenues moulantes. On les persuada tout de même de mettre des collants, mais s’ob­server dans une glace avivait leur timi­dité et retardait leur progrès. Avec le temps, et surtout les publicités dansées au rythme de l’aérobic, les femmes, de plus en plus nombreuses, se sont aper­çues qu’elles pouvaient à ce prix embellir leur corps, être en meilleure santé et rendre plus agréable leur façon de vivre. Aujourd’hui, l’ACJF anime chaque saison à Taïpei dix-sept cours de danse rythmique pour des classes d’environ trente élèves. Certaines s’y plaisent telle­ment qu’elles en sont à leur dixième ins­cription consécutive.

Mais pourquoi les femmes se précipitent-elles aux cours de l’ACJF? M. Liu Jui-o énumère plusieurs raisons : des professeurs qualifiés, des tarifs peu élevés, un emplacement bien desservi par les transports urbains, la réputation de l’association qui travaille depuis trente-cinq ans pour le bien-être de la femme. En outre, chaque élève a des motifs personnels.

Madame Yeh, approchant la cin­ quantaine, déclare: « Quand mes enfants furent tous élevés il y a cinq ans, j’ai enfin eu du temps libre pour me consacrer à des activités qui me tentaient depuis belle lurette. Souffrant d’un manque d’exercices phy­siques, j’ai donc résolu de suivre des cours de danse. En quelques mois, je me suis sentie rajeunie, physiquement et morale­ment. Les méthodes d’enseignement du pro­fesseur Liu Lin-hui (pron. Liô Linn­ hrouei) et l’esprit de bonne camaraderie de ma classe m’ont beaucoup plu au point d’y a voir amené une nouvelle élève, ma fille de 23 ans.»

Certains studios de danse allant de l’avant ont des équipements de dernier cri.

Madame Tchen, mère de cinq en­fants et grand-mère de quatre petits­ enfants, nous dit: « Depuis que je viens ici, voilà déjà cinq ans, mes troubles physiologiques et cardiaques ont à peu près disparu. Je continue à danser et je constate que mes mouvements sont devenus légers. J’ai tant d’entrain que j’en oublie mon âge. »

L’Association chinoise d’aide aux jeunes (ACAJ) , dépendant des Jeu­nesses de Chine, a ajouté des cours de danse (aérobic) à ses programmes d’en­seignement de langues étrangères, de formation professionnelle, d’activités récréatives et de services sociaux. Elle offre ainsi quatorze cours de danse de six semaines que quatre cents femmes environ fréquentent régulièrement. Les femmes au foyer suivent les cours de la journée, les étudiantes ceux de fin d’après-midi, et les femmes qui travail­lent préfèrent ceux du soir. Comme l’ACJF, cette association, à but non lu­cratif, pratique des prix très raisonnables dont la modicité n’est nullement due à la mauvaise qualité de l’enseignement ou des installations : les professeurs sortent des meilleures écoles de danse où ils ont été formés aux nouvelles méthodes. Les salles disposent toutes de l’air condi­tionné, de plancher en teck, de grands miroirs muraux, de barres d’appui et un excellent équipement acoustique. Les locaux de Taïpei disparaîtront à la fin de l’année pour faire place au chantier du futur métro. Des salles encore plus mo­dernes prendront le relais.

Le virus de la danse a contaminé toute l’île. M. Tsai Chun-chen (pron. Tsaï Tchiunn-tchenn), professeur de danse, propriétaire de dix studios et producteur de vidéo-cassettes de danse édu­cative, attribue ce phénomène à trois causes principales: l’éternel désir des femmes d’être belles et de suivre la mode, le recrutement des professeurs parmi les danseurs diplômés des meil­leures écoles et publicité incessante faite par la presse et la télévision, La combinaison de ces trois facteurs explique l’en­thousiasme général. Même dans les vil­lages les plus isolés, les femmes s’amu­sent et se détendent au rythme de l’aéro­bic. Les associations communautaires fi­nancent aussi des cours gratuits ou à un prix très abordables,

Horaire: 14h 30 -16h
Lieu: Grande salle de l’AFC

Dans cette salle spacieuse de l’Asso­ciation des fermiers de Chou-lin (Shulin) (AFC), cinquante élèves, fortes pour la plupart, s’échauffent. Cer­tains exercices s’apparentent au yoga. Le professeur a élaboré un programme à l’intention des femmes au foyer. Les exercices visent à tendre les muscles, à contrôler la respiration et à maintenir pendant un certain temps des positions de judo. Ils brûlent la graisse superflue et procurent les mêmes résultats qu’un massage minutieux. Programme excel­lent pour les femmes qui ont longtemps manqué d’exercices.

Nous sommes arrivés le premier jour d’un cours de danse de six mois, en­tièrement subventionné par l’Associa­tion des fermiers de Chou-lin, Mme Chuang Mei-chen (pron. Tchouang Meï-tchenn), professeur bénévole, en­ chaîne ses cours toute la journée en ne percevant qu’une indemnité de trans­port. Deux fois par semaine, elle fait une heure et demie de route entre Taïpei et Chou-lin, son village natal. « Danser m’enchante plus que tout, et j’aime partager ce plaisir», avoue-t-elle.

Les échauffements terminés, la leçon commence. Comme stimulant, elle passe systématiquement les enregis­trements des chansons à la mode. Au rythme de la musique, les élèves se pen­chent, se déhanchent, soufflent, tapent dans les mains, sautent, se pavanent, lèvent la jambe. Même si quelques-unes réagissent à contre-temps, elles sont toutes enchantées. Les élèves de ce cours veulent surtout maigrir et se maintenir en forme. Les réactions de leurs fa­milles sont unanimes: « Mon mari et mes enfants sont tous d’accord. » Quel plaisir y trouvent-elles? Celui de passer un bon moment et d’oublier momentanément les soucis de la maison.

Les mouvements sont libres et sans contrainte pour garder un bon entrain.

 « Dansez souvenr, et vos efforts seront récompensés» est plus qu’un slogan pu­blicitaire. Le docteur Chen Po-kuang (pron. Tchenn Po-kouang), spécialiste à l’hôpital de l’Université nationale de Taïwan à Taïpei, pense que l’aérobic permet de développer les capacités mus­culaires, de stimuler le métabolisme et d’assurer le bon fonctionnement du coeur, des poumons et de l’appareil res­piratoire. Tout le monde peut danser li­brement et s’inquiéter du rythme de la musique, exception faite de certains ma­lades du coeur ou d’hypertension qui doivent modérer les mouvements trop énergiques.

Aux débutantes un peu rouillées qui souffriraient de courbatures, le docteur Chen Po-kuang conseille les compresses chaudes et les massages. La sensation de douleur disparaît au bout de deux se­maines. Si la danseuse inexpérimentée abandonne trop tôt, elle perd le plaisir et les bienfaits de son entraînement.

La danseuse qui persévère atteint une sorte de catharsis du corps et de l’es­prit à travers la transpiration et le rire. Une bonne suée débarrasse le corps. de ses toxines, les sons de la musique et du rire conjugués libèrent l’esprit de certaines contrariétés et tensions inutiles. Les danseuses deviennent plus sociables et se lient plus facilement, car elles se sentent mieux dans leur peau. L’entraî­nement leur accorde de goûter l’art de la danse et d’élargir leur horizon.

Imaginez la joie des femmes d’au­jourd’hui, si un jour les metteurs en scène avaient du mal à trouver une femme obèse et nasque stéréotypée pour jouer le «bateau à voile» de Roméo et ses compagnons. ■

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