En juillet 1997, l'Assemblée nationale de la République de Chine a procédé à une nouvelle série de réformes constitutionnelles, la quatrième depuis la levée de la loi martiale il y a exactement dix ans. En voici les principaux points.
C'est peu de temps après son élection au suffrage universel direct, le 23 mars 1996, que le président de la République de Chine, M. Lee Teng-hui, a évoqué la nécessité d'une nouvelle révision des institutions. La présente constitution, formulée en 1946, a déjà été amendée trois fois depuis la levée de la loi martiale en juillet 1987.
En 1991, les Dispositions provisoires pendant la période de mobilisation nationale pour la répression de la rébellion communiste ont été abolies et de nouvelles élections ont été organisées à l'Assemblée nationale.
En 1992, une seconde série d'amendements constitutionnels a jeté les bases de l'élection au suffrage universel direct du président et du vice-président de la République, et modifié l'organisation et les fonctions du Yuan de Contrôle qui, d'organe parlementaire, est devenu un organe quasi judiciaire.
En 1994, les règlements et procédures pour l'élection des membres de l'Assemblée nationale et du Yuan législatif ont été modifiés.
En décembre 1996, c'est à l'initiative du chef de l'Etat qu'a été réunie la conférence sur le Développement national qui a défini les grandes lignes des nouveaux amendements constitutionnels. Ces états généraux, auxquels ont participé des représentants de toutes tendances, se sont achevés par un consensus établi entre les deux principales formations politiques, le Kuomintang (KMT), actuellement au pouvoir, et le Parti démocrate-progressiste (PDP), la première force d'opposition, tandis que la troisième grande formation politique de l'île, le Nouveau Parti (NP), prenait ses distances en condamnant les réformes.
Le KMT et le PDP ont entamé une série de négociations au cours des deux mois de session de l'Assemblée nationale, qui s'est tenue du 5 mai au 23 juillet 1997. Quatorze amendements ont été adoptés en troisième lecture le 18 juillet par 261 des 269 députés du KMT et du PDP. Seuls 8 députés demeurés présents ont refusé leur soutien au projet de réforme. Pour manifester leur opposition, les 49 députés du Nouveau Parti avaient quitté la séance avant que ne se déroule le vote en troisième lecture.
Ces amendements ont pour but de transformer le gouvernement de la République de Chine en une dyarchie caractérisée par un rôle présidentiel renforcé, un premier ministre nommé par le seul chef de l'Etat, une législature aux pouvoirs diminués et une administration provinciale réduite à la portion congrue.
Le schéma final est le résultat d'une étroite collaboration entre le KMT et le PDP, dont les discussions ont parfois été difficiles — il a ainsi fallu reporter à deux reprises la date de clôture de la session de l'Assemblée nationale pour finaliser l'accord définitif —. Les dirigeants des deux partis ont exercé une forte pression sur leurs troupes respectives, afin qu'elles se conforment au schéma prévu pour les amendements durant les deuxième et troisième lectures.
Les observateurs ont estimé que cette collaboration entre les deux formations marque une évolution significative au sein du paysage politique taiwanais, le Nouveau Parti, formé voici quatre ans (août 1993), apparaissant désormais comme la seule véritable formation d'opposition.
Immédiatement après le vote en troisième lecture, le président Lee a remercié les membres de l'Assemblée nationale pour leur soutien, soulignant que ces nouveaux amendements auront un impact positif sur le développement futur de la nation. De son côté, le président du PDP, M. Hsu Hsin-liang, a déclaré durant une conférence de presse donnée le 18 juillet que, bien que son parti ne soit pas totalement satisfait des résultats, la révision de la constitution marque le début d'une ère nouvelle, les amendements reflétant les aspirations de la nation.
Gouvernement provincial : rationalisation administrative
Quand le gouvernement de la République de Chine est venu s'installer sur l'île en 1949, une confusion est apparue entre les prérogatives des autorités centrale et provinciale à Taiwan. La juridiction du gouvernement provincial s'étend sur plus de 98% du territoire et sur plus de 80% de la population actuellement placés sous l'autorité de la République de Chine. Les entreprises sous tutelle provinciale représentent plus de la moitié de la valeur totale de la production de l'ensemble des possessions de l'Etat. Il n'est pas difficile d'imaginer les effets d'une telle situation :
- chevauchement des postes et des fonctions aux niveaux central et local, avec, pour conséquence, un important gaspillage des ressources et une efficacité réduite affectant la mise en place des diverses politiques.
- le président de la République étant désormais élu au suffrage universel direct, sa circonscription électorale coïncide presque totalement avec celle du gouverneur. Dans de telles circonstances, il n'est pas exclu que le président du gouvernement provincial réalise un score électoral supérieur à celui du chef de l'Etat, nuisant à la légitimité de ce dernier et renforçant par là même son propre pouvoir.
- les élections qui ont lieu aux quatre niveaux du gouvernement (centre, province, districts et villes, communes) sont devenues très fréquentes. Nécessitant du temps, ainsi que des moyens financiers et humains importants, elles sont autant d'occasions pour la pègre d'intervenir dans le processus politique.
Les réformes visent donc à rationaliser l'organisation et les fonctions du gouvernement provincial et à garantir ainsi aux autorités centrales les moyens d'améliorer leur action. La structure du gouvernement va être ramenée à deux niveaux, dans une tentative d'économie des ressources publiques et d'amélioration de l'efficacité administrative.
Concrètement, les élections du gouverneur de la province de Taiwan et de l'Assemblée provinciale vont donc être annulées en 1998, au terme des quatre années de mandat des élus actuellement en place. Dans l'intervalle, une législation doit être adoptée afin de réduire les prérogatives du gouvernement provincial. La Loi d'autonomie des provinces et des districts fera également l'objet d'un amendement.
Un comité de neuf membres va prendre la direction du gouvernement provincial de Taiwan. Ses membres, dont son président — le futur gouverneur —, seront nommés par le premier ministre et approuvés par le chef de l'Etat. La même procédure sera suivie pour l'établissement d'un conseil consultatif auquel vont incomber les fonctions, modifiées, qu'occupe l'actuelle Assemblée provinciale de Taiwan. M. Chi Chun-chen, le directeur du département des Affaires civiles du ministère de l'Intérieur, a précisé que la rationalisation des attributions du gouvernement provincial, la réallocation des biens et des entreprises appartenant à la province, ainsi que les transferts de personnel, devront être complétés dans un délai de cinq ans. Les fonctions, structure, budget et dimension du personnel de l'administration provinciale seront réduits. Les pouvoirs dont était autrefois investis le gouvernement et l'assemblée de la Province, seront réattribués aux administrations des villes et des districts ou au gouvernement central. Le ministère de l'Intérieur a annoncé que l'actuelle Loi d'autonomie des provinces et des districts nécessitera des amendements qui seront votés d'ici la fin de 1998. Une législation supplémentaire sera également mise en place pour faire face à la nouvelle situation. Quant aux fonctionnaires provinciaux — plus de 180 000 personnes sont concernées par les mesures —, leur sort va être confié au ministère de l'Intérieur, ainsi qu'à la commission de Recherche, de Développement et d'Evaluation, qui vont être chargés de leur réaffectation. Dans la plupart des cas, ils seront transférés dans les administrations dont dépendaient leurs anciennes agences. Leur spécialisation et leurs préférences devront cependant être prises en considération.
Le ministère des Finances va se charger de la gestion de certaines banques et entreprises financières appartenant à la Province de Taiwan. De son côté, le ministère des Transports et des Communications est prêt à établir des coentreprises avec des compagnies privées et les gouvernements locaux pour gérer les quatre ports internationaux de l'île qui se trouvent à Kaohsiung, Taichung, Keelung et Hualien.
Yuan législatif : une redistribution des pouvoirs
Les nouveaux articles prévoient la suppression du pouvoir accordé au Yuan législatif d'approuver la nomination, par le président de la République, du premier ministre. En contrepartie, la législature gagne celui de voter une motion de censure qui obligerait le premier ministre à se démettre. Elle garde donc une influence décisive sur la désignation du chef du gouvernement, qui, à l'image de ce qui se produisait auparavant, ne pourra être choisi arbitrairement par le président de la République contre l'avis de la majorité. Si la motion de censure est soutenue par une majorité de députés, le premier ministre devra démissionner, mais il lui sera possible de demander au chef de l'Etat la dissolution de la législature. Si une majorité simple n'est pas trouvée au sein du Yuan législatif, aucune nouvelle motion ne pourra être déposée avant un an.
Avec une majorité des deux tiers, la législature pourra également lancer une procédure de destitution à l'encontre du président et du vice-président de la République pour sédition ou trahison, en soumettant cette proposition à l'Assemblée nationale. Cette prérogative était auparavant du ressort du Yuan de Contrôle. Le président et le vice-président seront déposés si les deux tiers des députés de l'Assemblée nationale endossent la motion.
La marge de soutien nécessaire aux législateurs pour refuser une demande de l'administration de reconsidérer les textes de loi a été réduite, passant d'une proportion des deux tiers des députés à une majorité simple. En revanche, les membres du Yuan législatif n'ont pas obtenu les pouvoirs d'organiser des auditions, de mener des enquêtes sur les administrations du gouvernement et d'effectuer des audits sur les dépenses de l'Etat.
Enfin, les législateurs, dont le nombre passe de 164 à 225 mais dont le mandat de trois ans demeure inchangé, perdent leur immunité en dehors des sessions du Yuan. L'article prévoyant qu'exception faite des cas de flagrant délit, aucun législateur ne sera arrêté ou détenu sans la permission du corps législatif a été modifié par une clause qui précise que cette provision ne s'applique désormais que lors des sessions législatives.
Président de la République : un rôle renforcé
Le président de la République se voit accorder de nouvelles prérogatives. Il n'aura plus besoin à l'avenir de l'approbation du Yuan législatif pour la nomination du premier ministre, ce qui renforce son rôle au sein du gouvernement central. En cas de vacance au sommet de l'Etat, c'est ce dernier qui accèdera à la présidence de la République et ce, jusqu'au terme du mandat présidentiel.
Il sera également possible au chef de l'Etat de dissoudre le Yuan législatif dans le cas où ce dernier aura approuvé une motion de censure contre le premier ministre. Le président disposera d'un délai de dix jours pour agir, à la demande du chef du gouvernement, mais il sera tenu de consulter le président du Yuan avant d'annoncer la dissolution. De nouvelles élections législatives devront être organisées dans un délai de 60 jours.
Le contreseing du premier ministre ou des membres de son cabinet ne sera plus nécessaire lorsque le président de la République promulguera une loi. En outre, des pouvoirs d'exception pourront être accordés au chef de l'Etat en cas de catastrophe naturelle, d'épidémie ou de crise financière.
Ces amendements doivent permettre d'assurer un meilleur équilibre des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif, en renforçant le rôle du président au sein de la structure dirigeante. Ils ne sont cependant pas assimilables à une extension des pouvoirs du chef de l'Etat, celui-ci restant soumis à une éventuelle procédure de destitution du Yuan législatif et de l'Assemblée nationale.
Et aussi...
Dans le domaine de la justice, la Haute Cour comprendra 15 juges nommés par le chef de l'Etat pour un mandat de 8 ans. Ils seront approuvés par l'Assemblée nationale. Deux juges seront nommés président et vice-président du Yuan judiciaire, dont le budget ne sera plus soumis à la révision du Yuan exécutif avant d'être proposé pour un vote du Yuan législatif.
A l'Assemblée nationale, 10% des sièges élus et 25% des sièges assignés par les partis seront réservés aux femmes. D'autre part, un amendement a supprimé le seuil minimum des dépenses consacrées à la promotion de l'éducation, de la science et de la culture dans le budget de l'Etat.
Un amendement stipule que le gouvernement doit garantir une participation suffisante des aborigènes à la vie politique et leur assurer son soutien dans les domaines de l'éducation, de la culture, de la construction d'infrastructures, des soins médicaux, du développement économique, de l'utilisation des terres et de la sécurité sociale. Il est également tenu de garantir aux handicapés une assurance, des soins médicaux, une éducation, une aide à l'emploi et un environnement dégagé de tout obstacle.
Dans le domaine des petites et moyennes entreprises, les administrations doivent proposer des mesures concrètes, telles que des subventions et des réductions d'impôts destinées à assurer la bonne santé de plus d'un million de PME taiwanaises qui représentent 98% de l'ensemble des entreprises de l'île et qui emploient 7,23 millions de personnes (soit un citoyen sur trois).
Les amendements constitutionnels votés le 18 juillet dernier sont le résultat d'une proche collaboration entre le Kuomintang et le Parti démocrate-progressiste. Des tâches restent cependant à accomplir. Les responsables du KMT et du PDP se sont mis d'accord pour la réunion d'une nouvelle session de l'Assemblée nationale au printemps 1998, afin de discuter des questions demeurées en suspens. Les deux partis partagent en effet les mêmes vues sur l'extension à quatre années du mandat des députés du Yuan législatif mais ils sont divisés à propos de questions-clefs telles que l'inscription des procédures de référendum dans la constitution, voulue par le PDP, et les modifications relatives à l'élection du président de la République (en particulier la proportion de suffrages requis pour remporter le scrutin présidentiel).
Sous la présidence de M. Lee Teng-hui, quatre séries d'amendements constitutionnels ont déjà été effectuées dans le but de mettre en place un système adapté à une nation moderne. Les trois premières étapes ont permis l'établissement de nouvelles institutions politiques et la promotion de réformes démocratiques. Cette quatrième série est destinée à stabiliser le pouvoir au sein du gouvernement central, à améliorer l'efficacité de l'administration, à mettre fin aux blocages au sein d'une législature à la majorité « introuvable », à lutter contre l'influence du milieu et de l'argent au sein du processus électoral et enfin, à renforcer la compétitivité internationale de la République de Chine.
D'après Evaluation rationnelle de la quatrième série de réformes constitutionnelles de la République de Chine, par Michael Y.M. Kau, professeur de science politique à Brown University, USA, et La dernière série de réformes constitutionnelles en République de Chine élargit-elle les pouvoirs présidentiels?, par P'eng Chin-p'eng, chercheur associé à l'institut des Etudes européennes et américaines à l'Académia Sinica.