21/10/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Monsieur Ching-kuo

01/01/1989

Le Président Chiang Ching-kuo s'éteignait le 13 janvier 1988, plongeant la République de Chine dans une profonde affliction, mais la rendant également fière de recevoir un héritage si lourd.

Elle est fière, en effet, d'avoir connu une progression continue vers la démocratie et la libéralisation au cours de ces dernières années. La transformation actuelle de la société et de la politique fut mise en mouvement grâce à la direction sage et prévoyante de l'ancien président de la République.

Le président de la République disparu, Chiang Ching-kuo, était très estimé et hautement respecté de tous ceux qui le connaissaient. On voit très justement en lui le principal architecte du système démocratique de la République de Chine à Taiwan tandis qu'il croyait avec conviction et se dévouait à la liberté, la démocratie et la justice sociale afin qu'elles se réalisent pour l'ensemble du peuple chinois. Et sa grandeur de vision qui l'élevait au-dessus du commun le rendit aussitôt populaire tant auprès des étrangers qui le surnommaient familièrement dans les salons Cicikey, c'est-à-dire les initiales de son nom (C.C.K.) lues à l'anglaise, qu'auprès des Chinois qui l'appelaient affectueusement Monsieur Ching-kuo (lire Tchying-kouo), appellation qu'il tolérait avec bonne humeur.

Durant toute sa vie, Monsieur Ching-kuo affronta de constantes épreuves, jusqu'à ses derniers jours où, assis sur chaise roulante, il venait accomplir son immense tâche pour le pays et le parti en honorant son engagement pour la République sans se plaindre ni abondonner son enthousiasme. Si des media occidentaux ont souvent persiflé, d'un ton parfois satyrique, qu'il avait tout simplement hérité de son poste et de son pouvoir de son père le président Tchang Kaï-chek, les faits ont rapidement démontré le contraire. En effet, avant de parvenir à la magistrature suprême de la République de Chine, il parcourut un long et pénible chemin à travers toutes les vicissitudes de la politique. Ainsi, sa direction politique était naturellement bien articulée et la base de son pouvoir reposait sur une grande popularité grâce à sa riche expérience dans les relations avec le public et les complexités du corps politique. Il était vraiment autant un familier de la base que des plus hauts échelons du pouvoir.

Cette expérience était liée à une large vision et une volonté de fer d'entreprendre une planification à long terme. Ainsi, il comprit que Taiwan était un pays encore peu développé vers la fin des années 60 ayant une agriculture prédominante avec un revenu par habitant relativement faible, il fallait donc l'industrialiser pour s'assurer quelque succès dans les décennies suivantes. A cette époque, l'industrialisation de Taiwan était nettement en retard et sa planification ne nourrissait dans son ensemble que des souhaits. De plus, sous le gouvernement central de forme moderne ayant une fonction plutôt autoritaire, il existait encore un immense fossé entre la masse traditionnellement instruite et l'élite de formation occidentale.

Monsieur Ching-kuo eut une vision de génie. Connaissant parfaitement les capacités d'endurance et de diligence au travail du peuple chinois, depuis la base jusqu'aux plus hauts sommets de l'Etat, il le poussa donc fermement à édifier une infrastructure sociale et économique dans le cadre de ses possibilités et de ses aspirations. Les fruits de ce mouvement sont la transformation historique de la société, la mutation de sa forme traditionnelle en un visage moderne et d'une base agricole en assise industrielle.

A un moment où d'aucuns étaient moins confiants en l'avenir de Taiwan ou bien se penchaient sur les aspects d'une politique étatique et une gestion de programmes, Monsieur Ching-kuo eut une plus large conception du futur. Il démontra son éminente sagacité puisqu'il réussit à donner une telle impulsion au travail de base qu'il produisit le miracle économique de Taiwan. En effet, il lança en priorité les Dix Grands Travaux de construction nationale, à savoir le chemin de fer du Nord (liaison Kilong-Houalien), l'autoroute transversale Nord-Sud, l'électrification du réseau ferroviaire, l'aéroport de Taoyuan de dimension internationale, les ports de Taïtchong (côte Ouest) et de Souao (côte Est), l'aciérie intégrée, les chantiers navals modernes, un complexe pétrochimique et une centrale nucléaire. C'est à lui qu'on en doit la planification et surtout dès 1973 la mise en chantier dont il venait inspecter personnellement le cours des travaux jusqu'à leur achèvement en 1980. Monsieur Ching-kuo a aussi compris que ces travaux d'infrastructure étaient en même temps étroitement liés à d'autres plans de développement d'ordre social et économique, tous essentiels à la modernisation du pays.

Dans cet ordre d'idée, Monsieur Ching-kuo réclama une plus grosse part du budget national pour l'éducation, car il entrevoyait le besoin d'une meilleure instruction pour une population en marche vers la modernisation. Son raisonnement était simple et direct, l'amélioration de la qualité de la vie de tous les habitants exige une meilleure productivité nationale. Une augmentation significative de celle-ci exige technologie et bonne gestion qui, à leur tour, demandent une main-d'œuvre plus instruite et mieux qualifiée. En conséquence, l'éducation devenait la clé du changement social et du développement politique de l'île.

Aux élections présidentielles de 1984, le président Chiang Ching-kuo choisit alors comme candidat de son parti à la vice-présidence de la République, M. Lee Teng-hui, tandis qu'il briguait lui-même un second mandat présidentiel. Ils furent tous deux élus. Ainsi, il assurait la magistrature suprême à cet originaire de Taiwan pour le cas où lui-même ne parviendrait pas à remplir ce mandat de six ans. Toute aussi logique, cette décision entrait dans le cadre des autres priorités poursuivies sans relâche. Il s'agit là de la « taiwanisation » du parti au pouvoir et des hautes responsabilités dans l'Etat. Monsieur Ching-kuo s'éleva bien au-dessus de menues distinctions provinciales ou régionales si communes dans l'histoire de Chine pour mettre l'accent sur le fait que la République de Chine à Taiwan était un mélange créatif de tous les Chinois dont le lieu d'origine familiale demeurait très secondaire devant les redoutables défis de l'édification d'une société viable, stable et équilibrée.

Dirigée vers cette optique, l'île entra dans une période de libéralisation qui avait semblé presque irréalisable il y a encore si peu de temps. Telle était la force de sa volonté et la grandeur de sa conception. Et que la libéralisation continue avec toujours autant d'intérêt malgré sa disparition soudaine.

Les faits sont rapides et assez impressionnants. En 1986, le gouvernement n'est pas intervenu dans la formation d'un nouveau parti d'opposition qui se fait entendre. Le président Chiang Ching-kuo avait personnellement déclaré le 7 octobre de cette année-là au cours d'une interview avec Mme Katharine Graham du Washington Post que son gouvernement proposerait bientôt la levée des Décrets d'urgence. La décision était donc prise avec ce long désir de « démocratiser » et d'améliorer les conditions économiques et sociales de Taiwan.

Malgré sa haute importance, la décision de mettre fin à un régime exceptionnel et d'autoriser la formation de nouveaux partis politiques ne revêt sans doute pas aux yeux des Occidentaux tant de signification, car ils n'y voient pas là un changement radical de direction ni une évolution politique. En effet, il y a fort longtemps que Taiwan n'a pas connu un régime d'exception tel qu'on l'interprète communément : une instabilité de régime avec le couvre-feu, de nombreuses restrictions sur les libertés et le déplacement des habitants et une certaine fonction politique pour les militaires. Néanmoins, la levée des Décrets d'urgence prouve que la République de Chine à Taiwan s'est maintenant assez développée et transformée pour passer d'un système politique autoritaire à un autre plus démocratique.

Ce fut encore Monsieur Ching-kuo qui poussa avec confiance et courage la nation à réaliser le passage d'une croissance économique dans la stabilité politique vers une démocratisation sociale et politique. Jusqu'à présent, 1987 semble l'année cruciale dans l'histoire de la République de Chine à Taiwan. Ce changement dans les domaines politique, social ou économique provient de l'autorité supérieure plutôt que de l'exception. Et son déroulement continu a étonné nombre d'observateurs de longue date qui doivent à tout moment réévaluer les impacts et les implications de la transformation dynamique de Taiwan.

Un développement des plus formidables se poursuit dans un domaine de toute première importance : ce sont les relations de l'île de Taiwan avec la Chine continentale. Malgré le maintien officiel du principe des « Trois Nons » (non aux négociations, non aux contacts, non aux compromis avec le régime de Pékin) du gouvernement de la République de Chine, Monsieur Ching-kuo a compris que Taiwan devait par tous les moyens diminuer la tension qui régnait entre les deux rives du détroit de Taiwan. Cette sage idée s'est vite transformée en action. Il a choisi M. Lee Huan, le numéro deux du parti au pouvoir, le Kouomintang, et son protégé politique en qui il avait toute confiance, pour élaborer une politique hautement subtile à l'égard de la Chine continentale, même après son départ.

C'est toujours Monsieur Ching-kuo qui a ressenti la vanité de précipiter le problème de la réunification et l'inconsistance d'isoler la région de Taiwan en proclamant son indépendance. Il a entrevu que la Chine continentale sous le régime communiste serait inévitablement confronté à des bouleversements chaotiques et éclaterait finalement en une multipolarité de systèmes. Il proclame enfin avec intelligence à toute la population de Taiwan de demeurer unie à la cause commune, de travailler consciencieusement, de maintenir une dignité internationale et d'éviter l'instabilité du pays. Tout ce qui arrive aujourd'hui est la manifestation du respect de tous à la mémoire d'un grand homme et la marque de sa persuasion à mener des hommes.

Phillip Chen,
Directeur de l'Institut d'Asie et du Monde, de Taipei.

Photographie d'archives.

[NDLR : Le président Chiang Ching-kuo et son père, le généralissime Tchang Kaï-chek, ont assurément le même nom de famille. Il s'agit là d'orthographes consacrées, chacune fondée sur différents systèmes de transcription. Selon le système français de la prononciation pékinoise, ces noms s'écrivent normalement : le premier Tsiang King-kouo et le second Tsiang Kié-che. On remarque alors l'identité patronymique des deux personnages.]

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