«L’économie doit enrichir le peuple ». C’est fort de cette conviction que Sean Chen [陳冲] a endossé le mois dernier ses nouveaux habits de Premier ministre. S’il est trop tôt pour connaître le détail des mesures qui seront prises pour atteindre l’objectif fixé d’une « croissance durable et partagée », la méthode employée par le Premier ministre peut se résumer en trois mots : détermination, professionnalisme et équilibre.
Respiration démocratique, l’élection présidentielle du 14 janvier dernier a été précédée d’un débat de qualité qui a permis d’établir des diagnostics dont semble aujourd’hui tenir compte le nouveau gouvernement. On a ainsi dépeint une économie certes en expansion mais trop dépendante de ses exportations. L’option du renforcement des échanges commerciaux avec la Chine a été validée mais il a également été souligné que les entreprises taiwanaises peinaient à conforter leurs positions en Amérique du Nord et en Europe et à prendre pied sur certains marchés émergents.
Décrite comme incapable de retenir ses meilleurs talents faute d’un nombre suffisant d’emplois qualifiés et rémunérés à leur juste valeur, la société taiwanaise, vieillissante, est perçue en outre comme de plus en plus inégalitaire. A la lueur des crises survenues aux Etats-Unis et en Europe, on s’est inquiété de l’évolution de la dette publique. Plus largement, les thèmes de la réduction des inégalités patrimoniales et d’une extension maîtrisée des systèmes de protection sociale (maladie, famille, retraite, dépendance) ont fait recette lors de la campagne.
Dès sa prise de fonctions, Sean Chen a donné un certain nombre de signaux montrant sa détermination à aborder de front ces différents chantiers. Prenant à bras-le-corps la question des échanges taiwano-américains, il a remis sur la table le dossier des importations de bœuf qui fait obstacle depuis 2007 à la reprise des discussions entre Taipei et Washington concernant un accord de libre-échange. Avec la nouvelle ministre des Finances, Christina Liu [劉憶如], il a annoncé la mise en place d’un groupe de travail chargé de proposer des mesures de réduction des déficits publics et de réforme de la fiscalité dans le sens d’une plus grande justice.
Pour mener à bien cette mission, le Premier ministre s’est entouré d’une équipe aux compétences économiques avérées. On y trouve Kuan Chung-ming [管中閔], ancien directeur de l’Institut d’économie de l’Academia Sinica, ou encore Simon Chang [張善政], jusqu’ici en charge chez Google des infrastructures pour l’Asie-Pacifique. Ce dernier sera responsable de formuler la politique de l’Etat en matière d’informatique dans le nuage, l’un de ces secteurs émergents dans lesquels Taiwan doit pousser son avantage sans toutefois s’enferrer dans des modèles économiques trop vite obsolètes comme cela a pu être le cas dans le passé avec le WiMax ou les DRAM.
Résolue et professionnelle, l’approche de la nouvelle équipe gouvernementale se veut aussi équilibrée et prudente. Christina Liu l’a clairement indiqué : il n’est pas question de grand soir fiscal ni de remettre en cause la compétitivité de l’économie taiwanaise. Il restera donc à juger sur pièces les décisions et les résultats du nouveau gouvernement. Une entreprise qui sera peut-être facilitée par la publication, dès l’an prochain, d’un « indice du bonheur intérieur brut » mesurant le bien-être des Taiwanais. Manière de vérifier si la « décennie dorée » promise par le président de la République Ma Ying-jeou [馬英九] trouve un début de concrétisation.