29/06/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Plus qu'un outil

01/02/2007
Si la peinture à l'encre ou la calligraphie sont de plus en plus pratiquées comme un hobby, les ventes de pinceaux restent limitées.

>> Après 94 années dans le métier, une maison spécialisée dans la confection des pinceaux de calligraphie lutte pour sa survie

L'artiste presse la pointe de son pinceau gorgé d'encre sur le papier. D'un léger mouvement du poignet, il la fait tourner sur elle-même, la relève un bref instant pour lui faire à nouveau effleurer la surface. Selon l'épaisseur du trait, la tête du pinceau reste effilée ou les poils s'étalent. Tout est dans la maîtrise du geste. Enfin, presque : la qualité du pinceau a aussi son importance.

La légende veut que le pinceau de calligraphie tel qu'il est connu des Chinois ait été inventé il y a quelque 2 200 ans par Meng Tian [蒙恬], un général dépêché sur les marches de l'empire, dans le Nord-Ouest de la Chine, pour contenir les velléités d'expansion des tribus voisines. Mais de récentes découvertes archéologiques suggèrent que l'utilisation de poils d'animaux pour la fabrication d'instruments d'écriture est encore plus ancienne.

Si la date de sa création reste incertaine, le pinceau a, dans le monde chinois, été employé pendant des siècles dans tous les écrits, depuis les documents officiels jusqu'aux missives privées, et ce jusqu'à ce que les stylos plume et à bille importés d'Occident se popularisent.

Les immigrants venus de Chine apportèrent naturellement leurs pinceaux avec eux à Taiwan, et leurs fournisseurs les suivirent dès qu'une fenêtre commerciale s'y entrouvrit. Ainsi, la maison Sam Yick, fondée en 1912 à Fuzhou, dans la province chinoise du Fujian, établissait en 1946 un comptoir à Taiwan, appelé Lam Sam Yick. Héritier de la troisième génération, aujourd'hui en semi-retraite, Lin Jen-kuei [林仁貴] explique qu'au départ, tous les pinceaux vendus ici par la maison étaient fabriqués en Chine, dans l'atelier familial de Fuzhou. Au bout de quelques années, son père et son grand-père commencèrent à en fabriquer sur place en utilisant des matières premières importées de Chine. Les affaires étant florissantes, ils se mirent bientôt à sous-traiter.

Transmission

Lam Sam Yick emploie aujourd'hui six artisans sous contrat. Lin Chin-fu [林金福], un maître artisan qui travaille pour cette maison et pour plusieurs autres depuis 20 ans, raconte qu'autrefois, les secrets de fabrication étaient jalousement gardés. « En Chine, dit-il, les familles étaient si nombreuses qu'on pouvait y trouver suffisamment de monde pour assurer la manufacture et la vente. » Mais ceux qui ont ouvert une filiale à Taiwan se sont retrouvés confrontés au manque de bras, et il a bien fallu qu'ils partagent leur savoir avec des artisans recrutés et formés sur place.

Lin Chin-fu a commencé comme colporteur. Il sillonnait la ville sur son scooter, les sacoches pleines de pinceaux, ne prenant guère qu'un ou deux jours de repos par mois. Au bout de trois ans environ, à la recherche d'un emploi moins astreignant, il a décidé de se faire embaucher comme apprenti chez l'un de ses fournisseurs. Cela n'a pas été facile : malgré les apparences, il faut entre trois et quatre ans pour maîtriser les techniques de base. Lin Chin-fu estime qu'on ne compte plus que 50 à 60 arti sans dans ce métier à Taiwan. La plupart travaillent dans le secteur depuis plusieurs dizaines d'années, et les jeunes apprentis sont rares.

« La plus grosse difficulté est que, bien qu'il y ait des étapes à respecter dans le processus de fabrication, il n'y a pas de procédé standard pour chacune, dit l'artisan. Les pinceaux diffèrent donc en fonction de la personne qui les a confectionnés, sans compter que chaque calligraphe a ses propres exigences. »

L'importance des matières premières

La spécificité de chaque pinceau tient bien sûr dans la qualité de sa tête qui est traditionnellement faite de poils d'animaux. Chaque type de poil a des caractéristiques différentes : les mous taches du rat, le duvet de l'oiseau, le poil du daim peuvent être utilisés mais ne conviennent pas très bien à la calligraphie artistique et sont réservés à des produits moyen de gamme. Les poils de lapin, de chèvre ou de belette sont les plus communément employés parce que plus faciles à se procurer. Ceux de la chèvre sont les plus doux et ceux du lapin les plus drus.

Pour l'œil du novice, les différences de qualité sont difficiles à percevoir, et pourtant, elles sont conséquentes. Une tête de pinceau de bonne qualité dure plus longtemps, absorbe l'encre plus facilement et se laisse mieux contrôler.

La Chine a toujours été le principal fournisseur de poils d'animaux pour pinceaux, et les fabricants insulaires s'y rendent souvent pour s'approvisionner. Lorsque le commerce entre Taiwan et la Chine était interdit, un tael (env. 37,5 g) de poils de belette revenait à environ 8 000 dollars taiwanais. Les prix sont aujourd'hui très instables, mais dépassent rarement 20 000 dollars le kilo. En général, plus les poils sont longs, plus ils sont chers, et la partie du corps de l'animal dont ils proviennent a aussi son importance.

La fabrication des pinceaux se divise en 48 étapes. Les poils doivent d'abord être lavés, triés et parfois défrisés. Après plusieurs alignements, ils sont coupés à la longueur désirée puis liés en petites mèches. Il s'agit du « cœur » du pinceau, qui sera ensuite enveloppé d'une couronne de poils plus longs afin de former la pointe. Sa taille et sa qualité déterminent la souplesse de l'objet fini. « Il n'y a pas de standard en matière d'épaisseur ou de longueur, dit Lin Jin-fu. Chaque artisan utilise sa propre méthode. »

Lorsque la tête est formée, elle est fixée sur le manche qui peut être confectionné dans toutes sortes de matériaux, depuis l'ivoire jusqu'à la corne de buffle, en passant par le jade ou encore le plastique aujourd'hui. C'est toutefois le bambou qui est le plus souvent utilisé, car il est résistant, agréable au toucher et peu coûteux. L'espèce la plus fréquemment employée est le bambou flèche (Pseudosasa japonica). La tige est coupée en sections puis bouillie dans une solution décapante, un procédé qui permet d'obtenir une surface bien lisse. Elle est également décolorée ou teinte pour lui donner la couleur désirée. Comme la tige du bambou est toujours légèrement courbée, une fois le traitement et le séchage terminés, les sections sont redressées si nécessaire. « Deux choses ont une importance décisive : la qualité des matériaux et les compétences de l'artisan », dit Lin Chin-fu.

Si les prix varient, de 30 dollars taiwanais pièce à des sommes astronomiques, ce n'est pas vraiment en fonction des poils utilisés mais surtout du manche. En général, ceux dont le manche est en bambou sont commercialisés aux alentours de 1 000 dollars et satisfont la plupart des utilisateurs.

Avery Lin [林昌隆], membre de la quatrième génération, qui a repris l'affaire familiale, insiste sur les « quatre vertus » du pinceau. Dans la calligraphie chinoise, dit-il, chaque caractère commence et se termine sur la pointe du pinceau. Le « ressort » de la tête, sa capacité à reprendre sa forme -, est donc essentiel. Avec un pinceau de qualité, la pointe s'effile facilement, les poils ont tous la même longueur, le cœur étant dense et dur. Et bien sûr, il faut aussi compter avec le talent du calligraphe et le style dans lequel il compose.


Plus qu'un outil

Longueur et qualité des poils, matériau du manche, maîtrise de l'artisan qui l'a fabriqué... : autant de variables qui font de chaque pinceau un objet presque unique.

Déclin

Si les techniques de fabrication n'ont pas évolué avec les années, le marché a en revanche beaucoup changé. Lin Jen-kuei se souvient qu'à l'époque de son enfance, les pinceaux étaient des objets de première nécessité, et que ceux qui voulaient la qualité, qu'il s'agisse de hauts fonctionnaires circulant en limousine noire ou de pauvres enseignants à bicyclette, venaient se servir chez Lam Sam Yick.

Au début de sa carrière, en mettant les bouchées doubles, Lin Chin-fu en produisait jusqu'à 3 000 par mois, sans parvenir à complètement satisfaire la demande. A l'époque où il était colporteur, les écoliers composaient l'essentiel de la clientèle pour les pinceaux à quatre sous qui se vendaient par milliers. C'est qu'à l'école primaire, les élèves pratiquaient la calligraphie et devaient tenir un journal hebdomadaire au pinceau et à l'encre. Et puis, il y avait de nombreuses compétitions nationales. Le pinceau était donc un outil indispensable. Les fabricants comme Lam Sam Yick, qui n'avaient pas les moyens d'ouvrir plusieurs boutiques à travers l'île, écoulaient leur production dans les papeteries.

Mais aujourd'hui, les occasions de tremper le pinceau dans l'encre sont bien rares pour les jeunes écoliers, de même que les concours de calligraphie. Les ventes ont donc fortement décliné, et nombreux sont les fabricants qui se sont reconvertis dans les cordes à sauter ou les raquettes de ping-pong, par exemple. La calligraphie n'étant plus promue par les autorités éducatives, les établissements scolaires n'y accordent pas beaucoup d'importance : elle n'est plus, déplore Avery Lin, qu'une activité extrascolaire.

Adaptation

En fait, les pinceaux bon marché qui se vendaient autrefois comme des petits pains sont depuis longtemps fabriqués en Chine, la main-d'œuvre taiwanaise étant trop chère sur un créneau où le prix était essentiel.

Alors que les ventes ont fortement décliné sur ce segment-là du marché, Avery Lin remarque que la demande est en revanche en hausse pour le premier choix. L'une des raisons à cela, explique-t-il, est que les Taiwanais ayant moins d'enfants, ils veulent leur offrir le meilleur. Bien sûr, c'est aussi parce que la calligraphie est devenue une activité de loisir, quelque chose qu'on apprend ou pratique en plus, pour le plaisir. Cela dit, la demande reste limitée.

Si Lam Sam Yick continue d'exporter entre 10 et 20% de sa production vers Hongkong, le Japon et la Corée du Sud, depuis la fin des années 90, le marché insulaire s'est contracté de 30%. Afin de ne pas perdre pied, la maison Lam Sam Yick a élargi sa gamme : elle propose aussi des pinceaux pour la peinture à l'huile et l'aquarelle et même des brosses douces destinées au nettoyage des écrans d'ordinateur. « Les pinceaux de calligraphie restent la spécialité de la maison, dit Avery Lin, mais en réalité, les affaires ne sont pas bonnes dans ce domaine, et cela ne devrait pas aller en s'arrangeant. Nous avons besoin de diversifier nos produits. Or, la seule chose que nous sachions faire, c'est fixer des poils à un manche. »

Lam Sam Yick maintiendrait peut-être plus facilement ses marges en ne produisant que des brosses pour écrans d'ordinateur, mais ce serait incontestablement une perte pour les calligraphes et les artistes. ■


Drôle de tradition...

Les pinceaux les plus « exotiques » sont peut-être ceux qui sont confectionnés avec des cheveux de bébé : une coutume chinoise veut que quelques semaines après la naissance, on rase entièrement la tête du nouveau-né, dans l'espoir que sa chevelure repoussera de plus belle. Cette fine chevelure sert alors à confectionner un pinceau-souvenir sur le manche duquel on grave par exemple le nom et la date de naissance du bébé.

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