Le gouvernement de la République de Chine désire libéraliser le système bancaire en autorisant la création d'établissements privés et en accordant un traitement non discriminatoire aux institutions étrangères. En mettant les banques étrangères et locales sur un pied d'égalité, le gouvernement entend diversifier et rendre plus efficace ce secteur vital au service des personnes et d'un monde des affaires en expansion. L'efficacité et l'essor sont des objectifs difficiles à atteindre face aux innombrables problèmes financiers qui réclament une solution. Malgré une rude tâche qui attend la libéralisation, l'optimisme règne, surtout à cause de la concurrence des institutions financières étrangères.
M. Osman Tseng, vice-président de China Economic News Service et journaliste économiste de Taiwan, analyse les principaux problèmes et difficultés que pose au gouvernement et aux banques la libéralisation du système financier.
Les banques n'ont jamais été autant critiquées. Elles sont accusées de mal fonctionner et de ne prêter qu'à des conditions très sévères. Ces allégations sont étayées de nombreuses preuves. Ainsi, l'épargne a tant augmenté ces dernières années qu'elle approche maintenant de 5 000 milliards de yuans taiwanais (env. 178 milliards dollars américains), soit la valeur du produit national brut de 1987! Or les banques se sont montrées incapables d'utiliser ces fonds et ont même dû refuser d'importants dépôts de peur d'attirer d'autres fonds.
Dans le même temps, de nombreuses entreprises, surtout les petites et moyennes (PME), ne parviennent guère à obtenir le financement qui leur est nécessaire, car la législation des prêts est trop sévère. En conséquence, elles se sont tournées vers des sociétés illégales qui prêtent à des taux usuraires. Selon de récentes statistiques, 31% du financement des entreprises privées provient de ce système clandestin, dit souterrain.
Ne cherchant nullement à améliorer la situation en utilisant l'excédent de l'épargne, les banques ont préféré prêter aux spéculateurs immobiliers et aux boursicoteurs, ce qui a alimenté la spéculation et a poussé les prix à des hauteurs vertigineuses.
Les prix de la bourse ont atteint de tels sommets qu'ils n'ont pu que s'effondrer à la moindre alerte, notamment lorsque le gouvernement annonça en septembre 1988 l'imposition sur les gains en bourse. Bien que cette mesure n'entrât en vigueur qu'au début de cette année, les actions ont aussitôt perdu en moyenne 36% de leur valeur, obligeant le gouvernement à réviser sa politique.
Beaucoup de gens craignent que la même chose n'arrive au marché immobilier dont certains prix dépassent le pouvoir d'achat moyen de l'habitant. Pour éviter cela, la Banque centrale de Chine a décidé à la mi-novembre 1988 de renforcer le contrôle du crédit immobilier en exigeant des comptes-rendus trimestriels sur les prêts accordés aux entrepreneurs. Il s'agit de contenir les prêts immobiliers des banques, mais il est bien tôt pour en mesurer toute l'efficacité.
L'écoulement continu de capitaux dans les marchés immobilier et boursier ont nourri la critique dirigée contre l'inefficacité et l'irresponsabilité du milieu bancaire. En fait, le problème fondamental est le manque d'élan des banques. Elles prêtent essentiellement aux marchés immobilier et boursier qui sont naturellement les plus demandeurs. Ce manque d'enthousiasme des établissements bancaires pour une politique de prêts plus active est également dû à la législation concernant le secteur. Depuis plusieurs années, il est interdit de créer de nouvelles banques, ce qui restreint la concurrence et, par là, nuit à l'efficacité et à l'élan. Ainsi protégés, les banquiers restent assis dans leurs fauteuils attendant que les affaires et leurs bénéfices ne leur tombe du ciel. Malgré l'évolution de ces dernières années, les banques n'ont guère perdu leurs mauvaises habitudes.
Une main d'actions. La bourse de Taipei est très active malgré deux krachs.
L'autre facteur important de ce manque d'agressivité est que les vingt banques commerciales et spécialisées de l'île appartiennent presque toutes à l'Etat. Mais en tant que secteur public, elles rencontrent de nombreux problèmes.
Premièrement, elles sont soumises à une législation très rigide des prêts qui décourage de tout effort de promotion. Les préposés aux prêts portent personnellement la responsabilité de l'échec éventuel d'un prêt. C'est une pratique fort peu courante dans les banques de niveau international.
Deuxièmement, les banques sont souvent obligées de se plier aux décisions politiques du gouvernement et d'accorder des prêts aux entreprises encouragées à des taux d'intérêt inférieurs à ceux du marché. Le but de ces banquiers d'Etat n'étant donc pas de faire des bénéfices, il n'y a évidemment plus rien qui stimule l'activité de ces établissements.
Troisièmement, les opérations des banques sont étroitement surveillées par divers organismes gouvernementaux qui leur refusent toute autonomie quant à la création de succursale et de nouveaux produits, la préparation de leur budget et, parfois même, le recrutement de leur personnel.
C'est en grande partie à cause de ces problèmes que les banques d'Etat sont bien moins performantes que les quatre établissements privés et les 33 agences et bureaux de banques étrangères à Taiwan. En 1987, la Banque centrale a publié un état sur les bénéfices des trois secteurs bancaires. Le rapport bénéfice sur revenu de ces secteurs représentaient 4,6% pour le public, 14% pour le privé et 16,3% pour l'étranger.
Hormis le faible rendement et une gamme restreinte de produits financiers, le secteur bancaire ne joue pas non plus son rôle social. Une simple comparaison suffit. En moyenne, une unité bancaire dessert 2 800 personnes aux Etats-Unis, 4 300 personnes au Japon ou en Grande-Bretagne et... 11 000 personnes à Taiwan. Ce manque d'enthousiasme est confirmée par le foisonnement des organisations financières souterraines. En quelques années, leur nombre aurait été multiplié par 260.
Une note optimiste est la redéfinition du rôle du gouvernement et de la levée de l'interdiction, même partielle, de créer de nouveaux établissements. Et la révision de l'actuelle Loi bancaire est à l'étude et devrait être adoptée prochainement par le Yuan législatif (Parlement).
La nouvelle loi permettra la privatisation des banques, sauf de celles ayant une mission bien spécifique, comme le financement du commerce extérieur. Seront d'abord privatisées les trois plus importantes banques commerciales : Chang Hwa Bank, Hua Nan Bank et First Commercial Bank. A elles trois, celles-ci possèdent le tiers des succursales et le quart des dépôts de l'île. A cause de leur taille, leur privatisation influencera immédiatement tout le secteur bancaire. Ce projet fait partie d'un plan général de désengagement du gouvernement dans les activités économiques afin d'accroître la compétitivité du secteur privé et l'apparition de produits de meilleure qualité à des prix plus abordables.
Les réglementations bancaires n'en est pas moins aussi délicates que le code de la route à Taipei.
Le projet actuel de révision de la Loi bancaire prévoit certaines conditions pour la création d'une banque par quiconque qui y satisfait. L'une d'elles, également importante, est qu'aucun actionnaire ne pourra détenir plus de 5% du capital versé. De plus, la part totale des actionnaires ayant des liens de parenté ne pourra pas dépasser 15%. Ces conditions sévères se veulent empêcher que les éventuels établissements ne tombent sous le pouvoir de quelques-uns qui agiraient à des fins personnelles et, par là, compromettraient le rôle intermédiaire des banques entre les épargnants et les investisseurs.
D'autre part, pour protéger les épargnants, le projet de loi fixe un capital versé minimum de 5 milliards de yuans taiwanais, ainsi qu'un rapport minimal du capital sur les avoirs de 8% en 1992, comme l'a conseillé la Banque des règlements internationaux (BRI) , siégeant en Suisse. Actuellement, la structure des banques est faible. Par exemple, les trois grandes banques commerciales taiwanaises mentionnées plus haut avaient un rapport de leur valeur réelle sur l'ensemble de l'actif à 1,65% pour First Commercial Bank, 0,8% pour Chang Hwa Bank et 1,27% pour Hua Nan Bank, ce qui contraste nettement avec celui de la plupart des banques internationales, généralement supérieur à 5%.
Dans le passé, cette faiblesse n'avait jamais menacé la sécurité des dépôts à cause de la crédibilité de l'Etat. Mais la privatisation et la compétition prochaines amèneront inévitablement quelques banques à l'échec. Une structure financière saine est donc fondamentalement nécessaire pour protéger les épargnants.
Une autre disposition du projet de loi est l'abandon de la fixation des taux d'intérêt des dépôts et des prêts par la Banque centrale de Chine. Actuellement ils sont quasiment imposés par cet établissement à la différence des Etats-Unis, par exemple, et, comme tels, ils réagissent lentement à l'évolution de la situation sans refléter le climat réel du marché financier. Si la fixation des taux d'intérêt est libérée, chaque banque pourra établir ses propres taux en fonction du coût de l'argent, des fonds disponibles et des risques encourus.
Est également en préparation l'autorisation aux banques de mettre en place des succursales à l'étranger. Au début de novembre 1988, le ministère des Finances a annoncé que les banques pourraient étendre leurs activités à l'étranger. Pour l'instant, seules International Commercial Bank of China, First Commercial Bank et Bank of Communications sont présentes à l'étranger avec une douzaine de succursales.
Avec un commerce extérieur annuel de plus de cent milliards de dollars américains, il est grand temps que les banques de Taiwan fassent plus efficacement acte de présence à l'étranger. Elles doivent aider les hommes d'affaires taiwanais dans leurs opérations internationales et fournir aux importateurs étrangers les prêts pour leurs achats à Taiwan. Surtout, la compétition internationale commerciale devenant de plus en plus âpre, les exportateurs taiwanais ont davantage besoin de l'appui des banques taiwanais et de leur réseau international pour rassembler rapidement les informations sur les marchés du monde entier.
Une autre disposition du projet de révision de la Loi bancaire est la fin de mesures discriminatoires à l'égard des agences de banques étrangères installées en République de Chine. Elles pourront agrandir la gamme de leurs services, par exemple, l'épargne et l'investissement. En bref, elles se trouveront sur un pied d'égalité avec les banques locales.
La concurrence qui naîtra de la situation nouvelle permettra l'apparition de nouveaux produits financiers et l'essor de ceux qui existent déjà, au plus grand bénéfice de la clientèle, individus ou sociétés. Une présence étrangère plus importante ne pourra qu'activer la concurrence et rendre le secteur bancaire plus efficace et offensif.
L'efficacité s'obtient par de meilleurs services et en proposant de meilleures possibilités d'investissements pour les épargnants. Ceux-ci abandonneront naturellement les pratiques risquées et spéculatives qui dominent la bourse et nourrissent le système financier souterrain. L'essor du secteur bancaire encourage a fortiori la poursuite de la croissance économique. Tout le monde attend donc avec impatience la libéralisation du secteur bancaire.
Photographies de Joseph Chen.