Un marché structuré
« Les 14 marques qui composent notre portfolio à Taiwan sont toutes de réputation mondiale », rappelait le 20 avril dernier Amy Chen [陳敏慧], présidente de L’Oréal Taiwan, lors d’un atelier organisé à Taipei par la Chambre de commerce et d’industrie France-Taiwan (CCIFT). Après 13 ans passés au sein du groupe, Amy Chen est devenue l’an dernier la première Taiwanaise à exercer ces fonctions. De Giorgio Armani à Shu Uemura, en passant par Garnier, L’Oréal ou encore Lancôme, chaque marque, explique-t-elle, fait l’objet d’un positionnement, d’une distribution et d’une communication qui lui sont propres. « Garder la faveur des clientes est un combat permanent. Par exemple, ces derniers temps, la marque Biotherm a montré ici des signes de faiblesse, preuve que son image n’est pas suffisamment forte », confie-t-elle.
La branche insulaire de L’Oréal est organisée en fonction des réseaux de distribution, reflétant la forte structuration du marché local. Pour les cosmétiques, les grands magasins détiennent en effet la première place, avec plus d’un tiers des ventes. Suivent la grande distribution, qu’il s’agisse d’enseignes généralistes ou spécialisées comme Watson’s ou Cosmed, et la vente directe. Un troisième pôle de distribution concerne les produits dits professionnels, utilisés et vendus en salon de beauté : L’Oréal y est présent à travers les marques Redken et Kerastase, notamment. Enfin, une part relativement minime des ventes s’effectue en pharmacie.
Pour renforcer la visibilité de ses marques, L’Oréal Taiwan dispose d’un important budget publicitaire : sixième annonceur de l’île tous secteurs confondus, le groupe est le premier dans celui des cosmétiques, dit Amy Chen. « Cela étant dit, nuance-t-elle, certaines marques ne font l’objet d’aucune campagne publicitaire. L’exemple de Kiehl’s est parlant : les points indispensables à l’établissement sur un nouveau marché sont un nom, une histoire, une vision cohérente et de long terme, des produits de qualité, et enfin une communication adaptée. »
Se faire un nom
Marque familiale créée par l’Américain John Kiehl en 1851 et rachetée par L’Oréal en 2000, Kiehl’s a été lancée la même année sur le marché taiwanais. Avec ses lignes de soins pour la peau, le corps et les cheveux, elle est reconnue pour l’excellence technologique de ses produits. Aux Etats-Unis, elle a su s’attacher une clientèle fidèle en mettant l’accent sur le marketing relationnel et une politique d’échantillonnage. C’est la même stratégie qui a été suivie à Taiwan, en s’appuyant sur l’image new-yorkaise de la marque.
A Taiwan, Kiehl’s se classe à la 11e place des marques cosmétiques en termes de chiffre d’affaires dégagé en grands magasins, une place honorable mais qui reste en deçà des performances obtenues en Corée du Sud, où Kiehl’s est numéro un sur ce critère. « L’un des obstacles auxquels nous nous sommes heurtés était la difficulté pour les Taiwanais à prononcer et à orthographier correctement le nom de la marque, analyse Amy Chen. C’est pourquoi nous avons lancé, en 2006, un concours sur Internet pour adopter un nom chinois : Qi Er Shi [契爾氏]. C’est en fait une opération très subtile où le moindre détail compte, jusqu’au nombre de traits utilisés dans le tracé des caractères. »
Autre défi que la marque a dû relever, celui des prix : face à la concurrence des importations parallèles sur Internet, ceux-ci ont été revus à la baisse en 2006.
Pour faire connaître la marque, pas d’achat d’espaces publicitaires donc, mais un intense travail de relations publiques. Depuis son lancement dans l’île, Kiehl’s soutient trois grandes causes : la protection de l’enfance, la défense de l’environnement et la lutte contre le sida. « Nous collaborons avec des célébrités des arts et du spectacle, lesquelles ont ici une forte influence, afin de soutenir des actions qui, bien sûr, correspondent aux valeurs de la marque », développe la présidente de L’Oréal Taiwan.
Les événements promotionnels, parfois des plus surprenants, sont également de mise. Ainsi, lorsque Kiehl’s a commercialisé un produit naturel pour le toilettage des chiens, la marque a convié ses meilleurs clients, accompagnés de leur toutou, dans un grand magasin de la capitale. « Les animaux de compagnie occupent une place très importante dans la vie de nombreux Taiwanais, dont certains souffrent parfois de solitude. Cette activité a permis à nos clients de se rencontrer et, pour Kiehl’s, de renforcer l’image d’une marque naturelle, respectueuse de l’environnement. » Kiehl’s a en outre développé sa présence sur Internet, à travers notamment une page Facebook en chinois et un compte Plurk, un site de micro-blogging populaire à Taiwan.
Le design, pierre angulaire
La construction de l’image de la marque passe aussi par l’aménagement des points de vente. « Le marché taiwanais est particulièrement mature, ce qui explique le rôle central qu’y joue le merchandising, soulignait, lors de l’atelier organisé par la CCIFT, Frédéric Chevassus, directeur du cabinet Sounda Design, à Taipei, et à qui L’Oréal Taiwan confie pour partie l’aménagement de ses comptoirs. Les clients sont très attentifs à la manière dont les produits sont présentés, tout spécialement dans les grands magasins. » Le travail d’architectes d’intérieur comme Frédéric Chevassus consiste donc à proposer des solutions d’aménagement du point de vente tenant compte de la disposition des lieux, des intentions de la marque et des attentes de la clientèle. « Il est difficile d’importer à Taiwan des espaces tout faits, il faut les adapter à leur cible. Un comptoir est un lieu de plaisir, de découverte, d’exposition et de connaissance. On y voit, touche, comprend et achète », souligne-t-il.
L’actrice franco-taiwanaise Sandrine Pinna [張榕容] a été choisie comme ambassadrice par L’Oréal. (PHOTO AIMABLEMENT FOURNIES PAR L'ORÉAL TAIWAN)
Dans les grands magasins taiwanais, explique le Français, deux types d’espaces réservés aux cosmétiques prédominent. Dans les établissements les plus anciens, comme le Sogo de l’avenue Zhongxiao, à Taipei, les comptoirs des marques de cosmétiques, au centre d’un espace ouvert, sont bordés sur deux côtés par des shops in shop et, au fond, par les accessoires de mode, les bijoux et les chaussures. Dans cette configuration, le magasin ne fournit qu’un aménagement minimal, conditionné par la réglementation de prévention des incendies, et les marques ne peuvent que difficilement exprimer leur personnalité. Dans les grands magasins plus récents au contraire, à l’image du Sogo du quartier de Tianmu, à Taipei, les cosmétiques sont intégrés au domaine du luxe. Ils disposent de davantage d’espace, côtoient des accessoires haut de gamme dans un environnement plus raffiné.
Le designer se doit ensuite d’être à l’écoute des objectifs de la marque en matière de techniques de vente. S’agit-il de donner au produit une forte visibilité, sur le mode du libre-service ? Le shop in shop, introduit à Taiwan en grands magasins pour les cosmétiques par Biotherm, s’impose alors. Ce dispositif adossé au mur permet au client de découvrir les produits par lui-même et à la marque de renforcer son image mais, note Frédéric Chevassus, 70% de l’espace disponible est alors alloué à la circulation. La formule de la boutique, quant à elle, donne à la marque toute liberté pour développer son propre univers : « mode », pour les marques liées à l’univers de la mode comme Giorgio Armani, « atelier » pour les marques de maquillage, « concept » pour une maison comme Aveda, « nature » pour Bodyshop ou encore « nostalgie » pour L’Occitane. La boutique permet aussi de regrouper différentes familles de produits pour faciliter leur vente. Quant à la dernière tendance en date, le salon de beauté et spa, elle a le vent en poupe et pourrait, estime Frédéric Chevassus, devenir la norme d’ici à 10 ans. Mais, nuance-t-il, l’îlot, espace de vente disposé autour d’une colonne, défend son pré carré. « C’est la formule la plus rentable. Toutes les fonctions y sont rassemblées et cela répond au fort besoin de conseil et d’attention exprimé par les Taiwanaises. »
C’est ce choix qu’a effectué Lancôme en 1996, en adoptant pour ses comptoirs à Taiwan une présentation très compacte, comme si c’était des bijoux qui étaient exposés, illustre Frédéric Chevassus. Deux ans plus tard, la marque décidait d’ouvrir quelque peu ses espaces de vente, avec l’ajout de petites tables permettant aux vendeurs de s’entretenir avec des clientes avides de conseils personnalisés. Par la suite, pour tenir compte de la diversification des demandes des clientes, un zonage précis a été effectué, avec des aires dédiées à la présentation et à l’échantillonnage des produits, au conseil, à la vente ou encore aux activités promotionnelles. « Cette année, nous avons retenu un concept proche, mais en poussant encore plus loin la sophistication, et toujours en faisant sortir le produit du showcase grâce aux testeurs. »
Sophistication. Cela semble bien être le mot clé pour décrire l’évolution du marché taiwanais des cosmétiques. En plus des stars que demeurent les produits de blanchiment et anti-âge, de nouveaux créneaux y font leur apparition : la dermo-cosmétique, le phyto-naturel et biologique, et les cosmétiques pour homme. Au regard de ces évolutions, Frédéric Chevassus insiste sur les tendances lourdes : le marché taiwanais, rappelle-t-il, est marqué par l’attrait des promotions, combiné à un fort degré d’exigence des consommateurs.