09/06/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

La diplomatie flexible

01/05/1989
M. Lee Teng-hui prononcant une allocution lors de la réception officielle d'accueil à Singapour.

 

« La visite du président taiwanais Lee [Teng-hui] marque une étape importante dans les relations étroites et amicales entre nous. C'est un grand honneur pour Singapour d'être le premier pays qu'il ait choisi de visiter », a dit M. Lee Kuan Yew, premier ministre de Singapour, interrogé sur la signification de la visite officielle à Singapour du président de la République de Chine, M. Lee Teng-hui.

Parue dans le numéro du 10 mars 1989 de Straits Times, cette citation illustre bien l'importance des relations entre la République de Chine et la République de Singapour. De plus, la visite officielle du président de la République de Chine et sa suite ouvre une série d'actions de plus grande portée dans le domaine diplomatique de la République de Chine.

Acclamé dans le Lien-ho Pao (sous-titré United Daily News), un grand quotidien de Taipei, d'« avoir accompli un pas de géant dans l'adoption d'une politique extérieure plus souple », M. Lee Teng-hui, à l'invitation du chef de l'Etat singapourien, M. Wee Kim Wee, s'est rendu pour la première fois dans un pays étranger avec lequel la République de Chine n'entretient pas de relations diplomatiques.

C'était en même temps son premier voyage hors du pays depuis son accession à la magistrature suprême en janvier 1988 à la mort du président Chiang Ching-kuo, et également la première visite officielle d'un chef de l'Etat taiwanais depuis celle de M. Yen Chia-kan en Arabie saoudite en 1977.

Cela dénote aussi l'importance que la République de Chine attache à cette visite de M. Lee Teng-hui et son épouse, accompagnés de hauts responsables, MM. Lien Chan, ministre des Affaires étrangères, Chen Wei-yuan, ministre de la Défense nationale, Chen Li-an, ministre de l'Economie, Wu Poh-hsiung, maire de Taipei, Cheyne Chiu, secrétaire général adjoint à la présidence de la République, Shaw Yu-ming, directeur général de l'Office d'information du gouvernement, et Chiang Hsiao-wu, représentant commercial de la République de Chine à Singapour.

Environ 30 journalistes de la République de Chine accrédités à la suite présidentielle ont aussi fait le voyage dans la cité-Etat pour relater la visite officielle du 6 au 9 mars à Singapour, située à la pointe sud de la péninsule malaise. Singapour est indépendante depuis 1965. Son importance internationale est beaucoup plus significative que les limites de sa superficie (622 kilomètres carrés) pourraient suggérer. Fondée par Sir Stamford Raffles en 1819 comme comptoir commercial, Singapour a profité de sa situation géographique au carrefour des routes maritimes Ouest-Est et au cœur du Sud-Est asiatique, une région riche en ressources naturelles.

Dans le numéro de mars 1988 de la revue Fortune, Singapour était donnée au premier rang pour le placement de capitaux étrangers, la stabilité politique et la péréquation des revenus. Plus de trois mille entreprises multinationales d'Amérique, du Japon et d'Europe dans la plupart des industries clés ont une présence active dans l'univers cosmopolite de Singapour. Les entreprises étrangères ont été attirées par ce port franc du détroit de Malacca pour diverses raisons, passant de son excellente infrastructure et de sa main-d'œuvre qualifiée à la liberté de propriété et d'activité. En plus d'être le troisième centre de raffinage de pétrole du monde, derrière Rotterdam et le golfe du Texas, et un des ports les plus actifs en terme de volume traité, Singapour est également devenue une place financière internationale. Sa population de 2,6 millions d'habitants, au demeurant un amalgame de Chinois (76%), de Malais (15%) et d'Indiens (6%), a acquis l'un des plus hauts niveau de vie d'Asie avec un produit national brut par habitant approchant 9 000 dollars américains en 1988.

Les chefs d'entreprises de Taiwan ont vite réalisé le potentiel du marché de Singapour, et les investissements chinois de Taiwan y ont atteint 6,43 millions de dollars américains en 1988. L'accord fiscal préférentiel de 1981 y a beaucoup contribué malgré l'absence de relations diplomatiques entre les deux pays. L'ensemble du commerce entre ces deux pays a grimpé de 2,3 milliards de dollars américains en 1987 à 3,1 milliards l'an dernier.

Durant son séjour, la délégation présidentielle taiwanaise a rencontré les hauts responsables singapouriens, le président de la République ad interim, M. Lim Kim San (le chef de l'Etat, M. Wee Kim Wee, étant en convalescence des suites d'une opération chirurgicale), le premier ministre, M. Lee Kuan Yew, le premier vice-premier ministre et ministre de la Défense, M. Goh Chok Tong, le ministre du Commerce et de l'Industrie, M. Lee Hsien Loong, le ministre des Affaires étrangères, M. Wong Kan Seng, et le ministre de l'Environnement, M. Ahmad Mattar. Ils échangèrent leurs points de vue sur les affaires communes, la situation en Asie et dans le monde.

La délégation taiwanaise s'est aussi intéressée aux centres d'activités économiques importants de Singapour pour mieux en comprendre le succès. Elle a visité la Bourse des devises, le parc scientifique, l'institut biomédical, les projets de protection de l'environnement et différents organismes de bien-être social.

M. Lee Teng-hui, au cours de sa visite de courtoisie chez le premier ministre singapourien le 6 mars, lui a remis plusieurs collections de textes classiques chinois, dont la magnifique encyclopédie de Sseu-kou Kiuan-chou [四庫全書] de 1 500 volumes, une anthologie originellement compilée de 1772 à 1787 sous le règne de l'empereur Kao-tsong (Kien-long). A l'origine, elle comprenait 3 451 volumes sur quatre grandes matières, les classiques, l'histoire, la philosophie et la littérature. Compilation de 36 358 ouvrages, elle possède plus de 7 milliards de caractères. Généralement, on la considère comme l'une des grandes œuvres de l'humanité, à côté de la Grande Muraille et du Grand Canal impérial, les trois monuments humains de la défense, des transports et de la culture.

Un des grands moments de Mme Tseng Wen-hui eut lieu le 7 mars quand elle visita le jardin botanique colonial. D'une superficie de 32,4 ha, le parc est célèbre pour son aire des orchidées où 2 500 plantes de 250 espèces et hybrides sont exposées. En l'honneur de sa visite, un nouvel hybride d'orchidée fut baptisée de son nom.

Le lendemain, M. Lee Teng-hui a manifesté son franc contact avec la presse par une conférence accordée lors du petit déjeuner aux journalistes qui l'accompagnaient. L'après-midi, il se rendit au front de mer et joua au golf à Sentosa, un site insulaire de Singapour.

Il ne manqua pas lors de son séjour dans la ville-Etat de rejoindre les pêcheurs de Taiwan fixés au port de pêche de Jurong pour la pêche hauturière. Il y passa la matinée du 9 mars et s'inquiéta de leurs conditions de travail et de vie. Pendant ce temps, son épouse accompagnée de Mme Ong Teng Cheong, épouse du second vice-premier ministre de Singapour, fit une visite au Cheshire Home, un établissement pour handicapés.

Le premier ministre singapourien, M. Lee Kuan Yew, qui a visité la République de Chine à Taiwan plus de vingt fois, a à son tour accordé une interview de 45 minutes aux journalistes du Lien-ho Pao (United Daily News), du Tchong-kouo Che-pao (China Times) et de l'Agence centrale de Presse de la République de Chine. Dans cette entrevue, M. Lee Kuan Yew a insisté sur la teneur des relations entre les deux pays qui ne saurait être affectées par des relations diplomatiques entre son pays et la Chine continentale. Il a chaleureusement loué le président Chiang Ching-kuo et ne put s'empêcher d'admirer l'homme probe et sincère qui gardait toujours son flegme dans les circonstances les plus pénibles et avait beaucoup de tenacité dans ses intentions.

Il a décrit en même temps l'actuel chef d'Etat taiwanais comme une personne courageuse et active qui désire vivement faire bouger les situations avec célérité, sûreté et perfection. Il le voit également très décidé à poursuivre une politique sociale pour ses concitoyens. Enfin, il estime qu'il a par cette visite imprimé sa marque toute personnelle dans les relations taiwano-singapouriennes. Abordant la coopération avec Taiwan dans un avenir proche, le chef du gouvernement singapourien a rappelé que son pays a beaucoup appris de Taiwan sur la façon de diriger ses petites entreprises, ainsi que la planification de son industrie de fibres synthétiques et de son parc scientifique et industriel de Sintchou (Hsinchu). Il a souligné que l'Office national de l'informatique de Singapour avait encore beaucoup à apprendre de cette industrie, notamment dans le domaine du logiciel, des circuits intégrés, la formation du personnel et surtout dans les ordinateurs de langue chinoise. Et réciproquement, l'industrie de raffinage moderne du pétrole et les opérations financières internationales de Singapour peuvent servir de modèles à Taiwan.

Dans l'immédiat, les résultats concrets de cette visite officielle comprennent deux accords d'ordre économique. L'un porte sur la garantie des investissements afin de promouvoir ceux-ci entre Taiwan et Singapour. L'autre doit faciliter les importations ou exportations des articles et biens nécessaires aux foires et expositions commerciales.

Les deux pays ont également accepté le principe de tenir au niveau ministériel des réunions concernant les projets de coopération bilatérale. Les consultations annuelles seront alternativement tenues à Taipei et à Singapour, la première rencontre étant fixée pour l'an prochain à Taipei.

Dès son retour au pays, M. Lee Teng-hui a conclu cette visite officielle par une conférence de presse importante tenue à l'aéroport Sungshan de Taipei. Originellement de 30 minutes et relative exclusivement au voyage du chef de l'Etat à Singapour, cette conférence s'est achevée au bout de 80 minutes où furent abordés des sujets de plus grande ampleur. Les journalistes eurent leur chance de poser la question pertinente à laquelle le président de la République répondit avec amabilité et franchise. Depuis son accession au pouvoir, c'était sa seconde conférence de presse où il manifesta non seulement sa confiance et sa parfaite connaissance des dossiers, mais illustra une fois de plus son calme et sa clairvoyance.

Répondant aux questions clés de politique étrangère, le président de la République déclara que la République de Chine devait s'en tenir au principe intangible de sa souveraineté nationale. Il insista sur la nécessité d'adopter une politique étrangère plus souple en précisant bien que cette adoption ne pourrait se faire que pas à pas.

S'il a admis ne guère avoir apprécié l'expression « président de la République venant de Taiwan » (President from Taiwan) dans la presse de Singapour, il fallait tout de même se convaincre de la réalité. Il rappela que, s'il existe bien des revers et des difficultés sur l'épineux problème de l'appellation nationale depuis le retrait de son pays de l'Organisation des Nations unies en 1971, il ne faut point non plus surestimer la nature du problème. A la place, la nation ferait mieux de renforcer sa puissance économique, d'accroître ses débouchés d'investissements et d'augmenter son commerce extérieur pour porter une plus grande attention à l'établissement de nouvelles bases diplomatiques.

Quant à l'éventualité d'une présence officielle de la République de Chine à la conférence annuelle de la Banque asiatique de développement (BAD) qui se tiendrait en mai à Pékin*, M. Lee Teng-hui, rappelant toujours le principe de la progression mesurée en la matière qu'il venait d'énoncer, n'a pas élaboré plus amplement. Interrogé sur la qualité des relations entre son pays et Singapour, après l'établissement éventuel de relations diplomatiques entre Singapour et les communistes chinois, le chef de l'Etat a simplement dit que l'annonce ne serait que l'aboutissement des intentions de Singapour. Toutefois, « Singapour normalisant ses relations avec Pékin sont une chose, et nos relations avec Singapour en sont une autre », a-t-il souligné en substance. Il a aussi loué le premier ministre singapourien comme un grand chef politique, ajoutant qu'il avait le respect et la considération non seulement de son pays et son peuple, mais également du monde entier.

Et comme dit un dicton chinois, qui veut gravir une montagne commence à son pied; qui veut aller loin part tout de suite, le président de la République de Chine a par cette visite officielle à Singapour assurément effectué un pas décisif pour une diplomatie flexible.

 

Photographies de Chen Min-jeng.

* [NDLR. Une délégation de douze membres, conduite par le ministre des Finances, Mme Shirley Kuo, s'est en effet rendue à Pékin le 1er mai afin de participer aux travaux de la conférence annuelle de la Banque asiatique de développement (BAD) qui s'y est tenue du 4 au 6 mai. La République de Chine est un membre fondateur de cet organisme international.]

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