07/06/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Un panthéon vivant et populaire

01/05/1988

Lin Bor-liang
Tsing-tsouï Tso-sou, le dieu-protecteur des originaires d'Anchi (Ankoé) dans le Foukien.

D'une manière générale, toutes les sociétés agricoles ont une vision polythéiste de la nature divine. Et à Taiwan, c'est essentiellement cet aspect religieux qui prévaut. Tous les croyants qui ont immigré à Taiwan voilà plus de trois siècles y ont implanté un panthéon originaire de du sud, notamment des provinces côtières du Foukien (en taiwanais, Hok-kienn) et du Kouangtong (en taiwanais, Keung-tang). Aujourd'hui, il est évident que différents membres du panthéon ont pris une place prépondérante selon les localités de par toute l'île.

A présent, les Taiwanais, dont environ 85% sont les descendants d'immigrants venus de ces deux provinces honorent et adorent ce panthéon à travers lequel ils recherchent une sécurité et une paix séculaires, formulent des idéaux et gagnent leur vie. Mais un tel phénomène religieux fait partie intégrante de la tradition et la civilisation chinoises. Ainsi, la compréhension de ce panthéon permet une pénétration plus profonde de la pensée et des aspirations des Chinois contemporains de Taiwan.

Le panthéon taiwanais reprend donc les caractéristiques de l'anthropomorphisme, de la relation géographique et d'une efficacité nécessaire avec un certain laissez-faire en matière religieuse.

L'anthropomorphisme

Tous les types d'objets peuvent être humanisés sous une forme de divinités masculines ou féminines. Par exemple, il y a des dieux ou déesses du ciel, comme le ciel lui-même, les cinq points cardinaux du firmament, le soleil, la lune et les étoiles, ainsi que les éclairs, le tonnerre, la pluie et le vent; et de la terre, comme la terre elle-même, les cinq points cardinaux, les mers, les eaux (fleuves et lacs), les montagnes, les rochers et les plantes; les animaux déifiés, notamment le dragon, le phénix, la tortue, le serpent, le tigre, le lion, le cochon, le chien et le chat; les fétiches et les tabous, comme les os des morts, les bâtons d'encens, les idoles, les imageries religieuses, l'orthographe (ou la forme) des mots (idéogrammes) et les accessoires divers pour la magie; et enfin les esprits de la mort, comme ceux des ancêtres, des sages et des héros, les mânes merveilleux et les fantômes féroces.

Tous ce monde est rationnellement ordonné à l'image de l'homme. Il existe en effet une hiérarchie sociale dans le royaume des dieux dont chaque membre a une fonction déterminée qu'il doit accomplir. Pour pouvoir mieux les discerner, les croyants leur ont attribué à chacun des titres semblables à ceux de notre bas monde.

Tous les dieux portent des titres sociaux ou familiaux; si bien, un même dieu a parfois deux ou plusieurs titres et noms correspondants et appelé, invoqué indifféremment par les fidèles. On distingue notamment dans l'ordre hiérarchique un empereur, comme Ghiok-hong Taï-té [玉皇大帝] (ou l'Empereur de Jade), un roi, comme Kouï-taï Sing'ong [開臺聖王], des généraux, comme Sia Tsiang-kounn [謝將軍], Hoann Tsiang-kounn [范將軍] ou Kong Tsiang-kounn [唐將軍] qui sont tous des dieux majeurs. Parmi les déesses de haut-rang, on relève une reine, comme Tienn-ho [天后] (ou du Ciel), une princesse, comme Ghiok-hong Kong-tsou [玉皇公主] (ou de l'Empereur de Jade), ou encore une dame, comme Sing-hong Hou-linn [城隍夫人] ( de Sing-hong).

Plus connus par leur titre de parenté sont notamment le grand-père, comme To-té Kong (ou le Grand-père Terre), la grand-mère, comme Ounn-tsiou Ma-tso [温州媽祖] (ou d'Ounn-tsiou (ou Wen-tcheou), qui est en fait une protectrice locale), ou la fille, comme Tsit-sing Niou-niou (ou aux sept étoiles).

Les dieux comme les humains ont besoin d'un logis qui est le temple. Ainsi, la détermination du lieu selon une pratique géomancienne que la tradition a rendu complexe et l'entretien des temples, ou demeures divines, est une fonction importante laissée aux soins méticuleux des fidèles de la religion populaire taiwanaise.

Le temple est donc la demeure des dieux. Il conviendrait mieux de les définir comme leur cour et leurs palais.

L'anniversaire (de naissance) des dieux ou déesses sont certainement la preuve la plus vivante de l'anthropomorphisme. Les anniversaires nombreux sont évidemment computés selon le calendrier traditionnel chinois (luni-solaire). Voici les plus populaires actuellement, le 9e jour du premier mois est celui de Tin Kong [天公] (Grand-père Ciel) ou Ghiok-Hong Taï-té (l'Empereur de Jade), le double deux (c'est-à-dire le 2e jour du deuxième mois) celui de Hok-dék Tsing-sinn [福德正神] ou To-té Kong (Grand-père Terre), le 19 du deuxième mois celui de Koann'im Po-sat (l'avatar du bodhisattva Avalokiteçvara), le double trois (ou 3e jour du troisième mois) celui de Hienn-tienn Siong-té, le 23e jour du troisième mois celui de Tienn-siong Sing-bou [天上聖母] ou Ma-tso (la déesse Matsou), le 8e jour du quatrième mois celui de Sékkia Bo-ni Hout-tso [釋迦牟尼佛祖] (le Bouddha Çâkyamouni), le double sept (ou 7e jour du septième mois) celui de Tsit-sing Niou-niou (ou aux sept étoiles) et le double neuf (ou 9e jour du neuvième mois) celui de Tiong-yang Té-kounn [重陽帝君].

Les offrandes sont aussi très importantes pour la société de tous ces dieux. Comme les humains, les dieux et les déesses ont besoin de nourriture, d'habits et d'argent pour leur existence quotidienne. En général, on leur offre des porcs et des chèvres lors des grandes fêtes. Des quantités considérables de délicieuses victuailles chinoises sont d'abord offertes aux dieux, puis les croyants mangent ce qui restent. Par ailleurs, d'immenses montants de monnaie de papier votive leur sont offerts (brûlés) pour leur usage individuel. Parfois, on leur offre également des vêtements neufs décorés de vieilles médailles d'or.

La famille, selon la tradition, est bien sûr une institution divine de toute importance. Parfois, les dieux peuvent vivre ensemble avec leurs épouses et leurs enfants dans une joyeuse atmosphère familiale. On donne à leurs enfants des titres princiers et appelle toujours respectueusement leurs épouses. Malheureusement, un dieu a toujours beaucoup de femmes, comme les dames de Sing-hong no1 et no4. On ne rapporte pas de disputes de famille, et le divorce est fréquent dans la société polygame des dieux.

Il ne fait pas de doute que la société des dieux est à l'image de celle humaine. Chaque fidèle poursuit son idéal en se taillant un petit panthéon dans le royaume des dieux où les besoins et les coutumes de chacun se reflètent bien dans cet ensemble céleste. Néanmoins, la tradition de pensée se maintient encore bien fermement. Le temps n'est pas encore arrivé où les dieux du panthéon seront occidentalisés jusqu'à porter des vestes et des cravates. Ils continuent de porter des robes mandarines de très ancienne mode. De plus, les croyants n'offrent jamais d'aliments traités à l'occidentale ni de devises étrangères aux dieux du panthéon taiwanais. D'autre part, les aliments offerts ne sont non plus jamais consommés à l'occidentale, c'est-à-dire avec un couteau et une fourchette, par exemple.

Lin Tien-fu
Le panthéon taiwanais comprend des dieux et figures du taoïsme, du bouddhisme. du confucianisme mélangés aux créatures mythiques, légendaires ou historiques de la Chine.

La relation géographique

Les Chinois de Taiwan ont un sens profond des choses liées à leur localité. Une telle tendance se retrouve bien entendu dans leurs objets d'adoration, en particulier les dieux protecteurs d'un lieu. D'une manière générale, les dieux protecteurs [devenus] taiwanais sont directement liés au lieu d'origine des immigrants venus du Foukien (Hok-kienn) ou du Kouangtong (Keung-tang). Les gens les honorent en tant qu'expression d'identité d'une communauté pendant qu'ils cherchent à gagner leur vie sous d'autres cieux. — On a le même exemple chez les Européens partis au-delà des océans et installés dans les terres de peuplement. — Parmi les dieux protecteurs les plus populaires, signalons Kong-tik Tsounn'ong [廣澤尊王], de Tsiuantcheou (Tsoantsiou), Kouï-tsiang Sing'ong [開漳聖王], de Tchangtcheou (Tsiangtsiou), Tsing-tsouï Tsou-sou, d'Anchi (Ankoé) ou Sam-san-kog'ong [三山國王] de Tchao-tcheou (Tio-tsiou) dans le Kouangtong.

Les pouvoirs des dieux

Les Chinois de Taiwan vont au temple pour y rechercher une assurance. Ils exigent explicitement une efficacité de pouvoirs de leurs dieux. Tout dieu qui accorde à ses croyants les bénédictions sollicitées obtiendra d'immenses quantités de « bâtons d'encens ». Par contre, si le dieu approché ne peut apporter qu'une aide vague ou ne peut réaliser ce que les fidèles en espèrent, il sera délaissé tout seul dans un coin du temple jusqu'à ce qu'une araignée vienne lui tisser une toile pour lui tenir compagnie.

Pour définir une telle tendance, le mythologue et orientaliste allemand Max Müller (1823-1900) a donné le terme de « cathénothéisme » à la pratique de gens qui choisissent l'objet de leur culte selon leur goût. « Comme Ma-tso ne peut m'aider, je vais voir To-té Kong mais si je doute de son efficacité, j'irai prier Ho-saï Kong (le (dieu-tigre). » Ainsi, chacun cherche le dieu ou la déesse selon ses ressentiments du moment. Et le mouvement cathénothéiste a poussé les croyants à la superstition puisque les divers membres du panthéon sont devenus des serviteurs, ressemblant en cela au génie des Mille et une nuits que les gens priaient d'exaucer leurs désirs. Il semble que la relation entre les dieux et les hommes est un peu sens dessus dessous : les dieux sont les serviteurs et les hommes leurs seigneurs.

La tolérance

Il y a un dicton local : Il vaut mieux croire à quelque chose qu'à rien du tout. Cette attitude est assez significative chez les Chinois de Taiwan qui croient à toutes sortes de divinités. Ainsi, on trouve pêle-mêle les grandes figures du bouddhisme, du confucianisme et du taoïsme; on prétend même que Jésus-Christ et Mahomet auraient gagné une place dans cet immense panthéon.

Dans les temps anciens, les gens distinguaient assez mal les trois grandes religions (le confucianisme, le taoïsme et le bouddhisme) de aujourd'hui, il y en a bien cinq ou six. Aux trois précédentes, il convient d'ajouter le christianisme (avec les protestants et les catholiques) et l'islamisme). Encore maintenant, on honore de nouvelles figures divines qui s'installent tranquillement et parfois indéfiniment. Toutes ces créatures, y compris les esprits des morts et les démons, peuvent être adorées, honorées et célébrées pourvu qu'elles aident le peuple à vivre en paix.

Il y a environ quinze ans, une grave inondation survint dans le centre de Taiwan causant de nombreuses victimes. Parmi elles, fut une fillette dont le corps avait été emporté par la rivière de Tcho [Chuoshui] et retrouvé en aval par des villageois. Tous prirent peur que son âme ne se fâchât contre eux; et les croyances traditionnelles aidant, ils craignirent aussi que, du fait de sa mort non naturelle, son esprit ne devînt particulièrement menaçant. Aussi, se mirent-ils à l'adorer comme une déesse appelée Tion Ghiok-ko [en pékinois Tchang Yu-kou, 張玉姑]. Avec la propagande des magiciens, devins, chamans et autres sorciers, l'endroit devint vite un lieu sacré et attira une foule de pèlerins venant de toutes les parties de l'île. Ce phénomène religieux extravagants dura plusieurs années jusqu'à l'intervention des forces de l'ordre qui y mirent un point final.

Par ailleurs, les croyants ont également placé dans ce panthéon des personnages historiques et livresques chinois, comme le prince Lo-tsia [哪吒] de Fong-chen Yen-yi [封神演義] ( des dieux), le grand singe Seung Go-kang [孫悟空] de Si-yeou Ki [西遊記] (le Voyage vers l'ouest) et Koann Ou [關羽] de San-kouo Yen-yi [三國演義] (le Roman des Trois Royaumes). Lo-tsia (en pékinois Notcha) et Seung Go-kang (en pékinois Souen Wou-kong) sont des personnages fictifs; seul Koann Ou (en pékinois Kouan Yu) est un personnage historique de la période des Trois Royaumes (220-265).

De ces exemples, on peut parfaitement comprendre que les Chinois de Taiwan font un peu comme bon leur semble en matière de croyance religieuse.

La structure du panthéon

Avant de considérer les structures sociales du panthéon taiwanais, il convient d'abord d'examiner attentivement deux schémas qui illustrent assez sommairement l'apparence extérieure de ces croyances populaires. Ils aideront à la compréhension de l'analyse qui suit.

Schéma I.

Le cercle intérieur comprend les trois grandes religions répandue à Taiwan, le taoïsme, le bouddhisme et le confucianisme. Elles composent le noyau de la croyance populaire où le taoïsme occupe la moitié de ce cercle pour bien marquer son influence prédominante sur la religion populaire.

Le cercle extérieur englobe tout l'animisme. Ceci est une figure très simplifiée et symptomatique des croyances populaires qui comprennent aussi des éléments de phénomènes religieux primitifs, comme, par exemple, le culte des éléments naturels, des ancêtres, de divers objets (fétichisme) et la magie.

Schéma II.

Le cercle central comprend cinq grandes créatures essentielles du culte :

A. Le dieu du Ciel, Tin Kong ou Ghiok-hong Taï-té;

B. Le dieu de , To-té Kong ou Hok-ték Tsing-sinn;

C. La déesse de , Ma-tso ou Tienn-siong Sing-bou;

D. Le dieu du Bien, Taï-tô Kong ou Pô-sing Taï-té [保生大帝];

E. Le dieu du Mal, Ong Ya [王爺].

Le cercle médial inclut l'échelon inférieur de douze dieux et déesses (ou sièges divins) importants du panthéon taiwanais :

Les personnages honorés par les confucianistes :

(1) Confucius, Kong-tsou Sienn-sou [孔子先師] ou Bounn Sinn [文神];

(2) [Kouan Yu], Koann Ou, dit Koann Kong ou Bou Té [武帝];

(3) Koxinga, Kok-hing'a [國姓爺] ou Yem-ping Kounn'ong [延平郡王].

Les dieux bouddhiques :

(4) des bouddhas : Sék-kia Hout ou Lou-Iaï Hout (Tathâgata Bouddha), Oô-mi-tô Hout (Amidâbha) et Mi-lik Hout (Maïtreya);

Tong Fung-wan
Té-tsong Po-sat, avatar du bodhisattva Kshitigarba, est le dieu-juge placé au seuil des ténèbres au-dessus des dix tribunaux de l'enfer.

 

(5) les bodhisattvas Koann'im Po-sat (Avalokiteçvara), Té-tsong Po-sat [地藏菩薩] (Kshitigarbha) et Bounn-sou Po-sat [文殊菩薩] (Mañjouçrî);

(6) Tsing-tsouï Tso-sou (le dieu protecteur de la ville d'Anshi (Ankoé) et les 18 lô-han (arhat) ou « saints » du Hinâyâna;

Les dieux taoïques :

(7) Lou Tang Pinn, un des huit immortels;

(8) Sam-kaï Kong, les dieux des trois mondes : Siong-goann, Tiong-goann et Ha-goann;

(9) Hienn-tienn Siong-té, identifié avec Pak-tao Sing-kounn [北斗星君] (le dieu de l'Etoile du Nord);

(10) Sinn-long Taï-té;

(11) Lo-tsia Taï-tsou;

(12) Ong-bou Niou-niou [王母娘娘].

Tong Fung-wan

Le dernier cercle extérieur rassemble diverses catégories de cultes primitifs et populaires,

(a) le culte des ancêtres et de piété filiale;

(b) l'animisme, qui comprend les quatre principales sous-catégories, le culte de (le soleil, la lune, les étoiles; les cinq directions du ciel et de la terre; le tonnerre, les éclairs, l'orage et le vent; les montagnes et les eaux des quatre mers; et les animaux, les végétaux, les pierres et la terre); le culte de (les démons, les mânes des tués, les fantômes affamés, les esprits malins, des parents décédés, des héros de l'histoire et des sages); le culte fétichiste (les fétiches naturels comme les os de défunts ou les carapaces de tortue, et les fétiches artificiels comme les objets d'adoration et les accessoires de sorcellerie) et l'occultisme (chamanisme, exorcisme, divinations et magie);

(c) les dieux et déesses protecteurs d'un lieu;

(d) les dieux et déesses protecteurs d'un métier;

(e) les dieux et déesses issus de mythes ou de légendes;

(f) les dieux et déesses extérieurs ou étrangers.

Ces deux schémas représentent un résumé global des croyances populaires taiwanaises. Le premier indique le contenu religieux syncrétiste; le second présente l'ensemble des figures, créatures et objets de culte.

Tong Fung-wan
Le général Sia (au-dessus) et le général Hoann (au-dessous) servent de dieu-greffier et dieu-huissier au dieu souverain Siong-hong Ya.

Ce dernier est donc directement lié à la vie religieuse des Chinois de Taiwan. Le premier cercle en partant du centre représente donc l'assise des croyances populaires. Le dieu du Ciel est le dieu suprême, symbole de la dépendance totale des humains au Ciel pour pouvoir vivre. Le dieu de est un phénomène second divin, né du travail de la terre extrêmement pénible. La déesse de , Ma-tso, est la mère sacrée (Sing-bou) du peuple taiwanais, car elle est le témoin de l'esprit d'aventure de ses ancêtres qui traversèrent le terrible (par ses courants et ses typhons) détroit de Taiwan. Le dieu du Bien ou de , Pô-sing Taï-té ou Taï-tô Kong est bien entendu le protecteur de la population taiwanaise qui a eu tant besoin de sécurité. Le dieu du Mal ou de , Ong Ya, est un impitoyable destructeur, aussi les fidèles le supplient tous les trois ans lors d'une grande fête pour en adoucir les humeurs et prévenir les maladies et les catastrophes.

Le second cercle contient les douze dieux et déesses répartis en trois groupes selon leur origine religieuse. Parmi ceux-ci, les membres du panthéon taoïque sont plus grand en nombre. Il est ainsi aisé de comprendre la puissante influence taoïste sur la religion populaire de Taiwan.

Le dernier cercle englobe toutes les autres créatures issues de croyances populaires, primitives et traditionnelles, qui, somme toute, sont devenues l'objet d'un culte. Ce panthéon peut même se renouveler ou s'agrandir avec l'inclusion ou l'adaptation de culte à l'égard de Jésus, Mahomet, Sun Yat-sen ou Tchang Kaï-chek qui sont plus ou moins canonisés pour prendre une place entièrement acceptée dans ce panthéon taiwanais. Cela démontre bien la nature de grande tolérance dans les attitudes religieuses locales.

Hiérarchie supérieure du panthéon taiwanais

La hiérarchie

Au sommet de ce panthéon taiwanais se tient donc le dieu du Ciel, aussi appelé l'Empereur de Jade, ou Ghiok-Hong Taï-té. Puis viennent en puissance et importance inférieures, le dieu de , Lam-tao Sing-kounn (ou de l'Etoile du sud) qui est le chancelier céleste de gauche, et le dieu de , Pak-tao Sing-kounn (ou de l'Etoile du nord), le chancelier céleste de droite.

Ensuite, il y a une trinité de responsables, les Sam-kaï Kong [三界公] : le dieu de , ou Siong-goann [上元] (responsable céleste), le dieu du Pardon, ou Tiong-goann [中元] (responsable terrestre), et le dieu du Salut, ou Ha-goann [上元] (responsable des eaux).

Au niveau inférieur, sont les dieux-juges de certains lieux, les dieux ou déesses de ville (ou des remparts), comme les Sing-hong aux titres masculins et féminins divers; le seigneur des Champs, King Tsou-kong; le Grand-père Terre, To-té Kong; et enfin Ong Ya.

Puis les dieux-protecteurs des métiers et catégories de personnes, qui sont importants dans la vie quotidienne de Taiwan :

Sinn-long Taï-té  神農大帝Agriculture et médecine

Koann Kong  關公Commerce

Lou Tang Pinn  呂洞賓Barbiers, coiffeurs

Tsing-tsouï Tso-sou  清水祖師Bouchers

Sé-tsinn Ong  西秦王Musiciens

Taï-tô Kong  大道公Pharmaciens

Tin-to Goann-souï  田都元帥 Acteurs

Hienn-tienn Siong-té  玄天上帝 Exorcistes

Tsouï-sienn Tsounn'ong  水仙尊王 Marins

Ma-tso  媽祖Voyageurs

Lo-tsia Taï-tsou  哪吒太子 Devins

Sam-naï Hou-linn  三奶夫人Médiums

Tsit-tsing Niou-niou  七星娘娘Enfants

Tsou-sing Niou-niou  註生娘娘Femmes

Koann’im Po-sat  觀音菩薩Enfants et Mères

To-té Kong  土地公Fécondité.

Les autres dieux mentionnés ci-dessous donnent un sens de la diversité du panthéon taiwanais. Ce ne sont qu'une petite partie d'un nombre pratiquement infini.

Kouï-taï

Kouï-tsiong Sing-ong       Tchangtcheou (Tsiongtsiou), Foukien

Kong-dék Tsounn-ong     Tsiuantcheou (Tsoanntsiou), Foukien

Tsing-tsouï Tsou-sou       Anchi (Ankoé), Foukien

Sam-san·kog'ong             Tchaotcheou (Tio-tsiou), Kouangtong.

Le dieu-juge au seuil de l'enfer est le bodhisattva Kshitigarbha ou Té-tsong Po-sat (Ong) et les autres dans le royaume des morts sont Tang-gak Taï-té [東嶽大帝], le dieu-juge des Ténèbres, et les dieux des dix Cours des Enfers (Sip-tienn Ong-ya). Ils sont servis par d'autres dieux, comme les dieux assistants qui tiennent le sceau à gauche et le glaive à droite, les assistants des dieux-juges (le dieu-greffier à gauche et le dieu-huissier à droite) et les dieux-assistants de Ma-tso (le dieu aux mille yeux [celui qui voit tout] et le dieu aux mille oreilles [celui qui entend tout]).

Les rapports entre les dieux ressemblent quelque peu à ceux d'une hiérarchie toute militaire qui est une fois de plus copiée sur celle de ce bas monde.

Cette structure hiérarchique du panthéon taiwanais est directement copiée sur l'ancienne société chinoise, et ne saurait plus être modifiée sans détruire tout le système. Aujourd'hui, les Chinois de Taiwan conservent donc comme un tout dans leurs croyances cette tradition religieuse qui comprend beaucoup d'autres domaines, tels que le mysticisme. Malgré les développements scientifiques, ils croient fermement en la vision trichotomiques du cosmos : le monde céleste, le monde terrestre et le monde des morts. Chaque monde a ses dirigeants et ses cadres, son organisation et ses activités spécifiques, tandis que l'ensemble du cosmos est supervisé par le dieu suprême, le Grand-père Ciel (Tin Kong). Tout l'« empire des personnages » qui forme ce panthéon doit constamment lutter contre des rivaux, les démons, les esprits du mal, les mânes malveillants. Ainsi, pour repousser les diables curieux, il faut des forces militaires afin de maintenir l'ordre et la paix chez le peuple.

Cela peut sembler merveilleux de voir que les Chinois de Taiwan font un culte vivant à toute cette foule de dieux dans une ère de civilisation accrue. Mais il faut bien réaliser que les croyances populaires ont une essence culturelle et aussi un fondement historique. Il n'est guère juste de la définir aussitôt comme une superstition issue de phénomènes religieux, car il existe une véritable expérience religieuse chez le peuple taiwanais. Par exemple, bien que de nombreuses gens aient été convertis à des religions plus institutionnalisées, comme le christianisme, et semblent avoir délaissé le culte traditionnel, ils n'ont pu complètement abandonner leur vieille religion. Et il s'en suit que quelques chréticns taiwanais peuvent être considérés comme des « chrétiens de la religion populaire » puisqu'ils cherchent une sécurité ou un apaisement en Jésus-Christ et le Saint-Esprit. Ils voient le Dieu créateur comme un vieillard bienveillant (un Grand-père céleste ou terrestre) tandis qu'il prient Jésus-Christ comme un dieu de la miséricorde.

Cela peut s'illustrer par le fait d'un fidèle chrétien demandant à son père mourant de protéger toute la famille pendant le deuil. Et comme le culte d'un ancêtre chrétien est naturel! Si tous les types de pratiques religieuses sont justes, il est néanmoins très délicat d'affirmer lequel est ou n'est pas d'inspiration superstitieuse.

Les croyances polythéistes sont un aboutisscmcnt nécessaire de la société agricole que l'évolution de la civilisation a maintenu chez le peuple sous cette forme de pensée. Evidemment, on ne peut nier que les croyances populaires comprennent des superstitions avec notamment une attitude de grande tolérance religieuse comme la crainte dc vivre avec des démons, la foi en la thérapeutique exorciste et le jugement par des créatures divines inconnues. Mais ces croyances actuelles sont les manifestations contemporaines d'une longue tradition continue.

 

D'après Tong Fung-wan,

Professeur associé d'histoire des religions et doyen universitaire au Séminaire théologique de Taiwan

 

[N.D.L.R. : Tous les noms des divinités chinoises cités dans ce texte sont transcrits (dans le système phonétique français) selon leur prononciation dialectale taiwanaise, plus proche et plus intense de ce monde religieux essentiellement insulaire. Toutefois, quand faire se peut, nous y avons joint les caractères chinois pour servir de références à nos lecteurs érudits et intéressés qu'une lecture dialectale peu commune ne doit pas induire en erreur. — Rappelons seulement que le H initial est fortement aspiré en taiwanais. Toutes les consonnes finales de syllabe se prononcent, sauf le n simple qui nasalise la voyelle précédente, comme en français.]

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