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Retour au port

01/11/2012
La Free China. (AIMABLE CREDIT DE DIONE CHEN)

Une atmosphère de fête et une certaine excitation régnaient au Musée national des sciences et technologies marines (NMMST), à Keelung, dans le nord de Taiwan, le 11 juillet dernier, à l’occasion de la Journée de la mer. Au cœur des célébrations se trouvait en effet une jonque qui venait d’être expédiée par bateau à Taiwan depuis les Etats-Unis, 57 ans après avoir rallié San Francisco depuis le port de Keelung, justement. Parmi les invités à cette fête se trouvait Paul Chow [周傳鈞], l’un des six jeunes marins qui furent du voyage. « Les jeunes ont besoin d’avoir un rêve, quel qu’il soit, dit l’aventurier qui a aujourd’hui 86 ans. Sinon, ils gâchent leur vie. »

Le rêve de Paul Chow a pris corps en octobre 1954, lorsqu’il avait 28 ans. Un jour, l’intrépide jeune homme, qui gagne sa vie en pêchant avec un petit bateau à moteur au large de Keelung, entend parler d’une régate entre Rhode Island, sur la côte est des Etats-Unis, et Göteborg, en Suède. Il se met alors en tête de prendre le départ de cette course transatlantique – à bord d’une jonque chinoise. Il faudra bien sûr pour cela commencer par faire la périlleuse traversée du Pacifique jusqu’à la côte est des Etats-Unis, puis ensuite trouver le moyen d’acheminer l’embarcation de l’autre côté du continent américain, jusqu’à Rhode Island. Pas le moins du monde intimidé par ce gigantesque défi, Paul Chow trouve, pour l’accompagner, quatre autres marins qui, comme lui, sont arrivés à Taiwan en 1949 pour fuir la guerre civile sur le continent. Un sixième larron se joint par hasard à l’équipe : il s’agit de Calvin Mehlert, alors vice-consul à l’ambassade américaine et dont les membres de l’équipage font la connaissance lorsqu’ils se rendent à l’ambassade pour demander un visa pour les Etats-Unis. Séduit par leur projet, il propose de se joindre à eux. Les cinq marins hésitent 24 h puis acceptent. « J’ai seulement vu la chose comme une idée formidable de voyage d’agrément, je ne me doutais absolument pas que l’on parlerait encore de cette traversée des années plus tard et jusqu’à aujourd’hui. »

 

L’équipage de la Free China au complet.

Les six jeunes n’ont aucune expérience de la navigation à voile, mais leur audace et leur enthousiasme communicatif leur permettent d’obtenir de nombreux soutiens. Paul Chow trouve rapidement une belle jonque mesurant 24,2 m de long et 5,4 m de large qui, selon toute vraisemblance, a été construite à Fuzhou, dans la province du Fujian, plus de soixante ans auparavant, en 1890. Le gouvernement apporte la quasi-totalité de la somme nécessaire à l’achat de l’embarcation. En échange, les marins doivent rebaptiser leur jonque Free China. Leur aventure galvanisera effectivement la nation, raconte le député Chiau Wen-yan [邱文彥], ancien vice-ministre de la Protection de l’environnement et professeur à l’Université nationale de l’océan de Taiwan (NTOU), à Keelung, et qui a joué un rôle déterminant dans le retour de la jonque dans cette ville.

Paul Chow et ses cinq compagnons ont pris la mer un jour du printemps 1955. Assez rapidement, toutefois, la jonque essuie un typhon et est forcée de faire escale à Yokohama pour des réparations. Le retard s’accumule au point qu’il n’y a bientôt plus aucun espoir pour les marins d’atteindre Rhode Island à temps pour le départ de la régate. L’équipage décide tout de même de persister dans ses projets de traversée du Pacifique et finit par atteindre San Francisco le 8 août de la même année, après 114 jours en mer.

A Taiwan, rapidement, cette aventure suscite des appels à l’instauration d’une Journée nationale de la mer. D’aucuns voient en effet dans la traversée de la Free China un écho aux voyages de l’amiral Zheng He [鄭和, 1371-1433], un explorateur et diplomate de la cour des Ming qui poussa jusqu’aux côtes de l’Afrique orientale durant une série d’expéditions navales, entre 1405 et 1433. Le gouvernement déclare donc le 11 juillet Journée de la mer en souvenir du jour où l’amiral s’embarqua de Suzhou, dans le Jiangsu, pour son premier voyage au long cours.

Leur traversée du Pacifique achevée, Paul Chow et ses camarades décident de donner la jonque à un musée de San Francisco dans l’espoir qu’elle sera préservée. En 1961, toutefois, la jonque est confiée à une autre institution, qui en fait don à son tour à un troisième musée, lequel finit par l’abandonner sur un terrain vague, sur l’île de Bethel, à une centaine de kilomètres de San Francisco. En 2007, comme plus personne ne payait les frais d’entreposage, le propriétaire annonce qu’il va réduire l’embarcation en bois de chauffe, si personne ne vient la réclamer. Les membres survivants de l’équipage, leurs proches et quelques universitaires taiwanais et américains s’intéressant à l’histoire maritime sont alertés. C’est finalement Dione Chen [陳玲玲], la fille de l’un des marins, qui sauve la relique de la destruction. Pour elle, ce vestige du passé est l’outil idéal pour susciter l’intérêt des jeunes générations pour l’histoire des explorations maritimes.

 

Nelson Liu, un autre passionné de la mer, a traversé le Pacifique à bord d’une jonque de construction récente, la Princess Taiping. Son voyage a duré de juin 2008 à avril 2009.

En 2008, Dione Chen fonde un groupe de bénévoles rassemblés sous la bannière de l’Association de conservation de la jonque chinoise et qui alimentent un site internet dédié à l’histoire de la Free China. La même année, le Néo-Zélandais Robin Greenberg commence le tournage d’un documentaire sur l’aventure des six navigateurs amateurs, The Free China Junk, qui redonne courage à tous ceux qui veulent préserver ce morceau d’histoire. Le film raconte la périlleuse traversée, au moyen d’interviews des cinq protagonistes encore en vie à l’époque et des images 16 mm en couleurs tournées en 1955 durant la traversée par Calvin Mehlert. Le documentaire a été projeté pour la première fois en juillet 2010 au Festival international du film de Nouvelle-Zélande, et il a remporté au printemps dernier un Prix de l’étoile montante au Festival international du film du Canada.

Pour éviter que la jonque ne soit démantelée, le groupe monté par Dione Chen a commencé par acquitter le loyer du terrain vague où elle était  entreposée. Au printemps 2009, le gouvernement, à Taipei, décidait de s’impliquer dans le sauvetage, et le ministère de la Culture a par la suite chargé la NTOU de superviser son retour à Taiwan. Après plus de trois ans de consultations croisées entre le gouvernement, l’association de Dione Chen et le Parc maritime historique national de San Francisco, le titre de propriété sur la jonque a été transféré au ministère de la Culture de Taiwan en février dernier. Elle a alors été expédiée vers Taiwan à bord d’un porte-conteneurs de la compagnie de fret maritime taiwanaise Yang Ming Marine et est arrivée à bon port à Keelung à la mi-mai. Yang Ming Marine a offert ses services gratuitement, mais il a fallu 4 millions de dollars taiwanais pour préparer la vieille embarcation à ce long voyage, et l’argent a été donné par deux banques insulaires.

Kehr Young-zehr [柯永澤], le directeur du NMMST, le musée qui accueille la jonque à Keelung, trouve l’histoire de la Free China particulièrement édifiante. Le fait que ce soit aussi aujourd’hui la seule jonque chinoise au monde à avoir traversé un océan la rend d’autant plus digne d’être préservée. Sa structure est largement intacte, malgré quelques altérations mineures réalisées par ses anciens propriétaires américains et la disparition des voiles originelles.

« Jadis, en Chine, les constructeurs de navires ne transmettaient leur savoir-faire qu’oralement à leurs apprentis, explique Nelson Liu [劉寧生], qui fut l’un des premiers navigateurs à voile de Taiwan et qui a une grande expérience des voyages à travers les océans de la planète. On n’a gardé que très peu de documents ou plans, ce qui rend cette vieille jonque d’autant plus précieuse. » En 2008, Nelson Liu et son équipage ont traversé le Pacifique depuis Keelung sur la Princess Taiping, une jonque toute neuve construite dans le Fujian, sur le continent. Malheureusement, ils n’ont pas pu terminer leur voyage de retour car, la veille du jour où ils avaient prévu d’arriver à Keelung, en avril 2009, la jonque est entrée en collision avec un porte-conteneurs et a sombré. Le capitaine espère que le musée de Keelung saura mettre en valeur la Free China pour expliquer les caractéristiques des jonques chinoises, comme leur coque compartimentée qui joue un rôle important dans leur flottabilité et leur sécurité.

 

La Free China est pour l’instant exposée en plein air non loin du musée de Keelung. (HUANG CHUNG-HSIN / TAIWAN REVIEW)

La Free China est rentrée à Taiwan, mais il reste encore beaucoup à faire pour la restaurer. Liao Chih-chung [廖志中], le directeur du département de conservation du patrimoine culturel à l’Université nationale des sciences et technologies de Yunlin, ne cache pas sa préoccupation quant aux difficultés qu’implique la préservation de la vieille jonque. « Il est important que ce bateau de bois reste au sec, à l’intérieur comme à l’extérieur. Mais avec le climat chaud et humide de Taiwan, ce sera plus difficile qu’en Amérique si nous le laissons à l’air libre comme c’est le cas actuellement. » De fait, la coque laisse déjà voir des traces de pourrissement.

Une solution consisterait à construire une structure pour abriter la jonque, mais le budget du NMMST est trop restreint pour l’envisager aujourd’hui. Le manque de financements empêche aussi le musée de faire appel à des experts pour réparer les dégâts les plus importants. La jonque fait quand même l’objet d’inspections régulières et d’un minimum de travaux d’entretien. Dès que les finances du musée le permettront, assure Kehr Young-zehr, des voiles seront confectionnées sur le modèle de celles qui équipaient l’embarcation à l’origine.

Récemment, une raison supplémentaire de préserver la Free China est venue, pour certains, s’ajouter à la liste. En juin dernier, Chiau Wen-yan regardait pour la première fois le documentaire réalisé par Robin Greenberg lorsqu’un îlot qui apparaît sur les images tournées par Calvin Mehlert en 1955 a attiré son attention. On voit l’équipage jeter l’ancre sur le rivage d’un îlot désert et un des marins gravir une pente pour obtenir une meilleure vue d’ensemble. « J’ai toutes les raisons de croire qu’il s’agissait de l’île principale de l’archipel des Diaoyutai. » Chiau Wen-yan a confirmé cette hypothèse en vérifiant des documents indiquant les routes maritimes de la région et le journal de bord de l’équipage de la Free China, ainsi qu’en comparant les images tournées par Calvin Mehlert avec des photos prises récemment sur les Diaoyutai. Il a rapidement annoncé sa découverte lors d’une conférence de presse à laquelle participait un représentant du ministère de l’Intérieur chargé de rassembler tous les documents susceptibles de confirmer la souveraineté de la République de Chine sur l’archipel. Les Diaoyutai font en effet l’objet d’une dispute de souveraineté avec Pékin et avec le Japon.

Robin Greenberg cherche maintenant des financements pour achever un second documentaire, consacré cette fois-ci au retour de la jonque à Taiwan. De son côté, la mairie de Keelung veut en faire la pièce maîtresse d’une campagne de promotion touristique axée sur l’identité maritime de la ville.

La plus belle retombée du retour de la Free China serait cependant qu’elle incite ici davantage de jeunes à réaliser leurs rêves et à prendre la mer. « Taiwan est une île, et pourtant les Taiwanais ne s’aventurent guère au large, déplore Nelson Liu. Espérons que le retour de la jonque en encouragera certains à explorer les océans. »


 

Le NMMST a pour mission de susciter la passion des Taiwanais pour la mer. (HUANG CHUNG-HSIN / TAIWAN REVIEW)

Un musée avec une mission
O.C.

Le premier objectif du NMMST, près du port de pêche de Badouzi, à Keelung, est de promouvoir les connaissances et la recherche sur les océans. Encore en développement, il a été conçu comme le pendant du Musée national de la biologie marine et aquarium de Pingtung qui a ouvert en 2000. Les visiteurs ont actuellement accès à certaines galeries dont celle consacrée à l’exploration maritime régionale et qui met en avant la tradition de la pêche à Badouzi, ainsi qu’à l’aire de loisirs côtière et aux jardins qui occupent la plus grande part du terrain de 48 ha sur lequel est construit le musée. Le bâtiment principal devrait être inauguré en juin 2013, et l’aquarium en 2017.

Le chantier est en grande partie réalisé sous la supervision de l’Etat qui laissera le secteur privé gérer les lieux durant une période de temps limitée avant d’en reprendre le contrôle.

Une vieille ligne de chemin de fer de 4,3 km de long qui autrefois reliait la gare de la ville minière de Ruifang à celle de Taipei sera rouverte afin de faciliter l’accès des visiteurs au musée. La ligne était à l’origine principalement employée pour le transport du charbon.

Aujourd’hui, le plus grand obstacle au développement du musée est un projet de la société publique de l’électricité Taipower qui a prévu de construire des brise-lames et une jetée destinée aux navires cargos livrant du charbon à une de ses centrales. Le projet, qui apparaît comme une menace à l’environnement marin, va à l’encontre de la mission que s’est fixée le NMMST qui est justement de rapprocher les Taiwanais de la mer. « L’appauvrissement des ressources naturelles sur terre encourage les nations à se lancer dans la course aux ressources maritimes », déplore Kehr Young-zehr, le directeur du musée. Les Taiwanais, souligne-t-il, doivent absolument s’intéresser davantage aux affaires maritimes. Le musée, qui est géré par le ministère de l’Education, recommande donc fortement que le ministère demande à tous les enseignants du primaire et du secondaire de visiter le musée. Ils pourront alors transmettre les connaissances acquises au NMMST à leurs élèves, et ainsi stimuler l’intérêt des Taiwanais pour la mer dès leur plus jeune âge.

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