07/06/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

À la découverte du monde fabuleux des fonds marins

01/12/2007
Une forêt de varech de Californie s'épanouit dans le plus grand aquarium de la planète.

Pour les Taiwanais, l’océan est encore lointain et mystérieux. La réappropriation de l’espace maritime débute à peine, 20 ans après la levée de la loi martiale et de l’interdiction de l’accès au littoral.

Et pourtant ! Taiwan est située sur le bassin Pacifique - connu aussi sous le nom de Triangle de corail - une zone située sur le bord de la plus large plaque tectonique de la planète, la plaque eurasienne, et dont la biodiversité est l’une des plus riches et des plus complexes. C’est cette position, au confluent du Kuroshio, de la mer de Chine méridionale et des courants froids longeant les côtes du Fujian et du Zhejiang, là où se rencontrent les trois grands écosystèmes marins (ceux de la mer de Chine orientale, de la mer de Chine méridionale et des Philippines), qui a permis l’apparition d’un écosystème marine aussi diversifié.

Le premier musée taiwanais de la Biologie marine est situé à Checheng, dans le district de Pingtung, sur la péninsule de Hengchun. Il abrite des installations modernes comme le pavillon des « Eaux du Monde » qui utilise les dernières technologie de réalité virtuelle. On y trouve également le premier aquarium au monde avec une barrière de corail vivante, le plus long tunnel sous-marin d’Asie, mais aussi le réservoir d’eau marine le plus important de l’Asie du Sud-Est. Sept ans après son inauguration, ce musée marin se classe déjà parmi les dix plus visités dans le monde.

« Son origine, explique son directeur général adjoint, Lin Chung-hsiao [林忠孝], remonte à l’époque où la loi martiale venait juste d’être levée à Taiwan. L’ouverture du littoral au public a fait l’objet de débats, et certaines associations ont commencé à prendre l’éducation marine très au sérieux. En 1989, le ministère de l’Education a désigné un espace de 93 ha à Checheng, près du Parc national de Kenting. Cet espace avait la particularité de rassembler un riche échantillon d’écosystèmes coralliens. Le site, en bord de mer, appartenait à plusieurs propriétaires et était occupé par un cimetière et des étangs à poissons illégaux. »

Un partenariat à l’origine du musée

Un office de préparation du musée fut créé en 1991. Il fallut ensuite huit longues années pour que la première salle d’exposition consacrée aux fonds marins taiwanais voie le jour, en février 2000. Cette année-là, au mois de juillet, la gestion et l’exploitation de l’aquarium furent confiées à la société Hi-Scene World Corporation. C’était la première fois ici que la gestion d’un établissement public de nature éducative était confiée à une société privée.

Le PDG de Hi-Scene, Yang Ching-nan [楊慶南], se souvient encore de cette année 1999. Il avait eu connaissance de l’appel d’offres par voie de presse. A l’époque, Yang Ching-nan était déjà confiant dans ce projet: « Les Taiwanais ont beau de ne pas se sentir proches des océans qui les encerclent, ils n’en ressentent pas moins l’appel du large dans toute sa force. Ce musée aura un rôle éducatif et développera le sens de l’exploration. » Autre atout supplémentaire, l’Autoroute no3, qui draine 4 millions de visiteurs par an vers le Parc national de Kenting, tout proche, passe à proximité du site.

A la découverte des eaux de l’île

Le musée a déjà reçu un prix en 2001 de l’American Consulting Engineers Council, récompensant l’élégance de son architecture qu’on peut apercevoir de loin, depuis le site archéologique de Kueishan. Son toit recourbé, rappelant le mouvement de la vague qui va et vient sans fin, se fond avec harmonie dans le paysage.

Lorsqu’on arrive au musée, on est tout de suite frappé par la taille impressionnante des reproductions de cachalots et de baleines, en extérieur. Une fois passée la porte, on peut voir dans le pavillon des « Eaux de Taiwan », des modèles de dauphins et de pieuvres géantes des grands fonds qui se balancent, suspendus à 21 m de hauteur. Sur la droite de l’entrée, se trouve une reproduction des falaises et des chutes de Lungku, dans le district de Taichung.

Chang Cheng-chieh [張正杰], le vice-directeur de l’équipe des guides, explique que l’architecture intérieure du musée reprend la géographie insulaire. On peut ainsi cheminer, de pavillon en pavillon, à travers les paysages de l’île, depuis les 3 952 m d’altitude du mont de Jade jusqu’aux grands fonds sous-marins, à 200 m sous le niveau de la mer. Plusieurs de ces panoramas sont mis en valeur comme les hauteurs de Lungku, la Chichiawan ou encore la Tachia.

On y retrouve toutes les espèces endémiques de poissons, dont le ku, de la famille des carpes (Varicorhinus alticorpus), la fameuse truite arc-en-ciel, (Oncorhynchus mykiss) ou encore les rares saumons formosans d’eau douce ( Oncorhynchus masou formosanus) rassemblés dans une reconstitution d’ensemble de l’écosystème dans lequel ces espèces évoluent.

On découvre ensuite une reproduction des environs de la vallée de l’Amour, à Maolin, dans le district de Kaohsiung, dont les abords sont plantés de grands arbres, et qui regorge d’espèces endémiques comme les Spinibarbus hollandi. On peut aussi y découvrir le poisson-chat chinois (Silurus asotus) et l’anguille mouchetée géante ( Anguilla marmorata). On arrive ensuite dans la partie consacrée à la retenue de Tsengwen. Cet ouvrage d’art est peuplé de poissons de toutes tailles, comme la carpe noire (Mylopharyngodon piceus ) dont certaines atteignent 1,5 m et aussi la carpe d’herbe ( Ctenopharyngodon idella) avec 1,2 m, des espèces importées qui ont fini par menacer l’existence des poissons endémiques.

On quitte les étangs des côtes du sud-est pour arriver dans l’estuaire de la Tamsui, dans le nord de l’île. Alimentées par les détritus organiques formés par les branches mortes et les feuilles d’arbres, les zones marécageuses qui s’y trouvent représentent des réserves nutritionnelles importantes pour la faune aviaire. Les poissons, les crabes, les crevettes et autres larves mais aussi les oiseaux aquatiques viennent s’y nourrir. Ces zones ont malheureusement été sévèrement polluées par le déversement d’eaux usées et les rejets industriels. « On peut utiliser cet exemple d’un niveau de pollution grave de l’environnement de l’estuaire pour tenter d’éduquer le public, notamment les consommateurs de poisson en leur faisant comprendre que des spécimens ayant grandi dans ce type d’environnement ne sont plus propres à la consommation », explique Chang Cheng-chieh.

Chiachia, le requin-baleine

Dans le pavillon des « Eaux de Taiwan », on découvre un espace ingénieusement conçu où les visiteurs peuvent entrer en contact direct avec la vie marine : on s’engage dans ce qui porte le nom de « Couloir des vagues » et, en quelques pas, sous 4 m d’eau, on est au fond de l’océan. Le visiteur a tout le loisir d’observer avec attention la vie sous-marine tout autour de lui. On est brusquement nez à nez avec un requin-marteau qui vous observe de très près tandis qu’une murène (Cirrimaxilla formosa) passe et repasse avec des airs menaçants !

Mais la star du musée est le plus gros poisson du monde, un requin-baleine (Rhincodon typus). Il évolue dans « l’aquarium océanique » qui, avec ses 4 m de hauteur et 16 m de long, a une contenance d’un million de litres. L’aquarium reconstitue l’écosystème des abysses à 200 m de fond où on peut généralement rencontrer ce sympathique géant au tempérament doux dont la longueur peut atteindre 20 m et le poids 30 t. Il est listé par la Convention internationale sur le commerce des espèces en danger (CITES) et sa pêche fait l’objet de restrictions internationales sévères. A Taiwan, l’Etat a mis en place, en 2001, un système de quo tas. Le 24 mai dernier, le ministère de l’Agriculture a annoncé l’interdiction définitive de la chasse au requin-baleine à partir de 2008.

Le requin-baleine hébergé par le musée, dont le nom est Chiachia, a été capturé aux larges de Hualien, il y a trois ans. On a demandé au musée de le soigner, et Chiachia a été installé dans l’aquarium océanique. A cette époque, les Japonais étaient les seuls au monde à avoir réussi à en élever en captivité. Le musée envoya une équipe au Japon pour y étudier les techniques utilisées. Après plusieurs années d’efforts, Taiwan est devenu le second pays au monde à savoir prendre soin d’un requin-baleine.

Les jardins des grands fonds

Lors de son ouverture, le pavillon du « Royaume des Coraux » était le premier aquarium du monde à abriter des récifs vivants. On peut ainsi déambuler le long de ce couloir de 34 m, le plus long de ce type en Asie, et découvrir la beauté de ce monde de coraux dans toute sa profusion de couleurs, reconstituée dans ces quelque quatre millions de m3 d’océan artificiel.

Les récifs de coraux sont la première richesse océanique. Et même si les eaux qui baignent Taiwan n’abritent que 0,1% de la totalité des récifs coralliens dans le monde, ils concentrent plus d’un tiers des espèces connues. Ces dernières années, le changement climatique et la hausse de la température des océans ont provoqué un blanchissement des récifs de coraux. D’autres phénomènes comme le développement maladroit des loisirs balnéaires, avec des activités comme le jet-ski, mais aussi la pêche intensive et la pollution ont sérieusement abîmé leur écosystème. Le musée utilise ses expositions pour faire passer un message à ce sujet, et aussi pour inciter les visiteurs à refuser de manger du poisson issu des barrières coralliennes.

Les autres stars du musée sont les bélugas ( Delphinariums leucas) de la mer d’Okhotsk, au large des côtes de la Sibérie. Ils sont protégés, comme les requins-baleines, par la CITES. Il en existe encore 100 000 dans la nature, et la Russie a mis en place une série de quotas encadrant les exportations annuelles. Les critères relatifs aux conditions d’élevage sont très stricts. Pour prendre soin de ces trésors des océans, le musée dispose de deux systèmes de régulation thermique qui permettent de maintenir la température de l’eau autour de 18°C. Une équipe médicale composée de deux vétérinaires et de quatre professeurs du département de médecine vétérinaire de l’université nationale des Sciences et Tech nologies, de Pingtung, est aussi sur place.

Selon le technicien en chef du musée, Lin Chieh [林杰], le béluga dispose d’un quotient intellectuel plus ou moins égal à celui d’un enfant de 7 ou 8 ans. Le chant fait parti de ses talents, et il va du vibrato jusqu’aux gazouillements du nouveau-né, en passant par toute une gamme de sons clairs et brillants. Et quand un béluga s’approche de vous, méfiez-vous parce qu’en un clin d’œil, vous vous retrouverez peut-être aspergé par un jet d’eau envoyé par jeu. 

L’aquarium sans eau

Pour Fang Lee-shing [方力行], l’ancien conservateur du musée, l’évolution est un phénomène fascinant puisque seulement 1% des espèces qui ont existé sur Terre sont encore visibles de nos jours, les 99% autres ayant totalement disparu sans laisser de traces. Mais avec les nouvelles tech niques de réalité virtuelle, il est désormais possible de recréer l’environnement des anciens océans, donnant ainsi accès à l’expérience unique de la découverte de ces grands fonds marins tels qu’ils étaient il y a plusieurs millions d’années. Fang Lee-shing souligne que la création d’images numériques des espèces éteintes comme les ichtyosaures ou les trilobites permet de diffuser le savoir d’une manière très efficace avec l’espoir, dans le même temps, d’aider à l’émergence d’un nouveau modèle pour la conservation des océans.

Dans cette troisième partie du musée, celles des « Eaux du Monde », on pénètre le concept de l’aquarium sans eau. Le premier au monde, où des époques et des lieux très différents sont reproduits. Les salles, portent des noms tels que « Océans des temps anciens », « Grands fonds » ou encore « Mers polaires » et « Forêts de varech ». On y ressent moins les contraintes spatiales et temporelles ou les limites imposées par la conservation des espèces.

La réalité est si fidèlement reproduite que les visiteurs ont très souvent l’impression de faire partie de ce monde recréé. Leurs mouvements et leurs déplacements sont détectés par des équipements optoélectroniques qui permettent des interactions en temps réel avec les créatures marines virtuelles. Dans la salle réservée aux reptiles océaniques, on peut voir un monstrueux dinosaure marin poursuivre des poissons. Une vision propre à durablement effrayer les plus jeunes !

La forêt de varech est exposée dans un aquarium d’une dizaine de mètres de hauteur, un des plus hauts du monde ! A travers une vitre de 56 cm, on peut découvrir du varech de Californie, qui, en milieu naturel, peut croître à raison de 30 cm par jour. Et enfin, dans l’espace réservé aux mers polaires, on découvre des pingouins de l’Antarctique et des macareux huppés de l’Arctique.

Conservation

Le musée de la biologie marine est ouvert depuis plus de sept ans maintenant. Sa réputation n’a cessé de s’étendre mais les groupes environnementalistes continuent pourtant de nourrir des doutes. Ils se préoccupent par exemple du fait que le musée et l’afflux de touristes provoquent une pollution de l’océan du côté de Hengchun. Un avis que ne partage pas le directeur adjoint, Lin Chung-hsiao, qui rappelle que deux unités de retraitement des eaux ont été créées sur place pour éviter cet inconvénient. Il est en outre nécessaire de noter que la portion d’océan qui fait face au site sur lequel est construit le musée est l’objet d’un droit d’utilisation exclusif, ce qui permet justement de préserver cet espace vierge de toute pollution.

La question s’est aussi posée de savoir comment les 10 millions de visiteurs par an pouvaient profiter au mieux des beautés du site. Lin Chung-hsiao considère que c’est l’attitude et la disposition d’esprit qui permettent de saisir toute la richesse et la valeur du musée. Ceux qui s’exclament à tort et à travers « Oh ! Regarde les belles fleurs ! » passeront certainement à côté de beaucoup de choses. Yang Ching-nan pense pour sa part que la dimension pédagogique sert à projeter les visiteurs dans le monde des grands fonds marins, et que donner à explorer les multiples facettes des mystères océaniques revient finalement à faire un premier pas vers l’idée de la protection de l’océan. ■

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