Les petits oiseaux volent dans la cour.
Les petits poissons nagent dans le bassin.
Les blancs nuages flottent dans l'immensité.
Et mon esprit est d'une vacuité sans borne.
Quatre vers de cinq pieds de Yu Peng récités lors d'un mime au vernissage de sa dernière exposition de peinture à Taïpei sont-ils la pensée d'un gourou tchan (zen) ou d'un bonze reclus taoïste, ou peut-être les deux à lafois?
Plus qu'une simple rêverie philosophique, le poème de Yu Peng se comprend comme une déclaration personnelle sur son approche artistique. Peu désireux d'être enferré par des principes orthodoxes, il laisse son art, ainsi que son esprit, aller où bon leur semble.
Que ce soit la peinture, la poterie, la sculpture ou les autres essais artistiques, Yu Peng refuse d'être identifié à une école particulière ou une période de style. Il préfère une technique de premier jet de son propre cru, qu'il appelle le « laisser-aller naturel ».
Cette approche a suscité des critiques de quelques artistes chinois plus traditionnels sur son œuvre. Selon eux, elle manque de maturité et note des faiblesses dans la technique de base. Cependant, d'autres apprécient sa fraîcheur et son défi audacieux à la tradition artis tique séculaire.
Yu Peng est né à Waichouangchi, un quartier périphérique de Ta'ipei, en 1955. On ne relève rien dans son enfance qui ait auguré un avenir dans l'art, même si les ruisseaux clairs et les montagnes luxuriantes ont sans doute influencé son amour de la nature. Sa vraie rencontre avec l'art a eu lieu au collège. Il apprit d'un professeur dévoué la gravure et l'estampe traditionnelle chinoise et fut captivé par la technique, l'usage des couleurs et l'immense variété d'expressions possibles de cette estampe. L'usage ultérieur des couleurs dans sa peinture est probablement ce qu'il lui en reste. En 1985, il fondait même une petite imprimerie sur bois qui confirmait bien une certaine expérience.
Il effectua ses ses premiers pas dans l'éducation artistique, de loin les plus importants, un peu plus tard. Il eut en effet au collège un professeur d'art, Mme Chen Yi-keng, qui l'a réellement guidé. Elle a bouleversé toute sa vie. Le matin avant la classe, le soir après l'école, elle donnait des cours de peinture sans la moindre rémunération. C'était un travail d'amour.
Yu Peng avait là un véritable maître accompli, car Mme Chen Yi-keng était elle-même une élève douée. Elle avait eu la privilège distinction d'être admise à la faculté des beaux-arts de l'Université nationale normale de Taïwan après juste une seule année de lycée. Comme étudiante, elle avait appris avec les peintres de grande renommée, Houang Kiun-pi et Pou Sin-yu qui était le cousin du dernier empereur de Chine, Pou-yi.
Mais la bonne fortune de Yu Peng dépassa les avantages d'avoir une préceptrice de qualité et de grande formation. Selon la tradition chinoise, il en devint même le disciple. Après sa première année de lycée, il fut invité à loger chez Mme Chen Yi-keng, ce qui établissait formellement des rapports de maître à élève et équivaut en Chine à des relations quasi familiales.
Il garda toujours son plein équilibre sous l'œil vigilant de son maître qui put ainsi suivre tous les progrès de son pu pille en art et autres disciplines académiques. Pourtant, elle n'avait vraiment aucun avantage matériel à faire cela, si ce n'est l'humble aide de son élève à ef fectuer quelques travaux ménagers ou à surveiller ses jeunes enfants. Yu Peng faisait partie de la famille et, dans cette atmosphère, ses études progressaient tout naturellement.
Durant ces quatre années de pension chez Mme Chen Yi-keng, Yu Peng apprit les notions de base, le dessin, le croquis, les aquarelles traditionnelles et même la peinture à l'huile occidentale, une matière qu'on n'enseigne pas au lycée. Egalement auprès de son maître, outre la peinture, il se forgea une créativité artistique et fixa la place de son œuvre dans le contexte de la vie de tous les jours.
Ce qui est plus significatif, le talent artistique de Mme Chen Yi-keng s'était étendu dans plusieurs disciplines. Pendant ses années d'études, elle avait écrit des romans au lycée, puis, à l'université, s'enthousiasma pour le théâtre en y jouant divers rôles. Malgré son option pour l'art, elle enseigna d'abord la musique, peu après l'obtention de son diplôme, puis vint enseigner les beaux-arts au collège où étudiait Yu Peng. Quelque temps plus tard, elle y dispensa des cours de peinture. Sa grande variété de talents eut beaucoup d'influence sur la pensée de son élève dont elle encourageait à élargir les connaissances artistiques.
Malgré cette situation apparemment idéale, Yu Peng n'était pas pleinement satisfait. Il demeurait réticent à l'étude des méthodes conventionnelles, des techniques de base et avait une aversion à apprendre les astuces nécessaires pour maîtriser les styles de peinture. Malgré les vœux de son professeur et de ses parents pour qu'il fasse des études artistiques universitaires, il échoua par deux fois à l'examen d'entrée.
En fait, il était complètement désintéressé par cette perspective. Il ne désirait pas une éducation formelle, car il était convaincu que cela pourrait réprimer sa créativité artistique naturelle, mais il ne pouvait se soustraire aux examens. Il faut imputer les causes de ces échecs à ses faiblesses dans les disciplines académiques, car il passait, avoue-t-il sincèrement, la plupart de son temps à peindre et à lire des ouvrages sur les beaux-arts.
Ne désirant nullement se rebeller contre l'enseignement de son maître dans l'étude des techniques artistiques de base, il admet tout de même qu'il refusa tout net de s'enliser dans le copiage d'autres œuvres. Il croit plus important de laisser courir sa propre créativité et de développer son propre style.
Après le baccalauréat (ou son équivalent), Yu Peng vécut et étudia chez son professeur pendant deux ans avant d'aller faire son service militaire. Pen dant ce temps, Mme Chen Yi-keng émigra aux Etats-Unis.
En 1977, dégagé des obligations militaires, il s'inscrivit à un cours de peinture, les aquarelles chinoises, au Centre culturel de l'Armée chinoise. Son professeur, M. Li Chi-mao, alors directeur de l'Académie nationale des Beaux-Arts de Taïwan, lui enseigna plusieurs formules pour peindre la nature humaine: les prises d'angle, les proportions et autres. Quand il faisait sa ronde parmi ses élèves à l'œuvre pour en noter le progrès, il inclinait de la tête ou faisait quelque commentaire çà et là. A la hauteur de Yu Peng, il contemplait son travail et s'exclamait furieux : « Quelles sont encore ces saletés que vous gribouillez sur votre papier?» En fait, Yu Peng s'intéressait plus à ses méthodes originales qu'à appliquer les techniques de son professeur devant qui il se rebiffait avec véhémence. Estimant perdre son temps, il abandonna avant peu les cours.
Mais Yu Peng n'avait point de travail, et la reprise des études ne l'intéres sait guère. Après le service, c'est la routine de chercher un travail. Mais il ne pouvait se faire à l'idée de commencer un métier si tôt ! Aussi se mit-il à peindre, mais bien vite, le problème très concret de survie se posa, et dès la fin de 1977, il se mit à vendre son art.
La réponse du marché au dernier artiste venu sur la place n'était pas excellente, mais intéressante. Il y a 12 ans à Taïwan, apprécier l'art ne faisait que commencer. Et lorsque ses peintures se trouvaient incluses dans une exposition, ce n'étaient que les amis artistes et quelques autres intellectuels qui venaient regarder ses tableaux. Le peu de peintures qu'il vendit convergeaient chez d'autres artistes. Il en fit quand-même assez pour survivre et eut beaucoup de temps pour se lancer dans d'autres domaines, comme le théâtre d'ombres chinois et la poterie.
Les traits calligraphiques traditionnels ont bouché les espaces de cette composition féminine, Tigresse.
La grande étape suivante que fran chit Yu Peng survint en 1981, quand il fit son premier voyage à l'étranger. Au début de l'automne, il partit en l'Europe, principalement en Grèce, pour quelques semaines, puis passa trois mois en Chine continentale (un voyage techniquement illégal à l'époque aux yeux des autorités taïwanaises). Mais un proverbe chinois. ne dit-il pas que pour parfaire ses connaissances, il faut lire dix mille livres et parcourir dix milles lieues. Il le rappelle aimablement pour justifier ce périple qui lui ouvrit les horizons et l'aida à s'orienter d'une manière toute personnelle.
En Grèce, il tient une exposition de ses œuvres au fusain à internationale Diogène d'Athènes. En Chine, il séjourna dans de nombreux sites historiques et pittoresques, tels les Monts Jaunes de l'An-houeï et le Lac de l'Ouest, près de Hangtcheou. Il se rendit également près de fours modernes et anciens de céramique et s'entretint avec les peintres et artistes locaux.
Ce voyage fut vraiment une étape marquante. Il y acquis beaucoup tant en pratique qu'en idées. En Grèce, il fut plongé dans les sources mêmes de la civilisation occidentale. Cette expérience stimula certes sa pensée profonde, mais ce ne fut pas plus qu'un aspect émotionnel. En Chine continentale, il obtient la plénitude de toutes ses émotions qu'il lui est difficile de décrire. II s'imprégnait de ses origines chinoises, et comprit que c'était cela qu'il lui fallait exprimer.
Ses souvenirs de Chine continentale ont eu un impact émotif durable. Dans les quatre années qui suivirent son retour, il eut de nombreuses insomnies. Il passait des nuits entières à ressasser ce qu'il avait vécu. Il était transporté par les paysages observés qu'il croyait toujours voir devant lui, reveillé ou assoupi, un peu comme un film muet qui se répète tout seul. Il fut particulièrement frappé par les paysages de Chine esquissés dans la peinture traditionnelle, une vérité qu'il n'avait jamais pu imaginer. Aujourd'hui, il croit toujours contempler les Monts Jaunes flottant devant lui comme s'il était sur les lieux. A son retour, il alla au Musée national du Palais à Taïpei voir justement les chefs d'œuvre de la peinture chinoise et s'étonna de l'impression qu'elle laissait chez l'observateur. Il comprit vraiment que les paysages peints existaient bien et n'étaient pas seulement le fruit de l'imagination. Il lui a donc fallu près de quatre ans pour « digérer» cette expérience sublime et l'incorporer dans son œuvre.
Dès lors, Yu Peng commença une œuvre sérieuse dans le domaine de la sculpture et la poterie. Son désir de travailler la pierre lui vient de approchant les innombrables sculptures, d'abord grecques, puis, dans un univers différent, chinoises, il a naturellement ressenti un irrésistible appel vers la pierre. Après tout, ce fut un des tout premiers supports artistiques de l'homme. Il y a une force dans la pierre qu'on ne trouve pas dans l'art à bidimensionnel. La peinture est fragile en comparaison, comme une portion de tofou! Il faut également de la vigueur pour imprimer une forme à un rocher. « Cela stimule non seulement l'esprit, mais le corps tout entier!»
Inspiré des arts grec et chinois, cette œuvre demeure du style de Yu Peng. Détail d'une pierre sculptée de 2,70 mètres de haut exposée dans un parc de Taïpei.
Son intérêt pour la poterie a de plus profondes racines. Il s'est en effet lancé dans la poterie voilà plus de dix ans, mais ce n'est pas avant son retour de Chine continentale qu'il s'est vraiment plongé dedans. A ce moment-là, il monta un petit atelier de poterie avec un four à gaz, un tourniquet électrique et un râtelier chauffant pour sécher les pièces. Il commença à toucher un peu de tout dans les argiles et les vernis, étudiant les modèles et les œuvres tant chinoises qu'européennes. Il compulsa diverses instructions de plusieurs potiers renommés, comme l'ébauchage, le tournage, le malaxage, le vernissage et autres techniques. Cette pratique sur le tas fut stimulée par les connaissances qu'il a acquises sur les nombreux sites de céramique en Chine continentale, notamment celui de Kinte-tchen, dans le Kiangsi, qui fut l'un des plus importants centres de production de céramique et de porcelaine de Chine depuis la dynastie Ming (1368-1644).
La production de Yu Peng est assez variée. Outre les articles tournés plus conventionnels, comme les vases et les bols, il a un léger penchant pour le façon nage rapide de figurines humaines ou animales en argile. Ses théières moulées à la main se rangent parmi ses meilleures œuvres. Il est depuis longtemps un fin « dégustateur» de thé chinois, mais son inspiration originale de créer lui-même des théières lui vient de l'observation d'une collection privée de pièces fines et anciennes qui provenaient de Yiching, dans le Kiangsou, un grand site historique de la porcelaine. Après avoir étudié plusieurs ouvrages sur les théières de Yiching, il se mit à produire, dans un bel élan d'imitation, des théières du style kiu-Iouen-tchou [俱輪珠] qui prévalait vers la fin des Ming (première moitié du XVIIe siècle).
Contrairement aux artistes qui travaillent avec plusieurs vernis de couleur, il les peignait directement sans les vernir ou bien leur appliquait des vernis céladon qui leur donnent souvent élégance et fraîcheur. Aux critiques qui fusaient de toutes parts pour son manque de finesse technique, Yu Peng répondit que sa poterie, comme sa peinture, était libre et dé gagée de toute contrainte. Beaucoup trop d'attentions utilitaires étouffent l'art, dit-il. Produire à la perfection une assiette symétrique ou un vase rond n'est d'ailleurs pas son désir. Il préfère assurément exprimer à la fois dans les formes et les couleurs l'esprit inhérent de la poterie traditionnelle chinoise.
Ces huit dernières années, il a tenu plusieurs expositions de poterie et a reçu plusieurs commandes de sculpture, notamment celle du gouvernement municipal de Taïpei pour trois statues géantes destinées à un parc public. Quelques-uns estiment que ces voies parallèles dans l'art embrouillent l'attention nécessaire à la créativité. Mais Yu Peng a un point de vue opposé. « Je pense que ma créativité se figerait si je devais rester assis dans un studio pour peindre. Pour conserver celle sève vivace qui m'arrose, il me faut sortir des habitudes routinières. Faire une excursion dans les montagnes agit ainsi sur moi, ainsi que sur le façonnage d'une poterie ou la taille d'une sculpture. Aussi, quand je reviens à la peinture, je suis tout dispos.»
Yu Peng dans son atelier de poterie.
Malgré l'image puissante des montagnes élancées de Chine continentale dans la mémoire de Yu Peng, on critique que son œuvre véhicule l'expérience de Taïwan. Ainsi, M. Jason Kuo, professeur de l'histoire de l'art au Williams College, dans le Massachussetts (Etats-Unis), explique que Yu Peng appartient à la génération qui a grandi à Taïwan sans grand contact avec l'Occident. Cet aspect du folklore et de la culture de Taïwan imprègne toute sa peinture. Bien sûr, cela n'ècarte pas les autres in fluences, mais on y ressent la prédominance de Taïwan.
Yu Peng accepte ces assertions. jusqu'à une certaine limite. Il explique que Taïwan est le lieu où il est né et a grandi. Il y a l'air qu'il respire, le riz qu'il mange, les joies et les peines qu'il éprouve, les paysages qu'il regarde tous les jours. Tout cela est à Taïwan, c1ame t-il. Son attache à la culture locale est indiscutable, mais il faut dire que, quand il peint, il ne fait aucun effort pour en com muniquer un quelconque aspect ou message. C'est un flux qui lui vient tout naturellement. Enfin, pour être honnête, ce qu'un artiste trace sur le support exprime sous diverses formes. Et ceux qui croient voir une marque de Taïwan dans son œuvre ne sont pas du tout déçus, sourit-il. Mais de préciser que ce n'en est surtout pas l'expression.
Son approche artistique dans la composition est un des aspects les moins conventionnels de sa peinture. Il ne dépend ni d'une convention familière ni d'une référence temporelle pour ébaucher un plan, de sorte que l'observateur est épris d'une grande curiosité en regardant ses paysages. Peut-être la technique de composition la plus inhabituelle qu'il utilise dans un tableau est la combinaison de plusieurs scènes qui n'ont aucun rapport de lieu ni de temps. Les différents événements de sa vie, de sa famille, de ses amis peuvent tous trouver leur expression dans une même peinture, à la manière d'un agenda.
La plus représentative de ce type est certainement celle commandée en 1985 par M. Koo Te-chang, le fils de M. Wel lington Koo (né en 1888), grand diplomate chinois, membre de la délégation chinoise à Versailles (1919), ambassadeur en France (1936-1941) et aux Etats Unis (1946-1956). Il désirait une peinture qui résumât les grands événements traversés par son père pour illustrer le centième anniversaire du diplomate chinois.
Cette œuvre est un collage de pigments divers assemblant les principaux événements de la longue carrière de M. Wellington Koo, y compris l'aspect familial et privé. L'œuvre comprend même les trois agressions au Parc central de New York contre la personnalité chinoise. Jouant sur les couleurs et avec le pinceau, il était également de taille à exprimer tous ces différents événements tous significatifs de la vie du diplomate. En somme, c'était une œuvre « biogra phique» illustrée.
Une technique raffinée que Yu Peng appelle libre et sans contrainte renforce la valeur spirituelle de sa poterie ou de sa peinture.
Des couleurs brillantes et un pinceau grossier en sont venus à caractériser le style de Yu Peng. Selon un certain classicisme chinois, l'emploi des couleurs peut sembler criard à première vue, explique le professeur Kuo. Mais les peintures des caves de Touen-houang, exécutées il y a mille ans déjà, prouvent que les peintres chinois n'avaient point peur de l'éclat de la couleur. Les nuances et les tons ont disparu par la suite. En ce sens, la peinture de Yu Peng est à la fois nouvelle et ancienne. Quant à son pinceau, il n'est pas aussi attractif dans le sens ordinaire du terme. Il tente de parachever, poursuit le professeur, une maladresse que les Chinois appellent tchouo [拙]. Celle-ci est l'antithèse de l'habileté technique exprimée qui se rapproche de l'exercice mécanique plutôt qu'un art.
Mais ajoutant une note critique, le professeur Kuo dit que quelques peintures manquent tout de même de saveur. Si la durabilité d'une peinture, la fadeur des couleurs et le matériau du support perdent leur importance pour les observateurs ultérieurs, le travail au pinceau est important et demeure le critère final d'une bonne peinture. Le problème des jeunes peintres de Taïwan est qu'ils doivent vivre de leur art, aussi sont-ils prolifiques. Bien entendu, Yu Peng est encore jeune, et son style changera très certainement, mais il a besoin de soigner son talent et de développer le maniement de son pinceau, souligne le professeur Kuo.
Malgré les critiques sur son insuffisante attention aux principes et techniques de base artistiques, le destin de Yu Peng s'est scellé dans le monde de l'art en 1988 quand il signa un contrat avec M. Chang Sung-jen, de , qui devait lui servir d'agent. Quelques mois auparavant, lors d'une exposition tenue dans une galerie privée de Taïpei, il n'avait vendu que cinq tableaux. L'un fut acheté par un artiste ami tandis que le propriétaire de la galerie prenait les quatre autres après que sa fille les eut pointés du doigt.
La situation est complètement différente depuis. A la fin de 1988, il a vendu toutes les toiles exposées dans une galerie de New York, soit près de cinquante en tout. Ce succès fut suivi par des expositions à Taïwan et à Hongkong. Et Yu. Peng d'ajouter plaisamment que, dans les années 90, il faudra un bon agent pour vendre ses peintures.
Une exposition de Taïpei en été 1989 comprenait plusieurs de ses œuvres, sculptures, céramiques et peintures. Au vernissage, il exécuta avec un ami coréen un mime, Joies d'une ren contre amicale. Cela lui permit d'exprimer une autre face de sa vie qui n'est peut-être pas aussi évidente que dans ses œuvres tridimensionnelles. Mais le succès de cette exposition a soulevé la question de savoir s'il adapterait son art à la demande du marché.
A la fois optimiste et réaliste, il répondit que, du fait d'avoir accepté de travailler avec un agent, il lui est difficile de s'opposer à la vente de sa production artistique. Mais il ne faut pas pour autant s'arrêter dans la voie du progrès. Il n'a pas l'intention, précise-t-il, de se mettre à peindre pour le plaisir de poser des modèles. L'art et la société s'influencent mutuellement, mais il croit que les artistes doivent s'orienter vers de nouveaux horizons plutôt que de poursuivre un chemin dans le cadre étroit que le public attend d'eux. De toutes façons, le succès matériel n'est pas le véritable critère de la qualité artistique qui est laissé aux critiques d'art et aux historiens.
Voir son œuvre partir à l'étranger lui ferait-il envisager de quitter Taïwan? Il a grandi là à une époque où tout le monde pensait que des œuvres artistiques avaient plus de chances de s'épanouir à l'étranger. Mais il réalise que Taïwan à qui il appartient détient les racines profondes de son expression et de son inspiration. Le milieu a une grande résonnance sur l'art. « Pour vraiment exprimer sa culture, il faut garder des attaches vivantes avec le lieu où l'on est né et a grandi. Je ne me vois pas du tout en train de puiser dans les sources de ma propre culture en vivant à l'étranger», affirme-t-il.
Issu d'une société qui est restée longtemps fidèle à ses valeurs traditionnelles, Yu peng n'ose pas s'en écarter. Il continue d'exprimer ses sentiments profondément enracinés à sa culture de la manière qui lui semble la meilleure sans se préoccuper essentiellement de la place de son art. Il traitera des problèmes de demain quand demain arrivera. Mais pour l'heure, il ne désire s'intéresser qu'à la création d'un art dans la situation qu'il aura forgée, certainement un exemple du tchan (zen) typiquement taïwanais. ■