Le festival de de Taipei est une formule qui peut stimuler des changements sains dans les industries de l'alimentation et du tourisme de Taiwan. Le culte de la nourriture chinoise remonte littéralement à plusieurs millénaires. D'innombrables sources littéraires et historiques attestent la variété immense et le goût exquis de mets aux noms non moins exotiques que leur contenu, tels que les « Fourmis montent à l'arbre », la « Tête de lion » ou le « Poulet du mendiant ». Et aujourd'hui, tous les plats depuis aux ailerons de requin d'un restaurant grandiose au simple bol de nouilles au bœuf épicé d'un marchand de soupe ambulant au coin d'une rue témoignent d'une tradition culinaire perdurée par la demande impitoyable et le vif espoir des convives. Les Chinois n'ont jamais hésité à critiquer la nourriture qui était préparée à la sauvette ou avec quelque indélicatesse, car l'alimentation est une chose très sérieuse.
Avant tout, il s'agit de satisfaire des tiraillements d'estomac. L'écrivain, Lin Yu-tang (1895-1976), avait dit une fois à un ami que les querelles et les disputes se réglaient mieux à table qu'au tribunal. La naissance et les funérailles, les fiançailles et les noces, les anniversaires et les fêtes, les rencontres amicales et les négociations commerciales se terminent tous par un repas, et généralement par la consommation de mets qui ont une valeur symbolique à chacune de ces occasions.
Comme l'alimentation est primordiale à la vie et aux rites chinois, il n'est pas surprenant qu'une grande réalisation dans sa préparation est un point d'honneur. Cette fierté se situe d'abord dans la famille, comme les talents culinaires d'une nouvelle épouse, ou d'un nouvel époux, d'une belle-mère ou du propriétaire d'un petit restaurant familial. Elle peut acquérir une renommée régionale qui exalte la supériorité de la cuisine hounanaise, sseutchouanaise, kiangtchéenne ou cantonaise selon les aptitudes. Enfin, elle peut prendre une valeur nationale pour celui qui affirme la supériorité de la cuisine chinoise sur les autres traditions culinaires. Vrai ou faux, la cuisine chinoise est un puits de merveilles dans la variété de la saveur et de l'esthétique.
Chung Yung-ho
A l'Ambassador Hotel de Taipei, le chef Cheng Yen-chi met la touche suprême à ce plat cantonais.
Mais aucune tradition vivante ne peut survivre que sur une réputation. Elle doit progresser et évoluer, tout en restant fidèles à ses racines historiques. Les gourmets jugent la cuisine présente, et non les gloires de grands chefs du passé. Une critique acerbe et une concurrence saine sont aussi importantes au développement de la cuisine que la créativité d'un chef et le savoir des bonnes vieilles recettes.
Heureusement pour les gastronomes asiatiques, une concurrence loyale et saine rivalise entre Hongkong, Singapour et Taipei. Chaque métropole clame sa supériorité dans l'art culinaire chinois. Depuis quelques années, Hongkong et Singapour tiennent des festivals de pour faire revivre la réputation internationale de grands chefs accomplis de leurs grands restaurants et leurs hôtels. Maintenant Taipei a aussi jeté son wok dans l'arène.*
Le Festival de chinoise 1991 de Taipei qui s'est tenu du 10 au 13 août a temoigné que les autorités et l'industrie du tourisme ont fait des efforts sérieux pour placer Taipei sur la carte des « escales gastronomiques de grande classe ». Selon M. Mao Chih-kuo, ancien directeur de l'office du Tourisme et président honoraire du festival de de cette année, il fallait que tout le monde sache que Taipei possède la meilleure cuisine chinoise du monde.
Taipei Hilton Hotel
Présentation artistique des plats. Chaque ingrédient ajoute une esthétique visuelle à sa saveur.
Les planificateurs de ce premier festival qui doit devenir un événement annuel ont imposé un thème principal, des ingrédients en l'occurence, pour exacerber la préparation, la présentation et le service jusque dans les nuances. On a relevé le concours et l'exposition de plusieurs grands restaurants et hôtels de Taipei, avec le tirage manuel des nouilles, la taille artistique d'aliments et l'ornement d'une table d'hôte, des conférences de grands chefs et le débat sur plusieurs sujets, tels que les snacks du Palais de Pékin, la préparation des fruits et des légumes et même la diététique. Etait aussi au menu, la tournée des grands-ducs aux tables régionales de la capitale, y compris la « table impériale mandchoue et chinoise ».
Taipei avait tenu un tout premier festival similaire lors de la fête des Lanternes de (février) 1990. Mais, cette année, ce fut un événement plein et entier. On l'a considéré comme un grand engagement pour l'amélioration de l'art culinaire de Taiwan. M. Frank Lü, directeur général du Howard Plaza Hotel de Taipei, explique que le festival est un marchéage promotionnel. Il est excellent pour l'industrie touristique. Tous les restaurants présentent le meilleur de leur choix et manifestent un goût vers de plus hautes normes. De plus, il encourage la créativité tandis qu'au sein de cette industrie, s'installe une plus grande préoccupation de l'image de Taiwan dans le domaine des normes.
Vraiment, c'est d'une variété infinie de plats chinois que disposent l'arsenal hôtelier taiwanais. La situation géographique de l'île autorise la culture d'un grand plateau de fruits et de légumes, communs aux zones tempérée et tropicale pendant que la viande de porc, de poulet et de canard traditionnelle de Taiwan est de la plus grande fraîcheur. Point de produits surgelés ou congelés ici tandis que les restrictions légales concernant l'importation de produits alimentaires venaient d'être relâchées ces derniers temps. Cela signifie que tous les condiments et vinaigres jusqu'aux champignons et autres thallophytes comestibles (notamment en provenance de Chine continentale) peuvent accompagner les produits insulaires de qualité. Ainsi donc, la normalisation n'est pas un problème d'ingrédients, mais bien celui de la préparation et du service. Et c'est là que les manifestations de ce genre à Taiwan peuvent jouer un rôle important.
Grand Hyatt de Taipei
Une présentation actualisée. Du filet de bœuf à la changhaïenne.
Il est bon de comprendre beaucoup de personnes dans la promotion de la cuisine chinoise, dit M. Mak Hung, chef exécutif du Grand Hyatt de Taipei. Taipei ne rivalise pas encore avec Hongkong et Singapour — ni même avec le Japon et — dès qu'il s'agit des points subtiles de la préparation et du service de la cuisine chinoise. Il veut bien sûr parler de la longue observation du personnel de service qualifié et des festivals similaires de Hongkong et de Singapour.
La normalisation est alors un peu plus complexe à Taipei. En effet, la cuisine chinoise s'est quelque peu mélangée. C'est un refrain courant chez les grands gourmets de Taiwan. La cuisine chinoise désigne en fait les cuisines régionales proprement dites de cuisine sseutchouanaise est différente de la changhaïenne, de la pékinoise ou de la cantonaise. Mais toutes ont un ordonnancement chinois. Autrefois en Chine continentale, un restaurant hounanais servait exclusivement des mets du Hounan. Lorsque les divers chefs arrivèrent à Taiwan vers la fin des années 40, ils y ouvrirent des restaurants du même type au goût régional si distinct. Mais aujourd'hui, il n'y a plus beaucoup de chefs de cette génération. Et dans les restaurants taipéiens qui se réclament d'une cuisine régionale, il est tout à fait usuel de trouver des mets combinés de styles régionaux sur leur carte. Ce mélange offre bien sûr un plus grand choix tandis que se forment des nuances entre les plats régionaux et interrégionaux. Par ailleurs, il y a également la perte d'idendité des menus. Un mets se veut réunir diverses saveurs régionales dans un tout harmonieux. Les méthodes régionales d'assaisonnement et de cuisson sont souvent incompatibles au goût et à la texture des ingrédients.
Grand Hyatt de Taipei
Des friandises changhaïennes complètement déguisées. Un goût à en perdre la vue.
Cependant on observe une grande préoccupation d'homogénéisation du goût dans les restaurants servant des mélanges régionaux. On prend moins de soin à la distinction régionale des méthodes d'assaisonnement et de cuisson, et c'est probablement là que les professionnels du service de la restauration et les gourmets peuvent se lamenter. La consistence est importante, pleure également M. Mak Hung. Chaque région a son mode de préparation des aliments. Si on mélange les ingrédients et le principe de la recette initiale, alors le mets est différent. Et par cette modification de la recette, la normalisation se dissipe.
En connaissance de ce fait, les festivals de la cuisine chinoise de Taiwan et d'ailleurs comprennent toujours un concours de préparation culinaire régionale. Ainsi, les entrées du Grand Hyatt de Taipei étaient toutes cette année des entremets changhaïens et des mets cantonnais. Cela ne veut pas dire que les cuisines de cet hôtel aient confectionné des copies exactes de plats traditionnels, mais ce fut pour lui l'opportunité de présenter une philosophie de la nourriture. Bien sûr, chaque plat conservait son identité chinoise et se présentait sous une forme moderne, directe mais élégante, avec l'accent sur l'aspect nutritif et la fraîcheur. Or la cuisine change tout le temps, autant pour la cuisine chinoise que pour les autres. Il s'agit donc de créer tout en respectant les traditions. Un principe inaltérable de tous les repas.
M. Frank Lü se fait l'écho optimiste de la consommation. Les restaurants de classe internationale de Taipei ont eu la grande chance de présenter ce que leurs cuisines savaient faire. Lors du festival, le Howard Plaza Hotel a organisé des tournées pour ses hôtes au Palais Songchan [Sungshan] afin de donner un réel aperçu de l'immense variété de la nourriture disponible à Taiwan. Toutefois, on note un retour aux méthodes du passé dans de telles manifestations. Aux concours culinaires, l'ensemble a cherché à atteindre les sommets de la normalisation et surtout à s'y maintenir. Quelques restaurants qui ont fait de véritables efforts s'empressent de les abandonner sitôt celui-ci terminé.
Les normes sont à l'esprit de chacun. En effet, une grande partie de la population de Taiwan voyage maintenant à l'étranger et constate ce que les restaurants peuvent faire en matière de préparation et de service, aussi elle peut en attendre la même chose ici. De plus, elle comprend surtout qu'elle a éprouvé un faux sens de supériorité à propos de la qualité de la cuisine insulaire. La cuisine chinoise de Hongkong et de Singapour surpasse en de nombreux points ce qu'on peut trouver dans les restaurants taipéiens.
Malgré une pression croissante pour un service de repas à de meilleurs prix dans une ambiance de plus grande convivialité, il n'est pas facile à le réaliser ici pour plusieurs raisons. D'abord, il n'y a pas d'école hôtelière ni de gestion professionnelle de restaurant où on apprendrait à cuisiner, à servir les préparations et à gérer un tel établissement. On a créé une telle discipline dans l'enseignement supérieur, mais aucun restaurant ou hôtel de classe n'en engage les diplômés.
Selon M. Hunter Eu, directeur adjoint de l'office du Tourisme, il n'existe pas de plan à court terme pour œuvrer dans ce sens. Le mieux serait que le secteur privé agisse le premier, dit-il. Bien sûr, tous les restaurants de classe internationale forment directement leur personnel et ne soutienne guère la création d'une telle discipline à l'université. En réalité, le même secteur privé a fait des progrès. Il aide les chefs cuisiniers par des visites auprès de professionnels, des conférences et des cours spécialisés et place les cuisiniers et les gestionnaires les plus prometteurs dans une école hôtelière d'Europe. L'établissement d'Ernesto et Maria Brawand à Taipei cherche justement à professionnaliser la gestion hôtelière. Une des grandes tâches est la transformation de l'attitude insulaire à cet égard, de l'amateurisme au professionnalisme de la restauration, dit M. Ernesto Brawand. En effet, à Taiwan, on ne croit pas à la carrière professionnelle d'un maître queux. Il faut aider à modifier cette attitude.
M. Mak Hung, particulièrement intéressé, tient à souligner que la professionalisation des chefs cuisiniers existe déjà à Taipei, en ajoutant avec une moue maussade qu'elle n'est malheureusement pas très répandue. Beaucoup de jeunes cuisiniers talentueux et prometteurs apprennent l'élémentaire de la profession dans les restaurants, mais partent ouvrir leur propre établissement avant d'avoir acquis une réelle expérience. Ici, on adore devenir son propre patron et il est difficile de garder assez longtemps du personnel excellent dans les cuisines jusqu'à une formation complète. On travaille un an et, croyant tout connaître dans ce domaine, on s'en va. Les programmes dispensés par l'école Brawand sont une étape dans la bonne direction, mais il en faudrait un peu plus.
Les plus grands restaurants ont certainement un rôle à jouer dans le développement de la profession en signalant bien qu'un cuisinier, et plus tard un chef, est un métier de choix ayant un excellent avenir. Un soutien plus organisationnel pourrait donner un coup de pousse. On ne trouve pas à Taipei d'association de chefs cuisiniers active comme à Singapour, en particulier pendant les festivals de Frank Lü explique que l'attitude de Taipei est trop localisée et trop protectionniste. Au lieu de travailler durement pour obtenir un travail d'équipe, on se concurrence l'un l'autre, et trop de restaurants se renferment et protègent leurs petits intérêts et leurs promotions.
Grand Hyatt de Taipei
Des ailerons de requin à la sauce au crabe.
Il n'est donc pas surprenant que tant de restaurateurs et d'hôteliers professionnels se soient enthousiasmés à l'idée même d'un festival de justement un premier pas, dit M. Lü. Il faut l'internationaliser en bonne coopération avec les expatriés et les touristes. Les juges suprêmes de ces concours ne doivent pas uniquement provenir de l'industrie alimentaire insulaire. On pourrait ainsi inviter les représentants des clubs de compagnies aériennes ou les spécialistes de la cuisine chinoise d'autres pays. Ces juges doivent être en effet des spécialistes, sinon les cuisiniers ne sauraient s'évaluer et s'améliorer.
Pourtant, on sait très bien que le festival de produit des critiques acerbes. Le personnel et les fonds posent toujours un problème dans ce genre d'événement, dit un des responsables de l'office du Tourisme, principal planificateur du festival. Justement, l'accent était la participation insulaire, mais la réponse est un agrandissement des horizons et une certaine internationalisation.
En fait, le panorama insulaire a payé puisque la critique remet au premier plan les problèmes de la cuisine chinoise. Ici comme ailleurs, les activités du festival de sont un stimulant sain pour faire bouger la situation. On a réclamé une participation étrangère au jury. Maintenant, les restaurateurs et les hôteliers lancent le débat avec l'office du Tourisme pour l'établissement d'un système formel conférant aux restaurants une marque qui leur reconnaisse le meilleur service, le meilleur plat de la cuisine régionale chinoise. Et il faut vraiment profiter des idées qu'apporteront les prochains festivals de , dit M. Lü. Les autorités doivent faire quelque chose au niveau universitaire et l'industrie hôtelière doit mieux collaborer. Alors, vraiment, on obtiendra quelque résultat. Cela augure bien d'édifier une meilleure image de Taipei comme centre de la cuisine chinoise.
* wok (n.m.), nom cantonais de la marmite, casserole, en général. Il se lit en pékinois houo. Les Chinois du Nord préfère le kouo (ou kouo-tseu). Un caractère différent pour la même acception. (NDLR)