Il arrive souvent qu'à la fin d'un festin qu'un hôte chinois offre en l'honneur de ses invités étrangers, tout le monde reste à table un peu embarrassé, car il est aussi impoli de la part de l'hôte d'informer ses invités que le repas est fini, qu'il l'est de la part des invités de demander s'il reste des plats.
En général, le poisson vient en dernier dans l'ordre des plats, cependant tous les invités ne connaissent pas cette tradition et ne font pas toujours le lien entre "poisson" et "fin du repas". C'est pourquoi, si aujourd'hui on sert toujours le poisson en dernier, il est suivi d'un dessert.
Un repas chinois quelque peu officiel ne va pas sans le plat de poisson, malheureusement le cuisinier ne dispose pas toujours d'un poisson de la qualité et de la taille requises. Cette dernière est extrêmement importante puisqu'`a Taïwan le poisson se cuisine entier, avec tête et queue. Il faut donc qu'il soit de la taille du plat qu'on lui destine.
Comment faire?
La meilleure solution est de l'élever dans des étangs spéciaux plutôt que de tenter sa chance au bord de l'eau. Grâce au développement de la pisciculture, les Chinois ont résolu la question, ils sont parvenus non seulement à lui donner la bonne taille, mais aussi une couleur attrayante: le rouge qui est, en l'occurrence, la couleur la plus riche de symboles heureux pour les Chinois. Les chercheurs en pisciculture ont réussi à produire un élevage de tilapias rouges pesant d'une à deux livres.
L'histoire du tilapia rouge commence en 1945, l'année où les Japonais ont rétrocédé Taïwan. Quelques années auparavant pendant mondiale, un certain nombre de jeunes Taïwanais ont été enrôlés par l'armée japonaise et envoyés aux Philippines, en Indonésie et en Malaisie. Wu Chen-hui et Kuo Chi-chang étaient parmi eux.
Lorsque ces deux derniers furent rapatriés de Singapour en 1945, ils n'ont rapporté que seize tilapias. Trois ont péri en route. Sur les treize survivants, il y avait six mâles et sept femelles. Jamais, les deux hommes n'ont imaginé que ces quelques poissons révolutionneraient un jour l'industrie de la pêche et la pisiculture de Taïwan.
Elevés et protégés dans des bassins, les alevins grandissent rapidement.
Les poissons de Singapour ont été élevés dans l'étang de Kuo Chi-chang, jusqu'à l'arrivée d'un terrible typhon. L'étang a débordé et tpus les poissons se sont enfuis. Cependant, tous les alevins de tilapia ont fini par peupler les rizières et les ruisseaux des alentours.
Cette découverte a intéressé non seulement les paysans des environs, mais aussi le gouvernement provincial a dressé un plan d'élevage des tilapias dans les nombreuses rizières de Taïwan. Les avantages sont nombreux: ce poisson détruit les insectes, ses excréments fertilisent la terre, et les paysans ont à portée de la main une importante source de protéines. Ainsi le tilapia est devenu si populaire que cette "créature" fut baptisé le "poisson Wu-Kuo" du nom des deux jeunes gens qui l'ont rapporté à Taïwan.
Bassin d'élevage. L'objectif n'est pas la grosseur, mais la finesse et la couleur de la chair.
En dépit des nombreux efforts du gouvernement, tout ne s'est pas passé aussi facilement qu'on ne l'a cru. En effet, les paysans qui font deux récoltes annuelles ne sont malheureusement pas parvenus à faire correspondre les périodes de reproduction du poisson avec celles des moissons du riz. Ils ont alors creusé un bassin au bord de leur rizière afin de pouvoir capturer les poissons en temps utile. Cependant les animaux attrapés étaient toujours de trop petite taille, 110 grammes en moyenne. Que pouvaient-ils bien faire avec de si petits poissons?
Si les paysans ont vite perdu tout intérêt pour l'élevage du tilapia, il n'en fut pas de même pour les scientifiques qui l'élevèrent dans des bassins d'expérimentation. Malgré de nombreuses expériences, ils n'ont pas réussi à accélérer sa reproduction. En outre, ils se sont aperçus que le tilapia, originaire d'un climat tropical, ne pouvait pas s'adapter aux hivers froids subtropicaux de Taïwan. Ils ont donc recouvert de paille les bassins pour assurer une meilleure protection contre les rigueurs de l'hiver. Cette technique rudimentaire a permis à l'élevage expérimental de se poursuivre bon an mal an jusqu'au jour de sa mise en opération.
Aujourd'hui, Wu Chen-hui et Kuo Chi-chang ont depuis longtemps aban donné la pisciculture, toutefois on entend leur patronyme Wu et Kuo de la bouche de toutes les ménagères sur tous les marchés pour désigner le tilapia. Des crédits ont été versés à un groupe d'ichthyologues qui ont découvert les causes de la reproduction particulièrement lente du poisson l'ont rendu sa chair plus riche et ont transformé sa couleur à l'origine brunâtre en rouge.
Tout d'abord, on observe que la croissance du tilapia est retardée par sa multiplication rapide: la femelle pond tous les mois et conserve ensuite le frai dans sa bouche pendant une quinzaine de jours, période au cours de laquelle elle ne se nourrit pas. Sa croissance est ainsi extrêmement lente. Les scientifiques ont donc cherché à résoudre le problème de la reproduction de ce poisson.
Ils sont partis aux quatre coins du monde à la recherche de tilapias plus gros, de croissance plus rapide afin de procéder à des croisements. Il existe une centaine d'espèces de tilapias au Moyen Orient, en Afrique et en Asie méridionale. En 1966, ayant appris que les Japonais avaient recueilli des espèces prometteuses, M. Teng Huo-tu, ancien directeur de l'Institut de Recherches halieutiques (I.R.H.), s'est rendu au Japon d'où il a ramené cinq tilapias d'Afrique (tilapia nilotica). En 1974, M. Liao Yi-chiu et deux collègues de l'I.R.H. introduisirent le tilapia d'Israël (tilapia aurea). L'I.R.H. réussit à le croiser au tilapia d'Afrique et à produire un hybride stérile qu'ils appe lèrent le "poisson de la joie et de la longé vité". Beaucoup de pisciculteurs ont alors réclamé des alevins de ce nouveau poisson qui grandissait vite et qui était de plus belle taille.
Malheureusement, les autorités concernées ont choisi dix pisciculteurs seulement puisqu'elles ne pouvaient pas répondre à la trop forte demande. Ces dix pisciculteurs se sont occupés à la fois de l'élevage et de la distribution commerciale. M. Tsai Yung-chiang est celui qui a si bien réussi qu'il est aussi devenu le fournisseur d'autres éleveurs au point d'avoir été surnommé le roi du "poissons Wu-Kuo". Cette année, on lui a décerné le prix du meilleur pisciculteur de Taïwan.
M. Tsai Yung-chiang est passionné de pisciculture. Sachant que le "poisson Wu-Kuo" grandissait difficilement à cause de sa trop nombreuse progéniture, il a séparé les mâles des femelles. Son initiative fut couronnée de succès, et ses poissons passèrent de 190 à 570 grammes. Après en avoir maîtrisé la technique de l'élevage, il s'est mis à partager ses expériences avec d'autres.
Plus tard, apprenant qu'il existait un type de plus grande taille du tilapia d'Afrique qui grandissait plus vite, il s'est mis à traiter ses poissons aux hormones mâles en espérant que tous les alevins de viendraient mâles. L'expérience a réussi. Maintenant, la production est composée à 99% de poissons mâles.
En général, ce type pèse deux livres cependant, grâce aux techniques de l'élevage, il peut maintenant atteindre . Taïwan a-t-elle besoin de tels poissons? et pourquoi?
"Eh bien, c'est le meilleur moyen d'impressionner les paysans. Nous n'avons certes pas besoin d'un si gros poisson, toute fois nous pouvons nous régaler de sa progéniture, bien plus savoureuse que les poissons adultes." s'est exclamé un responsable du Bureau provincial de de Taïwan. Grâce aux améliorations techniques, il faut moins de quatre mois pour que l'alevin atteigne un poids d'une à deux livres.
Une fois le problème de la taille résolu, les chercheurs se sont orientés vers la couleur du poisson: le rouge. A la nouvelle de leur succès, elle fit sensation. Ce nouveau type, communément appelé ''poisson rouge du Nil", est devenu le plat de choix sur toutes les tables de restaurant. Peu à peu, sa distribution sur le marché de Taïwan a permis aux ménagères de l'inclure à leurs menus quotidiens.
Le "poissons Wu-Kuo" est aujour d'hui le principal poisson frais de consommation de toute l'île. En 1982, la production a été de 9 112 tonnes, soit 23% de la production totale de poissons de Taïwan. D'autre part, pour améliorer la production de ce poisson, on a mis en place plusieurs plans.
La réussite de l'élevage du tilapia est de réputation. L'année dernière, le Centre international de gestion des res sources vivantes de l'eau, une organisation à but non lucratif des Philippines financée par a signé un accord avec Taïwan pour le développement des techniques employées à Taïwan, afin qu'elles puissent bénéficier aux pays pauvres d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine qui manquent de protéines.
Le tilapia est originaire de ces régions, aussi les chercheurs et pisciculteurs chinois sont-ils fiers de les leur rendre sous la forme d'une "mine d'or internationale". ■