07/06/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

La faune menacée

01/11/1989

Wang Tsai-bie

Où sont les animaux sauvages à Taiwan? Telle est la question insolite qu'un chauffeur de taxi de Taipei dans sa surprise a tout simplement posé à son client interlocuteur qui justement terminait un séjour d'études sur la faune indigène de l'île en zone montagneuse.

« Mais partout! s'exclama donc ce client. Dans les montagnes, on peut encore trouver des sangliers, des muntjaks et des chèvres markhor bien que leur nombre soit considérablement réduit. »

« Ah, vous voulez parler des animaux sauvages, n'est-ce pas? réplique du tac au tac le chauffeur. J'en ai mangé dernièrement. Il y a quelques endroits comme ça qui vendent du gibier de la montagne. »

Wang Tsai-bie
L'étourneau siffleur formosan.

Le cours de la conversation n'emplissait guère de joie le chercheur, mais elle était représentative de la situation actuelle dont le public se fait une idée assez confuse. Il manque certes de connaissances et de conscience à l'égard de la faune sauvage en voie d'extinction. Et les écologues font face à d'horribles difficultés pour instruire une population qui conservent opiniâtrement des habitudes de chasse et d'alimentation exotique.

Comme la plus grande partie de la population de l'île est aujourd'hui urbaine, elle reste assez étonnée d'apprendre qu'il puisse exister d'énormes ressources de la faune sauvage à Taiwan malgré sa taille réduite et son faible nombre d'espèces. Si les élèves des écoles primaires et secondaires peuvent parfaitement reconnaître un éléphant, un zèbre ou une antilope d'Afrique, ils auront quelque peine à identifier un animal autochtone.

On dénombre environ 62 espèces de mammifères typiquement insulaires. Malgré sa taille, Taiwan possède une grande variété d'animaux. Malheureusement, il n'existe pas encore de nomenclature complète. Les naturalistes ont pour leur part répertorié dans l'île au moins 430 espèces d'oiseaux migrateurs et aborigènes, ainsi que 90 sortes de reptiles, 30 amphibiens différents et 140 variétés de poisson d'eau douce.

Chao Jung-tai

Les spécialistes estiment que Taiwan comprend de 40 000 à 50 000 espèces d'insectes, dont le plus illustre est peut-être le papillon qui compte plus de 400 espèces. De plus, les chercheurs de l'Institut smithsonien et du Musée Carnegie croient savoir qu'il y a au moins dix mille phalènes. C'est fantastique de savoir que des portions de ce territoire sont réellement le « paradis des naturalistes ».

Mais la faune sauvage de Taiwan, comme partout ailleurs, a une existence réellement menacée. Le sika en est une excellente illustration. Un chroniqueur hollandais du XVIIe siècle vivant à Fort Zeelandia (aujourd'hui Anping près de Tainan) notait vers 1630 que lui et ses compagnons avaient vu des troupeaux entiers de sikas qui fuyaient devant eux, sans parler des sangliers qui osaient les approcher!

On peut aujourd'hui évaluer qu'environ 20 000 bêtes ont été tuées chaque année durant les premières années de l'occupation hollandaise de l'île. Or, selon des documents autorisés, en 1639, on a recueilli près de 100 000 peaux entières. Les marchands hollandais croyaient avec optimisme que la réserve de daims ne diminuerait pas en dépit de la tuerie acharnée. Et les années qui suivirent, Taiwan était vite devenue un grand fournisseur de peaux de daim pour le marché japonais. Ces daims ou mieux sikas ont totalement disparu du paysage il y a une trentaine d'années. On n'en trouve plus que dans les parcs zoologiques ou les centres d'élevage de cet animal.

Wang Tsai-bie
En cage... l'ocelot de Taiwan et l'écureuil volant formosan vivent en meilleure sécurité.

Les vicissitudes malheureuses du sika ne sont hélas pas un cas unique. Les magnifiques ocelots, servals, loutres et sambars sont aujourd'hui rarissimes. Même la population de macaques et de pangolins formosans, qui fut jadis si dense, est en voie de disparition. La difficile survie de la faune sauvage de Taiwan est bien sûr un indice révélateur des changements de la qualité de l'environnement naturel, mais, si aucune mesure n'est prise dans un avenir proche pour prévenir une plus ample détérioration, tous ces animaux suivront probablement le destin du sika.

Deux faits importants ont conduit au recul, voire à l'extinction, de la faune sauvage : la destruction des habitats et la chasse à outrance. Devant une démographie humaine en croissance continue depuis 1952, passant de 8 millions d'habitants à 20 millions aujourd'hui, les anciennes terres vierges ou en friche ont été converties en terrains d'exploitation agricole ou bien aménagées en centres urbains, résidentiels et en diverses zones industrielles. L'homme a donc réduit l'espace de la faune sauvage.

Même les terres marginales, comprenant les versants raides de montagnes en plus haute altitude, ont été à leur tour transformées en vergers principalement ou d'autres formes d'exploitation. Malgré les restrictions relatives à de telles pratiques, les infractions sont nombreuses. Ainsi, le long de la route transversale est-ouest, qui franchit toute une zone de terres sauvages, se sont développés beaucoup de vergers sur les versants plus accessibles. Cela a bien altéré le paysage naturel et détruit les sources d'alimentation de plusieurs espèces d'animaux sauvages. A plus long terme, les pesticides qui y sont utilisés polluent la flore et le sol, provoquant l'érosion et l'infiltration.

Vincent Chang
Jeunes daims.

A plus basse altitude, les paysages moins reculés ne procurent déjà plus les habitats nécessaires à la faune sauvage. Elle a dû se réfugier en altitude dans des zones plus isolées et plus froides. Elle connaît des conditions de vie plus dures et, par conséquent, subit une diminution de son espérance de vie. Le froid plus rigoureux, la pénurie d'une nourriture favorite et l'habitat naturel complètement bouleversé sont peu propices à la procréation ou la multiplication de ces animaux. Beaucoup font face à l'extinction lente de leur race.

La chasse est également un problème grave. L'enthousiasme des Taiwanais pour savourer un mets original ou particulièrement exotique est la force motrice des chasses. Dans l'esprit des gens, la volaille sauvage aurait meilleur goût et serait plus nutritive que celle d'élevage. Et le fumet des lapins, porcs ou chèvres ne pourrait se comparer aux lièvres, sangliers et bouquetins. Manger ces soi-disant gibier de la montagne, comme on les appelle ici, sont donc avidement recherchés pour parfaire un repas.

La chasse fait partie depuis des siècles des us et coutumes des tribus aborigènes et, à divers égards, constitue une part essentielle de leur patrimoine culturel et social. Aujourd'hui, les aborigènes et les Taiwanais des plaines chassent pour une toute autre raison. Ils fournissent des appétits insatiables des consommateurs urbains. Le profit à court terme et le plaisir de la table sacrifient à l'autel de l'art culinaire plusieurs espèces.

P.N. de Yushan
La mangouste formosane est aussi mangeuse de crabes.

 

Ce n'est que ces dix dernières années que le public a réellement pris conscience du problème de la faune sauvage de Taiwan, essentiellement grâce à l'élévation du niveau d'instruction. Le mouvement fut grandement soutenu quand, en 1982, le président Chiang Ching-kuo promulgua la loi concernant la conservation des biens culturels, qui comprend expressément la vie animale sauvage dans les paysages culturels et naturels. La Commission d'Etat de l'Agriculture, dans un rapport au Yuan exécutif, prenait la responsabilité de l'investigation, la recherche, la protection et la conservation de la vie animale sauvage. Depuis 1985, elle a créé neuf réserves naturelles dans l'île.

La réserve naturelle du Mont Tawou, dans le sud de Taiwan, est la plus vaste. Une étude animale dans la région avait identifié 16 espèces de mammifères formosans de moyenne et grande taille dont 14 vivaient dans la réserve, comme le pangolin, le sambar et l'ours noir formosan. Le Mont Tawou est encore un des deux endroits où l'ocelot vit toujours à l'état sauvage.

Pour compléter les dispositions de cette loi, les écologistes et d'autres spécialistes ont rédigé un texte de loi. Ce projet de loi concernant la vie animale sauvage fut soumis au Yuan législatif où il passa en première lecture. Mais il n'y eut aucune suite de procédure. Apparemment, la priorité fut donnée aux autres textes des domaines politiques, économiques et sociaux.

Wang Tsai-bie
Le faisan mikado.

 

Ce texte ne semble pas avoir fait l'adhésion de tous les milieux pour plusieurs raisons. Si la loi était votée et promulguée, elle imposerait la clôture de tous les points de vente de gibier de la montagne mettant un terme à toutes les activités de chasse devenues illégales. Elle altérerait certaines habitudes de restauration du public. A moins que la loi ne soit appliquée avec une réelle rigueur, on préférera encore acheter ces produits de chasse pour le plaisir de la table, du moins jusqu'à l'extinction de la race pourchassée.

Des progrès ont été fait pour restreindre les activités cynégétiques. La création de parcs nationaux a été certainement une des plus importantes décisions prises dans ce domaine par le gouvernement central. Depuis 1982, le ministère de l'Intérieur a mis en place quatre parcs nationaux (Yuchan, Yangmingchan, Kenting et Taroko) où des territoires importants sont désignés comme des réserves naturelles dont la superficie totale est de 1 659 km2, soit 4,6% du territoire insulaire. L'exploitation de ressources naturelles y est strictement interdite et les mouvements de l'homme contrôlés afin de protéger au mieux la vie animale sauvage.

P.N. de Yushan
Un marcassin sauvage de Taiwan.

L'an dernier, le gouvernement provincial a lancé un plan quinquennal pour la protection et la conservation de la vie animale sauvage et des sites naturels, comme les côtes, les rivières, les forêts, la vie animale sauvage et les sites géologiques. Il a attribué environ 5,5 millions de dollars américains de crédits. La partie la plus estimable de ce plan est l'information élémentaire du public sur la protection de l'environnement. Il s'agit ainsi de prendre soin des oiseaux plutôt que de les manger. Cette éducation est d'une importance extrême. A la base, les écoles, assurément le berceau pour apprendre les concepts généraux de l'écologie et de la conservation des ressources naturelles. Au-dessus, les sujets spécifiques de la faune sauvage de Taiwan, comme le saumon d'eau douce, le sika formosan, la chèvre markhor, le macaque et la chouette huppée de l'île des Orchidées. Malgré le bien fondé de ces recherches, on ne compte qu'une vingtaine de chercheurs.

A cause des menaces croissantes sur l'environnement naturel de l'île, on a suggéré que la création d'un institut de recherches spéciales qui englobe tous les problèmes de conservation de la nature et l'aménagement de départements ou facultés dans les universités pour former un personnel qualifié. Cependant, l'optimisme n'est pas encore au beau fixe.

On constate néanmoins des points d'amélioration en la matière, comme la multiplication d'associations civiques protectrices de la vie sauvage ou de la nature, telles les sociétés protectrices d'animaux, d'oiseaux ou de poissons. Ces organisations ont amplifié les appels de personnalités pour mettre fin au massacre illégal d'oiseaux, de poissons et des animaux sauvages. Ce sont les signes révélateurs d'une levée en masse, d'une prise de conscience du public en faveur d'une plus grande conservation des ressources naturelles de l'île. La sensibilité du public se situe donc dans la ligne traditionnelle à l'égard de l'environnement.

P.N. de Yushan
Un pangolin et son petit.

Il y a plus de deux mille ans, le philosophe Mencius ne réclamait-il pas déjà l'interdiction des filets dans les étangs, l'interdiction saisonnière des armes tranchantes dans les forêts et les collines. Ainsi, disait-il, il y aurait autant de poissons et d'animaux que l'homme voudrait.

Ces sages remarques sont de toute actualité pour la conservation de l'environnement naturel. Mais le développement économique dans les sociétés modernes est d'un prix si exorbitant pour la nature que, si l'on croit avoir œuvré un « miracle » économique à Taiwan, un miracle de l'environnement n'est pas encore perceptible dans un avenir prochain.

Chao Jung-tai,
chercheur ès sciences associé auprès de l'Institut de recherches sylvicoles de Taiwan.

Photographies avec l'autorisation du Parc national de Yushan

 

P.N. de Yushan
Un blaireau formosan surveillant les lieux.

Le saumon formosan

Le saumon formosan non migrateur (oncorhynchus masu formosanus ) est une relique vivante de la période glaciaire. Découvert en 1917 dans la rivière Tsikiawan par un Japonais, il fut immédiatement reconnu comme une espèce des plus rares du globe.

Dans les années qui suivirent, Chinois, Japonais, Américains firent le voyage jusqu'à la ferme de Wouling, situé en aval de la Takia, au centre de l'île pour mener des études sur l'habitat et la reproduction de ce poisson. Vers 1930, on le trouva en abondance dans les cours supérieurs de la Takia, la Hohouan, la Nan-hou, la Sseukiélan, la Siuéchan, la Yeoucheng et la Tsikiawan. A cette époque, on pouvait pêcher 15 cattys (env. 9 kg) de ce saumon en une nuit.

Mais ce dernier connut de sérieuses difficultés quant à sa survie, notamment depuis la mise en service de la route transversale est-ouest et surtout la multiplication des cultures potagères et fruitières des versants. Celles-ci ont provoqué une sérieuse érosion et une eutrophisation des cours d'eau. Doublé de l'abus de pesticides dans ces terrains cultivés, l'habitacle de presque tout le réseau hydrographique de la région s'est détérioré pour le poisson.

En un demi-siècle, depuis l'identification du saumon formosan comme espèce rare du monde qui avait amené une protection stricte des Japonais, 90% de la population de ce poisson a été décimée. Aujourd'hui, on ne le trouve plus que dans le cours supérieur de la Tsikiawan.

Les premiers efforts du gouvernement taiwanais pour sa conservation ne furent entrepris qu'en 1974, mais en vain puisque les dix années suivantes, on n'a guère agi en conséquence. Seules des mesures d'ordre général ont été prises pour sa protection. Enfin, le gouvernement se décida à empêcher la disparition complète du saumon formosan non migrateur. En 1984, il était officiellement reconnu par la loi concernant la conservation des biens culturels, et la Commission d'Etat de l'Agriculture, par ses efforts considérables de 1984 à 1988, alloua 2 millions de dollars américains pour divers travaux de protection et reproduction, y compris la construction d'un incubateur artificiel pour le frai en 1984 à la Ferme piscicole de Wouling. En mars 1988, 250 alevins étaient relâchés dans le cours moyen et supérieur de la Tsikiawan et dans la Siuéchan en vue de les rétablir dans leur habitat naturel.

Mais la survie du saumon formosan, aujourd'hui dénombré à environ 2 000 individus, est encore bien fragile, surtout avec la création incontrôlée de vergers et jardins potagers dans la région, l'afflux croissant de touristes sur le site de Wouling et le faible nombre d'ichtyologistes et biologistes intéressés à cette espèce et son environnement. Il y a malheureusement de fortes chances que ce poisson rejoigne la longue liste des espèces disparues.

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