16/07/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Des médecins bénévoles au service des pauvres

01/02/2004
Des zones montagneuses isolées de Taiwan à la Cordillère des Andes en passant par la jungle africaine, les médecins et bénévoles de Taiwan Root Medical Peace Corps ont su se rendre indispensables.

>> Les médecins de Taiwan Root Medical Peace Corps se déplacent au cœur des montagnes de Taiwan afin d'apporter une assistance médicale aux communautés aborigènes reculées. L'organisation envoie aussi des missions dans les pays défavorisés

Il est 3h du matin, et presque tous les habitants de Taipei dorment, épuisés par une longue journée de travail. Ne restent dans les rues de la capitale que quelques travailleurs nocturnes, piliers de boîtes de nuit et autres insomniaques. Cependant, dans un coin de la ville, un convoi est en train de se former. On charge des fournitures médicales dans des véhicules tout-terrain, des minibus et des camions, dans lesquels montent ensuite une soixantaine de bénévoles.

Trois heures, c'est l'heure à laquelle partent régulièrement les missions de cette organisation. A chaque fois, les convois doivent parcourir des routes étroites et tortueuses pour parvenir jusqu'aux villages les plus reculés, dans des zones montagneuses difficiles d'accès. Les bénévoles désirent arriver suffisamment tôt pour visiter trois villages en une journée. A leur arrivée dans le premier village, une partie des médecins s'installe dans une salle de classe ou une église, les autres bénévoles se dispersant dans les rues pour inviter, à l'aide de haut-parleurs, la population à venir en consultation.

Il y a là des généralistes, des dentistes, des obstétriciens, des orthopédistes, des pédiatres, des infirmières, des laborantins et des pharmaciens. Il ne s'agit en aucun cas d'une équipe de fortune, mais de professionnels de la médecine parfaitement qualifiés pour offrir leurs services dans des régions qui comptent parmi les moins prospères de l'île, la pauvreté étant dans ces communautés à l'origine de bien des maux, notamment l'alcoolisme et la prostitution juvénile.

Taiwan Root Medical Peace Corps organise de telles missions chaque mois depuis 1995. Selon Liu Chi-chun [劉啟群], dentiste et fondateur de l'organisation privée, le terme « Root » (racine) évoque les bambous qui bordent les chemins parcourus par les médecins. « Notre objectif est de favoriser l'accès des habitants des régions isolées aux soins médicaux et à l'éducation sur le plan de la santé. Ce faisant, nous voulons améliorer les conditions de vie de la population. Notre ambition est, en travaillant à long terme et en profondeur, de jeter les bases d'un système sanitaire qui fonctionne en permanence ; il ne s'agit pas seulement d'offrir une aide temporaire. »

Le Dr Liu Chi-chun affirme que si le régime national d'assurance maladie couvre les gens qui ont un emploi, les chômeurs, eux, en contrepartie, n'en bénéficient pas, à moins qu'ils paient de leur poche de lourdes cotisations mensuelles. Certaines communes de montagne ne disposent même pas d'un simple dispensaire, s'exclame-t-il, alors pour ce qui est des cliniques ou des hôpitaux !

« Nous espérons parvenir un jour à ce que le bénévolat médical, tel que nous le pratiquons, ne soit plus nécessaire, continue-t-il. Mais le fait est que, pour l'instant, nous en sommes réduits à mettre en évidence les insuffisances du système de santé publique. »

Des médecins bénévoles au service des pauvres

Une mission médicale progresse lentement dans une zone montagneuse à Taiwan. Même les véhicules tout-terrain ont du mal à passer.

Chen Kuang-chuan [陳光傳], pasteur presbytérien dans le hsien montagneux de Miaoli, dans le nord de l'île, attend toujours avec impatience l'arrivée de ces équipes. « Nous sommes reconnaissants pour tous les efforts que ces personnes déploient en notre faveur, dit-il. Il est réconfortant en effet de penser que la société ne nous a pas oubliés. Les visites des équipes médicales sont d'une grande aide pour un petit village comme le nôtre, où environ 30% des habitants ne sont pas couverts par l'assurance maladie nationale. Nous avons besoin de cette assistance médicale. Les maladies ici sont constamment aggravées par l'alcoolisme et la mauvaise situation économique. »

Dans un autre village de montagne, au centre de l'île, Lai Ya-hui [賴雅慧], 35 ans, amène ses quatre enfants à la consultation. « Cela nous prend plus de deux heures pour descendre voir un docteur en plaine par des routes de montagne tortueuses. Nous sommes donc enchantés lorsque les médecins viennent jusqu'à nous. En plus, ils sont très gentils. Nous avons terriblement besoin de leurs services, surtout les enfants et les personnes âgées. Tout ce que nous souhaitons, c'est qu'ils puissent revenir plus souvent. »

Le Dr Liu Chi-chun explique que la première tâche consiste à établir une liste des villages à visiter. Au début, une seule visite annuelle était possible. A présent que le réseau routier a été amélioré et que la majorité des communes sont desservies par des routes bitumées, cela ne prend plus que six mois pour effectuer la tournée complète des villages sélectionnés. Les équipes arrivent toujours à destination, même en cas de typhon ou d'inondation. « C'est à l'occasion des calamités naturelles que les com munes de montagne ont le plus besoin de nos services. La certitude d'être attendus par les villageois est justement ce qui nous pousse à ne pas abandonner. »

Au fur et à mesure que Taiwan Root Medical Peace Corps a accumulé de l'expérience dans les montagnes de Taiwan, l'idée a pris forme d'étendre cette assistance outre-mer. « Nous nous efforçons d'être présents partout où un besoin existe, même dans les coins les plus reculés du globe », dit-il. En 1999, le ministère des Affaires étrangères a aidé une équipe de l'organisation à se rendre en Macédoine auprès des réfugiés kosovars - cela a été la première mission internationale du groupe. Depuis, les médecins de Taiwan Root Medical Peace Corps se sont rendus en Asie (Afghanistan, Inde, Indonésie, Philippines, Sri Lanka), en Afrique (Gambie, Ghana, Liberia, Swaziland), dans les Antilles et en Amérique latine (Bolivie, République Dominicaine, Haïti, Paraguay, Pérou). Ils interviennent avant tout pour répondre aux besoins urgents de populations touchées par la guerre ou les calamités naturelles, mais l'association essaie aussi d'organiser un suivi.

Shih Liang-feng [施良鳳], une anesthésiste de 30 ans, se remémore sa première mission au Liberia. L'équipe travaillait depuis l'aurore jusque tard dans la nuit, l'éclairage étant fourni par un générateur ou les lumières d'un véhicule. C'était la saison sèche, et l'eau était si rare que personne n'a pu se doucher pendant cinq jours. Le Dr Shih Liang-feng affirme conserver le souvenir de sa première douche à l'eau courante lorsqu'elle fut de retour à Taiwan.

« Malgré toutes les difficultés, je me répétais : si nous n'y étions pas allés, qui d'autre l'aurait fait? Lorsque nous avons réalisé que les habitants venaient de loin pour nous consulter, en voyant les longues files d'attente, nous avons eu la confirmation que nous n'étions pas là pour rien. Je devais souvent retenir mes larmes en traitant les patients libériens. Il y avait dans leurs yeux comme une attente, une lueur d'espoir. C'est cette lueur qui est la motivation de nos missions, la raison pour laquelle nous sacrifions notre temps libre et nous payons le voyage de notre poche. »

Les membres de l'équipe affirment que participer aux missions les aide en tant que personnes et en tant que médecins. « Avant, dit l'anesthésiste, je me préoccupais trop souvent de choses sans importance. J'ignorais combien je pouvais être utile aux autres. Mais depuis cette expérience de bénévolat, je suis plus ouverte, plus flexible dans les situations difficiles. Je sais que je peux faire quelque chose d'utile pour autrui, ce qui donne davantage de sens à ma vie. »

Des médecins bénévoles au service des pauvres

Le Dr Shih Liang-feng (à g.) au Libéria : « Je sais que je peux faire quelque chose d'utile pour autrui, ce qui donne davantage de sens à ma vie ».

Chiu Ying-ming [邱瑩明], médecin à l'Hôpital général des vétérans de Taichung, dans le centre de Taiwan, estime que, grâce à ces missions bénévoles, il a appris la patience et à se tenir à l'écoute de ses malades. A l'étranger, il a tout de suite manifesté de l'intérêt pour eux, les écoutant attentivement - pas comme lorsqu'il consultait à Taiwan. « Conscient de cette contradiction dans mon comportement, j'ai changé. J'ai commencé à me dire que je pourrais traiter mes patients taiwanais comme je traite mes patients lorsque je suis en mission à l'étranger. Ne devrais-je pas avoir toujours la même attitude, quel que soit l'endroit où je me trouve ? »

Un autre médecin, Liang Shih-tsung [梁世宗], 26 ans, orthopédiste à l'Hôpital général des vétérans de Taipei, participe à des missions à Taiwan et à l'étranger depuis le début de ses études de médecine. Il affirme avoir ainsi acquis une expérience solide, pouvant traiter des cas qu'il n'aurait jamais vus que dans les livres s'il était resté à Taiwan.

« Pour moi, c'est une distraction que de m'éloigner de mon cadre de vie quotidien. Et puis, c'est tellement extraordinaire, ce sentiment d'aider les autres ! Ces missions sont plus qu'un voyage ou même qu'un bénévolat, elles me permettent d'acquérir une expérience clinique dans un environnement différent, de connaître des gens, des cul tures et des coutumes dont je n'avais pas idée. Etre le témoin de la misère qui règne dans certains endroits du monde me rend plus reconnaissant de la prospérité dans laquelle je vis à Taiwan. Cela me permet d'apprécier réellement ce que j'ai. »

Le plus difficile, aussi bien pour le Dr Chiu Ying-ming que pour le Dr Liang Shih-tsung, est d'être obligé de partir juste après avoir surmonté une situation d'urgence sur le terrain, tout en sachant que le système médical local n'a pas toujours les moyens d'assurer le suivi. Cela le remplit de tristesse et nourrit chez lui comme chez ses collègues un sentiment d'impuissance.

Le Dr Liu Chi-chun reconnaît cet aspect frustrant des missions courtes. « L'éducation sanitaire et les soins préventifs devraient prendre le pas sur le traitement médical, ce sont les moyens par lesquels nous pouvons rendre ces visites plus utiles. Nous travaillons actuellement à un programme de formation pour des travailleurs sanitaires locaux qui serviraient de relais auprès de la population locale afin qu'elle apprenne les notions de base en matière de soins et d'hygiène de la vie quotidienne. »

Le Dr Liu Chi-chun signale également que des membres de son organisation utilisent des spécimens recueillis sur le terrain pour continuer leurs recherches. Ainsi Taiwan Root Medical Peace Corps a collaboré avec le Centre d'études de parasitologie de l'université de Médecine de Taipei à une recherche sur les maladies tropicales. Des membres de l'équipe ont également participé à des travaux sur le virus de l'immunodéficience humaine et le sida. Certaines recherches sont conduites en partenariat avec des organismes étrangers. Fin 2002, Taiwan Root Medical Peace Corps a participé à la Conférence des ONG des Nations unies.

A ce jour, le groupe a organisé un total de 85 missions dans les régions aborigènes de Taiwan et 25 missions hors de l'île. « Avec le temps, nous nous sommes habitués à faire face à toutes les circonstances possible pour atteindre notre but, souligne le Dr Liu Chi-chun. C'est là notre fierté. » ■

Taiwan Root Medical Peace Corps
http://www.taiwanroot.org

Les plus lus

Les plus récents