14/06/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

« Former tous les praticiens à la chirurgie mini-invasive »

01/04/2014
Le professeur Jacques Marescaux (à g.), président fondateur de l’IRCAD, a reçu le 18 février des mains du ministre des Affaires étrangères David Lin [林永樂] (2e à d.)la médaille de l’amitié diplomatique, en présence d’Alice Marescaux (2e à g.), son épouse, et du président de l’Hôpital mémorial Show Chwan, Huang Min-ho (à d.). (Photo aimablement fournie par l'IRCAD-Taiwan)
Le professeur Jacques Marescaux, président fondateur de l’Institut de recherche contre les cancers de l’appareil digestif (IRCAD), à Strasbourg, en France, était à Taipei en février pour recevoir la médaille de l’amitié diplomatique de la République de Chine. Cette distinction vient récompenser une action débutée il y a sept ans en faveur des échanges bilatéraux dans le domaine de la chirurgie micro-invasive, avec en particulier l’ouverture en 2008, en coopération avec l’Hôpital mémorial Show Chwan, présidé par le professeur Huang Min-ho [黃明和], de l’IRCAD-Taiwan, qui forme des praticiens venus de toute l’Asie. A cette occasion, les deux partenaires ont répondu aux questions de Taiwan aujourd’hui

Jacques Marescaux, que représente pour vous cette distinction accordée par la République de Chine ?

Jacques Marescaux : Je suis flatté bien sûr mais c’est un peu plus que cela : je considère qu’il ne s’agit pas d’une décoration personnelle mais de la reconnaissance de toute l’équipe de l’IRCAD. J’avoue que je n’aurais jamais imaginé, quand on a créé l’institut à Taiwan, que l’on aurait des relations aussi intimes avec les Taiwanais. Nous avons peut-être eu de la chance, mais nos partenaires sont des gens d’une honnêteté exceptionnelle qui ont fait beaucoup plus que ce qu’ils avaient dit que nous ferions ensemble. Ils ont été d’une efficacité remarquable puisque l’institut a été créé moins de deux ans après la première visite à Strasbourg de Huang Min-ho et de son équipe. Aujourd’hui, c’est devenu le premier centre de formation aux techniques de chirurgie mini-invasive en Asie.

La vision initiale était donc la bonne ?

Huang Min-ho : Des membres de notre personnel se rendaient à l’IRCAD, à Strasbourg, pour participer à des formations. Mais à compter de leur inscription, il leur fallait parfois patienter jusqu’à six mois sur liste d’attente pour accéder aux cours du professeur Marescaux qui est un spécialiste mondial du cancer du colon. Il y a sept ans, j’ai donc demandé à le rencontrer avec mes collaborateurs. L’entretien, prévu pour durer trente minutes, s’est poursuivi pendant quatre heures. Cela fait en effet très longtemps que je m’intéresse à la chirurgie micro-invasive. Le professeur Marescaux sait d’ailleurs que je l’ai précédé dans ce domaine – j’aurai 74 ans cette année et j’ai débuté la chirurgie mini-invasive il y a près de 37 ans ! Pourtant je voulais apprendre de lui. Je l’ai invité à venir à Taiwan pour le convaincre que l’Asie avait besoin des formations qu’il dispensait. Il est venu, et la décision de créer l’IRCAD-Taiwan et l’Institut asiatique de téléchirurgie (AITS) a été prise très rapidement.

Les médecins formés viennent de toute l’Asie. Le marché chinois est-il pour vous une cible prioritaire ?

H.M.-H. : La plupart des chirurgiens que nous formons viennent de Taiwan, du Japon et de la Chine, ainsi que de tous les pays d’Asie, en particulier la Corée du Sud et Singapour. Certains viennent même d’Afrique du Sud !

J.M. : Cela dit, c’est vrai que lorsqu’il essayait de nous convaincre d’aller à Taiwan, le président Huang savait exactement ce qui allait se passer concernant l’amélioration des relations avec la Chine. C’était en 2007 et l’année suivante, les trois liaisons directes étaient réalisées, suivies en 2010 par la signature d’un accord important [l’Accord-cadre de coopération économique].

H.M.-H. : J’ai effectué trois mandats de parlementaire, de trois années chacun, jusqu’en 2002. Je connais bien ces choses-là et je savais que nous serions à même de pouvoir former les chirurgiens chinois. La Chine dispose de centres de formation très modernes mais ses chirurgiens, dont le niveau est généralement très bon, sont trop nombreux pour pouvoir tous accéder à une formation de pointe. Or, pour le bien-être des patients, il est très important que chaque chirurgien puisse être formé aux technologies informatiques et aux nouvelles techniques d’intervention.

Après cinq ans d’activité de l’IRCAD-Taiwan, quel bilan tirez-vous ?

J.M. : Il est positif. Sur le plan de l’éducation, nous avons formé jusqu’à présent plus de 3 800 chirurgiens aux techniques mini-invasives, ce qui est déjà une très grande réussite. Cela a permis de constituer un réseau international en Asie qui a énormément profité à l’IRCAD-Strasbourg, où nous faisons intervenir des experts asiatiques – du Japon, de Corée ou encore de Singapour – que l’on ne connaissait pas auparavant. Nous avons ainsi étendu notre réseau et notre notoriété, ce qui fait de nous de bons ambassadeurs de la France, sachant que dans ces pays, la formation est habituellement anglo-saxonne.

Notre équipe française est très impliquée à Taiwan et il y a également beaucoup de recherches qui se font ici, notamment dans le domaine informatique avec des échanges d’ingénieurs informaticiens entre Taiwan et Strasbourg. Cela concerne particulièrement l’imagerie médicale, notamment en trois dimensions, c’est-à-dire comment on arrive à planifier l’intervention chirurgicale.

Des spécialistes de l’IRCAD-Strabourg donnent régulièrement des formations à l’AITS, dans le district de Changhua, à Taiwan. Les praticiens peuvent s’y exercer sur des tissus vivants (mini-porcs). (Photo aimablement fournie par l'IRCAD-Taiwan)

Quels sont les axes futurs de recherche en commun entre la France et Taiwan ?

J.M. : En France, nous avions d’abord pu créer, avec le soutien massif des pouvoirs publics français et de partenaires privés, l’Institut de chirurgie micro-invasive guidée par l’image (IHU Strasbourg). Et nous venons d’inaugurer, dans le cadre des anciens haras nationaux de Strasbourg, un biocluster dont la vocation est d’assurer le transfert de technologies innovantes développées au sein de l’IRCAD et de l’IHU Strasbourg. De la même manière, le président Huang veut ouvrir un biocluster dédié aux dispositifs médico-chirurgicaux, car on sait que le transfert de technologies est très rapide dans ce domaine – il ne prend qu’entre deux et trois ans alors qu’il faut entre dix et quinze ans pour un produit pharmaceutique. Surtout, cela a un impact très important sur l’économie d’une région et d’un pays.

H.M.-H. : En matière de recherche, le professeur Marescaux a bien voulu nous faire profiter des logiciels mis au point à Strasbourg. Nous avons établi notre propre centre de recherche dans le domaine de la chirurgie micro-invasive guidée par l’image – une nouvelle chirurgie fondée sur des solutions 3D assistées par ordinateur et qui atteint ses cibles de manière très précise. Pour la mettre en œuvre, on utilisait des appareils fabriqués aux Etats-Unis ou en Allemagne. A Taiwan, nous disposons d’un savoir-faire et d’une force d’exportation dans les domaines des machines-outils, de la plasturgie, de l’électronique et de l’optique. Pourtant, personne à Taiwan ne produisait de caméras endoscopiques adaptées aux besoins des opérations micro-invasives. Nous avons donc créé à Lugang le Centre d’incubation Show Chwan pour l’Asie-Pacifique, où déjà treize sociétés se sont installées, comme par exemple Hiwin Technologies qui produit des bras robotiques articulés. De plus, le site où sont implantés l’AITS et le centre d’incubation devrait devenir la neuvième zone franche pilote de Taiwan. Cette zone sera organisée autour d’activités comme le tourisme médical – en particulier dans les domaines des examens de santé et des traitements esthétiques –, les biotechnologies, l’imagerie et le matériel médical.

La collaboration entre l’IRCAD-Strasbourg et l’AITS a-t-elle débouché sur des collaborations industrielles entre Taiwan et la France ?

J.M. : L’un des exemples de coopération est une nouvelle start-up issue de la recherche-développement de l’IRCAD, Visible Patient. La société a été créée en France mais nous souhaitons ouvrir une filiale à Taiwan parce que le « marché » le plus important pour les chirurgies reconstructrices du foie se trouve en Chine et qu’il est totalement impossible pour cette petite start-up d’aller en Chine seule. Nos partenaires taiwanais sont des gens en qui nous avons confiance, et qui savent comment approcher le ministère chinois de la Santé.

Nous avons aussi un très important partenariat avec l’université virtuelle WebSurg qui propose un programme d’enseignement chirurgical en ligne dans six langues, dont le chinois – la traduction dans cette langue ayant été réalisée par nos partenaires taiwanais. Nous avons eu beaucoup de retombées positives de par cette collaboration.

Après Strasbourg et Taiwan, l’IRCAD a ouvert un troisième centre au Brésil. Dans quelle mesure l’expérience acquise à Taiwan a-t-elle facilité cette nouvelle implantation ?

J.M. : Les trois centres ont le même objectif. Celui ouvert au Brésil diffère toutefois des deux autres car il a uniquement une fonction éducative, principalement à destination des médecins brésiliens. Pour cette raison, une grande partie des cours est assurée en portugais, ce qui donne au centre une dimension un peu moins internationale qu’à Strasbourg ou Taiwan.

L’un et l’autre cherchez à promouvoir, parallèlement à une chirurgie utilisant les hautes technologies, une vision holistique de la santé…

H.M.-H. : J’ai obtenu mon diplôme en 1964 et j’ai peu à peu compris que la médecine occidentale ne suffisait pas. Nous avons besoin d’une approche holistique prenant en compte la nutrition, le sommeil ou encore l’activité physique. A Lugang, nous avons créé un centre « LOHAS » (Life of Health and Sustainability) où les patients ont accès à des séances de remise en forme et de relaxation. En France, j’ai été impressionné par l’importance du thermalisme et par le fait que certains traitements en cure thermale peuvent être pris en charge par la sécurité sociale. A Taiwan, nous avons de nombreuses sources chaudes mais les traitements associés sont peu médicalisés et ils ne sont en tout état de cause pas couverts par l’assurance-santé. Pourtant, ce type de soins est très important pour le bien-être des patients, en complément de la médecine occidentale. Cette dernière est très efficace pour enlever une tumeur mais, après, comment promeut-on la santé ?

Vos fonctions à la tête de l’IRCAD vous laissent-elles encore le temps de former d’autres chirurgiens ?

J.M. : A la différence notamment des professeurs Joël Leroy, de l’IRCAD, et Nobuhiko Tanigawa, président de l’Hôpital Tanigawa, à Osaka, au Japon, je ne dirige pas de sessions de chirurgie en direct, mais j’assure régulièrement des cours. Dans le domaine de la chirurgie endocrinienne, j’aime par exemple enseigner la surrénalectomie dans une approche mini-invasive. J’interviens aussi dans des domaines plus prospectifs, pour donner une vision de ce que sera la chirurgie dans vingt ans – si tant est que l’on puisse se figurer les évolutions à venir. Je crois que c’est très important pour les nouvelles générations, d’autant plus qu’il est aujourd’hui très difficile de recruter de nouveaux chirurgiens. Les étudiants en médecine s’orientent de plus en plus vers des spécialités comme la dermatologie qui leur permettront de conserver une bonne qualité de vie. Montrer aux étudiants les nouvelles technologies employées en chirurgie est un moyen de les attirer de nouveau vers cette spécialité.

H.M.-H. : Le même phénomène s’observe à Taiwan. Il y a encore quelques années, la chirurgie était très prisée, et de fait réservée aux meilleurs de chaque promotion. Aujourd’hui, c’est en promouvant les techniques de pointe que l’on pourra enrayer la baisse des vocations. Cela recouvre aussi un enjeu de santé publique : aujourd’hui à Taiwan seulement 40 à 50% des interventions relèvent de la chirurgie endoscopique. Cela n’est pas juste pour le reste des patients. Les raisons en sont une insuffisante formation des chirurgiens, l’absence d’équipements et de salles d’opération appropriés. Ces problèmes doivent être réglés afin que tous les patients puissent être opérés en minimisant les risques. Et c’est ce à quoi nous nous employons.

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