14/06/2025

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Industrie taiwanaise : la force des clusters

14/10/2017
Des entreprises de toutes tailles sont derrière le succès du secteur taiwanais des fixations. (Photo de Chuang Kung-ju / Taiwan Review)
C’est en « grappes » que les industries taiwanaises réussissent le mieux, des regroupements qui créent des synergies et encouragent la collaboration entre entreprises.
 
Quand Tom Liu [劉天民], le secrétaire général de l’Institut des fixations industrielles de Taiwan, évoque le Salon international des fixations de Taiwan, son enthousiasme est communicatif. « C’est bien plus qu’un salon ordinaire, dit-il. C’est une fenêtre sur les dernières tendances dans l’un des secteurs industriels qui font le moins parler d’eux à Taiwan ! »
 
Organisée dans la cité méridionale de Kaohsiung, la quatrième édition du salon, en 2016, a attiré 402 exposants répartis sur 1 002 stands, ainsi que près de 2 000 acheteurs en provenance de 75 Etats et territoires. Selon le Conseil pour le développement du commerce extérieur de Taiwan (TAITRA), un organisme lié au ministère de l’Economie et qui co-organise le salon, la prochaine édition, du 10 au 12 avril 2018, devrait connaître un succès encore plus net, faisant de l’événement le plus important de ce type dans le monde.
 
« Le TAITRA a été inondé de demandes pour la réservation d’emplacements pour l’édition 2018, se félicite Tom Liu. Les 1 100 stands sont tous loués, ce qui confirme la confiance des industriels locaux dans leur capacité à attirer des acheteurs des quatre coins de la planète, en particulier ceux de l’Europe et des Etats-Unis qui ne feraient pas plus de 10 heures de vol pour des clopinettes. »
 

L’entreprise Aerospace Industrial Development Corp. entend élargir sa gamme de moteurs pour avions grâce à son implication dans le cluster A-Team 4.0, à Taichung, dans le centre de Taiwan. (Photo de Huang Chung-hsin / Taiwan Review)

Aimant à croissance
Vis, écrous, boulons, goujons : la compétitivité internationale du secteur taiwanais des fixations doit beaucoup au regroupement géographique de petites et moyennes entreprises (PME) dans l’arrondissement de Gangshan, à Kaohsiung. « Cette grappe d’entreprises a commencé à émerger après que China Steel, le spécialiste taiwanais de l’acier, a ouvert ses portes à la fin de l’année 1971 », explique-t-il en précisant que l’entreprise publique a agi comme un aimant pour les petites et moyennes entreprises (PME) du secteur des fixations et pour d’autres entreprises de la chaîne de fournisseurs allant des fabricants de machines aux usines d’emballage.
 
Au fil du temps, cet arrondissement de banlieue en est venu à abriter la moitié environ des 1 500 entreprises du secteur à Taiwan, et ce cluster a développé une division du travail élaborée, alliant, contre toute attente, flexibilité et spécialisation.
 
Selon Tom Liu, c’est cette synergie unique qui permet aux membres du cluster de travailler ensemble pour répondre rapidement et de manière compétitive à des commandes sur-mesure. En pouvant se parler en personne, des solutions sont trouvées et des problèmes qui semblaient insurmontables se transforment en opportunités. « Une telle relation sur le mode de la coopération est incomparablement efficace », dit-il.
 
Le cluster de Gangshan, apparu de manière spontanée, et ceux planifiés par l’Etat pour accueillir les fleurons de l’industrie taiwanaise, à l’image de celui dédié aux semiconducteurs au sein du Parc scientifique de Hsinchu, dans le nord de Taiwan, sont autant d’exemples réussis de regroupements industriels qui constituent la colonne vertébrale de l’économie taiwanaise. Le Rapport 2017-2018 sur la compétitivité mondiale publié en septembre 2017 par le Forum économique mondial, dont le siège est en Suisse, place Taiwan au deuxième rang mondial en termes de développement des clusters, un indicateur classé dans la catégorie de la sophistication de l’économie. D’une manière générale, Taiwan est considéré par ce rapport comme ayant la 15e économie la plus compétitive parmi les 137 passées en revue.
 
Chu Hsin-hua [朱興華], président du Centre de développement de la synergie d’entreprise (CSD), rappelle que près de 98% des entreprises à Taiwan sont des PME, et que la formation de grappes comprenant des entreprises de cette taille est essentielle pour la compétitivité des exportations du pays. Depuis sa création en 1984, cette organisation à but non lucratif financée par l’Etat a contribué à renforcer l’effet de grappe de 194 regroupements industriels à travers Taiwan. Pour ce faire, le centre tisse des liens entre ses membres, suggère des pistes pour faire face à des questions d’intérêt mutuel, et fournit les dernières solutions aux défis d’efficacité, d’équipement et de production.
 
« A l’origine, l’approche du CSD a constitué une réponse à l’image généralement négative qu’avaient les produits made in Taiwan il y a quelques dizaines d’années, et à la concurrence croissante en provenance de Chine [continentale] », dit Chu Hsin-hua. Sur ce dernier point, selon lui, l’une des stratégies mises au point par le centre et qui ont porté le plus de fruits est l’initiative A-Team lancée en 2003 pour aiguiller le développement d’un cluster de fabrication de cycles à Taichung, la grande métropole du centre-ouest de Taiwan.
 
Changer de braquet
Selon Chu Hsin-hua, le secteur taiwanais du cycle a connu un déclin rapide au début des années 2000, principalement en raison de l’inondation du marché par des produits bas de gamme fabriqués de l’autre côté du détroit de Taiwan et vendus à très bas prix. En 2003, seules 3,88 millions de vélos fabriqués à Taiwan étaient exportés, contre 9,48 millions sept ans plus tôt.
 
Ce revers de fortune a conduit le CSD à organiser une concertation avec Giant et Merida Industry, deux leaders du secteur installés dans le district de Changhua, au sujet de l’initiative A-Team. Regroupant des PME locales, cette alliance a aiguisé la compétitivité du secteur grâce à des inspections sur site permettant de garantir le respect d’engagements à moderniser les équipements, à des analyses des procédés de fabrication, et à la publication de spécifications unifiées pour les pièces détachées.
 
« L’initiative a payé », dit Chu Hsin-hua qui ajoute qu’elle a joué un rôle-clé dans le repositionnement du secteur taiwanais des cycles vers le haut de gamme. Ainsi, si seulement 2,95 millions d’unités ont été exportées en 2016, leur valeur a atteint 1,48 milliard de dollars américains, contre 583 millions en 2003.
 
Les résultats obtenus par le CSD et le secteur du cycle ne sont pas passés inaperçus auprès des industriels des fixations. Cherchant eux aussi à maintenir à distance leurs concurrents de Chine continentale, ils ont cherché de l’aide auprès du Centre de recherche et développement des industries de l’acier et du métal (MIRDC). Basé à Kaohsiung et chargé d’aider à moderniser les industries métallurgiques locales, ce dernier a rapidement préconisé une réorientation de la production nationale, en passant d’une production standardisée de masse à la fabrication de pièces spécialisées pour le secteur automobile.
 
Selon Tom Liu, il s’agit là d’une relation mutuellement bénéfique, dans laquelle les membres du cluster améliorent leurs résultats financiers, China Steel vend davantage de matériaux bruts aux fabricants en aval, et le MIRDC renforce sa réputation de consultant industriel.
 
« En travaillant ensemble, et en conjuguant l’expertise de China Steel et celle du centre, les membres du cluster produisent aujourd’hui 50 000 types d’éléments de fixation, contre 30 000 en 2009, se félicite-t-il. De la sorte, Taiwan reste le deuxième exportateur mondial de fixations et un centre de production majeur en Asie-Pacifique. »
 
Les expériences des secteurs des fixations et du cycle ont été d’une grande utilité quand le CSD s’est penché sur le secteur agroalimentaire en 2009. Au cours des huit dernières années, le centre a renforcé plus de 50 clusters agricoles et agroalimentaires et les a mis sur la voie d’une croissance accélérée, en favorisant l’adoption de méthodes de gestion actualisées et de technologies de dernière génération, et en travaillant étroitement avec les dirigeants de ces entreprises, lesquels sont portés sur l’innovation.
 

Jennifer Hsiung, présidente de Great Agriculture Technology, croit en la force du cluster regroupant les producteurs de maïs et les entreprises de distribution et de transformation dans la région de Yunlin. (Aimable crédit de Great Agriculture Technology)

Convaincus
Parmi ces entrepreneurs, Jennifer Hsiung [熊亞萍] est présidente de Great Agriculture Technology, une entreprise installée dans le district de Yunlin, dans le sud de Taiwan, et qui commercialise le maïs cultivé par un regroupement de 1 800 exploitants agricoles de Yulin et du district voisin de Chiayi. Elle coopère avec le CSD depuis 2015.
 
Grande avocate des clusters, Jennifer Hsiung n’a pas ménagé sa peine pour convaincre les agriculteurs de l’intérêt de ce mode d’organisation. Elle organise régulièrement pour eux des séminaires et des ateliers sur les techniques agricoles de pointe, mais aussi des sorties conviviales. « L’enthousiasme des membres du groupement est contagieux, dit-elle. Lors de ces activités, ils portent fièrement le même uniforme et saisissent la moindre occasion pour tisser des liens, apprendre les uns des autres, et chercher des solutions qui profiteront à l’ensemble du groupe. »
 
Mais Jennifer Hsiung n’est pas du genre à s’arrêter en si bon chemin. Concernant l’avenir du cluster, elle voit grand, et propose sans cesse de nouvelles idées de coopération au CSD. Par exemple, un projet de surveillance aérienne des champs de maïs par des drones a obtenu en avril un financement du ministère de l’Agriculture, en coopération avec les entreprises technologiques Advantech, à Taipei, et Geosat Aerospace and Technology, à Tainan. Un autre projet consiste à mettre au point des stratégies pour promouvoir les produits du groupement sur les marchés extérieurs, comme à Hongkong, au Japon et à Singapour.
 
L’Etat reconnaît lui aussi les mérites des clusters industriels et a fait de leur création une des priorités de l’initiative de promotion de cinq secteurs innovants. Au cœur du Nouveau Modèle de développement économique avancé par le gouvernement, cette initiative vise les secteurs des machines intelligentes, des biotechnologies et de la pharmacie, de l’Internet des objets, des énergies vertes, et de la défense, ainsi que l’économie circulaire et un nouveau paradigme agricole.
 
L’an dernier, le CSD et l’entreprise taiwanaise Aerospace Industrial Development Corp. (AIDC), dont le siège est à Taichung, ont montré l’exemple en établissant un cluster du secteur aéronautique étroitement lié à la défense nationale. Ce nouveau cluster, baptisé A-Team 4.0, comprend environ 150 membres, dont la production totale annuelle a dépassé en 2016 les 100 milliards de dollars taiwanais (3,3 milliards de dollars américains). Il a pour ambition de porter la compétitivité et la profitabilité du secteur aéronautique local à de nouveaux sommets.
 
Chen Wen-yin [陳玟吟], chercheuse associée à l’Institut de recherche économique de Taiwan (TIER), dit que la rapidité avec laquelle le cluster du secteur aéronautique a été mis sur pied illustre le nouvel esprit collaboratif qui souffle au sein des secteurs public et privé. « En l’espèce, dit-elle, il faut souligner l’intérêt de la mission confiée au TIER par le Bureau du développement industriel du ministère de l’Economie. Celle-ci consiste à inventorier les 62 zones industrielles du pays pour découvrir des candidats appropriés pour une réorientation rapide vers des projets d’envergure, dans le cadre de cette initiative de promotion des secteurs industriels innovants. »
 
Selon Chen Wen-yin, le lancement en novembre 2016 du parc technologique de Shalun, à Tainan, entièrement dédié aux énergies vertes, représente une occasion en or de restructurer les zones industrielles existantes dans cette municipalité en des clusters offrant une base régionale à ce pôle de compétitivité tourné vers le développement durable. « Ces grappes d’entreprises pourraient accomplir d’importantes tâches de recherche-développement et de test de fonctions, tout en étant les fers de lance des technologies pour les énergies renouvelables », dit-elle.
 
Leçons retenues
Au cours des dernières décennies, les clusters industriels à Taiwan ont conservé leur robustesse grâce à une modernisation constante réalisée au sein de groupes resserrés d’entreprises. « Créer une synergie d’entreprises est le point fort de Taiwan, dit Chen Wen-yin. Les leçons des dernières décennies ont toutes été apprises. Ces entreprises comprennent l’importance de persévérer et de tirer ensemble dans la même direction de manière à toujours s’adapter à des réalités nouvelles. »
 
Pour la chercheuse, cette recette à succès permettra aux clusters taiwanais de rester au-dessus du panier et de faire face à tous genres de défis, qu’il s’agisse de l’évolution de l’industrie mondiale ou de la concurrence féroce provenant de Chine continentale. « J’ai la plus grande confiance dans les clusters industriels de notre pays, et dans la force de nos fabricants », conclut-elle.

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