Les botanistes font l’inventaire des plantes indigènes de Taiwan afin de protéger les espèces menacées.
Les personnes s’étant déjà rendues à Taiwan connaissent bien le faisan mikado (Syrmaticus mikado) grâce à sa présence sur les billets de 1 000 dollars taiwanais émis par la Banque centrale du pays. Mais il est fort probable qu’elles n’aient pas remarqué le petit dessin de plante présent sur un coin de ce même billet. L’image devait à l’origine représenter un chardon de Yushan (Cirsium kawakamii), une plante endémique tenant son nom du point culminant de l’île, mais un projet de recherche ayant duré pas moins de cinq années a permis de révéler que les concepteurs du billet avaient commis une erreur. Cette étude menée par Tseng Yen-hsueh [曾彦學], un expert en botanique de l’Université nationale Chung Hsing de Taichung, a permis de montrer que le charbon représenté sur les billets de banque différait légèrement du charbon de Yushan. En février 2019, l’équipe a ainsi annoncé la découverte du charbon Tataka (Cirsium tatakaense), rallongeant par là même la liste des espèces endémiques de Taiwan.
« Définir une taxonomie correcte est vital aux efforts de préservation, indique Tseng Yen-hsueh. Tous les organismes ont leur place dans le monde. Notre travail consiste à essayer de les protéger. »
La diversité de la flore taiwanaise en fait un objet de recherche tout trouvé pour des scientifiques tels que Tseng Yen-hsueh. Cette abondance de vie végétale est répertoriée dans la Liste rouge des plantes vasculaires de Taiwan, un rapport publié il y a trois ans de cela. La constitution de cette liste a commencé en 2008, avec la participation de plus de 50 universitaires du pays. D’après l’Institut de recherche sur les espèces endémiques (ESRI), organisme situé à Nantou et dépendant du ministère de l’Agriculture, ce projet constitue la plus complète analyse de ce type jamais réalisée. Le rapport utilise la nomenclature de la Liste rouge des espèces menacées établie par l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN). L’organisation suisse est l’un des chefs de file mondiaux en matière de protection de la biodiversité.
Les rizières en terrasse de la commune de Gongliao, à New Taipei, abritent des plantes menacées comme l’utriculaire. (Aimable crédit de Li Wei-jie et Mong-hoho Barn Co.)
Chang Ho-ming [張和明], chercheur à l’ESRI, précise que les plantes non vasculaires comme les mousses, les hépatiques et les algues n’étaient pas incluses dans l’étude car les informations disponibles sur de telles espèces sont insuffisantes pour décider de leur statut de conservation.
Des écosystèmes florissants
La liste rouge taiwanaise révèle que Taiwan et ses îles périphériques abritent 4 442 espèces de plantes vasculaires indigènes, un quart d’entre elles étant endémiques. Ce chiffre est considéré comme élevé au vu de la petite taille du pays. Selon l’ESRI, 122,7 de ces espèces peuvent être trouvées tous les 1 000 m2, contre 14,7 au Japon et 2 aux Etats-Unis.
Ce nombre a rapidement augmenté au cours des 20 dernières années – une étude préliminaire réalisée en 2012 avait par exemple seulement permis de comptabiliser un total de 4 174 espèces. D’après le chercheur de l’ESRI Li Chiuan-yu [李權裕], cette hausse est due à l’intérêt croissant du public pour l’exploration de la flore locale conjuguée avec la large diffusion des appareils mobiles. « La technologie moderne permet à tous les amateurs d’obtenir des images de haute qualité des plantes et de les envoyer à des professionnels pour les faire examiner. »
Après presque dix années de travail, le décompte final de la liste rouge taiwanaise comprend 3 426 espèces vasculaires dans les catégories les moins préoccupantes, y compris celles manquant de données suffisantes, ainsi que 27 espèces qui sont soit « éteintes à l’état sauvage », soit « éteintes au niveau régional ». Mais celles qui inquiètent vraiment les scientifiques sont les 195 espèces « en danger de disparition », les 283 « en voie de disparition » et les 511 « vulnérables ». Ces plantes considérées comme menacées et en risque d’extinction si aucune mesure n’est prise représentent 22,3% des espèces répertoriées.
De grandes orchidées violettes sont replantées dans leur habitat naturel à Lanyu, autrement connue sous le nom d’île aux Orchidées. (Aimable crédit de Li Chiuan-yu)
Taiwan a adopté plusieurs lois visant à protéger la flore locale, comme la Loi de protection du patrimoine culturel promulguée en 1982 et qui cible plus particulièrement certaines espèces de plantes. Initialement, 11 espèces rares et menacées étaient concernées, mais sept d’entre elles ont pu être retirées de la liste grâce à des améliorations dans les techniques de conservation comme la préservation des habitats et les programmes de reproduction ciblés.
Parmi les espèces menacées identifiées sur la liste rouge, 89% peuvent être trouvées dans les forêts, les parcs et les réserves naturelles de ressort national où celles-ci sont protégées par la loi. Ce sont les 11% restants, soit 110 espèces, qui nécessitent les mesures les plus urgentes car celles-ci cohabitent avec les humains dans les zones périurbaines, les accotements ou encore les rizières.
Une expertise reconnue
Taiwan est en pointe en ce qui concerne la préservation des plantes en voie d’extinction. L’une des réussites les plus récentes a consisté à replanter des grandes orchidées violettes (Spathoglottis plicata), une espèce en voie de disparition poussant sur l’île Verte (Lüdao) et l’île des Orchidées (Lanyu). En 2013, l’ESRI a commencé à recueillir les graines de certaines des quelque 50 orchidées encore présentes à Lanyu, où elles étaient gravement menacées par des années de désastres naturels et par leur popularité auprès des amateurs d’orchidées. Les chercheurs ont ainsi cultivé l’espèce dans des environnements contrôlés avant de réintroduire 500 jeunes plants dans les écosystèmes locaux. Les experts du ministère de l’Agriculture ont également reproduit avec succès diverses orchidées qui seront bientôt disponibles à l’achat. « Cela devrait réduire le risque de voir les fleurs retirées de leurs habitats naturels », espère Li Chiuan-yu.
Le charbon Tataka est l’une des espèces récemment découvertes. (Aimable crédit de Tseng Yen-hsueh)
Cette stratégie est associée à des efforts de protection de la faune et de la flore dans les réserves de biodiversité, explique Huang Chium-tse [黃群策], directeur du département de la conservation à l’office des Forêts, lui-même placé sous l’égide du ministère de l’Agriculture. « Protéger l’un profite à l’autre car il existe une symbiose entre les deux. Les plantes fournissent de la nourriture aux animaux et les animaux aident à disperser les graines des plantes », ajoute-t-il. Actuellement, l’office des Forêts surveille 43 habitats naturels à travers le pays.
L’un de ces espaces est constitué de rizières en terrasse et de leurs environs, dans l’arrondissement de Gongliao à New Taipei, dans le nord de Taiwan. Cette surface de 6,4 hectares abrite plus de 750 espèces dont sept sont des variétés de plantes menacées de disparition. Pour maintenir les écosystèmes, l’office des Forêts a chargé la Fondation taiwanaise pour l’éthique environnementale, une organisation non gouvernementale basée à Yilan, d’agir auprès des agriculteurs afin d’encourager les pratiques agricoles respectueuses de l’environnement.
La gestion des espèces invasives
En plus de travailler sans relâche à la protection des environnements locaux, l’office des Forêts est également parfaitement au fait des problèmes posés par les espèces étrangères hautement invasives. L’une de leurs principales cibles est la liane américaine (Mikania micrantha), une plante inscrite sur la liste des cents espèces de faune et de flore les plus invasives établie par l’IUCN.
L’Institut de recherche sur les espèces endémiques, situé dans le district de Nantou, cultive des semences de végétaux menacés afin de fournir aux jeunes plants un environnement sûr et contrôlé pour s’épanouir. (Photo : Chin Hung-hao / MOFA)
Au début des années 2000, l’agence gouvernementale a lancé une campagne nationale de désherbage qui prend place chaque année à la fin de l’été, avant le début du cycle de reproduction de la plante. Grâce à ces actions, la surface totale infestée a diminué d’environ 90% entre 2001 et 2019, passant de 51 852 à 5 132 hectares.
Une autre cible majeure de l’office des Forêts est le faux mimosa (Leucaena leucocephala), une plante fortement invasive originaire d’Amérique centrale qui figure également sur la liste de l’IUCN. Ses feuilles sécrètent de la mimosine qui empêche la croissance des autres végétaux. « Là où elles tombent, rien ne peut plus pousser », insiste Huang Chium-tse.
Pour éliminer la menace, l’office des Forêts travaille depuis le début des années 2000 à remplacer le faux mimosa par des espèces indigènes. Bien que ce petit arbre à croissance rapide se soit répandu dans tout le sud de l’île, l’agence a concentré la plupart de ses ressources sur la population de la péninsule de Hengchun, à la pointe sud du district de Pingtung, lequel est par ailleurs le seul espace du pays recouvert d’une forêt de mousson. Aucun recensement précis des faux mimosas n’avait été réalisé avant que l’office des Forêts ne débute le désherbage mais ceux-ci sont maintenant présents sur moins de 5 000 hectares.
89% des espèces menacées inscrites sur la liste rouge taiwanaise sont présentes dans des espaces protégés nationaux tels que les aires forestières, les parcs nationaux et les réserves naturelles. (Aimable crédit de l’office des Forêts)
D’après Huang Chium-tse, la liste rouge taiwanaise doit être révisée tous les quatre à huit ans en se basant sur les normes les plus récentes de l’IUCN ainsi que sur les plus récentes études de la flore locale. « En comparant les résultats, nous pouvons constater le niveau d’efficacité de nos efforts de conservation et ajuster nos politiques afin de mieux protéger les espèces menacées, explique-t-il. Les plantes sont un élément central des paysages qui façonnent l’identité nationale. Elles méritent tout autant d’être préservées que les monuments culturels et historiques. »