Les musées publics et privés ont joué un rôle essentiel pour améliorer la visibilité des artistes taïwanais à Taiwan et à l’étranger.
Niché au cœur d’un petit village du district de Nantou, dans le centre de Taiwan, le Musée d’art Yu-Hsiu se démarque par son architecture saisissante faite de bois, de verre et de ciment. Ouvert en 2016, ce musée privé avait été créé pour combler un vide dans le paysage des institutions artistiques à Taiwan. « Les zones rurales sont souvent les grandes absentes du dialogue culturel. Ce lieu a été choisi dans le but de développer l’éducation artistique au-delà des villes et ainsi d’inspirer de nouveaux publics », indique le directeur du musée, Huang Hsiang [黃翔].
Axé sur le réalisme contemporain, Yu-Hsiu expose des œuvres venues du monde entier. « Nous invitons des artistes locaux et leur donnons une plateforme leur permettant de trouver leur public, argumente Huang Hsiang. Quand nous accueillons une exposition, les artistes nous aident en donnant des cours aux élèves des écoles primaires et secondaires du voisinage. »
Promouvoir l’éducation culturelle est une mission centrale des musées d’art à Taiwan depuis la construction du Musée des beaux-arts de Taipei (TFAM) en 1983 et d’un ensemble de musées publics qui ont vite pris le relai. Le Musée national d’histoire et le Musée national du Palais avaient bien ouvert leurs portes à Taipei, respectivement en 1956 et 1965, mais ceux-ci se concentraient plus sur leurs larges collections d’artefacts venus de Chine que sur l’activité artistique à Taiwan aux XXe et XXIe siècles.
L’exposition « Histoire féminine de l’Abstraction en Asie orientale » au Musée des beaux-arts de Taipei met en avant les travaux abstraits d’artistes japonaises, coréennes et taïwanaises datant de l’après-guerre. (Aimable crédit du Musée des Beaux-Arts de Taipei)
Des bases solides
Une autre grande institution ayant vu le jour ces dernières décennies est le Musée national des beaux-arts de Taiwan (NTMFA), établi en 1988 dans la ville de Taichung. Administré par le ministère de la Culture, il est devenu l’un des principaux piliers du développement d’une identité artistique locale.
Le NTMFA, qui est l’unique musée des beaux-arts d’envergure nationale, possède une collection de 16 000 œuvres provenant en majorité d’artistes taïwanais. Cela lui a permis de devenir, au même titre que le TFAM, l’une des institutions les plus influentes en matière d’histoire de l’art moderne à Taiwan.
Soutenu par des financements accrus du ministère de la Culture depuis 2016, le NTMFA a présenté l’art taïwanais au public avec une régularité sans précédent ces dernières années. D’après le directeur du musée Lin Chi-ming [林志明], cela représente une moyenne de huit expositions sur le sujet par an depuis de 2017.
Les artistes taïwanais Cheng Jen-pei et Wang Yu-chen font partie de ceux qui ont été exposés par le Musée national des beaux-arts de Taiwan afin de promouvoir les talents locaux. (Photos : Chin Hung-hao / MOFA)
Dans un même temps, le NTMFA a entrepris de vastes recherches visant à découvrir les secrets du passé artistique de Taiwan. C’est le cas, par exemple, d’une étude classant chronologiquement plus de 1 000 groupes artistiques locaux apparus entre 1895 et 2018 et organisés autour de quatre grandes phases. Les résultats de cette gigantesque initiative ont été publiés l’an dernier dans une série en quatre volumes.
Un autre des projets du NTMFA a mis en lumière les artistes taïwanais qui se firent connaitre à travers des expositions officielles organisées à Taipei pendant la période coloniale japonaise (1895-1945), à savoir les expositions des beaux-arts de Taiwan entre 1927 et 1936 et les expositions des beaux-arts du gouvernement général de Taiwan entre 1938 et 1943. Seize livres cataloguant quelques 2 000 œuvres présentées lors de ces événements et aujourd’hui disparues ont été publiés en mars. Un 17e volume fait le détail des 119 œuvres qui ont été retrouvées dans des collections individuelles ou muséales, à Taiwan ou à l’étranger.
Approfondir la médiation
Le TFAM joue également un rôle important dans la promotion de l’art taïwanais. « L’un des principaux objectifs du musée est de faire connaître aux visiteurs les figures clefs de l’histoire de l’art locale qui ont disparu de notre mémoire collective, explique la directrice du musée, Lin Ping [林平]. Un exemple récent en est l’exposition ayant pris place pendant trois mois en 2019 et intitulée « Histoire féminine de l’Abstraction en Asie orientale » (« Herstory of Abstraction in East Asia » en anglais). Celle-ci a permis de découvrir les travaux abstraits d’artistes japonaises, coréennes et taïwanaises datant de l’après-guerre. La rétrospective « La fin d’une ouverture : Huang Hua-cheng [黃華成] » (« An Opening Ending: Huang Hua-cheng » en anglais) a permis quant à elle de revenir sur la carrière de cet artiste d’avant-garde. Cette exposition temporaire de six mois inaugurée en mai 2020 doit son nom au débat qui fait encore rage chez les critiques concernant l’étendue de l’influence de Huang Hua-cheng sur le paysage artistique contemporain, plus de 20 ans pourtant après la mort de l’artiste.
Le musée d’art Yu-Hsiu de Nantou, dans le centre du pays, offre une scène aux jeunes artistes comme Huang Pin-tong. (Aimable crédit du musée d’art Yu-Hsiu)
Afin d’assurer une meilleure compréhension de l’histoire de l’art taiwanaise, le TFAM a constitué une équipe chargée d’archiver la grande quantité de matériaux documentaires disponibles, tels que les journaux de bord des artistes, leurs correspondances, ou encore les documentations relatives à l’organisation et à la promotion d’expositions passées. Officiellement fondées en 2015, les Archives du TFAM ont permis d’agrandir considérablement les fonds du musée.
La riche expérience de médiation culturelle du TFAM afin de partager l’histoire artistique de Taiwan avec le reste du monde en a fait le candidat idéal pour assurer la responsabilité du pavillon taïwanais lors de la prestigieuse Biennale de Venise, une tâche qu’il accompli avec soin depuis plus de 20 ans. En 2019, le pavillon a mis en lumière le travail sur le queer et les questions de genre de l’artiste Shu Lea Cheang [鄭淑麗], alors même que la légalisation du mariage des couples homosexuels à Taiwan, une première en Asie, suscitait l’attention de la communauté internationale. Le choix de l’artiste aborigène Sakuliu Pavavalung pour représenter Taiwan lors de l’édition 2022 est tout autant significatif. « Son travail se fait le reflet du profond respect des aborigènes pour la Nature. Une telle attitude est plus importante que jamais alors que nous vivons maintenant dans un monde post-coronavirus », déclare Lin Ping.
Le pavillon taïwanais de la Biennale de Venise 2019 présentait des œuvres de l’artiste Shu Lea Cheang. (Aimable crédit du Musée des beaux-arts de Taipei)
Etendre son influence
Grâce à leur bonne gestion et à un public enthousiaste toujours avide d’en apprendre davantage sur l’histoire culturelle de Taiwan, les musées d’art du pays ont continué de se développer. Une part déterminante de ce succès fut l’augmentation régulière de la taille de leurs collections. « Ces dernières années, de nombreux collectionneurs privés ont légué leurs biens à l’Etat, lequel les a confiés aux institutions nationales », constate Lin Chi-ming. En août dernier, son musée a reçu 652 peintures d’artistes taïwanais en provenance du Musée Sun Ten, une institution privée californienne remplie d’œuvres réunies par l’entrepreneur taiwanais Hsu Hong-yen [許鴻源]. Les héritiers de Lin Yu-shan [林玉山] et Hung Rui-lin [洪瑞麟] ont de leur côté fait don de nombreuses œuvres de ces artistes de l’époque coloniale japonaise au ministère de la Culture.
Ces nouvelles acquisitions nécessitent de nouveaux espaces. Le NTMFA prévoit ainsi ouvrir une antenne à Taipei dans quelques mois afin d’y exposer quelques 9 000 œuvres, principalement issus de photographes taiwanais. Pour ne pas être en reste, le TFAM envisage de son côté la création de nouveaux espaces d’exposition spécialisés dans les approches interdisciplinaires.
Des sculptures de l’artiste taïwanais Lu Yen-yu à l’extérieur du Musée d’art Yu-Hsiu. (Photo : Chin Hung-hao / MOFA)
La croissance des institutions existantes est accompagnée de la création de nouveaux musées publics. Cela comprend des équipements réalisés ou en voie de l’être dans des métropoles comme New Taipei et Taoyuan au nord, ainsi que Taichung au centre et Tainan au sud. Ces constructions sont souvent remarquables architecturalement, à l’image du bâtiment numéro 2 du Musée d’art de Tainan, qui a été conçu par l’architecte japonais de renom Ban Shigeru.
La conception du musée Yu-Hsiu lui a aussi valu une reconnaissance critique et le musée a même remporté le Prix taïwanais d’architecture en 2016. De taille modeste mais pourvu d’une grande ambition, l’institution a reçu à ce jour plus de 150 000 visiteurs, et cela malgré son éloignement géographique. « Les petit musées, comme les grands, peuvent participer à la reconnaissance des artistes locaux, assure Huang Hsiang. Ils sont essentiels pour raconter l’histoire de Taiwan au reste du monde. »