La conservation de la limule reflète l'engagement du pays en faveur de la protection des espèces menacées.
Ces bébés limules d’Asie du Sud-Est âgés de 10 mois sont des exemples de la seule variété d'arthropode endémique à Taiwan. (Avec l'aimable autorisation de Su Yin-ten)
Les défenseurs de la limule ont reçu de bonnes nouvelles au cours de l'année et demie écoulée. En mars 2022, le district de Penghu a annoncé l'interdiction sur l'ensemble de son territoire de la pêche de la limule d’Asie du Sud-Est (Tachypleus tridentatus), seule espèce endémique de Taiwan. En mai 2022, un juvénile de l'espèce a été repéré dans le parc national de Taijiang, une première pour cette zone humide du sud de Taiwan depuis la création du parc en 2009. Par la suite, trois autres spécimens ont été trouvés au cours des trois mois suivants, indiquant la viabilité d’un peuplement. En août 2022, l'association de conservation environnementale du district de Chiayi (Chiayi County Ecological Conservation Association - CECA), basée dans le sud de Taiwan, a élevé et relâché 250 juvéniles dans la zone humide de Haomeiliao à Budai. « L'association sera d'autant plus active que la sensibilisation à la conservation de la limule se poursuivra à Taiwan », explique le secrétaire exécutif de la CECA, Su Yin-tien [蘇銀添].
Avec leur réputation de « fossiles vivants » en raison de leur conservatisme morphologique inchangé depuis plus de 400 millions d'années, les limulidés ne sont en fait ni des crabes ni des crustacés ; ce sont des chélicérates, les plus proches parents des arachnides comme les araignées et les scorpions, et ils étaient autrefois répandus dans les eaux côtières du monde entier. Les adultes pondent leurs œufs dans le sable et les jeunes vivent dans les zones intertidales. Quatre espèces de cet animal ont été identifiées dans le monde et la variété endémique de Taiwan (Tachypleus tridentatus) se trouve également ailleurs en Asie de l'Est et du Sud-Est, d’où son nom de « limule d’Asie du Sud-Est ». Mais l'industrialisation croissante et la pêche commerciale au filet ont entraîné un déclin significatif de la population mondiale de toutes les espèces.
Ces bébés limules d’Asie du Sud-Est âgés de 10 mois sont des exemples de la seule variété d'arthropode endémique à Taiwan. (Avec l'aimable autorisation de Su Yin-ten)
Création de zones de conservation
Selon l'Administration de la conservation des océans (OCA), qui relève du ministère des Affaires océaniques (OAC), les premiers projets de recherche et de conservation de la limule à Taiwan ont été lancés en 1996 par les écologistes marins Chen Chang-po [陳章波] et Hsieh Hwey-lian [謝蕙蓮] dans le district de Kinmen. En 2000, le district a créé le premier centre d'éducation et d'exposition sur le thème de la limule à Taiwan, ainsi que la première réserve pour cet arthropode dans la zone intertidale de Guningtou.
Des ONG comme la CECA ont très tôt joué un rôle positif dans la protection de l'espèce. En 2012, l'association, avec les compétences et les connaissances fournies par Chen Chang-po, a mis en place un centre de conservation à Budai pour collecter et réadapter les créatures accidentellement attrapées par les pêcheurs locaux. « Nous avons encouragé les pêcheurs à nous remettre toutes les limules qu'ils avaient attrapées dans leurs filets, faute de quoi elles mourraient », explique Su Yin-tien. La même année, le district de Chiayi a désigné le jour de la fête de Qixi (l’équivalent local de la Saint-Valentin) comme Journée de la conservation de la limule, car cette espèce est connue pour ses parades nuptiales en couple. La CECA et la collectivité locale ont alors organisé conjointement des événements à thème pour éduquer le public. L'association a également élevé des limules juvéniles fournies par l'Institut de recherche sur la pêche de Kinmen (FRI) et les a relâchées dans la zone humide de Haomeiliao en 2013.
Le personnel et les bénévoles de l'association de conservation écologique du district de Chiayi rejoignent une embarcation pour se rendre dans la zone humide de Haomeiliao afin d'y étudier l'habitat des limules. (Avec l'aimable autorisation de Su Yin-ten)
Yang Ming-che [楊明哲], un spécialiste de la limule qui travaille actuellement à l'université nationale Sun Yat-sen, dans le sud de Taiwan, explique toutefois que les efforts de conservation n’ont véritablement commencé qu’en 2019 lorsque l'espèce endémique de Taiwan a été inscrite comme étant en danger sur la liste rouge des espèces menacées compilée par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), une organisation basée en Suisse qui enregistre la baisse des niveaux de biodiversité dans le monde. C’est lors de l'atelier international quadriennal sur la science et la conservation des limules, que les participants - pour la plupart des membres du Groupe de spécialistes de la limule (HCSG) de la Commission de la sauvegarde des espèces de l'UICN - ont conjointement désigné le 20 juin comme « Journée internationale de la limule » dans une déclaration appelant à la protection de toutes les espèces de cet animal. Les trois membres taïwanais du HCSG, Chen Chang-po, Hsieh Hwey-lian et Yang Ming-che, jouent ainsi tous un rôle crucial dans la conservation nationale de l'arthropode.
Des plans de protection
La limule d’Asie du Sud-Est n'est pas encore considérée comme une espèce légalement protégée à Taiwan, mais l'OCA tente d'intégrer les ressources nécessaires à sa conservation tout en sensibilisant le public. Cai Ya-ru [蔡雅如], spécialiste technique associée à l'OCA, espère que l'espèce pourra être protégée en conservant son habitat. Cela inclut les zones humides protégées au niveau national dans les comtés sur les îles périphériques ainsi que dans des endroits comme Budai. De plus, Cai Ya-ru indique que l'OCA recherche également des populations non encore répertoriées afin de les intégrer dans les futures mesures de conservation.
A l'Institut de recherche sur les pêches de Kinmen, une limule adulte est marquée avant d'être relâchée dans la nature. (Photo aimablement fournie par l'Administration de la conservation des océans)
Afin de mieux faire connaître la conservation de la limule, l'OCA a financé en 2021 un projet codirigé par Yang Ming-che visant à faire le point sur la situation de ces créatures à Taiwan. Les résultats de cette enquête constituent une grande partie du contenu du projet de plan de conservation et de rétablissement de la limule publié en avril 2022. Il s'agit du rapport le plus complet à ce jour sur cette espèce endémique de Taiwan, couvrant des sujets tels que les menaces pesant sur l'habitat côtier en raison de l'industrialisation, ainsi que les mesures existantes pour protéger les arthropodes. L'OCA a rendu le projet public afin d'encourager la prise de conscience générale de la question tout en sollicitant l'avis de toutes les parties prenantes pour garantir la viabilité de tout plan de conservation futur. Le projet indique notamment que le Comité consultatif pour la conservation de la faune et de la flore marines, dont les membres sont recrutés par le ministère des Affaires océaniques, débattra de la question de savoir s'il convient de classer la limule d’Asie du Sud-Est parmi les espèces légalement protégées.
Avant cela, il est urgent d'approfondir les recherches sur la taille de la population de Taiwan, car les données sont encore insuffisantes. Cai Ya-ru de l’OCA espère ainsi obtenir une meilleure estimation d'ici la fin de l'année 2023. De son côté, Yang Ming-che a constaté le déclin de la population à Kinmen, d'après les études de terrain qu'il a menées avec d'autres chercheurs. Par exemple, l'étude réalisée par le chercheur en 2018 a trouvé 0,2 juvénile par mètre carré autour de l'îlot Chienkung, contre 0,75 lors d'une étude réalisée en 2003 par le FRI. Les résultats de ces études font partie des données auxquelles l'UICN s'est référée dans sa décision d'inscrire la limule d’Asie du Sud-Est sur sa liste rouge comme espèce en voie de disparition. L'année dernière, l'OCA a commencé à financer la formation d’inspecteurs maritimes de l'agence gouvernementale ainsi que de bénévoles pour qu'ils puissent mener des enquêtes sur le terrain en utilisant la méthodologie établie par Yang Ming-che. Les premières études ont ainsi été menées dans le district de Hsinchu, dans le nord de Taiwan, ainsi que dans ceux de Penghu et de Lienchiang, dans le détroit de Taiwan, contribuant à l'évaluation en cours de la taille totale de la population endémique.
Centre de conservation de la CECA, où Su Yin-tien, secrétaire exécutif de l'association, donne des huîtres aux limules en cours de réhabilitation. (Photo de Chin Hung-hao / MOFA)
L'OCA s’appuie également sur le dynamisme de la société civile taïwanaise, en finançant des groupes privés dédiés à sa protection dans le cadre de son programme de conservation marine communautaire lancé en 2019. L’association de conservation environnementale du district de Chiayi (CECA) a ainsi pu utiliser une partie de cette subvention pour acheter et soigner des limules capturées par des pêcheurs. L'organisation de Chiayi est l'une des deux entités de Taiwan qui collectent et réhabilitent les arthropodes, l'autre étant le Musée national des sciences et technologies marines situé dans la ville de Keelung, dans le nord du pays. La CECA conserve toutes les limules vivantes trouvées dans le sud et le centre de Taiwan et, depuis 2019, le musée de Keelung prend en charge toutes celles qui proviennent du Nord. En août 2022, la construction d'une installation de conservation a commencé à Budai, avec un budget d'environ 100 millions de dollars taïwanais (TWD). Son ouverture est prévue pour 2024 et comprendra des espaces d'éducation et d'exposition ainsi qu'un lieu de réadaptation. Au cours des deux dernières années, la CECA a également utilisé une subvention pour former 40 bénévoles à la réadaptation des créatures et pour guider les visiteurs lors d'éco-tours. Les bénévoles devront aussi concevoir du matériel pédagogique et des jeux de société pour sensibiliser les écoliers à la conservation, les préparant ainsi à participer à la gestion du complexe de conservation de la limule lorsqu'il ouvrira ses portes.
Pour sa part, Yang Ming-che est de plus en plus occupé à promouvoir les sciences civiles liées à la conservation de l'arthropode dans les écoles et les communautés. « La décision de classer la limule dans la catégorie des espèces protégées permettra de mettre en place des mesures de protection rigoureuses dans tout le pays et de mieux faire comprendre à la société le statut de cette espèce », explique-t-il. Il prépare actuellement la création d'une association de conservation de la limule composée de membres d'ONG, d'universités et de musées de sciences naturelles. De bon augure pour l'avenir de la limule à Taiwan.