20/06/2025

Taiwan Today

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Bulareyaung Pagarlava, un artiste enraciné

29/09/2023
La pièce Not Afraid of the Sun and Rain (2021) de la troupe de danse Bulareyaung s'inspire des traditions du peuple Amis.
Photo de Liu Chen-hsiang, aimablement fournie par BDC

Bulareyaung Pagarlava interprète l'héritage autochtone de Taiwan à travers la danse contemporaine.

Bulareyaung Pagarlava, à l'extrême droite, a participé au spectacle Cursive de Cloud Gate en 2001. (Photo de Liu Chen-hsiang, aimablement fournie par la Fondation Cloud Gate pour les arts et la culture)

Par un frais après-midi du début du mois de février, six danseurs évoluent sur un rythme de musique électronique dans un entrepôt désaffecté du parc culturel et créatif de la sucrerie de Taitung, dans le sud-est de Taiwan. Ils s’arrêtent de temps à autre pour écouter les consignes de Bulareyaung Pagarlava. Celui-ci dirige les membres de la troupe de danse Bulareyaung (Bulareyaung Dance Company - BDC) lors d’une répétition pour leur nouvelle pièce intitulée tiaen tiamen Episode 1.

Bulareyaung Pagarlava est le chorégraphe et le fondateur de BDC, une troupe de danse qu’il a créée il y a huit ans à Taitung après avoir établi sa carrière tant au niveau national qu’à l’étranger. « Après avoir vécu loin de Taitung pendant si longtemps, j’ai ressenti le besoin de revenir dans mon pays natal et de découvrir qui je suis vraiment », explique-t-il. En intégrant sa formation en danse occidentale aux traditions de sa famille paiwan et d’autres tribus aborigènes de Taiwan, Bulareyaung Pagarlava crée des spectacles qui expriment ce désir de connaissance de soi tout en suscitant une introspection similaire chez les danseurs et le public.

La pièce Colors de BDC en 2016 illustre le lien étroit que les danseurs de la compagnie ont établi avec leur environnement sur la côte est de Taiwan. (Photo de Bernie Ng, aimablement fournie par Esplanade-Theatres on the Bay)

Comme beaucoup d’autres danseurs et chorégraphes taïwanais, Bulareyaung Pagarlava a commencé son parcours au sein de la troupe de danse Cloud Gate fondée en 1973 par Lin Hwai-min [林懷民]. Il n’a que 12 ans lorsqu’il assiste à l’une de leurs représentations à Taitung. Il décide alors d’intégrer le premier programme de danse au niveau secondaire de Taiwan et se retrouve face à Lin Hwai-min trois ans plus tard, lors du processus d’audition. « Il a dû voir quelque chose en moi, se souvient Bulareyaung Pagarlava. Je ne pouvais pas rivaliser avec la technique des autres candidats, mais il m’a quand même donné l’opportunité de poursuivre ma passion. » Ainsi c’est avec l’approbation de Lin Hwai-min que Bulareyaung Pagarlava a pu entamer sa formation au lycée Tsoying, dans la ville de Kaohsiung, dans le sud du pays.

La Song est la première œuvre que Bulareyaung Pagarlava a créée après avoir fondé BDC en 2015. (Photo de Chen Wei-sheng, aimablement fournie par BDC)

Premiers pas

Alors que Lin Hwai-min reconnaît le potentiel de Bulareyaung Pagarlava en tant qu’interprète exceptionnel, c'est l’emblématique danseuse, éducatrice, chorégraphe et plus tard directrice artistique de la compagnie itinérante nationale Cloud Gate 2, Lo Man-fei [羅曼菲], qui l’a encouragé à explorer un autre aspect de cet art. « Je n’avais jamais pensé à être chorégraphe. Je ne voulais rien d’autre que d’être sur scène jusqu’à mon dernier souffle », déclare Bulareyaung Pagarlava au sujet de son passage à l’université nationale des arts de Taipei (TNUA). Mais Lo Man-fei, alors directrice du département de danse de l’école, l’en a convaincu autrement. « Elle n’a cessé de me pousser à envisager la chorégraphie », poursuit Bulareyaung Pagarlava qui décrit les circonstances qui ont conduit à sa première création dont le succès a résonné au-delà du campus.

La pièce Faceless permet à Bulareyaung de gagner une plus grande attention en tant que chorégraphe. (Photo de Liu Chen-hsiang, aimablement fournie par la Fondation Cloud Gate pour la culture et les arts)

Abordant les difficultés des adolescentes aborigènes prostituées dans les villes de Taiwan, la pièce Faceless a été présentée lors de l’atelier des jeunes chorégraphes d’Asie à Taipei en 1995. En plus d’avoir lancé Bulareyaung Pagarlava sur la voie d’un chorégraphe de renommée mondiale, cette pièce revêt une importance particulière car elle l’a poussé à réfléchir sur son identité. L’artiste en herbe a décidé de faire face à la discrimination ethnique à laquelle il avait été confronté tout au long de sa vie en prenant officiellement un nom paiwan en 1995. Le nom Bulareyaung Pagarlava qui peut être traduit par  « guerrier heureux » a été choisi en concertation avec ses parents, et se révèle ainsi convenir parfaitement à un artiste qui se bat pour faire connaître la culture autochtone de Taiwan sur la scène internationale.

Qaciljay, une autre création de 2016, est imprégnée des héritages culturels de la tribu Paiwan du chorégraphe. (Photo de Pungiya Kao, aimablement fournie par BDC)

Bulareyaung Pagarlava rejoint Cloud Gate en 1996 en tant que danseur et obtient en 1998 une bourse du Conseil culturel asiatique de Taiwan, qu’il utilise pour étudier à New York. À son retour à Taiwan, il rejoint Cloud Gate 2 et, toujours sous l’impulsion de Lo Man-fei, il commence à créer des œuvres pour la nouvelle troupe, passant progressivement du statut de danseur à celui de chorégraphe. Ses chorégraphies ont ainsi attiré l’attention de la communauté de la danse, en particulier sa pièce Gloaming, composée en hommage à Lo Man-fei après sa mort d’un cancer à l'âge de 50 ans en 2006.

Des ramifications prolifiques

Après le succès de Cloud Gate 2, Bulareyaung Pagarlava et Sheu Fang-yi [許芳宜] fondent ensemble la troupe de danse LAFA & Artists et créent des œuvres telles que 37 Arts en 2007. Deux ans plus tard, il crée une chorégraphie pour la troupe de danse Martha Graham qui le sollicite de nouveau en 2011. La pièce créée à cette occasion est une réponse à l’œuvre chorégraphiée par Martha Graham en 1943 Deaths and Entrances, et elle reçoit une ovation par une salle comble lors de sa première au Lincoln Center. Cette reconnaissance est gratifiante, mais l’expérience est aussi une révélation pour Bulareyaung Pagarlava, qui commence à envisager de fonder sa propre troupe dans son pays d’origine. « Alors que nous nous tenions les mains avec les danseurs étrangers au moment des saluts finaux, et en voyant le public, lui aussi étranger, en train d’applaudir à tout rompre, tout ce à quoi je songeais, c'était à quel point mes parents et ma tribu me manquaient », déclare le chorégraphe.
 
C’est pour cela que vingt-huit ans après son départ, Bulareyaung Pagarlava est retourné chez lui pour s’installer et fonder sa troupe de danse. La même année, la compagnie présente La Song, une pièce basée sur des chants et des danses traditionnels que Bulareyaung Pagarlava décrit comme « donnant voix à la terre ».

#Yes or No est une œuvre créée en 2019 par BDC dans laquelle les danseurs racontent leurs propres histoires de vie. (Photo de Lin Chun-yung, aimablement fournie par BDC)

A partir de ce début audacieux, BDC a continué à développer son propre style. « Bulareyaung Pagarlava a fait une percée avec la création de sa propre compagnie de danse », explique ainsi Lin Ya-tin [林亞婷], professeure associée à l’école de danse de la TNUA. « Son style présente les cultures et les problèmes aborigènes de manière à la fois belle et puissante ». En effet, la plupart des danseurs de BDC ont des racines dans les groupes aborigènes de Taiwan et beaucoup d’entre eux n'ont pas suivi de formation formelle en danse. Lin Ya-tin trouve que la pratique chorégraphique de Bulareyaung Pagarlava, qui consiste à faire ressortir les qualités particulières de ses danseurs par la discussion et la collaboration individuelle, rappelle celle de Pina Bausch, la chorégraphe allemande qui valorisait la réciprocité entre le chorégraphe et les danseurs. « Je veux des danseurs qui réfléchissent, qui ne sont pas de simples outils passifs que le chorégraphe peut manipuler », confie ainsi Bulareyaung Pagarlava.

L’avenir sera autochtone

Bien que la culture autochtone et l’identité paiwan de Bulareyaung Pagarlava soient depuis longtemps présentes dans son travail, la création de la troupe de danse BDC a mis ces aspects en évidence. À ce jour, Bulareyaung Pagarlava a chorégraphié dix spectacles pour la compagnie, dont Stay That Way en 2017, qui met en scène trois chanteurs invités des tribus Paiwan, Puyuma et Rukai racontant leurs histoires de vie. Cette pièce a également attiré l’attention en faisant référence à une manifestation à Taipei contre les réglementations affectant les droits fonciers des peuples autochtones. « Je suis devenu beaucoup plus sensible aux questions autochtones depuis que je suis rentré dans mon pays, et cela a certainement eu un impact certain sur moi en tant que chorégraphe », précise Bulareyaung Pagarlava.

La troupe présente Stay That Way en 2017, qui intègre des éléments d'une manifestation de défense des droits fonciers des autochtones à Taipei. (Photo de Li Lin, aimablement fournie par BDC)

Stay That Way a remporté le prestigieux prix Taishin Arts en 2018, et BDC est devenu la première troupe à remporter cet honneur deux années consécutives lorsque Luna a remporté le Grand Prix annuel de Taishin en 2019. Inspiré par une expérience d’apprentissage des pratiques de chant tribal auprès des anciens de Luluna, un village bunun situé au fin fond des montagnes du centre de Taiwan, Luna a révélé la culture du groupe à travers l’exploration et l’adaptation de traditions de longue date.

La conception visuelle principale de "tiaen tiamen Episode1" évoque les liens entre les individus et la société. (Avec l'aimable autorisation de BDC)

Alors que BDC continue de se faire remarquer dans son pays et à l’étranger, avec des représentations au Canada, en Chine, à Hongkong, au Japon, à Singapour et aux États-Unis, la troupe n’a jamais perdu de vue son ambition de rendre visite à chaque tribu de Taiwan. Le projet, intitulé « Dancing All the Way Home » (Rentrer chez soi en dansant), a commencé par des représentations à Taitung et vise à effectuer une tournée dans un total de 55 communautés aborigènes d’ici la fin de 2024. « Nous tenons à organiser des spectacles de qualité, même dans des villages petits ou isolés, précise Bulareyaung Pagarlava. Cela demande beaucoup d’argent, mais la situation s’améliore car notre mission reçoit le soutien croissant du public ainsi que d’entreprises privées. »

La jeune troupe est à surveiller de près, car son directeur a à cœur de mettre en valeur les diverses cultures et histoires aborigènes de Taiwan. En mars de cette année, la troupe a présenté tiaen tiamen Episode 1, dont le nom signifie « moi et nous » en langue Paiwan. Poursuivant le thème de prédilection de la troupe de BDC, consistant à célébrer le caractère unique de ses danseurs, la pièce explore les mondes intérieurs des individus et la manière dont ils sont liés à la société. L’examen de sujets autochtones à travers un prisme personnel a permis à Bulareyaung Pagarlava de recevoir un prix national des arts en 2021 et il n’a pas l'intention de ralentir. « Avec 16 peuples autochtones officiellement reconnus, Taiwan est une mine d’inspiration créative, explique-t-il. BDC continuera à danser et à mettre en scène des pièces exceptionnelles car lorsque nous sommes vus, la riche mosaïque ethnique de Taiwan est également mise en lumière. »

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