14/06/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Une situation politique inédite ouvre de nouvelles possibilités

29/06/2024
Les législateurs de la 11e législature prêtent serment le 1er février 2024 à Taipei.
Photo aimablement fournie par le Yuan législatif

Pour la première fois depuis 2008, aucun parti ne détient de majorité franche au Yuan législatif.

La dernière élection présidentielle à Taiwan a consacré Lai Ching-te [賴清德], du Parti démocrate progressiste (DPP), en l’élisant chef de l’Etat. Le DPP détient la présidence depuis 2016, mais les élections législatives de cette année ont donné lieu à un bouleversement inédit depuis la restructuration du Yuan législatif en 2008 : aucun parti n'a obtenu la majorité parlementaire. Sur un total de 113 sièges, le Kuomintang (KMT) en a obtenu 52 et le DPP 51, tandis que le Parti du peuple taïwanais (TPP), fondé en 2019, a remporté huit sièges. Les deux sièges restants sont occupés par des députés sans étiquette.
 
Le 1er février, les députés de la 11e législature ont prêté serment et ont élu Han Kuo-yu [韓國瑜] du KMT à la présidence du Yuan législatif. Parlementaire chevronné et ancien maire de la ville de Kaohsiung, dans le sud de Taiwan, Han Kuo-yu a reçu le plein soutien de son parti, ainsi que celui d’autres députés. Johnny Chiang [江啟臣], également du KMT, a entamé son quatrième mandat législatif consécutif en étant élu vice-président du Yuan législatif le 20 février, à l’ouverture de la session parlementaire.
 
La veille, lors de ses vœux pour le Nouvel An lunaire, Han Kuo-yu a exhorté ses collègues députés à examiner rationnellement le fonctionnement du gouvernement et à débattre pleinement des questions qui leur sont soumises, comparant l’organe législatif à une locomotive. Le président du Yuan législatif a ensuite abordé la question de la majorité : « La composition de ce corps législatif reflète la diversité et le pluralisme de notre société », a-t-il déclaré.

Han Kuo-yu, nouvellement élu président du Yuan législatif, s’adresse à ses collègues députés le 19 février 2024, alors que cette assemblée parlementaire reprend ses travaux après le Nouvel An lunaire. (Photo aimablement fournie par le Yuan législatif)

L’accent mis sur la collaboration

Contrairement aux majorités solides qui existaient dans les quatre législatures précédentes, la situation unique de la 11e législature présente des coalitions politiques potentielles intéressantes. Il est possible qu’une opposition forte prenne forme si le TPP choisit de s’associer au KMT. Quelle que soit la forme que prendra la collaboration entre les partis, Chang Hung-lin [陳宏林], directeur général de Citizen Congress Watch (CCW), voit dans l’absence de majorité claire un immense avantage. L’organisation non gouvernementale a été créée en 2007 dans la ville de Taipei dans le but de publier des rapports réguliers évaluant le travail des députés, afin d'améliorer la transparence et l’efficacité des organes législatifs, tant au niveau central que local. « Les députés ne sont plus protégés par une majorité, ils devront donc travailler plus ardemment pour persuader leurs collègues et obtenir un large soutien au sein du Yuan législatif ; de même ils devront expliquer leurs propositions avec clarté afin d’obtenir le soutien de la société », déclare ainsi le directeur de CCW. « En bref, nous pouvons nous attendre à un processus plus dialectique au cours de la 11e législature. »

Grâce aux efforts conjoints des secteurs public et privé, notamment des organisations comme CCW et du Service public de télévision, le Yuan législatif a déjà atteint un haut niveau de transparence. En diffusant ses sessions en ligne, il invite les parties intéressées à assister au processus législatif, lequel comprend les réunions des commissions permanentes sur les affaires économiques, l’éducation et la culture, les finances, les affaires étrangères et la défense nationale, l’administration interne, la justice, les lois organiques et les statuts, la santé, l’environnement et les affaires du travail, ainsi que les transports.

Les membres de la 11e législature posent devant le hall principal du Yuan législatif le 1er février 2024. (Photo aimablement fournie par le Yuan législatif)

Une démocratie qui se veut exemplaire

D’autres aspects du processus parlementaire sont également observés avec un vif intérêt alors que les partis s’accommodent de l’absence de majorité au sein du parlement. Les négociations entre les groupes parlementaires, prévues par la loi et régissant l’exercice des droits du Yuan législatif, intéressent particulièrement Wang Yeh-lih [王業立], professeur au département de sciences politiques de l’université nationale de Taiwan, basée à Taipei. « De telles réunions, facilitées par le président du Yuan législatif, joueront un rôle encore plus important », précise-t-il.
 
Selon Wang Yeh-lih, en tant que puissance émergente, le TPP est susceptible d’alterner au cas par cas entre la coopération avec le KMT et celle avec le DPP afin d’accumuler du capital politique. De son côté, Chang Hung-lin note que le TPP se trouve dans la position difficile de marcher sur la ligne de démarcation entre deux partis qui dominent depuis longtemps la scène politique taïwanaise, mais il voit cela comme une excellente opportunité pour le TPP de jouer un rôle modérateur de troisième parti. Ainsi nos interlocuteurs s’attendent tous deux à ce que d’éventuels partenariats inter-partis cherchent à établir un terrain d’entente au sein du Yuan législatif tout en recherchant un consensus social plus large.
 
Dans le système présidentiel-parlementaire de Taiwan, il existe deux centres politiques : le Yuan législatif, devant lequel le premier ministre est responsable, et le président directement élu, qui nomme le premier ministre. Selon Chang Hung-lin, cet équilibre est crucial. « Lorsque le parlement fonctionne normalement, le pays fonctionne normalement », affirme-t-il, ajoutant que le travail de CCW aide les électeurs à rester informés des performances des législateurs avant de prendre une décision. « L'enquête sur les personnalités influentes telles que les législateurs est un élément important du bon fonctionnement d'un système démocratique », précise-t-il.
 
À l’échelle mondiale, Taiwan est leader en matière de développement démocratique. L’Indice de la démocratie 2023 de l’Economist Intelligence Unit, basée à Londres, place Taiwan au premier rang en Asie et au 10e rang parmi les 167 pays étudiés, désignant le pays comme l’une des 24 démocraties complètes qui gouvernent seulement 7,8 % de la population mondiale. Grâce à son processus législatif robuste, Taiwan continue de renforcer son système politique tout en favorisant la stabilité démocratique dans la région et dans le monde.


Vers la parité en politique

Taiwan a adopté un nouveau système électoral en 2008 qui exige qu’au moins la moitié des députés élus sur listes nationales à la proportionnelle soient des femmes. En conséquence, le nombre de femmes parlementaires au Yuan législatif a augmenté, se maintenant à 47 en 2020 et 2024 sur un total de 113 sièges, ce qui représente un peu plus de 40 % du corps législatif. Bien que les sièges réservés aux élus autochtones et que ceux décidés dans le cadre de circonscriptions électorales ne soient soumis à aucun quota, les candidates féminines ont tout de même obtenu 29 sièges dans ces catégories. « C'est un signe clair de l’émancipation politique croissante des femmes », estime Chen Wen-wei [陳文葳], vice-présidente de la Fondation Awakening (AF). L’organisation non gouvernementale, fondée en 1982 à Taipei à l’origine pour l’édition d’un magazine, est devenue un groupe de défense féministe pionnier lors des mouvements de libéralisation sociale à Taiwan dans les années 1980.
 
En 2007, Taiwan a promulgué la loi d’application de la Convention des Nations Unies de 1981 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Conformément à la loi, un rapport national sur la mise en œuvre de la loi est publié tous les quatre ans. Les organisations nationales et internationales sont alors libres d’examiner l’efficacité des politiques menées et, selon Chen Wen-wei, la participation politique des femmes est un indicateur important. Le travail conjoint des organismes gouvernementaux et des organisations de base telles que l’AF a abouti, dans les années 2000, à la loi sur l’égalité des sexes dans l’emploi, à la loi sur l’éducation à l’égalité des sexes et à la loi sur la prévention du harcèlement sexuel. Les amendements à ces trois lois ont été adoptés par le Yuan législatif en juillet 2023 et sont entrés en vigueur le 8 mars de cette année, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes.
 
La vice-présidente de l’AF souligne que Taiwan se situe bien au-dessus des moyennes mondiale et asiatique en ce qui concerne le nombre de femmes siégeant dans les parlements nationaux, grâce à l’augmentation du niveau d’éducation des femmes et de leur participation à la vie professionnelle. « Les questions liées au genre sont pertinentes dans tous les domaines législatifs et politiques, qu’il s'agisse de la culture, de l’économie, de l’éducation, des finances, de l’administration interne ou de la protection sociale », dit-elle ainsi, en ajoutant que les voix des législatrices sont particulièrement pertinentes dans les discussions sur des questions telles que le harcèlement sexuel, qui touchent les femmes de manière disproportionnée.
 
Des quotas pour les conseillères existent également au niveau local, conformément à la loi sur les collectivités locales qui stipule que pour chaque groupe de quatre sièges dans une circonscription électorale, un doit être occupé par une femme. Les statistiques du ministère de l’Intérieur montrent que la loi a eu un effet important. En 2022, les femmes représentaient 36 % des conseillers dans les comtés et les municipalités et 39,8 % des conseillers dans les six municipalités spéciales.

Chen Wen-wei, vice-présidente de la Fondation Awakening. (Photo : Pang Chia-shan / MOFA)

La réalisation de l’égalité entre les hommes et les femmes est un projet de longue haleine, poursuit Chen Wen-wei, ajoutant qu’il existe actuellement des lois et des amendements en cours de discussion pour traiter les diverses questions qui affectent les femmes. L’un de ces textes est une proposition d’amendement à la loi sur la procréation assistée qui élargira l’accès aux traitements de fécondation in vitro, actuellement limités aux couples hétérosexuels mariés.
 
Bien que Taiwan ait obtenu des résultats considérables dans l’intégration des femmes dans le système politique, Chen Wen-wei espère voir encore plus de femmes servir au sein du gouvernement et occuper d’autres postes influents dans la sphère publique. « Les femmes représentent la moitié de la population », ajoute-t-elle. « Voir ces femmes réaliser pleinement leur potentiel profiterait à la société et à la compétitivité nationale de manière spectaculaire. »

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