07/07/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Un avenir en pointillé

01/01/2000

« Avant l’Incident du 3 Décembre [en 1966, voir encadré page 37], les titres de presse pouvaient être, à Macao, divisés en trois groupes : les pro-République de Chine, les pro-République populaire de Chine et les neutres, dit Lam Chong, le directeur du Correio Sino-Macaense , un important quotidien en chinois publié à Macao. Mais depuis, nul dans les médias n’osait plus évoquer la situation politique de Taïwan du moins jusque récemment. Ici, les gens sont encore plutôt de gauche.» Depuis 1967, Macao est dominée par des formations politiques proches de Pékin, à tel point qu’elle est parfois appelée par dérision « territoire à moitié communiste».

William Li, le directeur général de l’Office du Commerce et du Tourisme de Taïpei à Macao, fait la même constatation. « Il est évident que la plupart des Macanais lorgnent avec envie sur le régime démocratique et le niveau de vie dont jouissent les Taïwanais, dit M. Li, et que de nombreux hommes d’affaires souhaitent travailler davantage avec Taïwan. Cela n’empêche pas qu’ils partagent les vues politiques de Pékin. » Une situation, dit-il, qui n’est pas près de changer.

La Déclaration conjointe sino-portugaise de 1987 a fixé à 1999 le passage de Macao sous le contrôle de la République populaire de Chine (RPC). Une «Région administrative spéciale de Macao» prendra alors la place de l’administration portugaise. Les habitants de Macao réagissent différemment des Hongkongais à ce changement de maître, en grande partie parce qu’ils vivent depuis longtemps sous l’influence de Pékin. Les manifestations et protestations du genre de celles qu’a vécues Hongkong en 1997 sont inconnues dans l’enclave portugaise. Au contraire, la plupart des gens semblent se réjouir de la passation des pouvoirs.

« Nous sommes très heureux parce que Macao va enfin se débarrasser de son statut colonial, et parce que nous allons être les maîtres du territoire » , proclame Lau Sin-peng, la présidente de l’Association éducative de Macao. Liu Bolong, le doyen de la faculté des sciences sociales et des lettres de l’Université de Macao, donne une explication plus plausible à cet enthousiasme. «De nos jours, dit-il, les gens sont plus pragmatiques. Ils accueillent le transfert de souveraineté avec joie parce qu’ils pensent qu’il leur permettra de se remplir les poches. Sinon, le sujet n’intéresserait personne.» L’universitaire ajoute que beaucoup voient la rétrocession comme une chance de rétablir l’ordre public et de ranimer une économie moribonde, deux questions qui hantent Macao depuis des années. Les exactions des triades sont de plus en plus fréquentes, et pour aggraver les choses, un grand nombre de policiers ont partie liée avec la mafia locale. Le dirigeant nouvellement élu de la Région administrative spéciale de Macao, accusant les forces de police de collusion avec les triades, a même utilisé à leur sujet les mots de ping tsei pu fen : en clair, il est difficile de faire la différence entre policiers et gangsters.

Cool Leng, le président de l’Institut des politiques notables de Macao, pense également que l’ordre public est fragilisé parce que les policiers ont perdu leurs capacités de lutte contre le crime : «Lorsqu’un policier soupçonne que ses collègues ont des connexions avec les gangsters, ou qu’ils sont en fait eux-mêmes des gangsters, comment voulez-vous qu’il ait le courage d’agir et de mener des enquêtes? » Aussi les troupes envoyées par Pékin devraient-elles être accueillies à bras ouverts. «Autrefois, dit par exemple Lam Chong, j’étais opposé à ce que la RPC nous envoie des troupes. Mais maintenant, la situation est telle que je suis prêt à faire des concessions. »

La situation économique de Macao est elle aussi problématique. Les quatre soit-disant « pôles économiques majeurs » qui jusqu’ici faisaient vivre l’enclave portugaise l’immobilier, la banque, l’industrie manufacturière et le tourisme et le jeu perdent de l’argent depuis plusieurs années. Et la crise asiatique n’explique pas tout. « Ces derniers temps, les capitaux, légaux et illégaux, en provenance de la Chine continentale ont inondé le marché de l’immobilier », dit Leong Kam-chun, le vice-président de la Société des experts-comptables de Macao. Il analyse ainsi le phénomène : « Les continentaux pensaient que c’était la façon la plus rapide de gagner de l’argent à Macao. En outre, l’administration portugaise s’en va bientôt et semble plus soucieuse de faire des profits à court terme que de planifier le développement de Macao sur le long terme. Elle a mis trop de terrains à bâtir sur le marché, et il reste un grand nombre de bâtiments invendus. L’offre est bien supérieure à la demande : environ 80% des nouveaux immeubles commerciaux ne trouvent ni acheteurs ni locataires. C’est de l’argent immobilisé. »

Quant au secteur manufacturier, il se trouve dans une situation plus inquiétante encore. «Depuis 1970, dit Victor Ng, le président de l’Association d’import-export de Macao, l’Amérique et l’Europe accordent de généreux quotas d’importation à Macao. Par le passé, le secteur manufacturier parvenait ainsi à croître de 15% par an. Toutefois, avec la forte concurrence des autres pays du Sud-Est asiatique et la pénurie de main-d’oeuvre à Macao, les usines déménagent les unes après les autres pour la Chine continentale. Maintenant, il ne reste plus ici que les usines textiles.» Victor Ng prédit qu’après 2005, lorsque les quotas préférentiels viendront à expiration, les manufactures restantes seront elles aussi relocalisées sur le continent.

Autre source d’inquiétude, Macao est de moins en moins populaire auprès des touristes et des joueurs de la région. « Le tourisme et les jeux de hasard sont les premières sources de revenus de Macao. Or ce secteur, dont dépendent des centaines de Macanais et leurs familles, périclite» , dit M. Leong, qui évoque la crise économique asiatique bien sûr, mais surtout les problèmes internes aux casinos de l’enclave. «Les croupiers sont payés environ 10 patacas [1,25 USD] par jour seulement, explique l’expert-comptable. Ce salaire est trop bas, alors ils sont obligés de demander de gros pourboires. Comme il n’est pas très payant de compter sur la générosité des joueurs, ils prélèvent les pourboires de leur propre autorité. Par exemple, quand un joueur gagne 1000 patacas [125 USD], le croupier lui remet seulement 800 patacas et en garde 200 pour lui-même. Si le gagnant s’y oppose, le croupier lui souhaite malchance C’est un “service” dont les touristes se passeraient volontiers, et beaucoup refusent de revenir.» En outre, souligne M. Leong, les casinos sont tous gérés par une société d’exploitation privée monopolistique, la Société de Tourisme et de Divertissements de Macao (STDM), qui est dirigée par des incompétents. « La STDM considère chaque table de jeu comme une petite unité et chaque croupier comme un petit patron, explique l’expert-comptable. Elle fait payer à chaque croupier un loyer spécifique. Si celui-ci veut faire plus de bénéfices, il doit attirer plus de joueurs. Aussi les croupiers se font-ils concurrence. La STDM s’imagine que cet esprit de compétition appâte les joueurs. Mais en réalité, cela crée de sérieuses frictions. Les jours fastes, les conflits sont moins nombreux, mais quand les affaires sont moins bonnes, les croupiers se disputent les clients. Et quand ils ont des relations dans les triades, les frictions tournent souvent à la fusillade. A chaque fois que cela se produit, les touristes préfèrent rester à l’hôtel plutôt que de retourner au casino »

A Macao, l’amélioration de la gestion des casinos est un objectif partagé par tous. « Le jeu est plus qu’important pour Macao. Nous manquons de ressources naturelles. Sans cette activité, Macao ne survivrait pas. Les habitants et la STDM en sont conscients. Je suis persuadé que la coopération permettra de revitaliser ce secteur économique » , dit M. Leong.

Il sera plus difficile encore de ramener la prospérité dans les autres secteurs économiques. Il est évident que le secteur de l’immobilier ne se rétablira pas avant un certain temps parce qu’il ne sera pas facile d’écouler rapidement les buildings invendus. Et il ne sera pas non plus possible de retenir l’industrie manufacturière à Macao très longtemps, à cause du manque de main-d’oeuvre.

« Certains disent que la population de Macao atteint 450 000 habitants. En réalité, il n’y en a que 430 000. Nous n’avons pas beaucoup d’ouvriers. Si nous continuons à développer le secteur des industries fortement consommatrices de main-d’oeuvre, nous courons à la catastrophe » , dit Eric Yeung, le président du Centre de productivité et de transfert de technologie de Macao. M. Yeung prône la reconversion de l’industrie locale dans les produits à haute valeur ajoutée, la seule solution à son avis pour sortir Macao de l’impasse. Une opinion qui n’est pas partagée par tous. « La tendance mondiale est au développement des produits à haute valeur ajoutée, mais ici ça ne peut pas marcher, estime par exemple M. Leng. Macao est trop petite. En plus elle n’a pas les infrastructures suffisantes. Et elle manque cruellement de techniciens, parce que plus de 65% des habitants ont un niveau d’éducation inférieur ou égal à la fin du collège.»

Macao doit-elle placer ses espoirs dans les capitaux taïwanais? « Depuis la création de l’aéroport international de Macao, 80% des passagers viennent de Taïwan, remarque Tong Chi-kin, un membre de l’Assemblée législative de Macao. Beaucoup de nos étudiants sont formés dans les universités de Taïwan et environ 20 000 Macanais y travaillent. Il serait bon que [Macao et Taïwan] nouent des relations économiques plus étroites. »

Cool Leng affirme que le territoire lusophone a les atouts nécessaires pour séduire les sociétés taïwanaises. « Macao n’impose pas de restrictions sur le change ou sur les importations et les exportations. Elle possède en outre un réseau de transport pratique et une alimentation en énergie de qualité. Les loyers sont ici quatre fois moins chers qu’à Hongkong. C’est donc un site intéressant pour les capitaux taïwanais. »

Cet avis ne fait cependant pas l’unanimité parmi les hommes d’affaires taïwanais. «Franchement, Macao n’est pas l’endroit idéal pour les grands projets d’investissement, avance Chen Chung-yung, le président de l’Association commerciale taïwanaise de Macao. Non seulement elle manque de main-d’oeuvre, mais celle-ci coûte cinq fois plus cher qu’en Chine continentale. Le prix des terrains est également plus élevé que là-bas », dit M. Chen.

Certes, concède William Li, Macao peut proposer des services intéressants aux Taïwanais qui investissent en Chine continentale. « Je pense en particulier au cas d’une banque commerciale taïwanaise établie à Macao qui fait des bénéfices depuis deux ans grâce aux services financiers qu’elle fournit aux entrepreneurs taïwanais en Chine continentale. Toutefois, si on se limite au marché local, alors Macao n’est semble-t-il pas le meilleur endroit pour investir. »

Les habitants de Macao réalisent peu à peu combien il est difficile de lutter contre la récession et la détérioration de l’ordre social. La rétrocession de Macao à la Chine continentale est vue comme une panacée, et le sentiment général est que la sinisation de l’administration apportera la prospérité au territoire. Beaucoup s’attendent également à ce que Pékin offre une aide économique au territoire revenu dans le giron de la mère patrie, dans le cadre de la formule «un pays, deux systèmes » .

« Le plus grand problème de Macao, c’est qu’elle est placée sous le contrôle d’une administration étrangère, estime M. Leong. Le gouverneur de Macao vient de l’armée portugaise. Comme il n’est responsable que devant le président portugais, ses priorités diffèrent souvent de celles des habitants. »

M. Leong veut croire que la prochaine administration ne répètera pas les erreurs passées. « Le futur dirigeant de Macao [l’éminent banquier Edmund Ho] est un homme d’affaires et il est natif de Macao. Une fois qu’il aura pris ses fonctions, il sera responsable non seulement devant le gouvernement de Pékin, mais aussi devant ses compatriotes ici. Je pense que l’économie de Macao sera bien plus florissante après la rétrocession. »

Trois problèmes épineux subsistent néanmoins, souligne pour sa part Cool Leng. « Le premier est la promotion des habitants d’origine chinoise à des postes à responsabilités dans l’administration. Le deuxième est la traduction de la législation portugaise en chinois. Et le troisième est l’utilisation du mandarin dans la fonction publique. La situation n’évolue pas vite. De nombreux fonctionnaires d’origine chinoise ont été promus à des postes à responsabilités, alors quils nont ni lexpérience professionnelle ni les qualifications suffisantes.» Quant à la traduction des textes de loi du portugais en chinois, et à l’utilisation du mandarin dans l’administration, le processus est là encore trop lent. «Je trouve très frustrants les contacts avec l’administration, dit M. Leng, parce qu’il y a beaucoup de fonctionnaires qui ne comprennent pas le chinois. Nous devons traduire nos propositions ou nos projets en portugais ou même en anglais avant de les soumettre. Cela pose beaucoup de problèmes et freine le développement. » Il reste donc à la nouvelle administration bien du chemin à parcourir

A Macao, chacun pense qu’après la rétrocession, Pékin contribuera à l’expansion économique de l’enclave pour la simple et bonne raison qu’elle entend démontrer la viabilité du modèle «un pays, deux systèmes». L’expérience, espère Pékin, pourrait alors servir d’exemple pour Taïwan. « La formule était d’ailleurs à l’origine destinée à Taïwan, rappelle Leong Kam-chun. Hongkong et Macao ne sont que des laboratoires d’observation de cette politique. Pékin fera donc de son mieux pour développer Macao et en faire une vitrine parfaite à l’intention de Taïwan. »

Précisons tout de même que Taïwan a toujours rejeté la formule pékinoise, qu’elle juge inacceptable. « Au départ, Hongkong et Macao étaient des colonies, dit William Li, alors que la République de Chine, comme la RPC, est une entité politique à part entière. Donc la solution appliquée à Hongkong et à Macao ne convient pas pour la République de Chine.»

La formule «un pays, deux systèmes» a plus de deux ans d’âge à Hongkong, et d’après un récent sondage réalisé par l’Université chinoise de Hongkong, 46% des Hongkongais sont mécontents des perfor mances de leur nouveau gouvernement. Les manifestations sont d’ailleurs toujours fréquentes dans l’ex -colonie britannique. Face à l’opposition de principe de Taïwan et aux médiocres résultats de l’administration chinoise à Hongkong, combien de temps encore la RPC brandira-t-elle sa formule « un pays, deux systèmes »?

Macao est devenue une « région à moitié communiste » après l’Incident du 3 Décembre. Elle passera bientôt tout entière sous l’égide des communistes. Le transfert de souveraineté lui sera-t-il bénéfique? La question reste posée.


Plus de 450 ans de présence portugaise

1535: Le port de Macao est ouvert à des navires marchands portugais.

1553: Des marchands portugais obtiennent l’autorisation de s’établir à Macao et de débarquer leur cargaison pour la mettre à l’abri des intempéries.

1557: La flotte portugaise met fin aux exactions du pirate Chan Tse Lao. En signe de gratitude, la dynastie Ming autorise les Portugais à Macao contre paiement d’un « loyer ».

1622: La Compagnie hollandaise des Indes orientales tente en vain de briser la domination portugaise sur le commerce maritime dans la zone. Chassés par les Portugais, les Hollandais se replient sur les Pescadores puis sur Taïwan.

1719: Macao devient l’escale obligée pour le commerce avec la China.

1845: Après plusieurs années de récession économique à Macao, le Portugal expulse les compradores chinois et déclare l’enclave « port franc ». Le territoire de Macao est augmenté des îles de Taipa puis de Coloane.

1860: Le gouverneur portugais accorde les premières licences à des maisons de jeu.

1887: (1er déc.) Traité de Tientsin. La Chine cède au Portugal les « droits d’occupation perpétuelle » de Macao qu’il réclame.

1962: L’homme d’affaires Stanley Ho obtient le monopole sur les établissements de jeu de l’enclave jusqu’en 2001.

1966: Des Chinois organisent une manifestation contre le gouvermement colonial portugais (« Incident du 3 Décembre »). L’année suivante, l’autorité politique est cédée à la Chine, qui refuse toutefois de reprendre le territoire.

1974: Après la révolution des Œillets en avril au Portugal, Lisbonne abandonne ses colonies. Pékin refuse à nouveau de reprendre Macao.

1975: Un complot militaire échoue, et l’armée portugaise se retire.

1976: ‘autonomie interne est accordée au territoire.

1979: (fév.) Pékin et Lisbonne formalisent leurs relations diplomatiques. Macao est déclarée « territoire chinois sous juridiction portugaise ».

1987: Signature d’un accord prévoyant le retour de la colonie portugaise sous administration chinoise le 20 décembre 1999.

1999: (20 déc.) L’Armée populaire de Libération entre dans Macao, qui devient la seconde Région administrative spéciale de la République populaire de Chine.

Source: Perspectives chinoises, sept-oct 1999 et divers articles de Libération, du Monde et de Taipei Times notamment.

Les plus lus

Les plus récents