03/08/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Les deux rives font leur cinéma

01/04/2011
Lee Hsing a beaucoup travaillé au développement des échanges officiels entre les deux rives dans le secteur du cinéma. (HUANG CHUNG-HSIN / TAIWAN REVIEW)
En novembre 2010, un très petit nombre de Chinois a finalement eu le privilège de voir Monga, un long métrage qui a fait des merveilles au box-office insulaire avec des recettes de l’ordre de 8,7 millions de dollars américains. A Pékin, où il a été projeté deux fois dans le cadre d’un festival ciblant la jeunesse, il a attiré plus de 400 personnes lors de la première séance.

L’accueil réservé par les autorités chinoises à l’œuvre de Doze Niu [鈕承澤], qui était présent lors de cette première projection, n’a toutefois pas été aussi enthousiaste. Les scènes de violence impliquant des gangs mafieux ayant été considérées comme nuisibles à la morale de la jeunesse chinoise, il est d’ores et déjà acquis que ce film ne s’ouvrira pas les grandes portes du mirifique marché du continent.

Du fait des différences de système et de développement sociétal, les progrès des échanges et de la coopération entre les deux rives du détroit de Taiwan ont été assez limités. C’est surtout vrai dans le domaine du cinéma et des autres secteurs de la création dont le contenu est toujours susceptible d’être en contradiction avec l’idéologie et les valeurs promues par le pouvoir chinois. « Les cinéastes peuvent s’enthousiasmer des opportunités offertes par le continent, mais il ne faut pas les attendre pour aujourd’hui », juge Jimmy Huang [黃志明], le producteur du film Cape No. 7, le plus gros succès dans les salles de toute l’histoire du cinéma insulaire.

Pour Peggy Chiao, l’avenir de la profession est sur le continent. (HUANG CHUNG-HSIN / TAIWAN REVIEW)

Les échanges entre les deux rives ont débuté à la fin des années 80, lorsque les entrepreneurs taiwanais, attirés par le bas coût de la main-d’œuvre et des terrains, se sont lancés dans l’exploration du marché chinois. De leur côté, les cinéastes se sont intéressés à l’autre rive avec l’ambition d’y présenter leurs films et de mieux connaître les productions continentales. Lee Hsing [李行], réalisateur et vétéran du cinéma insulaire aujourd’hui âgé de 80 ans et trois fois primé au festival du Cheval d’or de Taipei, a été le premier à franchir le Détroit. Il s’est rendu à Pékin, Xi’an et Shanghai dès 1990 en tant que président du Comité exécutif du festival du Cheval d’or, un événement soutenu par le gouvernement. Avec quelques autres réalisateurs, il a été au centre de ces premiers contacts. Cette traversée officielle et quasi initiatique du Détroit s’est d’abord traduite par une projection privée d’une dizaine de longs métrages taiwanais, dont Beautiful Duckling (1964) et Story of a Small Town (1979) réalisés par Lee Hsing.

« La coopération n’est possible que si l’on développe d’abord des relations », note Lee Hsing, soulignant la nécessité du réseau relationnel en la matière. Deux ans après son premier voyage, la réciproque a été rendue avec la venue dans l’île d’un groupe de réalisateurs chinois. Puis, dans le milieu des années 90, le festival du Cheval d’or et ses récompenses, les plus anciennes existantes dans le monde chinois, se sont ouverts aux productions chinoises, une première pour l’institution fondée en 1962.

L’une des autres grandes figures de la promotion du cinéma taiwanais en Chine est Peggy Chiao [焦雄屏] qui effectua sa première visite sur le continent chinois en 1988. En tant qu’universitaire et critique cinématographique, elle a non seulement considérablement contribué à la promotion des deux cinémas dans les festivals internationaux, mais elle a aussi travaillé à ouvrir le public taiwanais aux productions chinoises, notamment par la publication d’un grand nombre de critiques dans la presse locale. En 1996, Peggy Chiao fonde Arc Light Films, qui a produit Beijing Bicycle et Betelnut Beauty réalisés par Wang Xiaoshuai [王小帥], un Chinois, pour le premier, et Lin Cheng-sheng [林正盛], un Taiwanais, pour le second. Les deux longs métrages furent acclamés au prestigieux festival international du Film de Berlin, le premier remportant le Prix du Jury, le second celui du meilleur réalisateur.

Jay Chou, dans Shaolin Basket. Le film représente le premier succès insulaire sur le marché continental. (AIMABLE CRÉDIT DE CHANG HONG CHANNEL FILM AND VIDEO COMPANY)

Lorsqu’on évoque la collaboration cinématographique entre les deux rives, on se doit d’évoquer Chu Yen-ping [朱延平], un réalisateur taiwanais qui a surtout filmé hors de l’île. En février 2008, son Shaolin Basket, dans lequel la star de la pop insulaire Jay Chou [周杰倫] interprète une star du basket-ball à Shanghai, a été montré sur le continent et à Taiwan. Il a généré 20,1 millions de dollars américains sur le continent, où il s’est classé au 8e rang des plus gros succès, et c’est le film taiwanais qui a le mieux marché en Chine. A Taiwan, les recettes se sont chiffrées à 60 millions de dollars américains. « Si on est capable de réussir sur le marché chinois, inutile de s’inquiéter à propos des autres marchés », note Chu Yen-ping qui est aussi le président de la Fondation du cinéma de la République de Chine, même s’il estime qu’il ne faut surtout pas négliger les autres marchés comme ceux de Hongkong, de Singapour ou de Malaisie, là où résident d’importantes communautés chinoises. Au Japon, Shaolin Basket a rapporté 2,5 millions de dollars américains. « C’est principalement lié à la présence de Jay Chou. Il est très populaire dans toute l’Asie », estime Chu Yen-ping.

Mais il ne faut pas se leurrer : les frustrations et les défis que renferme le marché chinois sont pléthoriques. Jimmy Huang s’est rendu en Chine en 1995 en tant que producteur du long métrage Accidental Legend réalisé par le Taiwanais Wang Shau-di [王小棣], un film qui n’a eu aucun succès à Taiwan et qui a été interdit sur le continent au motif qu’il montrait la pauvreté en Chine tout en dépeignant les croyances traditionnelles et populaires. Beijing Bicycle, fut également interdit en Chine parce que le film avait été présenté à Berlin avant que les censeurs chinois n’aient pu faire leur travail.

Le réalisateur Chu Yen-ping estime possible de contourner le système de censure chinois. (HUANG CHUNG-HSIN / TAIWAN REVIEW)

C’est en effet la censure qui gêne le plus l’accès des œuvres taiwanaises au marché chinois. Les contenus politiques mais aussi les questions liées à l’inceste, l’homosexualité, les histoires d’amour entre professeurs et élèves sont autant de thèmes inacceptables qualifiés de « pollution spirituelle » par les autorités chinoises. Mais pour Chen Yun-ping, cela n’est pas suffisant pour se désintéresser de ce marché : « Ces thèmes ne représentent finalement que 10% du contenu des films et les auteurs ne sont pas obligés de les traiter absolument. Il reste encore 90% de matière ! » Chen Yun-ping reconnaît en outre que les choses ont un peu progressé. Il prend l’exemple de Protégé, un film hongkongais sorti en 2007 et qui traite de la vie des drogués en Chine : « Il y a quelques années, il eut été impossible qu’un tel film soit autorisé en Chine mais les censeurs l’ont laissé passer parce qu’il se termine sur un message précis : les drogues sont nocives et ceux qui en consomment ne peuvent échapper à la punition. » Peggy Chiao insiste de son côté sur le fait que tous les films produits dans les pays autoritaires ne sont pas nécessairement mauvais. « Il est possible de contourner les obstacles. On peut délivrer un message de manière très indirecte et sans s’attaquer frontalement à l’idéologie du régime », explique-t-elle.

De manière intéressante, les films qui obtiennent le feu vert des idéologues du régime ne sont pas toujours des succès à Taiwan. Par exemple, le deuxième film de Chu Yen-ping, The Treasure Hunter, s’est révélé un échec commercial sur les deux rives, malgré la présence de Jay Chou dans le rôle principal.

Peggy Chiao estime que la compréhension réciproque entre les deux rives doit se développer pour que les réalisateurs, chinois et taiwanais, soient capables de coproduire des films pouvant séduire les audiences sur le continent comme dans l’île. De son côté, Chu Yen-ping insiste sur la nécessité pour les réalisateurs taiwanais de ne pas faire des films qui mettent uniquement en scène la culture taiwanaise.

Un marché complexe

Jimmy Huang fait partie de ceux qui soulignent l’extraordinaire complexité du marché chinois. « Je ne comprends toujours pas ce que les Chinois aiment aller voir au cinéma, dit-il. J’avais parié qu’Inception, la superproduction hollywoodienne, allait faire un flop et pourtant, les Chinois se sont précipités pour aller voir ce film… »

Beijing Bicycle a été acclamé par la critique internationale mais a été interdit sur le continent, où le film a pourtant été tourné. (AIMABLE CRÉDIT DE ARC LIGHT FILMS)

Le marché chinois est aussi rendu difficile dans son approche et son analyse par un autre phénomène, celui de la circulation des copies illégales. En plus des pertes financières qu’elles occasionnent, ces contrefaçons rendent très difficile la lecture du marché et de ses tendances. Mais d’autres semblent y trouver un aspect positif. « Les copies piratées ont l’avantage de faire naître l’intérêt pour les sorties en salle et aident les Chinois à développer un goût pour le cinéma », explique Jimmy Huang. Plusieurs films connaissent ainsi une relative réussite sous le manteau alors que le succès en termes d’entrées n’est pas au rendez-vous. C’est par exemple le cas de Monga qui s’est quand même diffusé en Chine, permettant ainsi aux Chinois d’avoir un aperçu du cinéma insulaire.

Malgré tout, la coopération progresse à petits pas. En octobre 2010, dans le sillage de l’Accord-cadre de coopération économique (ECFA) signé par Taipei et Pékin en juin 2010, le gouvernement chinois a décidé de lever les restrictions sur les films entièrement produits à Taiwan. Auparavant, seuls 50 films étrangers étaient autorisés à la diffusion en salles chaque année en Chine et les œuvres insulaires ne trouvaient évidemment pas leur place face aux superproductions hollywoodiennes ou aux films européens. Jusqu’ici, seuls trois films taiwanais avaient pu se frayer un chemin sur ce marché. Avec l’entrée en vigueur de l’ECFA, les distributeurs chinois sont libres d’importer autant de films taiwanais qu’ils veulent, à la condition que ceux-ci soient approuvés par les autorités. En revanche, à Taiwan, le plafond imposé aux productions chinoises reste en vigueur avec 10 films autorisés par an.

En ce qui concerne les coproductions sino-taiwanaises, la situation est très différente puisqu’il n’existe aucun quota dans l’accès réciproque aux marchés des deux rives. Il est aujourd’hui plus facile de les faire financer par des investisseurs chinois, qui ont beaucoup d’argent. Ces coproductions bénéficient en outre d’aménagements réglementaires puisque les producteurs et les distributeurs ont la garantie de toucher en Chine 42% des ventes de billets contre 17% normalement.

Jimmy Huang est très prudent et estime qu’il faudra du temps avant que les réalisateurs taiwanais réussissent sur le marché chinois. (HUANG CHUNG-HSIN / TAIWAN REVIEW)

Créer des opportunités

L’ambition des Taiwanais est justement de s’appuyer sur ces coproductions pour s’ouvrir plus encore le marché chinois. C’est d’ailleurs ce que négocient aujourd’hui les administrations chinoises et taiwanaises. Pour le moment, ces coproductions sont soumises à la réglementation chinoise régissant les coproductions étrangères et qui impose le mandarin et au moins un tiers d’acteurs de nationalité chinoise. Mais la partie taiwanaise, représentée par Lee Hsing qui est en charge du dossier, souhaite obtenir la mise en place d’une réglementation dérogatoire. Evidemment, l’efficacité de ces mesures administratives est soumise à un facteur incontournable : le succès de ces films sur le marché chinois.

« Très peu de distributeurs semblent vouloir introduire sur le marché chinois des films strictement produits à Taiwan, explique Jimmy Huang. Cape No. 7 est une exception. » Ce long métrage, qui a obtenu un gigantesque succès sur l’île en 2008 avec 16,8 millions de dollars américains de recettes, est l’un des trois films uniquement produits à Taiwan à avoir été montrés en Chine. En 2009, il a généré 4,4 millions de dollars américains de recettes sur le continent, ce qui reste finalement modeste si l’on compare avec la superproduction américaine Avatar (210 millions de dollars) ou Aftershock, un film chinois (100 millions de dollars). Pour des raisons principalement financières, il ne faut pas se fermer le marché, estime Jimmy Huang, et ce, malgré tous les obstacles administratifs ou liés aux copies illicites rencontrés jusqu’ici. Ce dernier revient juste de Pékin où il a tenté de plaider la cause de Seediq Bale, le nouveau long métrage du réalisateur de Cape No. 7, Wei Te-sheng [魏德聖]. Peggy Chiao va plus loin : « Pour les réalisateurs taiwanais et les films taiwanais en général, l’avenir est inévitablement sur le marché chinois. Je ne parle pas des cinéastes qui se sont déjà fait un nom international. » Pour la spécialiste qui a produit Hear Me, le premier film taiwanais admis sur le marché chinois depuis la levée des restrictions, les recettes sur le marché taiwanais pour un long métrage, soit 97 000 dollars taiwanais en moyenne), ne sont simplement pas suffisantes pour couvrir les coûts de tournage qui se montent aux alentours de 645 000 dollars. « Comment survivre alors ? », s’interroge-t-elle. Quant à Doze Niu, il abandonne ses histoires de gangsters dans les quartiers malfamés de Taipei pour une histoire d’amour sino-taiwanaise !

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