>> Les Taiwanais dépensent de plus en plus pour le confort de leur intérieur. Une aubaine pour les marchands de meubles et accessoires de la maison
Depuis qu’un réaménagement du temps de travail a permis de libérer toute la journée du samedi pour les salariés, il y a de cela environ huit ans, les Taiwanais accordent toujours plus d’importance à leur qualité de vie. La décoration de leur intérieur fait partie de leurs nouvelles préoccupations, et l’offre en matière d’ameublement, d’équipements et autres accessoires pour la maison s’est grandement diversifiée. Sans doute la renaissance du marché de l’immobilier, après une décennie de déprime, n’est-elle pas étrangère non plus au phénomène.
Toujours est-il qu’en janvier de l’année dernière, lors d’une conférence nationale sur le développement économique, la Chambre générale de commerce et d’industrie de la République de Chine a noté que le secteur de l’ameublement et de la décoration avait généré ici 1 milliard de dollars taiwanais en 2005 - un marché lucratif qui a attiré un certain nombre de nouveaux acteurs insulaires et étrangers.
L’une des caractéristiques de ce segment du secteur de la distribution, remarque Huang Hsiu-yi [黃秀義], un analyste marketing, est qu’il requiert de grands espaces d’exposition. C’est d’ailleurs une de ses principales faiblesses dans un pays confronté au manque d’espaces constructibles et à une densité de population particulièrement élevée. Huang Hsiu-yi, qui participait à la conférence mentionnée plus haut, souligne que les Taiwanais, dont le pouvoir d’achat est à la hausse, ont tendance à être influencés par les styles de vie occidentaux.
Le concept de la grande surface de l’ameublement qui, outre les tables, canapés et autres armoires, propose toute une gamme d’objets pour la maison et de services spécialisés, a fait son apparition ici il y a une douzaine d’années. Le succès a été immédiat. Les grandes chaînes de magasins ont donc fleuri à travers l’île, au détriment des petits détaillants.
Le suédois Ikea, qui a fait figure de pionnier en ouvrant une première enseigne à Taiwan en 1994, compte aujourd’hui ici trois magasins. Le dernier en date lui a coûté 45,5 millions de dollars américains, et c’est le plus grand de l’île avec un espace de vente de 27 000 m2, 55 pièces d’exposition et plus de 6 500 articles au catalogue. « Ce magasin de Hsinchuang est un modèle pour nous, a assuré la directrice marketing d’Ikea Tai wan, Justine Yao [姚以婷], en coupant le ruban lors de l’inauguration de cette énorme surface. Ceux que nous ouvrirons à l’avenir ne seront pas plus petits. »
Emboîtant le pas à la société suédoise, le géant japonais de la distribution Ryohin Keikaku s’est implanté dans l’île avec MUJI Taiwan, un joint-venture créé en septembre 2003 en partenariat avec President Chain Store, la plus grande chaîne insulaire de magasins de proximité.
MUJI a, au Japon, 26 ans d’expérience dans les accessoires pour la maison, les ustensiles de cuisine et la papeterie, et la marque est célèbre pour sa sobriété. Le jour du lancement du premier magasin MUJI à Taiwan, Hsu Chung-jen [徐重仁], le président de la filiale taiwanaise - qui est en fait le président du groupe President s’est déclaré confiant dans la capacité de l’entreprise à dégager des bénéfices plus rapidement que Starbucks Taiwan. Il a reconnu ce jour-là qu’il avait fallu trois ans au joint-venture forgé par son groupe avec la célèbre chaîne de cafés fondée à Seattle pour engranger des bénéfices dans ce pays de buveurs de thé.
Style de vie
« Ce que nous vendons à nos clients, ce ne sont pas seulement des produits de qualité mais un style de vie » , note Dennis Hsu [許宏榮], président de Working House. Fondée en 1994 par une société appelée Fine Collection, la chaîne de magasins Working House vend toute une gamme de produits pour la cuisine, la salle de bains, le salon, etc., jusqu’à la papeterie. C’est l’une des nombreuses affaires qui se sont montées ici sous l’influence des grandes enseignes étrangères, lorsqu’il est apparu que le secteur devenait particulièrement lucratif.
Les bonnes performances de Working House, premier sur son segment par le nombre de magasins, reposent d’abord sur sa capacité à se différencier grâce à une marque et un style facilement reconnaissables. « Bien sûr, on peut trouver d’autres produits ayant les mêmes fonctions dans d’autres magasins que les nôtres, mais si on veut le look Working House, c’est chez nous qu’il faut venir », dit Dennis Hsu, avant d’ajouter que l’entreprise dispose de sa propre équipe de designers.
Dans le cadre de sa politique d’expansion, Working House a lancé la marque Living Plus en avril 2002, la clientèle ciblée étant cette fois-ci tout spécialement les femmes de 20 à 30 ans. Le catalogue comprend vêtements et accessoires, produits pour la toilette, etc. « Living Plus est destiné à une clientèle plus jeune que celle de Working House », explique Dennis Hsu qui estime qu’elle permettra à l’entreprise d’élargir ses profits.
L’autre facteur de réussite, pour Working House, a été une politique de fidélisation de la clientèle sur la base d’une carte de membre qui donne droit à des réductions. Les 150 magasins de la chaîne ont ainsi dans leurs fichiers quelque 1,7 million de membres, des effectifs qui augmentent de 20 000 personnes par mois en moyenne. Dennis Hsu estime que Working House doit 60% de son chiffre d’affaires à la mise en place de ce système.
Modélisation
La plus grande marque insulaire du secteur, Hola Home Furnish ing, a pour sa part rencontré le succès avec un autre mode de gestion des relations avec la clientèle. Jacqueline Lee [李津玲], vice-présidente du marketing chez Hola, explique qu’un atout essentiel de la société est sa capacité à analyser les comportements d’achat pour proposer des services plus personnalisés.
Hola a été fondé en 1997 par le groupe taiwanais Test Rite qui s’était fait connaître jusque là dans l’exportation d’outillage. En 1995, Test Rite avait commencé par former une alliance avec la société Kingfisher, basée au Royaume-Uni, pour ouvrir à Taiwan des magasins à l’enseigne B&Q, une chaîne spécialisée dans l’outillage et le petit matériel pour la décoration et la rénovation de la maison.
B&Q et Hola, note Jacqueline Lee, ne ciblent pas exactement la même clientèle. « Les magasins B&Q plaisent surtout aux hommes, parce qu’ils proposent toute une gamme d’outils, de matériaux et d’équipements, alors que Hola, qui vend surtout des accessoires de décoration, a une touche plus féminine. » En introduisant ces deux chaînes quasi simultanément, Test Rite a démontré que son ambition était d’occuper des pans entiers d’un marché lucratif, depuis les perceuses jusqu’aux rideaux de dentelle.
Mais Hola ne contrôle pour l’instant que 4% ou 5% du marché et affiche donc une stratégie d’expansion agressive : l’ouverture de quatre nouveaux magasins était prévue dans les dernières semaines de l’année 2006 pour parvenir à un total de 12 points de vente. Achetant en quantités plus importantes, la chaîne peut se permettre de pratiquer des prix plus bas pour une qualité équivalente à celle des produits proposés dans les grands magasins.
Il y a deux ans, une nouvelle chaîne de meubles et accessoires de décoration pour la maison est apparue sur un marché décidément de plus en plus concurrentiel. Il s’agit de Piin, la dernière création du fondateur de Working House, Simon Teng [鄧學中]. Après avoir quitté Working House en 2002, celui-ci est revenu sur le devant de la scène en créant une nouvelle marque offrant « une fusion entre influences occidentales et orientales » et visant une clientèle jeune et aisée.
A Taiwan comme ailleurs, remarque Jacqueline Lee, l’avènement du marché de l’ameublement et de la décoration a correspondu avec l’émergence d’une classe moyenne. « C’est seulement lorsque le produit intérieur brut atteint 10 000 dollars américains par habitant que les gens commencent à apporter des améliorations à leur intérieur », dit-elle. Et l’apparition de toutes ces chaînes de magasins a apporté aux Taiwanais un large choix, pas seulement en matière de décoration, mais aussi de styles de vie.■
DES MEUBLES ET DES LIVRES
Alexander Chou
PHOTOS DE CHEN MEI-LING / TAIWAN JOURNAL
Lorsque l’âge de la retraite arrive, il y a ceux qui passent leurs journées sur le green d’un club de golf, ceux qui préfèrent savourer leur temps autour d’une théière en bavardant avec leurs voisins... Lin Tung-yang [林東陽], lui, a décidé de créer une bibliothèque spécialisée dans les ouvrages sur les meubles, un choix d’autant plus surprenant qu’il n’en existe guère à travers le monde une seule, à sa connaissance, aux EtatsUnis. La sienne, baptisée Résidence de la vertu, ou HDG en abrégé d’après l’appellation chinoise, a ouvert ses portes en décembre 2004 dans le village de Chiapao, près de Linkou, dans le district de Taipei.
Lin Tung-yang, professeur de design de mobilier à l’université nationale de Technologie de Taipei, avait pris sa retraite un an plus tôt. Comme il ne voulait pas voir les innombrables livres, posters, maquettes et autres objets qu’il avait accumulés passer à la poubelle ou être dispersés, il suggéra à la direction de l’université de trouver un local où les exposer, en même temps que les meilleurs modèles et dessins des étudiants et diplômés. Aucune réponse. Rétrospectivement, il s’en félicite. « Sinon, tous ces trésors auraient probablement fini dans un coin sombre de l’université, et je n’aurais jamais réalisé ma propre bibliothèque. »
L’endroit, à mi-pente d’une colline, ressemble à n’importe quelle villa, mais l’intérieur, décoré de calligraphies de la main du père de Lin Tung-yang et de mobilier classique, fait plutôt penser au studio d’un lettré. Dehors, on peut s’asseoir dans une petite cour agrémentée de bonsaïs.
Le professeur présente avec fierté sa collection de miniatures de meubles signés par des designers célèbres des modèles au 1/6 achetés au Vitra Design Museum, à Weil am Rhein, en Allemagne. Les murs sont recouverts d’affiches et de photos de meubles du monde entier et de toutes les époques, depuis les sièges de l’Egypte antique jusqu’aux chaises danoises ultramodernes du XXIe s. Mais ce qui frappe le visiteur est bien sûr le millier d’ouvrages spécialisés que recèle la bibliothèque.
Outre une petite salle de conférence, l’endroit comprend depuis peu l’atelier de menuiserie dont Lin Tung-yang rêvait depuis longtemps. Des classes seront organisées pour les gens passionnés par le travail du bois, grâce à Shen Ping-fang [森平房], un sculpteur sur bois d’origine Amis venant de Taitung, et à deux anciens élèves de Lin Tung-yang, Lin Yen-chih [林彥志] et Kuo Tzu-jung [郭子榮], dont le travail a été primé dans des concours internationaux.
Lin Tung-yang a beaucoup mis de sa propre poche dans la réalisation de la bibliothèque et de l’atelier, et il a aussi bénéficié de contributions d’amis ou d’industriels de l’ameublement. L’entrée est gratuite. Il considère de son devoir de rendre à la société un peu de ce qu’elle lui a donné. « C’est grâce aux contribuables si j’ai eu la bonne fortune, moi qui était fils d’un planteur de thé, de faire des études supérieures à l’étranger et d’en arriver là où je suis. J’ai toujours pensé que je devais quelque chose aux Taiwanais. »
Lin Tung-yang et ses sept frères sont nés dans une famille pauvre du petit village de Chiapao, situé sur une colline où l’on cultive encore le thé. A l’époque, dans les campagnes, les enfants finissaient rarement le collège, et souvent seul le dernier bénéficiait d’une véritable scolarisation. Lin Tung-yang eut la chance d’aller à l’école et de montrer suffisamment de talent pour entrer dans le prestigieux lycée affilié à l’université normale nationale de Taiwan, à Taipei. Il fit ensuite ses études supérieures dans le département de sylviculture de l’université nationale Chung Hsing, à Taichung, avant de passer une année à l’université de la Caroline du Nord, à Raleigh, où il apprit la menuiserie et le management. Il est ensuite retourné à Raleigh avec une bourse du gouvernement et y a obtenu son doctorat.
C’est en Caroline du Nord qu’il a trouvé l’inspiration pour sa bibliothèque, après avoir découvert celle qui est consacrée au mobilier à High Point, une ville parfois présentée comme la « capitale mondiale du meuble ». Il espère que sa bibliothèque deviendra « une plate-forme du savoir sur le mobilier » et qu’elle participera à l’amélioration de la qualité de vie à Taiwan. « J’ai remarqué, dit-il, que dans l’industrie du meuble, la plupart des designers n’ont pas d’expérience pratique du travail du bois et que les charpentiers et menuisiers ne sont pas assez formés dans le domaine de l’esthétique. » Il ajoute que les fabricants insulaires se contentent souvent de copier ce qui vient d’Europe, alors que la créativité leur permettrait d’affronter les difficultés que traverse le secteur. Sans doute, poursuit-il, y a-t-il des changements à apporter dans les méthodes d’enseignement.
Lin Tung-yang cite volontiers Heinrich Cotta (1763-1844), pionnier de l’économie forestière. A son image, il se considère comme un « fils de la forêt ». Il explique que son rêve est qu’un jour ses compatriotes « arrêteront d’afficher leur richesse matérielle comme symbole de leur statut social, et montreront plutôt leur goût au travers du mobilier qu’ils possèdent ».■
Le site de la bibliothèque : http://www.hdgr.org