>> A la recherche de meilleurs profits, les entreprises publiques de Taiwan diversifient investissent tous azimuts
Les sociétés du secteur public ont toujours préféré l'expansion verticale. Pour réduire les incertitudes en amont et en aval de la chaîne de production, elles rachetaient souvent leurs fournisseurs et leurs distributeurs. Taiwan Sugar Corporation (Taisugar), par exemple, était propriétaire des retenues d'eau qui alimentaient ses raffineries.
Aujourd'hui, à 59 ans, l'ancien monopole s'étend tous azimuts. A Jianshanpi (Tainan), sur des terrains bordant la retenue qui fournissait autrefois l'eau nécessaire au fonctionnement de la sucrière de la région, Taisugar a ouvert un complexe hôtelier et touristique en septembre 2003. Quatre mois plus tard, la société se dotait d'une division Industrie des loisirs chargée d'explorer les possibilités d'expansion hors sucre : elle avait fini par comprendre que pour réussir dans un environnement des affaires en constante mutation, il fallait apprendre à sortir de son métier.
Fusion
Résultat de la fusion, en 1946, de quatre sociétés sucrières japonaises, Taisugar était à l'origine de 74% des ressources en devises de l'île à la fin des années 50. Ces revenus colossaux provenaient des 100 000 ha de canne à sucre qu'elle exploitait. De nos jours, la société dispose encore de 54 000 ha de terrains, dont 18 000 seulement sont plantés en canne à sucre. Et si Taisugar commercialise 70% du sucre vendu dans l'île, en réalité, la grande majorité de la mélasse est aujourd'hui importée, Taisugar ne se contentant plus que de la raffiner et la conditionner. Le sucre ne représente d'ailleurs aujourd'hui que 25% de son chiffre d'affaires.
Taisugar a fait des efforts pour donner davantage le goût du sucre aux insulaires. Sirop de fructose, petits paquets individuels de sucre en poudre et sucre candi pour le café ne sont que quelques-uns des nombreux nouveaux produits ou conditionnements proposés en plus des trois variétés qu'on trouvait autrefois : roux, blanc en poudre et gros cristaux.
Taiwan Salt Industrial Corp. (Taisalt), qui conserva le monopole de la production et de la vente du sel pendant cinquante ans, a lui aussi vu ses sites de production fermer les uns après les autres du fait de l'augmentation du coût de la main-d'œuvre locale. Comme Taisugar pour le sucre, Taisalt importe aujourd'hui la plus grande partie du sel qu'il commercialise. Là encore, la gamme a été étendue ces dernières années, les consommateurs se retrouvant avec perplexité devant des produits d'aspects et de couleurs variés, venant parfois de l'autre bout de la planète.
Récemment rebaptisée Taiyen Biotech Company, la société s'est également lancée dans la fabrication et la vente de sauces, d'assaisonnements, de dentifrices et de cosmétiques.
Chinese Petroleum Corporation (CPC), qui a conservé le monopole sur les produits de l'industrie du pétrole à Taiwan jusqu'en 2001, a toujours eu des activités éclectiques, l'or noir entrant dans la fabrication d'une multitude de produits. CPC détient des parts dans des raffineries de pétrole et des stations essence, des entreprises d'entreposage et des cen tres commerciaux. En outre, étant donné la lourde tâche qui est la sienne d'assurer la stabilité des ressources énergétiques de Taiwan, CPC a investi dans de nombreuses autres entreprises du secteur.
Expansion
CPC achète maintenant du gaz naturel et du gaz de pétrole liquéfié et fournit à Taiwan Power Company (Taipower), une autre entreprise publique, le fioul dont elle a besoin pour alimenter ses centrales thermiques, lesquelles génèrent 72% de l'électricité consommée dans l'île. En 2000, une division pétrochimie a été créée pour intégrer les opérations en aval. Par ailleurs, un centre logistique et un parc technologique spécialisés sont planifiés.
Chez Taisugar, le tournant de la diversification a été pris beaucoup plus tôt. Ses activités annexes semblent avoir été principalement inspirées par l'étendue de son domaine foncier, la valeur des terrains ayant explosé au cours des dernières décennies. Des tentatives d'expansion dans l'élevage porcin, à la fin des années 50, jusqu'à la popularisation des orchidées exotiques, en passant par la production industrielle dans les années 90 et, tout dernièrement, des investissements dans les infrastructures touristiques et hôtelières, les supermarchés et les stations essence, Taisugar n'a reculé devant aucun défi.
La société a créé sept unités indépendantes pour gérer ces nouveaux métiers afin de rationaliser ses opérations. « Chacune d'entre elles agit de façon indépendante, aussi est-il plus facile pour nous d'évaluer leurs performances et leur compétitivité », dit Wei Wei [魏巍], le président de Taisugar.
Les initiatives de Taiyen se sont déjà révélées un succès, n'en déplaise aux critiques. Lorsque Lu-miel, une marque de cosmétiques au collagène, a été lancée il y a trois ans, les sceptiques ont fait entendre leur voix. « Les gens s'étonnaient qu'un vendeur de sel se mette à fabriquer des produits de beauté, se souvient Gordon Chiou [邱文安], le président de Taiyen. Au départ, on nous a ignorés, mais maintenant les gens se battent pour obtenir le droit de vendre nos cosmétiques. » Il est vrai que Lu-Miel a fait un tabac, rapportant à Taiyen quelque 600 millions de dollars taiwanais en 2004.
Le succès n'est toutefois pas toujours au rendez-vous pour les entreprises publiques qui se lancent dans ce genre d'aventures, en partie parce qu'elles restent entravées par le poids d'un personnel pléthorique et pas toujours qualifié pour les fonctions qu'on lui attribue dans le cadre d'un redéploiement industriel. En effet, les transferts s'effectuent en général du secteur industriel vers celui des services. Chang Yu-shan [張玉山], professeur de finances à l'université nationale Sun Yat-sen, à Kaohsiung, doute du bien fondé de cette pratique. Il cite en particulier le cas de l'expansion de Taisugar dans les stations essence. « Ce n'est vraiment pas une bonne idée, du point de vue du professionnalisme du service. »
A l'évidence, Hong Huo-wen [洪火文], en charge de la division pétrole chez Taisugar, a constaté qu'il y avait des problèmes dans les stations essence gérées par le géant du sucre, et il a procédé à des changements au sein de la direction, tout en instaurant un système de motivation pour les salariés.
L'éternel retour
Sur le site Internet du ministère de l'Economie, dans le chapitre consacré à la SEC, la commission chargée des entreprises d'Etat, il est expliqué que celles-ci investissent dans le privé ou dans d'autres sociétés publiques ou semi-publiques afin d'étendre leurs chaînes de production, de garantir leurs approvisionnements en matières premières essentielles et de se procurer des technologies clés.
Taipower dispose de 10% des actions dans un joint venture pour l'extraction du charbon avec le géant australien du secteur, Allied & Coal. Quant à CPC, par le biais d'OPIC (Overseas Petroleum and Investment Corp.), pour étendre ses activités d'exploitation pétrolière, elle a forgé des joint ventures, soit avec des compagnies pétrolières nationales, soit avec des gouvernements, en Australie, en Equateur, en Indonésie et au Venezuela. Elle coopère même avec China National Off shore Oil Corp. (CNOOC) pour l'exploration du bloc Tainan-Chaoshan, dans le détroit de Taiwan. Outre ses investissements en amont, OPIC a pris 40% de Faraway Shipping Maritime Co. avec la compagnie maritime britannique Osprey. Le joint venture a construit un tanker pour le transport du gaz naturel liquide qui fait la navette entre Taiwan et l'Indonésie.
Cette stratégie a des résultats mitigés. CPC enregistre maintenant des retours sur investissements de 16,3%, le taux le plus élevé parmi les entreprises publiques taiwanaises, loin devant Taipower avec 8,7%. Taisugar, pour sa part, dégage 2,3% de retours sur investissements, mais reste déficitaire, en particulier du fait de frais de personnel très élevés. Et encore le monopole s'est-il séparé de 4 500 employés au cours des dix dernières années!
Les sociétés gérées par l'Etat opèrent dans le cadre d'un mécanisme de supervision à trois niveaux : la direction de la firme elle-même, le Yuan exécutif (Cabinet) et le Yuan législatif. Les capitaux tardent donc parfois à arriver là où ils sont nécessaires. Dans le privé, par contraste, les sociétés sont plus flexibles face aux changements du marché. Wu Feng-sheng [吳豐盛], le directeur exécutif de la SEC, reste plutôt favorable aux grandes orientations de la réforme en cours. « Les investissements dans le privé permettent aux entreprises publiques d'utiliser leurs capitaux de façon plus efficace », dit-il.
Le point de vue selon lequel les sociétés du secteur public devraient uniquement servir l'intérêt de leurs actionnaires - les citoyens - trouve l'approbation de Chang Yu-shan. Celui-ci pense toutefois que les terres de Taisugar pourraient être mieux exploitées pour le bénéfice de la population plutôt que pour faire des profits. « Les infrastructures publiques sont une meilleure option que les stations essence et les hypermarchés », dit-il. De fait, Taisugar a cédé des terrains à l'Etat pour des projets d'envergure, dont trois parcs scientifiques. Le bénéfice qu'apportent de telles initiatives à la population reste toutefois à débattre.
Quelle que soit l'opinion de chacun sur le rôle que doivent tenir les entreprises du secteur public, Wu Feng-sheng résume la réalité avec justesse : « Les sociétés ne déclinent que lorsqu'elles n'évoluent pas », dit-il. Explorer les territoires inconnus peut se révéler difficile, mais si elles recherchent la durabilité et la croissance, les entreprises publiques de Taiwan sont en tout cas sur la bonne voie. ■