Son point de vente le plus visible fut celui installé dans le mythique grand magasin de Sogo, sur l'avenue Chunghsiao Est. Kinokuniya l'a quitté en fait il y a trois ans, choisissant de s'implanter dans le centre commercial Breeze qui venait d'ouvrir non loin de là.
La librairie n'a cependant jamais atteint la popularité de certains de ses concurrents, même si elle fait partie ici des valeurs sûres du monde du livre. Elle a tout de même su résister à l'arrivée successive des compétiteurs locaux ou étrangers, souvent bien plus imposants.
D'abord le Japon
Il faut remonter aux années 50 pour voir naître la librairie. A cette époque-là, le Japon, en pleine reconstruction, était avide de toutes les nouvelles technologies, afin de rattraper les pays occidentaux. Osamu Matsubara, le directeur général de Kinokuniya, a alors bien compris les besoins qui se faisaient jour, s'apercevant aussi que les librairies japonaises fonctionnant sur le mode traditionnel n'arrivaient pas à les satisfaire. Il commença donc à commercialiser des livres étrangers, d'abord auprès des instituts d'enseignement ou de recherche. Puis, il décida de passer à l'étape supérieure en ouvrant des points de vente un peu partout dans l'archipel nippon, prenant sans complexe la plus grande part du marché des livres étrangers.
Les Japonais trouvaient, grâce à Kinokuniya, un accès sur le monde extérieur, et la librairie en profitait. En 1964, la chaîne a fini de briser toutes les traditions en devenant numéro un de la vente des livres au Japon, déménageant du même coup son principal point de vente pour le faire passer en taille de 100 m2 à 2 000 m2.

Kinokuniya compte 4 points de vente dans l'île.
L'expansion internationale
Dotée alors de 59 librairies et de 37 bureaux dans l'archipel nippon, l'entreprise se tourna vers l'étranger, ouvrant son premier magasin hors du Japon à San Francisco, en 1969. Vinrent ensuite les points de vente de Singapour, de Bangkok, de Kuala Lumpur, de Djakarta, de Sydney et de Taipei. Ces magasins devinrent des ambassadeurs à l'étranger de la culture et du livre en japonais.
Le plus grand succès commercial a été obtenu à Singapour où le point de vente, gigantesque – 3 500 m2 – est également le siège du groupe pour les opérations hors du Japon.
Hsu Hsuan-yin [許絢音], directeur de la chaîne à Taiwan, compte dans l'île quatre points de vente à l'enseigne de Kinokuniya. Pour toucher une plus grande clientèle, l'implantation au sein de centres commerciaux ou de grands magasins a été privilégiée (au Breeze Center, à Taipei ; au Dayeh Takashimaya de Tianmu, à Taipei ; au Sogo à Taichung, et au Talee-Isetan, à Kaohsiung). Deux autres em placements abritent les bureaux en charge de la commercialisation des livres et publications en langue japonaise, ainsi que les bureaux d'où l'on expédie les commandes de livres en chinois aux filiales internationales et où l'on surveille les évolutions du marché taiwanais.
Choisir une stratégie
Dans l'île depuis huit ans, Hisanao Obara, l'un des responsables de la librairie à Taiwan, se souvient que Kinokuniya n'avait pas pu mettre en avant sa personnalité lorsque le magasin se trouvait dans le Sogo. Ce fut une coïncidence, explique-t-il, si le bail a alors dû être renouvelé, au moment où le Breeze Center ouvrait. La librairie japonaise a saisi l'occasion pour déménager, laissant au Sogo un espace bientôt occupé par Eslite.
Il était temps pour l'entreprise de se poser des questions. Le créneau commercial privilégié de la librairie avait été les livres en japonais. Fallait-il continuer à défendre ce choix ? A l'époque, on dénombrait seulement 16 000 Japonais à Taiwan, et si la plupart des Taiwanais d'une génération plus ancienne avaient été éduqués en japonais, c'était souvent des personnes qui lisaient peu ou n'étaient pas forcément intéressées à maintenir leur niveau de langue. Continuer dans cette direction semblait risqué. C'est pourtant celle qui fut suivie, et 70% des ouvrages et périodiques mis en vente par Kinokuniya le furent en japonais, le chinois et les autres langues se partageant le reste.
Aujourd'hui, les dirigeants de la librairie se félicitent de cette stratégie, la croissance, même modeste, des résultats montrent que le choix était bon. « Si les profits n'ont progressé que modérément, c'est que les livres japonais importés sont coûteux », explique Hsu Hsuan-yin avant de préciser qu'en diversifiant l'offre de livres en japonais, les revenus au mètre carré ont cependant vite augmenté.

Des livres japonais pour une clientèle taiwanaise.
La connexion japonaise
Et pourtant, les clients japonais sont une minorité : les acheteurs sont Taiwanais pour plus de 80% d'entre eux. Les hommes plus âgés préfèrent les ouvrages de littérature ou d'astronomie. Les jeunes, eux, s'intéressent davantage à l'actualité, tandis que les femmes penchent pour les magazines de mode ou les livres de recettes.
Chez Kinokuniya, la plupart des commandes sont passées en fonction des dernières recommandations venant du Japon. Les responsables sur place peuvent ensuite choisir ce qu'ils veulent pour fournir leurs rayonnages. Les points de vente fonctionnent en quelque sorte comme un relais de la culture et de l'information japonaises.
Les responsables des livres en chinois passent eux-mêmes leurs commandes en tenant compte du goût des clients. Et puis les meilleures ventes dans ce département servent de référence aux autres filiales du groupe à l'étranger pour ce qui concerne les ouvrages dans cette langue.
Là encore, l'aménagement des points de vente a son importance. Au magasin amiral, celui du Breeze Center, la lumière, le confort ont été mis en avant. Mais c'est un rayon en particulier qui attire le regard, celui des bandes dessinées, des fameux mangas japonais et comics américains.

Les magazines japonais sont très populaires dans l'île.
Le week-end notamment, cet emplacement du magasin est noir de monde, à tel point qu'aucune autre librairie dans l'île ne peut se prévaloir d'une telle fréquentation sur un espace aussi limité.
Aller plus loin
Kinokuniya peut manquer parfois d'un certain sens de l'initiative, peut-être de moyens, reconnaît Hsu Hsuan-yin qui espère que la librairie pourra bientôt agir dans d'autres domaines comme l'organisation de forums ou d'événements culturels.
Face à la remise en cause des circuits traditionnels de distribution, l'entreprise tente de lancer de nouveaux services, créant dès 1996 un site de vente sur Internet.
La librairie japonaise semble pourtant encore à la recherche de sa propre identité. Par exemple, elle ne possède pas encore de magasins véritablement « indépendants », c'est-à-dire implantés en dehors des structures apportées par un centre commercial ou un grand magasin. Pour Hisanao Obara, l'entreprise en est encore dans sa première phase, à ses débuts en quelque sorte, et il est convaincu que, dès qu'elle aura davantage d'assurance, elle ira infailliblement de l'avant. ■