09/06/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Bavardons sur l'appui-tête

01/05/1993
Un appui-tête en céramique bleue et blanche, ornée de fleurs. Très populaire sous la dynastie mandchoue de Tsing (1644-1911). Il a en son centre le caractère porte­-bonheur de la longévité.

L'argile, la pierre et le bambou sont des matériaux auxquels on ne pense plus guère dans nos mentalités sensibles au confort douillet. Pourtant, pendant des siècles et des siècles en Chine, les artisans rivalisant d'imagination et de labeur ont créé de ravissants appuis-tête.

« Manger du riz grossier et dormir sur les bras repliés comme appui-tête procurent encore de la joie au cœur », s'exclamait Confucius en ajoutant que les richesses et les honneurs mal acquis n'étaient pour lui rien de plus qu'un « nuage passant ».

Malgré le grand respect dû au Grand Sage qui reste vertueux pendant les moments pénibles, les Chinois ont tout de même préféré un peu plus de confort et d'esthétique en prenant un repos en position allongée. Ayant le goût d'ajouter un peu de beauté à l'utilitaire, les artisans chinois ont créé une profusion d'articles, d'accessoires ménagers, comme l'appui-tête, avec beaucoup d'art dans leurs œuvres. Pendant des siècles, travaillant plusieurs matériaux, ils ont contribué à l'essor de l'art de l'appui-tête.

Mais l'usage de l'appui-tête qui a déjà commencé à se dissiper vers le début de siècle a complètement disparu à Taiwan devant les oreillers en ouate synthétique de production industrielle, excepté peut-être chez les très vieilles gens. Bien qu'il soit encore courant dans les campagnes et les régions montagneuses reculées de continentale, l'appui-tête de style ancien a largement été relégué à Taiwan aux musées et aux collections d'objets antiques.

En bambou et aux formes élancées, cet appui-tête est idéal pendant les chaudes nuits d'été.

L'histoire de l'appui-tête en Chine remonte aussi loin dans le temps que l'écriture. Symbole de la sérénité, du bonheur et de l'amour, il a été le thème de poèmes et de chansons, comme il est plusieurs fois cité dans le Livre des Odes, une anthologie poétique datant du IVe ou du IIIe siècle avant J.-C. Selon la mode, ses styles se sont modifiés dynastie après dynastie tandis que les plus beaux exemples qui ont été en vogue à la cour impériale sont aujourd'hui des trésors nationaux. Parmi les plus anciens qui existent aujourd'hui, sont les appuis-tête funéraires en jade, découverts dans des tombeaux de la dynastie occidentale de Han (206 av. J.-C. - 9 ap. J.-C.). D'un moulage aux formes variées sont les appuis-tête en céramique blanche vernissée de la dy­nastie de Song (960-1279) et de la dynastie mongole de Yuan (1271-1368) qui sont en fait des petits modèles de scènes de palais.

Curieusement, l'appui-tête tradi­tionnel chinois n'est pas aussi l'objet doux et moelleux qu'il y a en Occident.1 Il est confectionné à partir de divers matériaux durs, comme l'indique l'évidence éthymologique de l'idéogramme le désignant, tchen [枕], qui comporte le radical du bois [木] (mou). Quelques observateurs ont suggéré que l'appui-tête, comme le lit, était un accessoire durable, peu cher et fabriqué en un matériau dur, tel que le bois ou le bambou. Les croyances populaires tiennent ferme qu'un appui-tête en dur est meilleur pour la nuque de même que le plat du lit dur est bon pour le dos. Et à en juger de la hauteur et de la forme des anciens appuis-tête, les gens dormaient sur le côté ou sur le dos.

Les matériaux, tels que le rotin, le cuir, la corne, l'or, le jade, la pierre, la céramique, le cristal, l'agate, l'ambre, le verre, le coton et la soie, ont tous été utilisés pour la confection d'appui-tête. Les conditions météorologiques saisonnières [et probablement aussi éco­nomiques et géographiques] ont assu­rément dicté le choix du matériau. Ainsi, la soie et le coton, qui sont isolants et conservent la chaleur sont idoines pen­dant les temps plus frais. Des appuis­-tête en céramique peuvent être remplis d'eau chaude, un peu comme un ther­mos. Mais le rotin, le bambou, le cuir, le jade, la céramique, le cristal et l'agate sont parfaits pour la saison estivale. Ces appuis-tête sont souvent recouverts d'une taie en tissu. Les appuis-tête en tissu ou en cuir sont généralement rembourrés de paille sèche, de coton, de chiffons, de feuilles de thé desséchées ou de péricarpes de riz. Des appuis-tête plus particuliers sont remplis d'herbes médicinales, comme des fleurs de chrysanthème pour soigner les maux de tête ou les vertiges.

Un appui-tête à l'enfant dormant, en céramique tricolore vernissée (Dynastie de Kin, 1115-1234).
Appui-tête en céramique tricolore vernissée (Dynastie de Liao, 947-1125).

Le bambou qui est à la fois attrayant et d'un prix modique a eu un usage des plus grands dans la fabrica­tion d'articles ménagers de toute sorte, dont l'appui-tête. Frais au toucher, le bambou était idéal sous les climats chauds et humides de du Sud. Les appuis-tête en lamelles de racines diverses sont les plus courants, mais ils sont taillés d'une seule et même pièce. Etant plus ouvrés, ils sont en rhizome de bambou. Comme les appuis-tête en bois, ceux en bambou étaient simples avec une touche d'élégance. La finition naturelle et polie avait quelque peu la préférence comme ornementation. Parfois, on y gravait des caractères chinois. De tels appuis-tête furent très en vogue à Taiwan sous la dynastie mandchoue de Tsing (1644-1911).

Les arts décoratifs sont géné­ralement bien représentés sur les appuis­-tête. Les artisans travaillant sur la céramique, le cuir, la laque et le tissu ont le plus souvent fait preuve de grande créativité dès qu'il s'agissait de la décoration. Les objets en céramique contiennent des motifs incisés et imprimés et comportent une immense variété de couleur dans les vernis, fouillant leur palette depuis le style flo­ral classique bleu et blanc à ceux abstraits et d'aspect moderne. Les appuis-tête en cuir sont souvent décorés de strophes poétiques calligraphiées et de motifs de paysages. Ceux en tissu sont toujours ornés de broderies magnifiques et finement piquées.

La décoration des anciens appuis­-tête traduit au mieux les mœurs de la société et les croyances populaires. Les motifs symboliques et artistiques qui ont trait aux jeux de mots sont très répandus. Le mouton ou la chèvre sont un thème courant puisque sa lecture rime avec la bonne fortune, de même que le cerf est un homophone de la rémunération des temps féodaux. Les symboles floraux sont également communs : la pivoine est synonyme de la richesse et le lotus, de la noblesse.

Maints appuis-tête en céramique ont des formes animales, comme le tigre, la panthère ou l'ours. On veut croire que ces animaux sauvages sont efficaces dans la dispersion des esprits malins tandis qu'ils savent charmer les femmes afin qu'elles procréent un enfant mâle. Ces appuis-tête zoomorphes étaient très en vogue sous la dynastie de Tang (618-907). Les appuis-tête en céramique confectionnés sous les dynasties suivantes de Song et de Yuan s'ornent de préférence de figurations humaines, fleurs et oiseaux, paysages, feuillage de bambou et scènes d'opéras populaires.

Les peuplades aborigènes de Taiwan fabriquent aussi des appuis-tête en bois. Quelques-uns ont plusieurs décimètres de longueur et sont d'un usage commun. Les thèmes de l'art populaire, comme les scènes de danse, les visages humains, le cerf, la vipère aux cent pas, le symbole de la puissance, ornent généralement ces appuis-tête. Certains dénotent une influence hannique (chinoise)2 évidente, comme ceux en bois en forme de petit cercueil. Les termes chinois désignant le cercueil ont une prononciation homophone de celle de « richesse du mandarin ».

Les appuis-tête antiques ont une variété de fonctions spécifiques. Lorsqu'un médecin traditionnel chinois était consulté pour un examen élaboré du pouls, il demandait au patient de poser son bras sur un objet semblable, dit appui-bras. Certains sont destinés à apposer le dos, d'autres à être placés sous les épaules, les lombes, les bras ou les jambes. Quelques-uns ont un fonction multiple. Les boîtes-appuis-tête permettaient de serrer des documents précieux, des bijoux et d'autres objets de valeur sous la tête. Beaucoup avaient même une serrure et, la nuit, ils étaient le lieu le plus sûr à l'abri de mains furtives. Des collec­tionneurs ont exprimé l'avis que de tels appuis-tête étaient utilisés pour le trans­port de petits effets personnels et d'objets de valeur. Lors d'un dépla­cement, on employait aussi de petits appuis-tête pliables qui sont semblables à des chaises pliantes, et on pouvait donc réduire son appui-tête portatif. Ainsi, même en randonnée, l'érudit ou le négociant pouvait emporter sous le bras l'objet précieux qui lui apportait réconfort la nuit.

Amy Lo

(V.F., Jean de Sandt)

Crédits photographiques des Studios artistiques Tso Yang.

1 Il existe dans le texte original une confusion de l'auteur entre l'appui-tête et l'oreiller, issu du coussin. Ce sont bien sûr deux objets distincts. L'appui-tête, d'un aspect plus rude pour le repos de la nuque, a aussi existé en Europe. Il a été définitivement remplacé dans les foyers européens dès par le coussin, servant au même usage (traversin, polochon) et, de surcroît, par l'oreiller pour le repos de la tête.

Il est intéressant de rappeler que, chez les Romains, le coussin [du latin coxinus] était l'objet rembourré et mou pour le support des hanches dans le lectus (le lit pour le repas). En effet, ceux-ci prenaient leur repas en position semi-allongée sur le côté. Le coussin est resté attaché au lectus, devenu lit pour la sieste, puis le sommeil, à côté de l'appui-tête (repose­-nuque) en dur. (NDLR)

2 Hannique, (adj.). Néologisme. Relatif aux Han, terme chinois par lequel se désignent eux-mêmes les Chinois proprement dits, à l'exclusion des minorités nationales non hanniques de désigne sous ce nom la civilisation et parfois la race des Chinois. [Du pékinois han (nom francisé) + suffixe adjectival de relativité -ique (latin, -icus).] (NDLR)

Note : Selon une tradition bien retenue, on indique une période de l'histoire de Chine par le nom d'une dynastie. Or, ces dynasties portent le nom de l'empire ou du royaume sur lequel elles ont régné. C'est en général le nom du fief du fondateur de la dynastie. Quelques dy­nasties non hanniques (chinoises) ayant régné sur toute ou partie de ont désigné leur empire à l'aide d'un « qualificatif », et non d'un nom de lieu (fief), comme les Khitaïs (Liao), les Djourtchètes (Kin), les Mon­gols (Yuan) et les Mandchous (Tsing), de même la dynastie chinoise de Ming qui n'a pas désigné son empire du nom du fief (Wou) de son fondateur, mais bien du qualificatif Ming (« illuminé »). Mais ces derniers « qualificatifs » demeurent néanmoins chacun un nom de lieu (celui de leur empire). En conséquence, comme tout nom géographique, francisé ou non, on place naturellement la particule « de » devant ce nom de lieu chinois. (NDLR)

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