16/05/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

La redécouverte de l'art du découpage

01/05/1984

A la recherche d'une expression plastique

Avec une paire de ciseaux et une feuille de papier, Mme Linda Pou-fei Yeh, grâce à une grande dextérité ma­nuelle et un esprit créatif exceptionnel, peut s'adonner avec plaisir à un art chi­nois très ancien, l'art du découpage de papier.

Elle débuta il y a huit ans au Moyen­-Orient où elle habitait avec sa famille. Un jour, sa fille de neuf ans rentra de classe en annonçant que son école lui de­ mandait de contribuer à la fête scolaire. Mme Yeh se creusa la tête pour trouver quelque chose d'intéressant à présenter et se souvint alors de cet art chinois ancien. Après un peu d'exercices, Mme Yeh put réaliser des figurines charmantes qui eurent beaucoup de succès à la fête de l'école.

L'évènement éveilla chez Mme Yeh un intérêt profond pour l'art du décou­page de papier. Dès lors, tous les jours après le départ de son mari et de sa fille pour le bureau ou l'école, elle essaya de découper dans du papier toutes les images qui lui venaient en tête. Par la suite, une université l'invita à y exposer ses oeuvres. Elle reçut un accueil très en­thousiaste de la part des milieux artis­tiques locaux et conserva leurs faveurs lors d'expositions ultérieures.

Au début, l'artiste s'en tenait aux sources d'inspiration anciennes, scènes mythologiques, représentations tradi­tionnelles de fleurs, ou de paysages, de montagnes ou de lacs et personnages his­toriques chinois. Mais récemment, et plus particulièrement lors de son exposi­tion au Musée de Taïpei en décembre 1983, Mme Yeh a également découpé des sujets plus mo­dernes proposant un style plus personnel et des figurines plus réalistes. De ses mains artistes, une simple feuille de papier peut se transformer, par exemple, en un pétulant pékinois à longue robe. Toutes ses oeuvres, constituées d'une seule pièce découpée sans discontinuité, frappent aussitôt l'oeil du spectateur.

Enfants sur un buffle.

Avant d'être écrivain indépendant et d'enseigner l'art du découpage de papier, Mme Yeh a été productrice du programme pour femmes de de Télévision de Taïwan (Taï-Shih), réa­lisatrice de films et actrice («mais toujours dans de mauvais rôles nous dit-elle), ainsi que nouvelliste et professeur de chinois.

«Pendant mes études tâtonnantes du découpage de papier, j'essayais de découvrir de nouvelles méthodes de découpage, et j'en rêvais même au point d'embrouiller toutes les lignes. Ensuite, après de longs essais et erreurs interminables, je suis parvenue à des résultats satisfaisants.» Mme Yeh se re­ mémore: «A l'époque, je découpais tout le temps du papier pour mes figurines, au détri­ment même de mon sommeil. En effet, lorsque j'étais confrontée à un sujet difficile, je travaillais jusqu'au petit matin. Une figu­rine un peu compliquée pouvait me prendre jusqu'à six jours de travail acharné.» Il lui a fallu plus de cent heures pour achever un tableau de sa dernière exposition repré­sentant une scène avec des paons et des pins avec presqu'autant de precision qu'une peinture. «A la moindre erreur, il faut tout recommencer car on ne recolle pas les morceaux déchirés,» explique-t-elle. Cependant, Mme Yeh travaille plus rapidement mais avec la même habileté sur des sujets beaucoup plus simples.

Des paons sous les ramages.

«L'art du découpage de papier, Mme Yeh s'arrête pour reflechir, est un moyen vraiment merveilleux pour satisfaire l'esprit et enchanter l'imagination, mais egalement pour cultiver la patience et la concentration. Il  faut faire appel à tous les éléments de la philosophie chinoise traditionnelle: calme, tranquillité d'esprit, serenité, réflexion et réalisation de l'objectif.»

De loin, ses figurines avec leurs lignes si précises et si délicates semblent avoir été dessinées au fusain fin ou impri­mées comme des estampes. Mais en se rapprochant, on peut observer que les dessins encadrés sous verre ont une épaisseur et sont d'une qualité éton­nante. Le pelage des animaux paraît réel. «Une fois, un vieux couple ne voulait pas croire que le poil des animaux avait été dé­coupé dans du papier. On leur a apporté une loupe pour le constater. Elle poursuit avec quelque fierté: ils croyaient que le pelage avait éte collé sur le fond.»

Une de ses oeuvres préférées repré­sente un chat à longue robe noire réalisé lorsqu'elle habitait encore au Moyen­-Orient. «Je ne sais si je pourrai jamais re­produire un chat avec une telle expression dans les yeux. Je ne l'ai jamais vendu parce que je l'aime trop nous dit-elle en fixant le chat qui semble justement l'approuver du regard.

Dans sa première exposition, les en­fants et les adolescents ont particulière­ment apprécié le tableau représentant de jeunes chiots placés dans un panier avec les pattes poilues pendant par-dessus bord. Quant aux adultes, ils se regrou­paient tous devant un splendide dragon doré aux contours délicats. Cet art tra­vaillé par Mme Yeh est unique en son genre, mais il a une longue histoire riche en créations.

Il y a cinq mille ans, sous le règne de l'Empereur Jaune (黃帝), bien avant l'invention du papier par Tsaï Louen (蔡倫) sous les Han postérieurs (25-220 après J.-C.), les chasseurs chinois repré­sentaient déjà sur les murs, d'une ma­nière déjà élaborée, les instants les plus marquants de leurs chasses. Par la suite, ils se mirent à dessiner des animaux et d'autres objets sur des peaux de bête pour les utiliser lors de sacrifices cérémo­niels, du culte des dieux et de la vénéra­tion rituelle de leurs ancêtres. Finale­ment, des tentures et des accessoires en cuir analogues à ceux qu'on employait pendant les sacrifices servirent de décoralion, puis, avec le temps, on leur prêta d'autres usages, en particulier dans les premiers spectacles d'ombres chinoises.

Ces trois touffes de poils sont-elles vraiment issues d'une seule feuille de papier?

Des artistes pratiquèrent leur art sur les nouveaux matériaux qu'ils arrivaient peu à peu à se procurer, la soie par exemple. A l'époque où le papier fut in­venté, les techniques fondamentales né­cessaires à découper le papier avaient déjà été mises au point sur d'autres maté­riaux. Et l'art du découpage de papier put ainsi naître assez rapidement. Les empe­reurs des dynasties suivantes deman­daient aux artistes du palais de composer des scènes particulières en papier dé­ coupé, telles que des scènes printanières, pour donner de l'inspiration aux courti­sans poètes.

Sous les dynasties du Sud et du Nord (420-589), l'art se propagea pour at­teindre les classes moins aisées, et no­tamment les paysans du nord de aimait accrocher sur les balustrades et les portes des maisons les caractères Yi-tchouen (宜春, souhaits de bonne année) découpés dans du papier. Cette coutume provenait du Yi-tchouen Tié-tseu (宜春帖子 , Livre du Printemps). Le Yeou-yang Tsa-tsou (酉陽難俎, Anthologie de Yeou Yang), écrit par Touan Tcheng-cheu, sous la dynastie Tang, mentionnait déjà cette habitude: «Le premier jour du printemps, les femmes des royaumes du Nord offraient le Livre du Printemps. Les caractères yi et tchouen y étaient très particuliers. En effet, ils étaient composés avec toutes sortes de décorations.» D'après le Tching-tchou Souei-che-tchi (荊楚歲時記), les habitants des royaumes du Sud et du Nord ne se contentaient pas de coller ces caractères sur l'embrasure des portes. Ils organisaient également des concours pour évaluer le génie artistique, et les meilleures oeuvres étaient offertes aux souverains.

Sous les dynasties Souei (581-618) et Tang (618-907), l'art atteignit son apogée. Tsouei Tao-jong, des Tang, note dans l'un de ses poèmes: «Les premiers jours un peu frisquets du printemps sont le moment le plus approprié pour découper ces caractères du printemps.» Cette pratique est restée populaire durant toute l'époque des Cinq Dynasties. Un jour, Meng Tchang (934-965), empereur des Chou postérieurs, inscrivit au pinceau sur du papier un proverbe à l'occasion du Nouvel An. Depuis, ces distiques, écrits sur du papier rouge ou découpés dedans, puis collés sur les portes sont passés dans la tradition pour célébrer le Nouvel An.

Tchang Taï-ts'ien semble nous interroger du regard.

Par suite, ces décorations en papier découpé devinrent l'attribut indispen­sable au moment du Nouvel An lunaire, des différentes fêtes ou des cérémonies de mariage et de naissance. Les femmes découpaient dans du papier rouge des ca­ractères chinois, comme le double tchiuan (全, bonheur pour les parents), fou (福, faveur céleste), cheou (壽, longé­vité), ainsi que divers animaux, et les collaient sur les portes. Sur les fenêtres, on appliquait des motifs découpés dans du papier enduit d'huile d'abrasin (aleu­rite) pour le rendre translucide et repré­sentant généralement des plantes. Cela expliquerait-il pourquoi on appelle égale­ment le papier découpé tchouang houa (fleur de fenêtre).

Sous la dynastie Tsing, l'art du dé­coupage de papier ne se confina plus au seul papier rouge, et ses formes franchi­rent les limites du Yi-tchouen Tié-tseu. Yu Tchou-yuan vivant à cette époque écrit dans son ouvrage Tcha-hiang-che Tsong­ tchao (茶香室叢鈔): «Un prêtre taoiste a découpé dans du papier bleu foncé des ca­ ractères rappelant les calligraphies de Mi Fei [peintre calligraphe de la dynastie Song]. L'art du découpage de papier est encore très populaire aujourd'hui.»

Sous la dynastie Song, Tcheou Mi parle d'un jeune homme très habile ca­pable de composer des chefs-d'oeuvre en papier tout en gardant les mains à l'in­térieur des longues manches de sa robe. de la préfecture de Kien-te (Tchekiang) cite un certain Lin, expert du ciseau. Il pouvait, malgré sa cécité, avec ses ciseaux composer de magni­fiques caractères chinois de graphie com­pliquée et les vendre aussitôt après.

A la suite des grands bouleverse­ments qui remuèrent au siècle dernier, l'art du découpage de papier, comme de nombreuses autres traditions culturelles, se sont estompés. Dans le premières années de , cet art était toujours en vogue à la campagne. Dans toutes les régions, les jeunes villageoises savaient à n'importe quelle occa­sion manier les ciseaux selon ce que leur dictait l'imagination et réaliser de véri­tables chefs-d'oeuvre en papier. Ces oeuvres pour la plupart étaient relative­ment simples dans leur composition, mais très fines, souvent de couleur vive et toujours merveilleuses. Aucune n'exprimait vraiment la réalité ou parti­ culièrement la joie. Mais l'art du décou­page de papier toujours vivant témoignait de la richesse spirituelle de la tradition chinoise et perpétuait cette quête des An­ciens de la paix, de l'honnêteté et de l'harmonie.

Aujourd'hui, ceux qui se sont lancés à corps perdu dans les recherches sur l'art du découpage de papier, comme Mme Linda Pou-fei Yeh, qui est une des figures de proue, sont en train de donner un nouvel essor et rendre espoir à cet art ■

En papier doré, ce phénix ne craint pas de déployer ses ailes.

Ces chiots dans leur panier semblent gravés.

 

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