02/05/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Pêche hauturière : crise ou opportunité ?

01/09/2012
James Sha, le directeur général de l’agence de la Pêche au ministère de l’Agriculture. (YANG WEN-CHING )

Chiang Huang-chih [姜皇池], professeur de droit international à l’Université nationale de Taiwan, lançait dans la presse au mois de mai un appel au gouvernement en faveur de la pêche hauturière, réclamant une plus grande attention au dossier des quotas de pêche, qui pourraient progressivement être perdus par Taiwan. James Sha [沙志一], directeur général de l’agence de la Pêche placée sous la direction du ministère de l’Agriculture, répond à ce propos

Ces vingt dernières années, quelle a été l’évolution de la situation du point de vue des ressources disponibles pour l’industrie de la pêche hauturière ?

James Sha : Il y a longtemps, les gens étaient libres de pêcher autant qu’ils le souhaitaient. Mais aujourd’hui, avec l’évolution des technologies et des techniques de pêche, il est devenu possible d’exploiter des zones qui étaient auparavant hors d’atteinte, et environ 70% des espèces de poissons, en particulier le thon, sont victimes de la surpêche. La situation s’est dégradée au point que les signataires de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES, un accord intergouvernemental signé le 3 mars 1973 à Washington aussi appelé « Convention de Washington ») envisagent même de lister le thon rouge du nord (l’une des espèces les plus exploitées par l’industrie mondiale des produits de la mer) comme une espèce en danger. Dans le passé, nous étions capables d’obtenir un quota de 1 200 t pour le thon rouge du sud mais cette année, notre quota est de 500 t seulement, ce qui est particulièrement préoccupant. Il n’y a tout simplement plus assez de poissons dans les mers !

Cela fait maintenant dix ans que le total des prises de pêche dans le monde plafonne à 90 millions de t par an et ce volume ne devrait pas être dépassé. C’est pour cette raison que les organisations internationales de la pêche ont été très actives dans la gestion de ces ressources, en limitant le volume des prises dans les océans, en restreignant le nombre d’immatriculations de chalutiers et en combattant la pêche illégale. Le défi le plus important auquel est confronté le secteur mondial de la pêche est celui de trouver un équilibre entre un développement continu et la protection des ressources halieutiques.

S’il existe peu de chances pour que la tendance au déclin des ressources halieutiques s’inverse, comment adapter notre industrie de la pêche hauturière ? Quels sont les changements à lui apporter ?

Depuis le début des années 90, Taiwan, comme beaucoup d’autres nations, accorde une attention croissante au problème du déclin des ressources halieutiques. Le gouvernement a pris les devants et l’industrie a accepté de coopérer. La réduction de 15% de la flotte des chalutiers de haute mer a coûté près de 5 milliards de dollars taiwanais et leur nombre est aujourd’hui maintenu à 2 000 environ. Malgré tout, notre flotte de chalutiers pêchant du thon, du calmar et du balaou du Pacifique est encore parmi les plus importantes dans le monde et c’est pour cette raison que, dès qu’un quelconque problème se présente, nous sommes immédiatement exposés à la critique internationale. C’est là le nœud du problème pour notre industrie de la pêche en haute mer.

Quel est le point de vue des organisations internationales de la pêche à propos de l’envergure de la flotte taiwanaise de chalutiers de haute mer ?

Nous avons beaucoup de chalutiers et nous attrapons beaucoup de poissons mais nous recueillons aussi un grand nombre de données sur les ressources maritimes. La communauté internationale a besoin de ces informations pour gérer les ressources. Même si le statut international de Taiwan est particulier, nous sommes virtuellement membres de toutes les organisations internationales en lien avec la pêche et nous avons reçu des quotas pour le thon dans les trois principales zones maritimes que sont l’océan Pacifique, l’océan Atlantique et l’océan Indien.

 

Des militants de Greenpeace lors d’une action  contre la surpêche. (PAUL HILTON / AIMABLE CRÉDIT DE GREENPEACE)

Si nous respectons simplement la réglementation des organisations internationales, cela nous placera-t-il dans une meilleure position pour négocier des quotas plus importants et augmenter les capacités de notre industrie de la pêche en haute mer ?

Taiwan est déjà considéré comme un pays très développé sur le plan de l’industrie de la pêche et il est donc nécessaire que tout le monde comprenne que nous n’aurons plus l’occasion de développer davantage notre industrie. Nous devons donc remplir nos devoirs internationaux avec conscience. Les ressources des océans sont limitées et notre objectif commun doit être de limiter leur exploitation à des niveaux raisonnables, c’est-à-dire durables. Les nations côtières pauvres cherchent également à développer leur industrie de la pêche. Nous ne pouvons pas leur dire simplement : « Désolé, vous restez dans votre état de sous-développement parce que nous avons déjà utilisé tous les quotas ». Nous devons leur laisser un espace et céder certains de nos quotas. C’est ce que nous pouvons faire de mieux pour la communauté internationale.

Ces dernières années, la Chine continentale a développé de manière très agressive sa flotte de chalutiers de haute mer. En comparaison, la politique du gouvernement taiwanais n’est- elle pas trop frileuse ?

Une grande partie de la pêche chinoise en haute mer est réalisée avec des chalutiers qui transportent d’énormes filets à travers les mers pour attraper n’importe quelle espèce de poissons. Selon le principe de réciprocité diplomatique, les Etats qui entretiennent des relations diplomatiques avec la Chine l’autorisent à pêcher dans leur zone économique exclusive. A l’inverse, la plupart de nos pêches ont des objectifs précis comme le thon, le calmar ou le balaou. Aujourd’hui, l’industrie de la pêche taiwanaise est, pour employer une métaphore sur les cycles de la vie, d’âge mûr alors que celle de la Chine est toujours un adolescent qui cherche à grandir. Il faut aussi prendre en compte le fait que la Chine dispose d’un statut international très solide et jouit d’une position forte. Les Chinois ont donc dans leur jeu un certain nombre d’atouts à jouer sur le plan de l’industrie de la pêche alors que nous en sommes, pour ainsi dire, totalement dépourvus, notamment en termes de quotas de pêche pour le thon.

La position de l’agence de la Pêche est que notre industrie de la pêche en haute mer doit faire des concessions pour le bien de la stabilité diplomatique, au profit de la conservation des ressources maritimes et des approvisionnements en nourriture. Malgré notre statut international, Taiwan est parvenu à devenir membre de plusieurs organisations internationales de gestion de la pêche et du domaine maritime. Cela n’est toutefois pas surprenant que la Chine ait déclaré cette année la pêche en haute mer « industrie stratégique », ce qui est critique pour l’expansion de son influence diplomatique et de ses droits maritimes. Malheureusement, le ministère du Développement et la Planification économiques n’examine les choses que du point de vue des revenus fiscaux et de la lutte contre le chômage, et de ce point de vue, l’industrie de la pêche en haute mer n’apporte qu’une faible contribution à l’économie nationale. C’est vrai que peu de Taiwanais ont envie de travailler sur des chalutiers par-delà les mers, et en conséquence, l’industrie de la pêche hauturière n’a été capable de survivre qu’en employant une main-d’œuvre étrangère à bas prix, ce qui a très peu d’influence sur le plan de l’emploi au niveau national. Malgré tout, cette industrie a des retombées économiques indirectes très positives parce qu’elle crée des emplois dans le domaine des chantiers navals, des équipements pour la pêche ou encore de la gestion des entreprises qui possèdent les chalutiers. Par exemple, Taiwan est numéro un mondial en matière de fabrication de filets à sennes coulissantes.

Qu’est-ce que les associations de défense de l’environnement marin pensent des efforts fournis par Taiwan jusqu’ici ?

L’industrie taiwanaise de la pêche hauturière est déjà surdimensionnée et nous avons déjà trop attiré l’attention de Greenpeace, qui a implanté un bureau à Taiwan. Leur espoir est de nous voir passer du simple respect des règles internationales à celui d’un rôle de leader sur le plan de la gestion des ressources maritimes. Par exemple, Greenpeace nous a critiqués après le récent sommet annuel de la Commission des pêches du Pacifique Ouest et Centre parce que nous ne nous sommes pas directement opposés aux Etats-Unis et à la Corée du Sud. [Lors de ce somment qui se tenait à Guam au mois de mars 2012, la proposition d’une interdiction pour une durée de 4 mois du recours aux dispositifs de concentration des poissons a été rejetée, et certaines zones en haute mer, auparavant interdites à la pêche, ont été rouvertes.] Greenpeace souhaite que nous soyons beaucoup plus actifs dans ce domaine. Il est toutefois illusoire de penser que tout peut être obtenu en une seule fois. Le gouvernement n’est pas dans la même position que les organisations non gouvernementales. Nous défendons des gens qui vivent de la pêche et qui comptent sur nous pour que nous défendions leurs intérêts. Et avant d’exiger d’eux qu’ils améliorent leurs pratiques, nous devons nous assurer qu’ils peuvent en vivre. Par conséquence, ces dossiers ne peuvent évoluer que lentement.

 

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