15/05/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Le tatami, pas encore au tapis

01/04/2013
Hong Wei-jin se prépare à reprendre la tête de l’affaire familiale. (JIMMY LIN / TAIWAN PANORAMA)
Est-ce la douceur de vivre qui règne dans l’ancienne capitale de Taiwan ? Ces dernières années, Tainan semble attirer les architectes et les designers à la recherche d’une ville agréable pour s’établir. Non loin du rond-point de Dongmen se cache l’atelier de tatamis Mingzhang qui fournit les habitants de Tainan depuis un bon demi-siècle, mais aussi, de plus en plus, cette nouvelle clientèle qui fait les modes.

Dans un monde où on passe son temps à courir derrière la dernière tendance, on a heureusement parfois la chance de tomber sur des gens qui raniment les vieux métiers et leur apportent leur enthousiasme. C’est le cas de Hong Wei-jin [洪偉晉] qui apprend aujourd’hui auprès de son grand-père Hong Shi-ming [洪施明] les ficelles du métier de fabricant de tatamis.

Pourtant Hong Wei-jin ne se destinait pas au départ à reprendre l’affaire familiale. Après avoir obtenu son diplôme de l’Institut oriental de technologie, à Banqiao, dans la banlieue de Taipei, s’il est retourné dans sa ville natale de Tainan, c’est dans une usine textile qu’il a trouvé du travail. Là, jour après jour, son travail consistait à inspecter la qualité des tissus qui sortaient des filatures. Quelques années plus tard, en 2008 – il a 26 ans –, il démissionne. C’est alors qu’il se souvient de ce que disaient les anciens : « Quand on a une corde à son arc, on mange toujours à sa faim. » Plutôt que de se résigner à faire un boulot sans intérêt, il décide de rejoindre l’affaire familiale de tatamis. Au moins, se dit-il, de cette façon, il participera à la sauvegarde d’un artisanat en voie de disparition.

Les leçons de grand-père

Enfant, Hong Wei-jin avait souvent vu son grand-père à l’œuvre. Il le regardait placer la paille de riz dans un cadre de bois, la recouvrir d’une natte de jonc tressé, agrafer les extrémités de la natte sur le cadre, coudre les lisérés de tissu sur les bords, puis couper les chutes de paille avec un canif aiguisé. Cela paraissait tellement facile. Pourtant, le jour où il s’y est essayé, il a compris la complexité de la tâche.

A Taiwan, les tatamis ont une taille standard de trois pieds taiwanais de large sur six de long (le pied taiwanais équivaut à 30,3 cm). Le processus de fabrication compte sept à huit étapes et prend entre quarante minutes et une heure.

Il fut un temps où les tatamis étaient présents dans tous les intérieurs. La demande était telle que l’atelier Mingzhang employait à plein temps une douzaine d’ouvriers. (AIMABLE CRÉDIT DE HONG WEI-JIN)

Au départ, pour s’entraîner, le jeune Hong Wei-jin s’est fait la main sur des modèles réduits. « Le plus difficile est de fixer la natte de jonc, en haut et en bas du tatami. » Il faut apprendre à guider l’aiguille pendant que celle-ci fait passer le fil de nylon.

Depuis qu’il a rejoint l’atelier familial il y a un peu plus de quatre ans, Hong Wei-jin a pu observer combien son grand-père était respectueux des méthodes anciennes, et il sent souvent la frustration monter en lui face au désintérêt de la société taiwanaise pour les vieux métiers. « Au Japon, que vous soyez cuisinier, artisan ou n’importe quoi d’autre, si vous maîtrisez un savoir-faire, vous pouvez garder la tête haute. Mais je ne ressens pas cela à Taiwan. »

A l’atelier Mingzhang, le travail se poursuit à la vue des passants qui jettent parfois un regard intrigué à l’intérieur, comme s’ils étaient en train de se demander : « Il y a vraiment encore des gens qui dorment sur des tatamis aujourd’hui ? » La question sous-jacente est évidemment de savoir combien de temps ce métier résistera encore. Un jour, un petit garçon qui passait par là a demandé à son père : « On gagne de l’argent en fabriquant des tatamis ? » Hong Wei-jin enrage encore en y repensant.

L’âge d’or révolu

Les tatamis ont peut-être quasiment disparu des appartements modernes, mais il fut une époque, à Taiwan, où ils étaient très demandés. Hong Shi-ming, qui court sur ses 81 ans, exerce ce métier depuis plus de soixante ans. Il a vu son secteur d’activité s’épanouir puis dépérir lentement.

Né en 1932, Hong Shi-ming a quitté les bancs de l’école primaire à cause de la guerre. Très tôt, pour survivre, il a fallu qu’il travaille, et il s’est mis en apprentissage chez un fabricant japonais de tatamis à Madou, dans le district de Tainan, qui ne le traitait pas particulièrement avec douceur. Après deux années d’apprentissage à la dure, il prit le large pour aller travailler dans un magasin de laine. Mais les affaires périclitant avec l’arrivée des fibres textiles, il décida de retourner à la fabrication des tatamis. C’est ainsi qu’il ouvrit son propre atelier en 1963, dans l’avenue Minquan, à Tainan. Il n’a pas bougé depuis.

La réalisation d’un tatami de qualité n’est pas aussi simple qu’il y paraît. (JIMMY LIN / TAIWAN PANORAMA)

Dans les années 50 et 60, les entreprises publiques héritées du gouvernement colonial disposaient de dortoirs à la japonaise pour leurs employés. A la longue, les tatamis s’usaient, et les appels d’offres pour leur réparation ou leur remplacement étaient fréquents. Hong Shi-ming épluchait les petites annonces à la recherche d’opportunités de ce genre. Il lui arriva même d’aller jusqu’à Luodong, dans le district d’Yilan, pour répondre à une commande. Son entregent faisait qu’il comptait parmi ses clients l’agence des Forêts, l’Administration du rail de Taiwan ou encore l’entreprise Taiwan Sugar.

Au plus fort de la demande, Hong Shi-ming employait plus d’une douzaine de maîtres artisans, et à chaque fois qu’il partait travailler sur un gros chantier, il emportait six ou sept d’entre eux avec lui. Il travaillait 16 heures par jour, et l’atelier pouvait livrer plus de 200 tatamis par mois.

La renaissance ?

Les maisons japonaises ont disparu les unes après les autres, et les matelas à ressorts sont aujourd’hui la norme. Il y avait autrefois une bonne dizaine d’ateliers de fabrication de tatamis dans la seule ville de Tainan, mais il n’en reste plus que trois.

Hong Wei-jin a compris que la nostalgie ne suffit pas pour vendre à une clientèle jeune et qu’il faut lui faire comprendre que les tatamis ne sont pas réservés aux pièces où l’on se repose. Le blog de l’atelier montre donc des photos de restaurants et de salles de jeux aux sols recouverts de tatamis, et de salons dans lesquels est aménagé un espace tatami.

Le dos courbé sur son ouvrage, l’artisan travaille consciencieusement. Il n’aurait jamais imaginé, étant enfant, qu’un jour il ferait les mêmes gestes que son grand-père, dit-il. Mais le voilà pourtant, tirant l’aiguille avec application. Qui sait, peut-être les citadins modernes redécouvriront-ils les vertus des tatamis, tellement plus agréables sous la plante des pieds que le carrelage…

Les plus lus

Les plus récents