La liste des participants de la conférence de décembre à Hsinchu était en effet remarquable : non seulement on y trouvait deux prix Nobel de chimie israéliens, Ada Yonath et Aaron Ciechanover, mais aussi des scientifiques de calibre international tels que Wong Chi-huey [翁啟惠], le président de l’Academia Sinica, la plus prestigieuse institution de recherche de Taiwan, et Ruth Arnon, la présidente de l’Académie des sciences et des humanités d’Israël. Au total, une vingtaine de chercheurs de haut niveau et autant de jeunes chercheurs ou étudiants-chercheurs des sciences de la vie des deux pays ont contribué à la rencontre.
Cette conférence, la première du genre, avait pour but de jeter les bases d’une coopération scientifique entre Israël et Taiwan qui permette de déboucher sur des produits innovants, et il y a de bonnes raisons d’espérer que ces efforts aboutiront. Selon le Rapport sur la compétitivité mondiale 2013-2014 publié en septembre 2013 par le Forum économique mondial et qui couvre 148 économies, les deux pays brillent particulièrement sur le plan de l’innovation – l’un des douze thèmes sur lesquels les pays sont évalués et qui vont des infrastructures à la taille du marché. Israël arrive en 3e position en matière d’innovation, donc, derrière la Finlande et la Suisse, Taiwan occupant pour sa part la 8e place. Pour ce qui est de la compétitivité globale, Taiwan est à la 12e place, tandis qu’Israël parvient en 27e position.
« Les Israéliens sont très forts dans le secteur de la recherche et du développement, et les Taiwanais seraient bien inspirés de prendre modèle sur eux le plus rapidement possible, commente Chang Liang-jen [張良任], qui dirigeait le Bureau économique et culturel de Taipei à Tel-Aviv jusqu’au début de cette année. Israël peut en effet s’enorgueillir de nombreux succès en matière de technologies innovantes. On peut par exemple citer Pillcam, une minuscule caméra encastrée dans une capsule transparente lisse à absorber comme un comprimé par le patient et qui permet d’examiner les voies digestives sur toute leur longueur, ou bien le lancement dès 1996 d’ICQ, le précurseur des services de messagerie instantanée en usage aujourd’hui. Comme cela est souvent le cas en Israël, les inventeurs de la Pillcam et d’ICQ ont formé des startups qui ont ensuite été rachetées par de grands groupes internationaux attirés par leur potentiel commercial.
Ces dernières années, Taiwan et Israël ont travaillé à la mise en place de liens institutionnels pour permettre à la coopération bilatérale de se déployer. Par exemple, un accord d’exemption de visa signé en juin 2011 a pris effet deux mois plus tard. Chang Liang-jen fait remarquer que les négociations ont toutefois été complexes avec ce pays du Moyen-Orient où les exigences de sécurité sont particulièrement strictes. Il s’est lui-même rendu au moins 50 fois à Jérusalem pour discuter de ce sujet avec les autorités israéliennes, raconte-t-il.
En décembre 2013, Taiwan et Israël ont signé quatre accords à l’issue de la 10e Conférence Taiwan-Israël de coopération économique et technologique, à Taipei. Les accords couvrent des domaines allant de la coopération en matière de protection de l’environnement à l’autorisation donnée aux proches des diplomates taiwanais postés en Israël de travailler sur place et réciproquement. Autre résultat de cette conférence, la signature d’une Directive administrative sur la reconnaissance mutuelle des opérateurs économiques agréés (AEO). Les AEO sont des entreprises certifiées comme se conformant aux normes de l’Organisation mondiale des douanes, et elles bénéficient à ce titre de frais moins élevés pour les inspections des cargos ainsi que de procédures de passage en douane allégées. Cette directive est la première du genre signée par Israël et la troisième pour Taiwan qui a scellé des accords similaires avec les Etats-Unis en 2012 et avec Singapour en 2013. Le volume des échanges commerciaux entre Taiwan et Israël a atteint 1,43 milliard de dollars américains en 2012, et on s’attend à ce qu’il continue de croître.
« Vous ne trouverez aucune entreprise internationale du secteur des technologies qui ne dispose pas d’une implantation en Israël », assure Ezer Soref, un des principaux actionnaires de Giza Venture Capital (une société basée à Tel-Aviv) et qui est en charge des activités de celle-ci en Asie. Google, Microsoft ou encore Motorola, pour ne citer que celles-ci, ont par exemple créé des centres de recherche en Israël ou racheté des entreprises israéliennes. Depuis 2004, le Fonds national de développement, qui est administré par le Yuan exécutif de la République de Chine, a investi 29 millions de dollars américains dans Giza, l’une des plus grosses entreprises du genre en Israël.
Plusieurs entreprises privées taiwanaises du secteur des hautes technologies ont établi des bureaux en Israël dans l’espoir d’y recruter des cadres. C’est le cas de Winbond Electronics qui a fondé Winbond Israel en acquérant le centre de recherche et développement qui avait été créé en Israël par la société américaine National Semiconductor (laquelle a été rachetée par Texas Instrument en 2011). En 2009, Hiwin Technology, une autre entreprise taiwanaise, a racheté Mega-F Motion Systems, un développeur israélien de technologies de contrôle des mouvements (une sous-division de l’automation). Rebaptisée Mega-Fab, la nouvelle succursale d’Hiwin conçoit des systèmes de contrôle et des modules utilisés dans des domaines aussi divers que les équipements employés pour la fabrication des semi-conducteurs et les machines d’impression de haute précision.
Capacité d’innovation
Pour Chester Hwang [黃伯源], le président de Winbond Israel et de Nuvoton Israel – une succursale de Nuvoton Technology qui est elle-même une filiale de Winbond –, la capacité d’innovation des Israéliens prend sa source dans leur préférence pour l’improvisation et dans leur tendance à mettre les supérieurs au défi, sans se soucier de la hiérarchie. « Et ils n’ont pas peur de commettre des erreurs », dit-il, en saluant cette façon d’avancer par l’expérimentation et l’exploration. Winbond Israel et Nuvoton Israel comptent une centaine d’employés israéliens qui travaillent au développement et à la promotion de produits et de technologies de l’information et des communications destinés aux grandes entreprises du secteur. Toutes deux font partie des quelque 250 multinationales cherchant à mobiliser les capacités d’innovation présentes en Israël, dit-il.
C’est un pays qui a beaucoup à offrir aussi dans le domaine de l’agriculture, fait pour sa part remarquer Richard Fu [傅子煜], en charge de la coopération au ministère de l’Agriculture. Prenons par exemple l’irrigation goutte à goutte, une méthode inventée par des Israéliens qui permet d’augmenter l’efficacité de l’alimentation en eau et en engrais. « Le manque de terres arables et d’eau a contraint Israël à développer des technologies agricoles avancées. C’est impressionnant de voir comment ce pays est parvenu à surmonter les obstacles naturels. »
Autre exemple des prouesses agricoles israéliennes, le développement d’une recette d’aliments pour le bétail qui augmente l’appétit, une des raisons pour lesquelles les vaches laitières d’Israël produisent plus que toutes les autres. Des scientifiques de l’Institut de recherche sur l’élevage, qui dépend du ministère de l’Agriculture, ont commencé il y a trois ans à échanger des points de vue sur ce sujet avec leurs collègues israéliens. Ce dialogue a porté ses fruits l’année dernière, lorsque le ministère de l’Agriculture a annoncé qu’il avait mis au point une formule spéciale pour les vaches laitières de Taiwan. Celles-ci voient en effet leur appétit – et donc leur production de lait – diminuer en été à cause des fortes chaleurs. Cette recette devrait être diffusée à l’ensemble des éleveurs taiwanais dans le cours de l’année.
En 2010, un protocole d’accord sur les échanges de jeunes entre les deux pays a été signé. (AIMABLE CRÉDIT DU MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION)
Richard Fu a fait partie de la délégation taiwanaise qui a participé à la dernière réunion du Groupe de travail Taiwan-Israël sur l’agriculture, en octobre 2013 en Israël. Les deux parties ont signé un protocole d’accord sur les échanges agricoles en 2004 et accueillent depuis tour à tour les réunions du groupe de travail, lesquelles ont lieu en général tous les deux ans. La réunion de 2013 a été un peu spéciale dans la mesure où elle a rassemblé les ministres taiwanais et israélien de l’Agriculture, qui ne s’étaient jamais rencontrés. Etaient également présents des représentants de six sociétés taiwanaises, alors que, par le passé, seuls des fonctionnaires et des chercheurs avaient participé à ce genre de rencontres. Israël est à présent l’un des neuf pays, dont l’Afrique du Sud et les Etats-Unis, avec lesquels Taiwan tient régulièrement des réunions de travail bilatérales sur les questions agricoles, ajoute Richard Fu.
L’aquiculture est un autre domaine dans lequel la coopération avec Israël est fructueuse. « L’aquiculture taiwanaise s’est fait connaître pour ses techniques de production d’alevins de qualité, plus résistants aux maladies », poursuit Richard Fu. Israël, de son côté, a inventé des techniques de recyclage des eaux usées adaptées à l’aquiculture. L’un des temps forts de la réunion de travail de 2013 a été une discussion concernant les moyens de développer une synergie entre Taiwan et Israël dans le secteur de l’aquiculture. « L’objectif est que les Taiwanais et les Israéliens travaillent ensemble à la mise au point et à la commercialisation de solutions complètes pour une aquiculture ultra-performante à travers le monde. »
Avec le temps, les Israéliens ont pris conscience de la capacité d’innovation de Taiwan. Gadi Aviram, par exemple, commercialise depuis 1985 dans son pays des scooters fabriqués à Taiwan par Sanyang Industry (SYM). « Il y avait deux obstacles à surmonter lorsque j’ai commencé à vendre des scooters taiwanais en Israël. Le premier, c’est que les gens ici ne connaissaient pas encore la qualité des produits taiwanais, et que leurs attentes quant au concept du scooter ne correspondaient pas aux caractéristiques des produits taiwanais. » Les motocyclistes israéliens étaient à l’époque habitués aux bécanes tout en métal du type de celles produites par le groupe italien Piaggio. Les scooters taiwanais, par contraste, ont un carénage en plastique plus léger qui a aussi l’avantage de rendre les changements de pièces plus faciles. Selon Gadi Aviram, cinq ans après leur introduction sur le marché israélien, les scooters SYM dominaient les ventes, et Piaggio s’est finalement reconverti dans les carénages en plastique.
Aujourd’hui, dit le concessionnaire israélien, SYM tient 40% du marché des scooters et des motocyclettes en Israël, un succès qui repose sur le fait que la marque taiwanaise renouvelle régulièrement son offre, mise sur la qualité et a adopté une politique de prix raisonnable. Les scooters fabriqués par une autre marque taiwanaise, Kwang Yang Motor (KYMCO), sont également populaires auprès des Israéliens. Ensemble, SYM et KYMCO contrôlent environ 70% du marché.
Un vaccin qui change la donne
Le domaine médical semble également prometteur pour la coopération israélo-taiwanaise. BiondVax Pharmaceuticals, une startup basée à Ness Ziona, au sud de Tel-Aviv, est en train de développer en propre un vaccin universel contre la grippe. Ce vaccin a été créé par une équipe de recherche dirigée par Ruth Arnon depuis 1988. BiondVax en a acheté le brevet en 2003, l’année de sa création. Les essais de phase 1 et 2 ayant été couronnés de succès en Israël, BiondVax cherche maintenant à poursuivre les tests et à explorer les marchés potentiels en Asie de l’Est. « Ce vaccin va changer la donne. C’est une révolution, pas seulement une amélioration d’un vaccin existant », dit Ron Babecoff, le fondateur et président de BiondVax.
Pour celui-ci, les collaborations internationales sont essentielles au développement de BiondVax. En décembre 2013, en compagnie de sa directrice du développement des affaires, Tanya Gottlieb, il s’est rendu en Asie de l’Est pour la première fois. Ils se sont arrêtés à Taiwan, en Chine continentale et en Thaïlande, où ils se sont mis en quête de partenaires. « A Taiwan, nous avons été très impressionnés par le haut niveau de l’industrie des biotechnologies, tant dans les institutions publiques que dans les laboratoires privés », dit Tanya Gottlieb. BiondVax cherche en conséquence à lier des coopérations avec des organismes de réglementation et un laboratoire pharmaceutique à Taiwan pour y effectuer les essais cliniques de phase 3 sur son vaccin universel contre la grippe. L’objectif final est pour la société israélienne de produire et de stocker le vaccin à Taiwan. « De cette façon, Taiwan parviendra plus rapidement à protéger sa population contre la prochaine pandémie de grippe, quelle qu’en soit la souche, et à réagir immédiatement en cas de flambée épidémique, poursuit Tanya Gottlieb. Nous avons eu des discussions prometteuses, et nous serons probablement de retour à Taiwan avant longtemps. »
Dans le secteur du tourisme, le Bureau de représentation économique et culturelle de Taipei à Tel-Aviv a travaillé avec Lonely Planet, l’éditeur des célèbres guides de voyage du même nom, pour produire un ouvrage en hébreu consacré à la destination Taiwan. « Ce guide ne s’adresse pas seulement aux touristes israéliens, mais aussi aux plus de six millions de gens qui lisent l’hébreu en dehors d’Israël, et beaucoup d’entre eux jouent un rôle important dans des secteurs comme la finance et les médias », note Chang Liang-jen. L’ouvrage devrait être mis dans les rayons au printemps.
Même si la coopération entre Taiwan et Israël n’a jamais été aussi diverse, il reste une importante marge de progression. Les Israéliens mettent l’accent sur l’innovation pour développer leurs produits destinés à l’export, dit l’entrepreneur Ezer Soref. De leur côté, dit-il, les Taiwanais voient leurs avantages sur le plan des coûts de production et des capacités techniques se réduire face à leurs concurrents. Pour retrouver sa compétitivité, Taiwan doit se concentrer davantage sur la recherche et l’innovation, et une façon d’y parvenir consisterait à collaborer plus étroitement avec Israël, poursuit-il. « Les entreprises taiwanaises ne cherchent pas assez activement à développer des partenariats avec leurs homologues israéliennes. Cela est d’autant plus évident si l’on compare avec les entreprises chinoises qui se sont montrées très ambitieuses dans ce domaine ces deux dernières années. »
Terry Wang [王俊傑] est directeur marketing chez Orbotech, une société israélienne qui conçoit et manufacture des équipements de production avancés pour la fabrication de composants électroniques comme les cartes-mères et les écrans LCD. Il attire l’attention sur la position stratégique que détiennent Taiwan et Israël dans leur région respective, un élément qui devrait les pousser à travailler davantage ensemble. « Israël entretient des liens étroits avec l’Europe. Les entreprises taiwanaises pourraient donc s’appuyer sur les ressources humaines israéliennes pour explorer les marchés européens. D’un autre côté, les entreprises israéliennes peuvent compter sur l’aide des Taiwanais pour développer leurs affaires en Chine continentale. » Orbotech offre justement un exemple de ce que préconise Terry Wang : la plupart des postes de niveau intermédiaire au sein des deux filiales dont dispose la société en Chine continentale sont occupés par des Taiwanais qui travaillaient au préalable pour Orbotech à Taiwan.
Malgré la distance physique qui sépare Taiwan d’Israël, les deux pays se rapprochent avec les années. « orsque les Taiwanais sont à la recherche de nouvelles coopérations scientifiques, ils regardent d’abord du côté des Etats-Unis. C’est vrai également pour les Israéliens, remarquait Simona Halperin lors de la conférence de décembre dernier. Cette conférence ouvre les yeux des scientifiques israéliens et taiwanais les uns sur les autres. » En travaillant ensemble dans des domaines allant des sciences et technologies à l’agriculture, en passant par le commerce, Taiwan et Israël peuvent créer une synergie leur permettant de continuer à jouer un rôle de premier plan sur la scène internationale.